• Les disparus de Liberté-épisode 2

    Question N°2 : Comment allez-vous ?

    ***

    Accusée, levez-vous !

     

    Une semaine s’est écoulée depuis la réunion de crise. Pas de nouvelle disparition après celle de Lukas. Comme les autres, c’est comme s’il n’avait jamais existé !

    Pourtant, combien de fois leur a t’il sauvé la mise en prévoyant tempêtes ravageuses et gros coups de vent marins !

    Les habitants de Liberté paraissent s’accommoder sans problème de cette absence de prévisions météorologiques. Tout comme ils se sont accommodés de ne plus bénéficier des doigts de fée d’Annaëlle ou des légumes frais de Djibril. Pas plus  que ne leur  manque l’incomparable don de Kumba pour trouver les meilleures zones de  pêche, ou la voix de soprano angélique de Mélissa lors des veillées. Lysandro  parade comme un jeune coq aux bras de Sybil comme s’il s’agissait de son premier amour ! Et pour cause,  Mélissa n’a aucune existence réelle  à ses yeux.

    Il en va de même pour les autres disparus, qui ne le sont que pour elle. Ils ne peuvent donc manquer à personne !

    Elle a bien essayé de leur expliquer lors de la fameuse réunion de crise, en constatant la toute fraîche absence de Lukas.

    Elle en revit chaque instant partagée entre tristesse et frustration.

    Sagement assise près de Jonathan, au premier rang, elle s’entend encore poser presque innocemment la question :

    -Quelqu’un sait où se trouve Lukas  ce matin ?  Je ne l’ai pas vu dans l’assemblée.

    -Quel Lukas ? A demandé Andrew, le  vénérable Doyen de la Communauté, en la toisant d’un air accusateur du haut de l’estrade où il trône lors des séances du Conseil.  Et pourquoi nous as-tu convoqués de façon si cavalière Élisa ? Tu  aurais dû m’en parler au préalable ! On ne dérange pas ainsi tout le monde sans raison valable !

    -J’en suis consciente Andrew ! Mais Lukas n’est pas là or ce n’est pas son genre de s’absenter sans prévenir ! Et je ne vous parle pas d’Annaëlle, Djibril, Mélissa et Kumba dont nous n’avons plus de nouvelles.

    Près d’elle, Jacob sur les genoux, Jonathan affichait une mine sombre et inquiète. Avait-il enfin compris que l’heure était grave ? Cinq disparitions inexpliquées en à peine plus d’un mois,  ce n’est pas rien tout de même !

    Il s’est alors  penché et  a murmuré à son oreille, pour n’être entendu que d’elle :

    - Que se passe-t-il mon amour ?

    -Tu le sais bien voyons ! Annaëlle d’abord, puis Djibril, Kumba, Mélissa et enfin Lukas ce matin ! Tu trouves ça normal toi,  ces résidents de notre village qui ne donnent plus signe de vie?

    Elle a parlé tout bas mais elle avait les plus grandes difficultés à réfréner son angoisse et surtout la colère qui montait en elle à voir le regard scrutateur qu’il lui jetait. Un regard qui hurlait si fort : « Je ne comprends rien à ce que tu dis », que ça lui a fait  un mal de chien !

    Et dans le même temps, la voix d’Andrew elle, a tonné réellement, à en ébranler les fondations de Maison Commune

    - Mais qu’est-ce que tu racontes à la fin ? Qui sont ces gens dont tu nous parles ? Tu sembles la seule à les connaître ma pauvre fille ! Encore un de tes foutus rêves je suppose ! Je te croyais pourtant guérie !

    - Je ne rêve plus ! A-t-elle lancé  à bout de patience ! Martha qui est là, pourrait vous le confirmer. Les tisanes qu’elle concocte pour moi, me font dormir comme une souche, d’une traite et sans le moindre rêve, je vous assure. Dis-leur Jonathan

    - C’est vrai ! A-t-il enfin consenti à la défendre. Depuis qu’elle prend ces décoctions spéciales, son sommeil est tellement calme et profond, qu’elle n’entend même pas notre fils pleurer ! Cela n’a plus rien à voir avec ses nuits agitées d’avant !

    -Je te crois Jonathan ! Mais alors, à quoi riment ces contes à dormir debout ?

    Perplexe et dérouté, son compagnon s’est à nouveau tourné vers elle.

     - Andrew a raison ! A-t-il admis à contre- cœur. Si tu ne rêves plus, comment expliques-tu ton histoire de disparitions ? Et où es-tu allée chercher les noms de ces personnes ma chérie. Une résurgence de ton passé peut-être ?

    -A moins que mes tisanes ne fassent  plus effet ! Est intervenue Martha !

    Puis, s’adressant à elle d’une voix onctueuse de compassion, la guérisseuse a demandé:

    -Comment vas-tu mon petit ? As-tu recommencé à rêver ?  Si c’est le cas, tu dois nous le dire sans peur ! Tu sais qu’il en va de ton équilibre mental !

    Et toute l’assemblée de la regarder presque avec pitié, elle, la rêveuse, la dernière « réveillée » de l’Arche. La folle !

     Sous leurs yeux, elle s’est sentie accusée et déjà jugée. Même  par Jonathan qui serrait leur fils contre lui, comme pour le protéger d’elle !

