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Les disparus de Liberté-Chapitre 7
Voilà bientôt une semaine que Martha a quitté Liberté pour son refuge. Elle doit maintenant y être installée, à l’abri, loin du danger que représentent à la fois le village et les trois personnages qui le dirigent en sous-main. Andrew, Septime et Serena. Parce qu’ils le dirigent, Élisa n’en doute plus à présent ! Dans le plus grand secret, ils s’en sont instaurés les maîtres, contrevenant ainsi à la Loi admise par tous lors de la création de cet espace de vie hors de l’Arche : pas de chef. Tout ce qui s’y décide est discuté et mis par écrit à l’issue des Conseils de Communauté. L’unique prérogative reconnue est celle d’Andrew, qui en tant que doyen d’âge, 51 ans, soit tout juste un an de plus que Martha, préside et anime les débats.
Une semaine qu’Élisa est seule face aux regards de plus en plus noirs des habitants du village. Plus rejetée que jamais par ces gens qui se sont auparavant toujours montrés amicaux avec elle, elle se sent pire qu’une pestiférée ! Et Jonathan qui ne revient pas !
« S’il lui était arrivé quelque chose ! » Ne peut-elle s’empêcher de se demander.
Rongée par l’inquiétude, elle attend son retour en guettant les réactions de ses trois ennemis concernant l’absence de Martha. Le fait qu’ils ne l’aient pas encore interrogée à son sujet, ajoute à cette angoisse permanente ! Ils doivent pourtant s’être aperçus que leur « espionne » n’est plus à son poste de garde !
Elle s’attend à chaque instant à les voir débarquer chez elle or curieusement, ils restent à distance. Cette « disparition » qu’elle n’a pas criée sur les toits, doit les interroger ! Surtout s’ils sont responsables des autres !
Elle n’a plus rien à faire. On ne veut plus d’elle pour les travaux communautaires ! Croient-ils donc, tous autant qu’ils sont, qu’elle peut les contaminer avec ce qu’ils appellent sa folie ?
Elle entend bien ce qui se murmure sur son passage : « Elle a perdu l’esprit ! Jonathan ne s’y est pas trompé ! Il y a fort à parier qu’il se choisira une autre compagne à son retour ! »
S’ils avaient raison, elle en mourrait !
Mais le pire, c’est la conversation qu’elle a surprise entre Mélodie, son ex meilleure amie et Shana, la compagne de Khaled, alors qu’elle se rendait à la plage avec Jacob :
-Tu crois qu’on devrait laisser le fils de Jon’ avec elle ? ! C’est malsain non pour ce pauvre petit ! Demandait Shana.
-Tu as sans doute raison ! On soumettra la question au prochain Conseil, acquiesçait Mélodie.
- Je pourrais m’en occuper moi, reprenait Shana. En tout cas en attendant le retour de Jon’ !
Cette chère Shana, si serviable ! D’autant plus prête à se dévouer qu’elle ne parvient pas à avoir un enfant avec son cher et tendre Khaled !
Depuis, Élisa ne fait plus rien sans son fils. Elle l’emmène partout avec elle et le surveille jalousement. Quand vient le soir, elle se barricade chez elle, paniquée à l’idée qu’on vienne le lui enlever. Il est plus grognon que d’ordinaire depuis que son père est parti. Souvent, il s’accroche à elle en bredouillant « Veux papa...Veux papa » entre deux crises de larmes. Il a beau n’avoir que deux ans, il subit de plein fouet l’ambiance délétère dans laquelle elle l’oblige à vivre.
«Les enfants ressentent plus de choses que nous ne pouvons l’imaginer » Lui a expliqué Martha un jour.
Elle avait tellement raison ! La mielleuse Shana aussi, avec son « pauvre petit ». Jacob est malheureux ! Á part le bercer entre ses bras en lui susurrant des mots consolateurs, elle ne peut pas faire grand-chose. Et surtout pas lui rendre son papa !
Un nouveau matin se lève sur Liberté. Le huitième depuis le départ de Martha. Le vingtième depuis celui de Jonathan. Elle étouffe dans la maisonnette où elle vit en recluse et sur le qui-vive les trois-quarts du temps. Elle a besoin de sortir. Jacob aussi ! La journée va être belle ! L’air est déjà très doux. Ça sent l’été. Après une toilette et un petit-déjeuner rapides pour elle et pour son fils, elle l’attache dans le porte bébé et sors de la maison, bien décidée à ne laisser personne leur gâcher cette matinée.
