-
L'Arbre -Livre 1- Chapitre 22-Le Chat
Le Chat
Il est une vie après la mort qu’on appelle Paradis, Purgatoire ou Enfer selon les mérites de chacun, ainsi le croient les Hommes, ainsi l’ont-ils écrit dans leurs livres sacrés.
Ces lieux d’après la mort portent des noms différents selon les religions ou les époques. C’est le Nirvana des bouddhistes, Le Walhalla des guerriers Vikings, Les plaines de chasse éternelles des indiens d’Amérique… Mais la mort n’est jamais qu’une des multiples facettes de la vie, l’envers du décor, un passage obligé avant chaque nouvelle renaissance. J’en suis une vivante preuve pour la huitième fois !
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », ainsi que l’affirmait à juste titre un certain Lavoisier. La nature regorge d’exemples à l’appui de cette maxime. La chair putréfiée, les feuilles décomposées, le bois pourrissant…Tous nourrissent la terre qui à son tour nourrit les créatures qui la peuplent. L’eau qui s’évapore se transforme en nuages de pluie ou de neige qui abreuvent la glèbe où germeront les graines dont on prélèvera une partie lors des moissons et des récoltes afin de perpétuer le cycle éternel. Cette nourriture issue de la terre est avalée, transformée par les sucs de l’organisme dont elle enrichit le sang ou la sève qui sont les fluides de la vie, puis elle est digérée et une partie est rejetée. Ces déchets qui n’ont pu être utilisés par le corps, d’une manière ou de l’autre, retournent à la terre. Les arbres que l’on coupe deviennent meubles, papier, bûches pour alimenter le feu. Le bois que l’on brûle devient cendres qui elles aussi retournent à la terre.
La boucle est bouclée… C’est l’ordre naturel, la loi première, celle de la Grande Récupération.
Je croyais avoir tout vu, tout compris de ces lois éternelles de la Nature. Je les affirmais aptes à tout expliquer, même les phénomènes encore incompris des Hommes. Et Dieu sait qu’il en existe encore beaucoup de mal assimilés par ces êtres bornés !
Aujourd’hui cependant, face à ce que découvre mon œil incrédule, je me sens aussi petit, aussi limité que le sont les humains lorsqu’ils sont confrontés à quelque chose qu’ils sont incapables de comprendre. Je demeure coi, bouche bée. Mon petit cœur de chat bat si rapidement que je pourrais en mourir d’un coup de saisissement. Car ce que je vois à présent tient d’avantage d’une sorte de magie ancestrale oubliée que de ce fameux ordre naturel auquel je me raccroche de toutes mes griffes pour ne pas sombrer dans la folie.
Pourtant, lorsqu’a commencé l’incroyable processus, c’est Arbre que j’ai accusé de folie furieuse. Je l’ai supplié de se résigner, de laisser à la nature justement, notre souveraine à tous, le dernier mot, de ne pas tenter le Diable en jouant les apprentis sorciers. En vain ! Il ne m’a pas écouté, comme d’habitude. Pire, au nom de notre amitié il m’a demandé de lui accorder le bénéfice du doute.
- Fais-moi confiance mon ami ! Laisse-moi accomplir ce que je dois !
Puis il a ajouté sans attendre de ma part le moindre mot d’acquiescement :
- Je t’entendrai mais je ne pourrai te répondre car besoin pour faire ce qui doit être fait, de temps, de force et d’une extrême concentration. Ce sera long, douloureux pour Elle comme pour moi et l’issue est incertaine. En vérité je ne sais pas vraiment ce qu’il adviendra de nous quand tout cela sera terminé. Ni même s’il y aura une fin. Mais je sens au fond de moi que je dois tenter le tout pour le tout. Aussi Chat, te dis-je adieu car si le sort m’est contraire, peut-être que je mourrai avec elle !
