• "Les rêves d’Élisa" - Chapitre 34

    -Réveille-toi Élisa !

    - Humm…Encore cinq minutes s’il te plaît !

    -Tu crois que Jacob est prêt à t’accorder ce répit ?

    Elle ne rêve pas. C’est bien la voix de son mari tout près d’elle. Et dans le babyphone posé sur sa table de chevet, c’est bien celle de son fils qu’elle entend hurler pour réclamer sa tétée. Il a un sacré coffre pour un si petit bout ! Un mois à peine et déjà, il règne sur leur vie comme un despote. Un adorable monstre miniature qu’ils chérissent même si pour quelque temps encore, il risque d’écourter considérablement leurs nuits.

    Elle a choisi de l’allaiter comme la jeune Ehi Sha du clan de la caverne. C’est contraignant mais surtout tellement bon de sentir le corps minuscule de son bébé contre ses seins gonflés de lait ! Ou plutôt, de le sentir de nouveau pense-t-elle confusément, tellement ce souvenir est toujours vivace pour elle, bien qu’il ne soit que le fruit de ses errements subconscients, ainsi que n’a cessé de le lui répéter le psychothérapeute qui l’a suivie tout le temps qu’a duré sa rééducation. Oui, aussi vivace et réel que ce délicieux moment qu’elle va vivre quand Jacob sera niché entre ses bras et qu’il tirera goulûment sur ses tétons turgescents, sous le regard enveloppant de son papa.

    Jonathan, l’homme de sa vie ici et maintenant, comme il l’a été à toutes les époques que ses rêves lui ont fait traverser. Bientôt deux ans qu’ils se sont dit oui et ils sont épris l’un de l’autre comme au premier jour.

    -Tu avais dit cinq minutes ma chérie et te voila repartie Dieu sait où !

    -Je repensais à moi…Euh…Á Ehi Sha la première fois où elle a donné le sein à son fils… Pardonne-moi mon amour…

    - Pas grave ma douce mais si tu ne nourris pas très vite le nôtre de fils, il va finir par réveiller tout le quartier tellement il braille fort. C’est dimanche, il n’est que quatre heures du mat’ alors tu imagines le tollé général hein !

    -Tu exagères Jon’ ! Les murs sont insonorisés tout de même ! Mais bon ! Sois un ange, va me le chercher pendant que je me prépare.

    - J’y vais paresseuse !

    Il se lève non sans avoir posé d’abord un baiser dans son cou et passé une main possessive sur sa poitrine douloureuse.

    -Comme tu es belle…Murmure-t-il, le souffle un peu court.

    Sa voix grave, si souvent entendue que ce soit en songe ou dans la réalité, a toujours le même pouvoir sur elle. Elle frissonne.

    Tout n’est pas réglé entre eux, loin s’en faut. Il reste bien des points à éclaircir. Bien des ombres menaçantes au-dessus de leur tête. Elle surprend souvent le regard de son mari posé sur elle. Énigmatique ? Interrogateur ? Inquiet ? Elle ne saurait dire.

    Elle a l’impression qu’il est jaloux des autres « Jonathan » qui l’ont séduite dans ses vies imaginaires. Pire même, qu’il se sent insignifiant par rapport à ces héros extraordinaires. Quand il lui a posé la traditionnelle question « Veux- tu devenir ma femme ? « N’a-t-il pas ajouté, un sourire mi-figue mi -raisin aux lèvres ?

    - Si ça ne te dérange pas d’épouser un simple kiné, bien sûr ?

    Elle a dû lui dire et lui répéter que c’était de lui et de lui seul dont elle était tombée amoureuse. Qu’elle l’aimait pour ce qu’il était. Que c’était sa voix envoûtante qui l’avait empêchée de mourir. Pour le rassurer tout à fait, elle a même repris les mots qu’elle a dits à sa mère et à son frère :

    - C’est pour toi que je suis revenue !

    Mais dans le secret de son cœur, elle a ajouté : « Toujours ! »

    Il leur arrive à tous deux de regretter d’avoir mis par écrit tout ce qu’elle lui a raconté de ses aventures subconscientes. En détail et sans la moindre difficulté, tant elles demeurent encore nettes et précises dans sa mémoire. Ils ignoraient alors combien ce livre éponyme intitulé « Les rêves d’Élisa » allait peser sur leur quotidien. Interviewes, séances de dédicaces, participation à des conférences sur l’expérience du coma prolongé ou encore sur la signification des rêves… Ils se seraient bien passés de tout ce tintouin.

    C’était la faute de l’odieux Khaled comme elle l’appelle toujours ! Il avait parlé d’elle autour de lui. - Son histoire peu commune était tombée dans l’oreille d’un de ses amis bien placé chez un éditeur de renom. Lequel n’avait pas tardé à la contacter puis à lui suggérer de publier le récit détaillé de ce qu’elle avait vécu, lui affirmant que ce serait un succès. Ce dont elle se moquait éperdument ! Cependant, poussée par son psychothérapeute qui lui avait assuré que cela l’aiderait à exorciser ses angoisses les plus profondes autant qu’à démêler l’imbroglio psychique qui l’empêchait de reprendre pied dans la réalité, elle avait cédé.

    Jonathan lui-même, l’avait vivement incitée à le faire.

