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"Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 14
…Ils sont tous là, rassemblés face à elle au sein d’une espèce de désert embrumé. Au milieu de ce nuage grisâtre, menaçant, leurs silhouettes immobiles se détachent, incroyablement nettes.
Au premier rang, il y a Sarah, sa mère qui entoure Newton, son chat borgne, de ses deux bras. Patrick, son frère est là lui aussi, bien sûr, avec Titan, son fidèle chien de berger couché à ses pieds. Il tient Théo, son fils, d’une main ferme. Tout près de lui, sa femme, Malika avec Leila nichée contre son sein.
Elle voit également Chloé, sa meilleure amie accompagnée d’un beau mec qu’elle reconnaît aussitôt. C’est Éric, l’ex étudiant en sociologie qui la draguait ferme à Bordeaux. Il y enseigne à son tour désormais. Elle était à leur mariage il n’y a guère plus de six mois Sa chère copine est ronde de leur premier enfant. Ils n’ont pas perdu de temps ces deux là ! Des visages si chers à son cœur.
Puis, près d’eux sur le même rang, elle voit Harold, le compagnon de Martha, les parents de Chloé, Yann Le Garrec, son ami de l’université avec sa femme et leurs trois enfants… Il y a même Maryse, sa meilleure ennemie comme disait Chloé. Elle reconnaît Laurence, la patronne de la boutique où elle travaillait l’été, avec son mari, Frédéric qu’elle ne croisait que rarement, vu qu’il travaillait en région parisienne. Il y a là ce brave docteur Terrasson qui vient tout juste de prendre sa retraite. Il a été durant de longues années le médecin de la famille Barjac et de bien d’autres foyers des Eyzies.
Elle les voit tous ces gens qu’elle a croisés depuis qu’elle est gamine. Monsieur Robignac, Le directeur de l’école primaire, où elle a été élève, toujours en activité même si ce n’est plus pour très longtemps. Ségolène Jacquart, son institutrice de CM2, à laquelle elle rêvait de ressembler, éternelle « mademoiselle » puisqu’elle n’a jamais trouvé chaussure à son pied pourtant bien joli. Les gérants du petit bistrot de quartier où jeunes et vieux se rencontrent autour d’un verre ou d’une partie de cartes. Le directeur du musée de la préhistoire qui lui a offert son premier job d’été…
En fait, il semble que tous les habitants des Eyzies soient présents, ainsi que tous ses amis et amies de l’université…
Curieusement, la seule personne qui manque à l’appel est Martha, sa vieille confidente. Elle a beau la chercher du regard, elle ne la voit pas dans la foule silencieuse.
En revanche, Jonathan est bien là. Il la tient par la main. Comme la foule amassée, il est immobile et son regard est teinté d’une tristesse qu’elle ne s’explique pas. La même tristesse que dans leurs yeux à tous. Si elle peut comprendre le chagrin de tous ceux qu’elle va quitter, elle s’interroge sur le sien qui n’a aucune raison d’être. Ils sont enfin réunis et ils ne se quitteront plus désormais. C’est ce qu’il lui a affirmé quand il est revenu la chercher. Il a justifié sa dernière absence par de longs préparatifs de quelque chose dont elle ne parvient pas à se souvenir. Ils vont partir, lui a-t-il dit. Et elle ne reviendra plus jamais chez elle.
Le caractère définitif de ce « Plus jamais » la titille. Pour autant, elle est prête à le suivre au bout du monde. Le coup de foudre qu’elle avait ressenti lors de leur première rencontre avait brûlé tel un feu de paille avant de s’éteindre. Du moins le croyait-elle, jusqu’à ce qu’il se pointe 5 ans plus tard à sa porte. Une étincelle fulgurante avait ranimé des cendres qu’elle pensait froides depuis longtemps. Elle éprouve désormais pour lui un amour dévorant qu’elle sait réciproque. Elle en veut pour preuve les regards possessifs qu’il ne cesse de poser sur elle, la chaleur et la force de sa main qui tient la sienne, comme s’il craignait qu’elle ne disparaisse par elle ne sait quelle magie perverse. Parce que bien sûr, il ne lui viendrait pas une seconde à l’idée de se libérer de lui.
