• Chapitre 42

    19 juin, Iakoutsk

     

    Sur la route mal entretenue qui menait à Krépotz’7, Hawk venait de passer le relais à Hubert et à Alexeï qui allaient les remplacer pour la journée au volant sa sœur et lui. En dépit de son exceptionnelle résistance de Mutant, il était épuisé. Plus il se rapprochait de ses enfants, plus il subissait les interférences de leur double psychisme. Il lui fallait redoubler d’attention pour garder le cap entre les ornières et les bosses dont était jalonné le parcours en ces contrées reculées où la civilisation moderne semblait-il, avait oublié de s’inviter.

    Assis à l’arrière du lourd land-cruiser il somnolait, bercé par la conversation à bâtons rompus qui se déroulait entre Fleur de Lune et Léo. En contrepoint du doux bourdonnement de leur deux voix, il « entendait » les pensées de Jean-Hubert que ce rapprochement entre celle dont il était secrètement amoureux et le beau Mutant, rendait extrêmement jaloux

    Le sommeil allait l’emporter quand il entra en transes. Des bouffées très fortes de pensées nauséabondes, étouffantes, lui parvenaient soudain. La violence de ce qu’il captait le rendait malade. Au bord de la syncope, il ne pouvait que subir ce magma grouillant, immonde qui submergeait son cerveau. Il entendait ces pensées comme s’il avait été présent.

    Elles émanaient du chef de la Meute qui les précédait et de l’ex -directeur de la Forteresse. C’est également l’esprit terrifié de Moïse Douala qui transmettait les images de la scène que voyait à présent Hawk. Son regard halluciné alerta Fleur qui s’était instinctivement tournée vers lui, avertie par ce sixième sens aiguisé des Mus. Un regard fixé sur le dos du chauffeur mais qui paraissait voir l’horreur au-delà. Sans réfléchir plus avant, elle se connecta à l’esprit de son frère, autant pour partager sa terrible vision que pour lui permettre de la supporter. Ils virent et vécurent l’ignominie.

    …Ils étaient cinq dans la coquette datcha de Moïse Douala, le meneur de la première Meute chargée de retrouver Mary et quatre de ses Chiens. On avait permis à l’ex-directeur de Krépotz’7 de l’occuper jusqu’à son rapatriement en Afrique. Il y attendait donc assez sereinement qu’on vienne l’interroger, loin de se douter de ce qu’il allait devoir endurer. Il n’avait rien commis de répréhensible après tout. Les faits s’étaient produits durant son jour de congé !

    C’est d’ailleurs ce qu’on lui avait dit pour le rassurer.

    - Vous ne craignez rien ! C’est un interrogatoire de pure routine !

    Lorsque les envoyés de Solomon s’étaient annoncés à sa porte, il les avait donc accueillis très courtoisement Après les avoir invités à prendre place dans de moelleux fauteuils en face de la cheminée où se consumaient de grosses bûches de vrai bois, il leur avait même offert un verre de sa meilleure Vodka !

    Il n’avait pas mis longtemps à déchanter.

    L’interrogatoire féroce auquel il était soumis avait débuté trois jours auparavant. Ligoté à une chaise et déjà violemment tabassé, le pauvre homme mourrait de peur. Il était à bout de forces. Il avait uriné dans son pantalon et ses sphincters avaient lâché sous la pression de la terreur. Il pleurait en implorant ses bourreaux :

    - Pitié ! Je n’ai rien fait ! Je ne sais rien ! Je n’étais pas là ! Laissez-moi partir !

    - Regardez-le assis dans sa merde ce connard ! Braillait le chef de la Meute en se tapant sur les cuisses, écroulé de rire.

    - Si on la lui faisait bouffer chef ! Proposa l’un des Chiens.

    Ils le firent puis regardèrent hilares Moïse vomir ses propres excréments avant de s’évanouir à-demi étouffé.

    - On n’aura pas besoin de le descendre à ce train là ! Il sera mort de trouille avant ! S’esclaffa un deuxième chien tandis que le troisième, armé d’une lourde ceinture à boucle d’acier, cravachait la victime en plein visage pour la ranimer.

    Douala hurla en revenant à lui. Le sang lui coulait dans les yeux et sur les joues en larmes vermillon.

    - Eh, les gars, il saigne pas assez, vous êtes trop gentils ! Fit remarquer goguenard le quatrième Chien qui se tenait en retrait, se repaissant du spectacle.

    Il n’avait encore rien fait. Lui ce qui le faisait presque jouir, c’était plutôt de regarder. Il se décida cependant à se mêler activement à la fête.

    - Il a dû s’amuser pas mal avec ses matonnes ce salaud ! Moi je lui couperais bien les couilles chef !

    - Vas-y mec, te gêne pas !