Sitôt ces derniers mots prononcés, qui ne demandaient aucun commentaire, je l’ai senti se mettre en retrait, comme s’il rentrait en lui-même. Son esprit ne s’est pas fermé au mien mais sa pensée ne me parvint plus qu’en sourdine tout le temps que dura ce qu’il avait décidé d’entreprendre…Comment expliquer ce qui se passa alors ? Je ne trouve qu’un mot capable de le définir : miracle. Un miracle, oui ! Rendu possible par ce mélange d’incommensurable orgueil et d’amour absolu dont Arbre fit preuve, le tout gouverné par une inébranlable foi, de celles dont on dit qu’elles déplacent les montagnes.
Elle ne mourut pas. Elle s’était enfoncée dans un coma si profond qu’il ressemblait à la mort à s’y méprendre mais elle ne mourut pas.
Quand elle fut totalement endormie à ses pieds, confiante, les traits enfin apaisés par le sommeil, décidée à mourir à présent qu’elle avait retrouvé le Jardin, et qu’il se rendit compte qu’elle risquait de ne jamais se réveiller, je n’eus pas le temps de me laisser submerger par le chagrin que cette mort prévisible allait inévitablement susciter en moi parce que le prodige commença…Et je fus bien obligé de croire ce que je voyais…
Arbre se pencha vers elle. Il se pencha, vraiment. Comme une mère sur le berceau de son enfant endormi. Comme un amant se penche sur sa maîtresse pour l’embrasser…Il la prit tendrement entre ses bras, pardon, entre ses branches et la souleva délicatement pour la déposer avec une infinie précaution à la croisée la plus solide et la plus large de sa ramure. Quand elle fut confortablement installée, ses longs cheveux d’or épars autour de son corps amaigri, par je ne sais quel impensable procédé il lui ôta ses vêtements souillés et, de ses feuilles humides de rosée, il la lava. Quand ce fut fait, pétrifié d’étonnement et de crainte, je le vis, sans hésitation aucune, insinuer ou plutôt planter dans le cœur et les veines de ses poignets, l’extrémité pointue de fines branches où perlait la sève. Je compris alors qu’il lui faisait en quelque sorte une transfusion et que c’était son sang d’arbre qu’il lui donnait. C’est du moins ce que me transmit son esprit pour me rassurer car à ma grande honte, je dois avouer que pendant un bref instant, j’avais été persuadé qu’il s’était résigné à la tuer lui-même, tout de suite, plutôt que de la voir agoniser à petit feu.
Après un temps qui me parut très long, il retira délicatement les branches du corps de notre belle amie et entreprit de l’envelopper dans un cocon fait de multiples branchettes flexibles minutieusement entrecroisées et tapissées de ses feuilles les plus tendres. Il lui fallut pour cela des jours et des jours…Je n’en ai pas fait le compte.
Elle devenait chrysalide, se transformerait-elle en papillon ? Je n’étais pas loin de le croire.
J’ai dormi, chassé pour me nourrir. J’ai séduit de félines et consentantes proies qui m’ont fait moult portées de petits à mon image. J’ai vu se succéder les saisons, poindre maintes aurores superbes, s’étendre maints crépuscules inquiétants…J’ai vu au gré du temps la ville en ruine crouler un peu plus sous la végétation exubérante et victorieuse. J’ai livré des combats pour la simple survie ou pour entretenir mon honneur de vieux mâle dominant. De rudes et douloureuses batailles où j’ai de nombreuses fois failli laisser ma vieille peau et dont je garde de mémorables et glorieuses cicatrices…
Solitaire, j’ai parcouru de long en large la cité fantôme pour agrandir mon territoire de chasse. J’en ai exploré les coins et les recoins abandonnés mais jamais je n’en suis sorti et toujours je suis revenu dans le jardin où s’accomplissait le Grand Mystère.
Et j’attendais…J’attendais la fin du long silence d’Arbre.
Tags : l'arbre1, chapitre22, le chat
-
Commentaires
Quand viendra la fin de ce long silence, que sera-t-elle devenue ! ... Grand Mystère, en effet ! ...
Bon mardi Anne-Marie.
Bisous ♥
Ajouter un commentaire
J'attends aussi, je suis aussi curieuse que le chat.
Bon mardi.