C’est donc d’un bon pas et sans se préoccuper des regards peu amènes que les rares villageois déjà sortis de chez eux pour vaquer à leurs occupations, lui jettent au passage, qu'elle se dirige vers le chemin qui mène à la plage. Elle arrive devant la maison d’Éléonore, une autre très bonne amie de Mélodie. Habituellement, à cette heure et en cette saison, elle est assise dehors sur la petite terrasse en bois, à tresser les jolis paniers qui font sa renommée à Liberté. Or, elle n’y est pas. Et aucun bruit ne lui parvient de la maison. Sur la route, Mélodie se dirige vers elle. Elle va bien voir qu’Éléonore n’est pas là. Presque à l’arrêt, elle retient son souffle. Parvenue à sa hauteur, Mélodie fait un écart et passe sans s’arrêter. Pas un regard pour elle, pas un signe de tête. Et, plus étrange, pas un regard sur la maison de la vannière !
Ce qu’elle craignait depuis le départ de Martha s’est produit ! Éléonore s’est volatilisée. Pour Mélodie, pour les habitants de Liberté, elle n’a jamais existé. Ses paniers ne manqueront à personne.
Le cœur d’Élisa bat la chamade. Se taire… Faire comme si… Suivre les conseils de Martha. Elle poursuit son chemin.
Sa matinée à la plage avec Jacob se déroulera comme les autres, en apparence. Elle y sera seule jusqu’à ce qu’elle décide de rentrer. Pour une fois, sa solitude forcée aura du bon, parce qu’elle aurait eu bien du mal à masquer son désarroi.
Il est presque midi au soleil lorsqu'elle quitte la plage à regret.
Ces quelques heures lui ont fait du bien en dépit de cette nouvelle disparition inopinée.
Elle refait le compte de ceux qui ne sont même pas des fantômes : Annaëlle, Djibril, Mélissa, Kumba, Lukas, Soraya et ses deux enfants, Leila et Léo, les adorables jumeaux, les cinquante "mal réveillés", Esperanza. Et maintenant, Éléonore !
Pourquoi ces personnes ? Qu’ont-elles en commun qui expliquerait leur disparition ? Qui aurait voulu les faire disparaître ? Et enfin, comment est-il possible d’escamoter ainsi des gens, aussi rapidement, sans qu’ils laissent la moindre trace, que ce soit matériellement ou dans la mémoire de ceux qui les côtoyaient encore la veille ?
Tandis que perdue dans ses pensées, elle remonte le sentier sablonneux qui mène au village, Jacob qui s’était endormi dans son giron, se réveille soudain et se met à babiller :
-Papa.. papa !
Il a entendu la voix chérie avant elle.
Elle tonne aux abords de la Maison Commune où trois personnes se tiennent l’air pas très rassuré, devant un Jonathan en colère :
-Comment ça, Martha a disparu ? Ça fait longtemps qu’elle ne vous donne plus de ses nouvelles ?
-Pas très longtemps non ! Á peu près une semaine ! Bredouille piteusement Andrew.
Le cœur d’Élisa fait un double bond dans sa poitrine. Jonathan est de retour et les trois larrons qui ont curieusement omis de la questionner sur l’absence de Martha, viennent d’avouer à son compagnon bien aimé, l’étrange disparition de la guérisseuse.
- Une semaine ! Et vous n’avez envoyé personne à sa recherche ?
- C’est-à-dire que.. Euh.. Nous l’avions commise à la surveillance d’Élisa... Bafouille à son tour Serena.
- Á la surveillance de ma femme ? Et pour quelle raison s’il vous plaît ?
- Enfin, tu sais bien Jonathan ! Ses histoires hautement fantaisistes de disparitions…Tente d’expliquer Septime qui n’en mène pas plus large que les autres devant cet homme qu’ils disent tenir.
Où sont passés les trois comploteurs arrogants qui décidaient de son sort sans état d’âme ? Où est passée leur morgue coutumière ? Elle sent qu’elle a une carte à jouer, là, maintenant. Elle s’est rapprochée subrepticement. Personne ne s’est encore aperçu de sa présence..
-Oh ! Mon amour, te voilà rentré, enfin ! Lance-t-elle à la cantonade, Faisant sursauter les trois comparses qui ne l’ont pas entendue arriver.
Puis, avant que Jonathan, surpris, n’ait eu le temps de réagir, elle demande innocemment :
- Qui a disparu ?
Andrew, Serena et Septime, se regardent interloqués.
- Martha ! Tu devrais le savoir jette Andrew d’un ton hargneux !
- Martha ? Quelle Martha ? Je ne connais personne de ce nom. Questionne –t-elle, jouant à la perfection l’étonnement le plus total.
Contre son cœur, caché au chaud par le corps potelé de Jacob, il y a la liste dûment complétée des habitants de Liberté, où elle a coché le nom d’Éléonore, la dernière disparue.
Tags : roman, rêves, Elisa, livre 3, disparus, Liberté, chapitre 8
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Commentaires
Rentrer dans leur jeu, bonne idée !