    Ainsi fut fait dans une atmosphère de franche rigolade. Sauf pour l’émasculé bien sûr qui hurla comme un animal qu’on égorge avant de sombrer de nouveau dans une bienheureuse inconscience. Il se vidait de son sang dont l’odeur douceâtre de mort si proche, se mêla à celle pestilentielle de ses déjections. Il ne fallait pas qu’il meure trop vite alors l’un des chiens cautérisa la plaie béante avec la lame de son poignard qu’il avait rougie à la flamme du feu qui brûlait joyeux dans la cheminée. L’odeur écœurante de la chair grillée remplit très vite le petit salon douillet où avait lieu l’interrogatoire.

    Tout avait pourtant commencé plutôt « gentiment ».

    Moïse croyait alors qu’il ne s’agissait que d’un complément d’enquête. Il n’avait pas été informé de ce qui était arrivé aux autres membres du staff de la Forteresse et du coup, c’est sans crainte excessive, avec bonhommie même, qu’il répondait aux questions que lui posait très poliment le chef de la Meute. Il n’avait plus rien à perdre après tout et une retraite tranquille dans son pays lui tendait les bras !

    Le deuxième jour, en constatant que l’ex-directeur ne leur apprenait rien de neuf, les cinq hommes avaient durci le ton. Moïse avait pris peur. Il puait la trouille. Cette odeur que seuls les tortionnaires peuvent renifler, avait excité les Chiens de Solomon. Les coups avaient commencé à pleuvoir.

    Ce jour-là, le dernier de son existence, il comprenait qu’il allait mourir, non pas pour ce qu’il ne pouvait dire mais uniquement parce qu’il était le dernier témoin. Les salopards qui le frappaient à tour de rôle le lui avaient annoncé en jubilant.

    - Autant que tu parles Douala ! Tu vas crever de toute façon ! Ordre du Grand Chef ! Tes copains de Krepotz’7 sont tous morts. Y a plus personne là-bas !

    Il avait bien plus peur des nouveaux sévices que de la mort qu’ils lui promettaient. Après les tortures qu’il avait déjà subies et celles qui l’attendaient encore, mourir serait une délivrance. Il avait hâte d’en finir. Il parla, livrant en vrac le peu qu’il savait sur la prisonnière de la Zéro et sur Gertrud Baumann. Des tréfonds de la douleur qui le minait sans relâche, il se maudissait de n’avoir pas pris le temps d’étudier à fond le dossier brûlant du matricule 1058.01. De même qu’il ne savait pas grand-chose sur ses plus proches collaborateurs. La seule information utile qu’il put donner sur celle qui avait causé sa perte était l’endroit où vivait son ex-mari. Il ne l’avait pas lue dans son dossier d’embauche où ce type de renseignement d’ordre strictement privé ne figurait pas. C’est elle qui en avait parlé un jour qu’elle était en veine de confidences, ce qui était rarissime pour cette femme habituellement très réservée.

    Il lui fallut cependant encore quelques coups vicieux pour qu’il se souvienne de ce détail tellement important pour celui qui avait ordonné cet interrogatoire.

    Au terme de son long supplice, pour la plus grande joie de ses tortionnaires, il était encore vivant.

    - Ben va falloir l’achever finalement ce gros porc hein chef ! Demanda l’un des Chiens en bavant de plaisir.

    Hawk se crispa instinctivement en attendant les décharges de laser qui allaient mettre fin au supplice de Moïse, prostré sur sa chaise, la tête basse, son corps martyrisé couvert de plaies sanglantes.

    Les cinq tirèrent en même temps. Une odeur infecte de chair carbonisée monta à ses narines. Secoué de longs frémissements, il s’effondra contre Fleur qui avait vécu en même temps que lui la terrible agonie de Moïse Douala que la mort venait de libérer. Sa sœur non plus n’avait pas résisté à l’insoutenable spectacle. Affaissée contre Léo qui la soutenait inquiet, elle s’était évanouie juste quelques secondes avant lui.

    Quand ils revinrent à eux, ils communiquèrent ce qu’ils avaient vu aux autres membres de l’expédition : l’abjection des Chiens, leur cruauté, le long calvaire de Douala, son exécution impitoyable et les prévisibles conséquences de ses aveux. Le récit sans concession les frappa de plein fouet.

    Á Berlin où il avait continué à vivre avec sa nouvelle compagne après leur divorce, l’ex-mari de Gertrud Baumann ne tarderait plus à recevoir la visite d’autres serviteurs zélés de Solomon Mitchell. L’étau allait se resserrer sur les fuyardes.

     

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  • Commentaires

    2
    Dimanche 11 Décembre 2022 à 15:22

    J'ai un peu lu en diagonale, les scènes de torture, c'est trop pour moi.

    1
    Dimanche 11 Décembre 2022 à 10:06

    Ce n'est pas un épisode de rêve.... merci, amitiés, JB

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