    - Il faut expurger tout cela ma chérie ! Et le coucher sur le papier me semble être le meilleur moyen d’y arriver. Je suis sûr qu’après, tu sauras enfin qui tu es vraiment et que tu ne te demanderas plus avec lequel de tes Jonathan tu vis !

    Se doute-t-il son adorable kiné, que pour elle, le problème n’est pas de savoir avec quel Jonathan elle vit ?

    Non, ça elle le sait parfaitement et en est heureuse

    « Trop heureuse ! » Se dit-elle souvent, comme si le bonheur n’était pas fait pour durer.

    Ce qu’elle craint en revanche sans oser l’avouer à quiconque, c’est que cette vie là, la plus merveilleuse d’entre toutes, ne soit qu’un rêve de plus. Le simple fait d’imaginer qu’à tout moment, elle pourrait en être tirée comme toutes les autres fois par la voix unique de Jonathan, la terrorise, l’empêchant de dormir du sommeil du juste.

    Plonger sans pouvoir rien y faire dans un nouvel espace-temps ou même comme c’est déjà arrivé, dans un de ceux qu’elle connaît, la caverne peut-être ou pire, la Sphère, il y a là de quoi la consumer d’angoisse !

    Le rêve dans le rêve dans le rêve, éternellement recommencé !

    Un cauchemar sans fin !

    Elle devrait suivre les conseils des uns et des autres qui lui parlent de reconstruction, d’acceptation du réel… Elle voudrait bien mais comment faire alors qu’il suffit qu’une bribe impalpable de rêve subsiste à son réveil pour qu’elle panique. Il faut alors toute la tendre patience, toute la force de persuasion de Jonathan pour la calmer. Lui qui l’aime et la connaît mieux que quiconque, ne sait que trop bien ce qui la préoccupe.

    Tant de choses sont restées inexpliquées. Il en arrive même à admettre que son long coma ne constitue pas à lui seul la réponse à tout ce qu’il ne comprend pas. Et puis il y a cette énigme jamais résolue qui demeure suspendue entre eux : comment a-t-elle pu le reconnaître lors de son réveil, alors qu’elle ne l’avait jamais vu ?

    Ils n’osent plus aborder ce sujet qui la ramène bien trop facilement à ses rêves dont il pense à présent qu’il vaudrait mieux qu’elle les oublie !

    « Soyons heureux mon amour ! Vivons l’instant présent  et oublions tout le reste ! » Lui dit-il chaque fois qu’il la voit s’assombrir.

    Grâce à lui autant qu’à Jacob qui l’occupe énormément, elle arrive à faire l’impasse sur cette période tellement étrange de sa vie.

     

    Son fils contre son sein, le doux bruit de succion que fait sa petite bouche gourmande, le regard chaud de Jonathan… Tout se conjugue pour la ramener au présent, au bonheur, à l’apaisement.

    Aujourd’hui, Chloé et son mari viennent les voir avec leurs deux enfants. Melody, l’aînée, est le portrait craché de sa maman, alors que Logan, le cadet est tout celui de son papa. Melody dont elle lui a tellement parlé lorsqu’elle est née. Ce qui explique probablement la Melody de ses rêves.

    Les retrouvailles avec son amie n’ont pas été simples non plus. L’excentrique jeune fille s’est assagie. Éric, son sociologue de mari a largement contribué à cette transformation mais aussi et pour beaucoup, la culpabilité que la jeune femme continue d’éprouver envers elle. Chloé se sent responsable des cinq années perdues de sa meilleure amie. Une petite panne de voiture la sienne, aura suffi pour chambouler la vie d’Élisa mais aussi celle de Patrick et de leur mère ! Tout ça parce qu’elle a préférer ignorer les conseils de son garagiste ! Depuis, elle ne cesse de se le reprocher.

    La semaine prochaine, ce sera la réunion de famille à laquelle est également conviée Martha bien sûr, pour le baptême de Jacob. C’est de cela que vont discuter les deux amies ce dimanche, puisque Chloé sera la marraine, tandis que Patrick sera tout naturellement le parrain, Qu’il sera bon de revoir Malika, son adorable belle-sœur avec laquelle elle s’entend à merveille. Sans compter sa nièce et son neveu, qui vont mettre avec les enfants de Chloé et d’Eric, une joyeuse pagaille dans la maison, elle n’en doute pas un seul instant. Théo est un vrai petit pirate au cœur d’or qui montre déjà une grande passion pour l’élevage des chèvres et la fabrication des fromages. Quant à Leïla, brune et souple, elle ressemble déjà à une princesse orientale. Comme sa maman, elle a la danse et la musique dans le sang.

    Sarah qui avait tendance à les négliger, a enfin retrouvé la joie de vivre. Depuis le réveil de sa fille, elle s’adonne avec passion et une énergie toute neuve à son rôle de grand-mère. Ses bouillonnants petits enfants n’ont plus à la ménager. Le bonheur lui va bien, elle a rajeuni !

    « La vie est belle ! » Pense-t-elle rassérénée.

    Près d’elle, une main posée sur son ventre, Jonathan s’est rendormi. Leur fils tête encore mais il n’est plus très loin de rejoindre son père dans les bienheureux limbes du sommeil. Elle se laisse aller contre les oreillers.

    « Oui, la vie est belle mes amours ! » Chuchote-t-elle avant de s’assoupir à son tour.

     

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 10 Février 2023 à 18:44

    Oui, dans ces conditions, comment ne pas dire que la vie va belle; amitiés, jill

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