• "L'album"

    Pour les besoins de l'atelier N°183 de notre amie Ghislaine, je viens d'écrire un texte qui paraîtra demain matin sur le blog "Défis et moi". Il s'intitule : "L'album"

    Mais il y a quelque temps déjà, j'ai écrit un autre texte également intitulé "L'album", totalement différent de celui  pour l'atelier de Gigi qui relate la vérité !

    Celui-ci, totalement imaginaire, est un peu plus...fantaisiste, même si le fond de l'histoire fait appel à de réels souvenirs.

    ***

    L’album

    Ça y est ! J’ai enfin retrouvé le vieil album que je cherchais vainement depuis qu’elle est partie. Tous les autres étaient là, sauf celui où elle classait pieusement  les photos de fin d’année scolaire. Puis je me suis soudain rappelé la malle poussiéreuse oubliée dans le grenier. Persuadée que l’album était là, aussi vite que me le permettent mes jambes de sexagénaire,  j’ai grimpé l’escalier sombre, étroit, raide et un peu branlant qui monte jusqu’à ce paradis perdu de nos jeux de gosses. J’étais un peu essoufflée. J’avais évité tant bien que mal les nombreuses toiles d’araignées tendues tout le long de cette ascension déjà suffisamment périlleuse à mon goût mais le paradis, ça se mérite !  La malle était à sa place, juste sous la lucarne  tellement opacifiée de poussière  qu’elle ne laissait plus passer qu’une faible lueur, en dépit du beau soleil d’été qui brillait dehors.

    Je me suis agenouillée, oublieuse du joli corsaire blanc que j’avais mis pour venir à ce rendez-vous avec mon passé. Alors, aussi émue et excitée que si j’avais été sur le point de découvrir un trésor, j’ai ouvert la malle, un peu effrayée tout de même à l’idée de me retrouver nez à museau avec une souris, ou pire encore avec toute une famille de ces petites bestioles. Sous un fatras d’objets divers, précieuses reliques de mon enfance, l’album tant convoité était là.

    « Pourquoi cet acharnement à le retrouver ? » Me demanderez-vous peut-être ?

    Je vous répondrai : « Pour cette petite fille aux boucles blondes et aux yeux rêveurs qui me sourit du cliché couleur sépia que j’ai chipé  à ma mère, un jour, lors d’une visite que nous lui avons faite avec les enfants ». Je me souviens qu’ils m’ont demandé pourquoi il n’y avait aucune photo d’école.  « Pourtant, ça existait déjà de ton temps maman, on en a vu sur Copains d’avant » 

    Je me souviens aussi que ma mère nous a avoué l’avoir égaré au cours du déménagement qui a eu lieu  après la mort de papa, l’année de mes 8 ans. Du moins le pensait-elle ! Je suppose qu’il n’y a pas d’autre explication ! Pourquoi aurait-elle menti ? Pourtant, toutes ces années, je m’étais toujours dit que ce fameux album n’avait pas été perdu et que je le retrouverais. Puis j’avais fini par l’oublier. Jusqu’à la disparition de maman et à la replongée dans mes souvenirs d’enfance, lors de laquelle j’ai ressorti la photo de la petite fille blonde. Moi, à je ne sais plus trop quel âge. 

    Me voici donc assise par terre, dans un grenier mal éclairé, tapissé de toiles d’araignées, adossée à une vieille malle. Je ne peux attendre. Entre les pages, derrières les fines feuilles jaunies, défilent toutes nos années d’école jusqu’à notre départ forcé du village qui aurait dû nous voir grandir si…

    Premières années de mes frères avec leur blouse grise, au milieu des autres gamins de l’école primaire des garçons. Le maître d’école a l’air sévère. Je reconnais parfaitement la mairie-école avec son côté filles, son côté garçons, les deux petites cours de récréation séparées par un grillage et les deux préaux avec leur rangée de WC qui se font face de chaque côté.

    Puis j’arrive à ma première année à moi, dans la nouvelle école mixte qui a fini par remplacer la trop petite mairie-école. Je suis à côté de ma toute première copine. J’ai l’air un peu timide mais je souris quand même. Je me souviens  comme si c’était hier de cette première rentrée, un 1er octobre un peu gris. J’étais tellement heureuse  et fière d’aller enfin à l’école, comme mes grands frères ! J’avais 5 ans et je savais déjà lire, grâce aux revues que maman laissait traîner : Nous-deux, Intimité… et aux « Mickey » et «  aux « Vaillants » de mes aînés.

    Suit l’année de CP. La petite blondinette a pris de l’assurance. Le sourire est plus affirmé.

                Ah, voici l’année de mes 7 ans. Je dois encore être à côté  d’Yvette, ma meilleure amie depuis notre toute première rentrée commune.

