-
Chapitre 59
1er janvier 1967. La genèse des Alphas
Ce jour-là, chez les Zagrozny, modeste famille d’origine hongroise émigrée aux États-Unis, naissait Alexander, un magnifique bébé de cinq kilos, très brun, dont les yeux qui restèrent d’un bleu étonnants intriguèrent très vite et très fortement Tanya et Stéphan, ses parents.
Alexander n’avait hérité d’aucun des deux ces extraordinaires iris indigo. Quant à ses cheveux de jais déjà très fournis à la naissance, il ne les tenait pas d’eux non plus. Stéphan était massif, blond-roux et ses yeux étaient marrons. Tanya elle, était petite et ronde, blonde comme les blés. Ses yeux, s’ils étaient bleus, c’était d’un azur pâle perpétuellement noyé de brume.
Ils avaient déjà six enfants, trois garçons et trois filles qui étaient nés avec une régularité métronomique, à raison d’un par an depuis leur mariage. Ce septième bébé était un accident de plus. Un sujet de discorde de plus aussi entre les époux qui s’en rejetaient mutuellement la responsabilité.
C’était une bouche supplémentaire à nourrir pour ces braves gens dont les revenus n’étaient pas lourds. Pour eux, Alexander représentait en fait une véritable calamité ! D’autant que dès le départ, ce rejeton encore moins désiré que les deux derniers, se montra différent de ses frères et sœurs.
Plus grand, plus vorace, plus éveillé, plus braillard, plus remuant…C’était comme s’il avait senti, à peine sorti du ventre de sa mère, qu’il allait devoir lutter plus que les autres pour vivre et se faire une place dans cet univers hostile où même ses parents ne voulaient pas de lui !
Très vite, il put se passer du lait maternel. À deux mois à peine, il tenait assis seul, à trois il perçait ses premières dents sans pleurer. Quatre d’un coup ! À sept, il marchait, à neuf, il commençait à parler ! Ses parents avaient peur de lui. Une peur terrible née de l’incompréhension totale d’un tel phénomène. À leurs yeux, Alexander était étrange, inquiétant, anormal !
Il faisait tout trop vite !
Il avait à peine trois ans quand ils le découvrirent un jour à plat ventre par terre en train de lire à haute voix la une du quotidien local étalé devant lui. Ils en furent si choqués qu’ils n’osèrent en parler à personne. Ils préféraient garder pour eux ce honteux secret qu’était l’abominable tare de leur petit dernier.
Alexander était un génie mais pour ces gens simples, besogneux, pas incultes mais au savoir aussi modeste que leur bourse, cet enfant à l’intelligence anormalement développée pour son âge, était ni plus ni moins qu’un monstre. Leur légitime terreur grandissait chaque fois qu’ils découvraient chez lui un nouveau don. Une nouvelle tare pour eux ! Ils ne savaient plus à quel saint se vouer, croyant à une punition de Dieu ou pire, à une intervention du Diable en personne.
Les objets lui obéissaient. Comme s’ils avaient été doués de vie, ils se déplaçaient au gré de sa volonté et défiaient les lois de la pesanteur en s’élevant au-dessus du sol. Magie? Sorcellerie? Un jour - il n’avait que quatre ans- rien qu’en le touchant, il guérit le chat de leur voisin qui s’était blessé. La plaie se referma aussitôt. L’animal s’enfuit en feulant, le poil hérissé de frayeur. Plus abominable encore, il devinait les pensées des gens et avec la candeur de son jeune âge, il racontait ce qu’il voyait dans leur tête. Sans comprendre ce qui leur arrivait, ses victimes souffraient horriblement de ses innocentes intrusions.
Pour le soustraire à l’attention des autres plus que pour le punir, ses parents l’enfermaient à double tour. Mais aucune serrure ne résistait bien longtemps à sa redoutable force psychique. Il se vengeait alors de l’injustice de son sort en fracassant tous les objets qui lui passaient par la tête au sens littéral du terme, sans même lever le petit doigt.
À sept ans, il avait perdu son innocence enfantine à force de solitude, d’humiliation et de châtiments corporels. Il aurait pu user de son pouvoir sur ses parents, toutefois jamais il ne le fit. Il préférait s’en prendre à ceux de son âge sur lesquels il s’exerçait en quelque sorte. Il hypnotisait ses frères et sœurs ainsi que les gamins du quartier. Tous lui obéissaient comme des toutous.
Le rejet de ses parents qui le blessait profondément, le poussait à la révolte. Il commença à utiliser ses dons pour faire mal. Il devint méchant, agressif, bagarreur, cruel parfois. Cependant, la plupart du temps isolé des autres, il se forgeait un monde utopique où il n’était pas le seul de son espèce. Un monde où il régnait et où tous les enfants étaient comme lui.