    La rage  s’est mise à enfler  dans son cœur meurtri.

    Elle les revoyait quelques semaines auparavant et de cela, elle était aussi sûre que de leur présence dans la grande salle. Elle revoyait Malika entrer chez Annaëlle pour prendre livraison de sa robe. Elle revoyait les villageoises faire la queue chez Djibril pour recevoir leur panier  hebdomadaire de légumes . Elle revoyait Lukas, annoncer le prochain coup de tabac à la fine équipe de pêcheurs, dont Kumba, le grand Kumba qui lui rétorquait, fort en gueule, que ça n’allait pas l’arrêter ! Elle revoyait la jolie Mélissa, pendue au cou de Lysandro et lui susurrant mille mots d’amour, la veille-même de sa disparition !

    Non ! Elle n’avait pas rêvé tout cela !

    Ivre d’une fureur incontrôlable, elle s’est dressée :

    -Comment je vais ?  Moi, je vais très bien !  Mais vous, comment allez-vous ?

    Puis, en dépit d’une envie brutale de s’enfuir en courant, sans se retourner, elle a quitté la salle d’un pas tranquille.

    Cela fait une semaine.

    Depuis la fameuse réunion, elle déambule chaque jour dans les rues du village comme une âme en peine, comptant et recomptant chaque habitant, paniquée à l'idée qu'il en manque un ou une.

    Elle n'a jamais été si solitaire. Tout le monde l'évite, même Jonathan qui a prétexté une expédition de chasse pour s'éloigner d'elle quelque temps. Si on ne la montre pas du doigt, on la regarde avec méfiance.

    Martha seule est restée proche d'elle, comme elle l'a toujours été mais elle ne cesse de l'observer et de lui demander à tout propos "Comment vas-tu ?".

    Elle ne se donne même plus la peine de lui répondre. Á quoi bon ? Que pourrait-elle lui dire pour la rassurer ? Rien puisqu'il ne s'est rien passé depuis une semaine !

    Ce matin, au terme d'une nuit plus agitée que de coutume en raison de l'absence de Jonathan, elle a confié Jacob  à la guérisseuse, le temps de passer chez Baptiste, l'ébéniste attitré de Liberté, afin de vérifier où en est leur commande : un cheval à bascule pour les 2 ans du petit garçon.

    Un peu anxieuse sans savoir pourquoi, elle frappe à la porte joliment ouvragée de l'homme de l'art.  Il lui ouvre aussitôt. Son habituel sourire jovial ne suffit pas à masquer son regard apitoyé. N'est-elle pas la pauvre folle du village ?

    -Bonjour Elisa ! Comment vas-tu aujourd'hui ?

    -Ça va ! Et toi ?

    -J’ai bien travaillé ! Le cheval de Jacob sera prêt à temps !  Tu veux vois où ça en est je suppose !

    -Oui, si ça ne te dérange pas ! J’en profiterai pour aller dire bonjour à Soraya et aux enfants.

    Elle n’a pas besoin qu’il lui réponde. Il s’est rétracté devant elle comme face à un serpent venimeux.

    -Oh, excuse-moi Baptiste, je dis n’importe quoi. J’ai dû oublier que tu vis seul. J’enverrai Jon’ chercher le cheval dès qu’il sera de retour.

    Le brave ébéniste ne pipe mot. Sa réputation de  foldingue vient de gravir un degré supplémentaire.

    Comment expliquer à un homme qui ne sait pas qu’ils ont existé, que sa compagne et ses deux enfants ont disparu  alors que la veille encore, ils étaient toute sa famille?

     

    >A suivre<                                                              [Précédent]

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  • Commentaires

    5
    Mardi 30 Mars 2021 à 11:46
    tiniak

    Marrant le procédé : à peine nommé, un personnage disparaît. De quoi tomber dingue, en effet !

      • Mardi 30 Mars 2021 à 18:39

        En fait, j'écris comme ça me vient ! Je n'ai que très rarement construit un synopsis. Et encore ne l'ai-je fait que succinctement pour déterminer un minimum de base. Dans le contexte précis de ce feuilleton impromptu,  je n'ai rien préparé parce qu'en fait, j'ai déjà une base écrite de quelque 576 pages qui tiennent en deux "livres" dont l'un s'intitule "Les rêves d'Elisa" et l'autre que je peine à conclure et qui est sa suite ,  a pour titre "Liberté"..

        Je précise toutefois qu'aucun des textes de ce feuilleton, n'est directement tiré de ces deux ouvrages ! Je me suis juste inspirée du contexte particulier du deuxième, pour écrire de toute pièce cette extension feuilletonnesque à partir des questions d'Annick. Aucun copier-coller traficoté pour les besoins de la cause ! En conséquence de quoi, j'ai repris mes personnages principaux, auxquels j'adjoins, pour les nécessités du récit, de nouveaux personnages secondaires

    4
    Lundi 29 Mars 2021 à 18:20
    adrienne

    je ne la sens pas, cette guérisseuse ;-)

    3
    Lundi 29 Mars 2021 à 05:47
    La fin est étonnante et fait monter le suspense d'un cran. Vivement la suite. Belle semaine et bises
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    2
    Lundi 29 Mars 2021 à 01:16
    colettedc

    Bonjour Anne-Marie,

    Comment expliquer, oui, en effet ...

    Bonne semaine

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