    Bizarre ! Je n’y suis pas ! Ou du moins, à la place que je devrais occuper, entre Yvette et cette grande perche de Martine que je n’aimais pas du tout, il y a comme un voile blanc…Une sorte de fantôme me remplace. Je n’y comprends rien !  Non ! J’hallucine. Le trajet pour venir jusqu’ici a été très chaud  avec cette satanée clim qui ne fonctionne plus ! Je suis fatiguée, voilà tout !  Et il fait bien trop sombre dans ce grenier !  Le précieux album sous le bras, je redescends précautionneusement. En bas, j’y verrai plus clair.

    Mon mari m’attend dans la cuisine. Nous serons les derniers à partir. Mes frères et sœurs ne se sont pas éternisés.

    « Trop dur sans maman ont-ils dit, ce sera déjà bien assez éprouvant de revenir la vider quand il faudra la mettre en vente ! »  A son air agacé, je sais qu’il a hâte de mettre les voiles lui aussi. 

    - Je vérifie un truc et on y va ! Dis-je pour le rassurer.   Je m’assieds pesamment. Je pose l’album sur la toile cirée  aux fleurs décolorées. Hésitante, je l’ouvre à la page de mon année de CE1. Je me suis trompée. Il faut que je me sois trompée ! La fillette aux yeux rêveurs va me sourire, comme sur la photo de mon propre album à la maison…Le cœur battant à tout rompre, je regarde. Entre Yvette et la grande perche, à MA place, le blanc fantôme me nargue. Pourquoi ?    

    -Tu as trouvé ce que tu cherchais ? Me demande mon mari.

    • Pas vraiment !

    Comment lui dire que je ne suis pas sur une photo de classe où j’avais toujours été jusqu’à ce jour ?  Autant que je m’en souvienne en tout cas !

     C’est durant le trajet, à tête reposée, que j'ai tout compris.

    Pour moi, pas d'autre explication plausible. Quoique plausible ne soit pas le mot juste !

    L’album sur les genoux, Après avoir vérifié que j’étais bien au milieu de mes camarades d’école sur les photos de fin d’année de maternelle, de Cours préparatoire et de Cours élémentaire première année, je suis retournée à la fatidique page de Cours élémentaire deuxième année et j’ai regardé, encore et encore. Je n’y étais pas. A ma place, toujours, le voile blanc fantomatique !

    Non, elle n’était plus là la gamine qui venait d’avoir  8 ans en cette fin d’année scolaire. C’était juste avant les grandes vacances qui allaient être cruellement marquées par la mort du père.

    Tragédie, chagrin, descente aux enfers de la maman, éclatement familial,  déménagement, séparation…

    Clap de fin d’une vie heureuse.

    Clap de fin de l’insouciance ! Clic-clac ! Effacée la blondinette souriante sur la photo d’école. A sa place, le fantôme d’une enfance perdue un jour de juillet.

    « De l'encre des mots aux cris du cœur...C'est le jour de la Terre.... »

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  • Commentaires

    8
    Jak
    Samedi 28 Mai 2022 à 07:05

    enfance perdue, oui, mais l'état d'esprit reste bien ancré en nous et refait surface dans notre manière d'être

     

    7
    Mardi 12 Avril 2022 à 02:22
    colettedc

    Le fantôme de l'enfance perdue, hélas ! 

    Comme c'est bien exprimé, Anne-Marie,

    Bisous

    6
    Lundi 11 Avril 2022 à 15:42

    Je m'y voyais dans ce grenier et disparaitre de la photo, c'est le grand tournant de ton enfance. 

    Moi je m'aperçois que je n'ai pas beaucoup de photos d'école, mon  père a abandonné ma mère, j'avais 10 ans et il fallait les payer ces photos donc ma mère ne les prenait pas.

    Ca me manque parfois !

    Bonne semaine.

    5
    Lundi 11 Avril 2022 à 13:51
    Renée

    un texte très poignant sur la fin...Bisous bonne semaine

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    4
    Lundi 11 Avril 2022 à 12:41

    Tu nous l'écris avec une telle lucidité 

    C'est poignant 

    Maintenant la vie est devant toi 

    Gros bisous 

     

    3
    Lundi 11 Avril 2022 à 09:16

    Se voir comme un fantôme car les épreuves ont enlevé cette joie innocente de l'enfance et le sourire éclatant et vivant ...

    Triste mais tel a dû être ton état !!

    Beau texte.

    Bises

    2
    Lundi 11 Avril 2022 à 07:55

    Et comme c'est dur de perdre son innocence si jeune en ayant tout compris, tout subi dès la jeune enfance.

    On se comprends ma copine...

    Mais ça fait de nous des femmes fortes et puissantes !

    1
    Dimanche 10 Avril 2022 à 23:26

    Bravo AM pour cette superbe histoire qui est si bien narrée, on déambule facilement avec toi jusqu'au grenier prenant part à tes sentiments éclot !!!

    Très bien écrit ! Gros bisou

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