À dix ans, las de respirer l’air vicié de peur et de méfiance que les siens diffusaient autour de lui, il s’enfuit. Pendant trois semaines il erra, déjouant toutes les tentatives pour le retrouver. Il voulait que ses parents souffrent de la même façon qu’ils le faisaient souffrir en le rejetant et en le tenant à l’écart de ses frères et sœurs.
Il ne se laissa prendre que lorsqu’il sentit de leur part du regret, du remords et une sorte d’élan chaleureux qui, à ses yeux désabusés, pouvait passer pour de l’amour.
Écoutant les conseils avisés de leur médecin de famille venu à son chevet – il avait considérablement maigri – Ils l’amenèrent voir un psychologue qui les décida à confier leur petit génie à un institut spécialisé où l’enfant rencontrerait d’autres gamins aussi surdoués que lui. En apparence du moins car évidemment Alexander se garda bien d’étaler sa « monstruosité » devant l’éminent spécialiste. Ce qui arrangeait bien Stéphan et Tanya. L’octroi d’une bourse d’étude leur facilita la tâche. Ils purent se débarrasser de l’indésirable gosse sans toucher à leurs maigres ressources.
Ce n’est qu’à partir de là qu’Alexander Zagrozny put enfin être heureux. À l’institut, on ne le traitait qu’au regard de son exceptionnel QI. Il avait mûri et comprenait qu’il lui fallait désormais se fondre dans le décor. Plus question pour lui de montrer à quiconque ses talents sulfureux. La paix était à ce prix !
Il ne savait pas encore qu’il n’était pas le seul de son espèce !
1er février 1967, Vannes, France
Le moment était venu. Après une ultime poussée laborieuse de sa mère trempée de sueur acide, naissait Anne Yvonnic. Quatre kilos huit-cents, brune, les yeux d’un bleu peu commun pour un nouveau-né. On pouvait supposer qu’ils ne changeraient pas de couleur. Anne était la septième enfant d’une famille déjà trop nombreuse. En la voyant, son père avait traité sa mère de putain avant de partir en claquant la porte de sa chambre sans se soucier du regard courroucé de l’infirmière qui reposa le bébé gigotant dans son berceau. La maman ne voulait pas la prendre dans ses bras !
Le père lui, avait filé au troquet le plus proche histoire d’y noyer sa honte au fond de quelques verres. Il allait rentrer soûl chez lui, comme d’habitude…
1er mars 1967, Kardhítsa, Grèce
Les Xénopoulos accueillaient en leur sein joyeux le septième de la couvée. Un fils de plus ! Quatre kilos six-cents, le poil noir et la prunelle aussi bleue que la mer Égée. On le baptisa Constantin. Toute la famille des deux côtés, des patriarches chenus aux tantes les plus éloignées, s’extasia devant ce bébé peu commun qui se démarquait des six autres membres de sa fratrie…
1er avril 1967, Newcastle, Royaume Uni
Ce matin-là était particulièrement brumeux. Ann, Peter, Leslie, Thomas, Andrew et Lisa Walton, renfrognés, la morve au nez, apprenaient par la voisine, la naissance de leur nouveau petit frère. Où est-ce qu’on allait le caser celui-là ? Il n’y avait déjà pas assez de place alors !
Dennis Walton, cinq kilos, noir de cheveux, le regard azuréen, n’était pas le bienvenu. Il allait regretter d’être né…
1er mai 1967, Le Cap, Afrique du sud
Penché sur le berceau, Pieter Vandervoort regardait intrigué sa petite dernière, Élisabethe, née le jour-même à la maison. Totalement différente de ses six frères et sœurs, tous blonds et blancs de peau. Celle-ci dont les iris d’un bleu plus profond que ce que l’on a coutume de voir chez un nouveau-né, paraissaient le fixer, avait le teint mat et une impressionnante touffe de cheveux d’un noir d’ébène. Se pouvait-il que Clare…Non ! C’était impossible, pas Clare, elle était trop intègre ! Une sainte femme, assurément !
1er juin, Rimini, Italie
En vigoureux italien de bonne souche, Federico Uccello poussait son premier cri. « Un vrai ténor, comme moi ! » S’exclama papa Uccello très fier. Comme les six autres, trois garçons et trois filles, c’était un bon gros bébé, joufflu à souhait. Comme eux, il avait les cheveux très noirs. Une seule chose le différenciait de ses frères et sœurs. Alors que leurs yeux variaient du marron au brun-vert, les siens étaient étonnamment bleus et pétillant d’une intelligence hors du commun. Déjà ! Ses yeux deviendront marrons comme les miens affirma le papa péremptoire. Il se trompait…
1er juillet 1967, Hanovre, Allemagne
Gisela Trautmann venait à peine de voir le jour qu’elle était, déjà une épine dans le pied de ses parents.
Kurt Trautmann était né en 1927, Magda Krüger en 1929. Ils avaient tous deux grandi, nourris par l’idéologie nazie de leurs parents respectifs. Ils en avaient gardé une haine farouche de « la juiverie internationale ». Et voilà que Gisela, au contraire de ses six frères et sœurs bon teint comme eux, avait tout d’une juive hormis ses yeux bleus qui allaient forcément foncer selon eux. Elle avait la peau très mate et le nez légèrement busqué. Pour eux dont l’évangile secret était « Mein Kampf », c’était trop ! Gisela ne vit jamais la maison où elle avait été conçue. Jamais elle ne sut qu’à cause d’elle, Magda et Kurt avaient divorcé. Le jour-même où elle devait faire son entrée officielle dans la famille Trautmann, ses parents l’abandonnèrent en catimini sous le porche de leur église.
Elle fut adoptée trois mois plus tard par un couple d’américains dont le mari était diplomate en Allemagne et dont la femme était stérile. Monsieur et Madame Trent la rebaptisèrent Ginny…
1er août 1967, Toronto, Canada
Helena venait compléter la nichée Saint-John déjà dotée de six beaux enfants en pleine santé. Ses parents ne s’étonnèrent pas plus que ça qu’elle soit brune alors que ses frères et sœurs étaient tous roux. Ce devait être l’héritage de l’arrière-grand-père Mohawk. Ce qui les étonna le plus par la suite, ce fut ce regard étonnamment bleu et vif qu’elle fixait si souvent sur eux comme pour leur dire : « Aimez-moi de toutes vos forces car je vous réserve bien des surprises ! »
1er septembre 1967, Moscou, URSS
Dans un quatre pièces surpeuplé naissait Ivan Semionov, quatre kilos neuf-cents, alors que la petite Natalia, sixième enfant d’Igor et de Macha, commençait tout juste à marcher. Ivan s’était annoncé sans crier gare. Macha n’avait pas eu le temps de dire ouf que déjà, il poussait pour sortir. Pas le temps d’aller à la maternité. Juste celui d’avertir une voisine pour l’aider à accoucher. Igor en était bien incapable.
« Ce petit moricaud n’est pas de moi ! Impossible ! » Pensa le père quand il découvrit le nourrisson. Pourtant, il devait bien admettre que sa femme était trop occupée avec leur marmaille toujours sale et affamée, pour avoir le temps ou l’envie de faire autre chose. Comment en aurait-elle trouvé pour le tromper ? Alors de qui donc pouvait tenir ce gosse pour avoir hérité de cheveux aussi noirs et d’yeux aussi intelligents ? Pas de lui en tous cas !
1er octobre 1967, Rio de Janeiro, Brésil
Une favela n’est pas précisément le meilleur endroit pour mettre un enfant au monde ! Pourtant les Santos qui en avaient déjà six dont la moitié en âge de le faire, mendiait dans les rues de Rio, venaient d’en pondre un septième !
« Quelle tristesse ! » Pensait le curé qui tentait d’aider ces pauvres gens dont la misère était criante.
Rafaela et Gustavo eux, se réjouissaient de cette nouvelle naissance. Juliana était tellement mignonne ! Brune, le teint mat mais plus clair que celui de ses frères et sœurs, elle avait en plus des yeux d’un bleu !
Elle deviendrait une vraie beauté ! Elle leur rapporterait beaucoup d’argent quand elle aurait l’âge de plaire aux hommes. Et ce serait très tôt, à coup sûr ! On mûrit vite dans les favelas…
Ces neuf enfants dont la naissance avait suivi celle d’Alexander Zagrozny de mois en mois, eurent à peu de chose près le même parcours que lui.
Rejet, incompréhension, peur…
Ils profitèrent des longues années de solitude forcée que leur imposa très vite leur différence, pour développer en secret leurs incroyables facultés paranormales. Ils le firent en poursuivant à la face du monde de hautes et brillantes études scientifiques. Leur statut de surdoués leur valut de devenir précocement d’éminents généticiens, physiciens, neurologues ou biologistes de génie…Un jour, à l’instigation d’Alexander, premier né d’entre eux qui avait également été le premier à déceler leur existence grâce à des pouvoirs télépathiques surdéveloppés, ils se rencontrèrent et mirent sur pied l’inimaginable « Projet Alpha »
Ils avaient 20 ans.
Tags : septième, rassemblement, séparation, retour, passé, 1967, genèse, Alphas
-
Commentaires
Ca m'intrigue tout ça !
Heureusement, je ne suis pas la 7 ème.