Emportée par la force inouïe des sentiments qui l’étreignent en cet instant frappé d’étrangeté, elle ferme les yeux … Juste quelques secondes pour retenir la vague de bonheur qui la submerge. Quand elle les rouvre…l’espace en face d’elle est vide. Totalement vide. . Plus personne. Mais surtout, plus rien de ce qu’elle connaît. Plus de gens, de rues, de maisons, de voitures, d’arbres… Rien ! Ne subsiste qu’un paysage morne, désolé, recouvert de cendres fuligineuses. Et au milieu de ce désert apocalyptique, elle, incrédule, terrifiée…
Seule ! …
Vingt et unième jour
- Réveille-toi Élisa. Prononce au-dessus d’elle une voix qu’elle reconnaît.
Elle s’agite, encore enserrée dans les griffes mortelles du rêve qui s’ingénie à la retenir captive.
«Jonathan ! Hurle-t-elle engloutie par un désespoir immense. Ne me laisse pas, je t’en supplie. Jonathan ! Maman, Patrick, Chloé, où êtes-vous ? »
Mais personne ne lui répond. Et tandis qu’elle crie à s’en arracher la gorge, une poussière noire de suie, lui entre dans les poumons. Elle suffoque, se débat puis résignée, s’écroule sur le tapis de cendres. Elle abandonne. Mourir là, maintenant, serait une délivrance...
-Réveille-toi Élisa, ordonne la voix désincarnée.
Des bras robustes la secouent sans ménagement. Brusquement, les griffes qui la maintenaient prisonnière, se desserrent. Les cendres se dissipent…Enfin, elle consent à ouvrir les yeux. Les doigts de Bob sont encore fortement agrippés à ses bras. Elle va avoir des bleus !
- Ça va ! Tu peux me lâcher maintenant !
- Tu es sûre ?
- Oui !
Pour un peu, elle croirait lire de l’inquiétude dans son regard d’acier. Mais ce n’est qu’un robot hein !
-Tu hurlais. Et tu te débattais comme une forcenée. Tu peux me dire pourquoi ?
- Parce que tu l’ignores ? J’ai du mal à le croire.
- Je peux deviner en partie. Mais je ne suis pas dans ton rêve Élisa.
- Un cauchemar tu veux dire !
- Raconte-moi !
Alors elle lui raconte sans plus se faire prier. Il n’a même pas l’air surpris. C’est comme si, effectivement à défaut d’en savoir les détails, il connaissait la teneur de ses rêves. Elle a désormais compris qu’il lui faut les verbaliser. Bien qu’elle ne sache toujours pas pour quelle obscure raison, il souhaite qu’elle le fasse. Il s’est contenté de lui expliquer que c’est afin de mieux l’aider. Mais l’aider à quoi au juste ? Cela reste un mystère qu’il ne semble pas décidé à élucider !
Elle ne le lui demande même plus, certaine que si elle le fait, il lui répondra comme d’habitude : « Tu comprendras en temps voulu ».
- Es-tu prête à repartir ? Lui a-t-il demandé après sa toilette et son petit déjeuner.
- Je… je ne crois pas !
- Pourquoi ?
-Bien que je n’y aie quasiment pas bougé, curieusement, ce maudit cauchemar m’a épuisée.
- Et encore ?
-Comment un robot peut-il me percer aussi facilement à jour ?
- Donne-moi l’autre raison, la vraie ! Hier, tu étais prête à aller plus loin.
- Je sais ! En fait ce truc là-bas, me terrorise.
- Quel truc Élisa ?
- La Sphère.
- Á ton avis, pourquoi en as-tu si peur alors que tu as déjà fait tant de chemin pour la rejoindre ?
- Parce que…
- Allez ! Dis-le !
- Parce que c’est là que se trouve la vérité. Ma vérité.
- Pas seulement la tienne Élisa. Mais c’est bien ! Tu avances dans le bon sens. Prends ton temps, repose-toi. Demain, nous poursuivrons notre route.
La journée s’est donc déroulée, assez sereine finalement, après un tel cauchemar.
Ses tâches accomplies Bob a disparu. Elle ne s’en est pas inquiétée outre mesure. Ne revient-il pas toujours ?
Elle a profité de cette solitude libératrice pour se baigner nue dans la rivière qui coule en contrebas du refuge. Non pas qu’elle ait eu à craindre le voyeurisme de son drôle de compagnon de route mais il a l’air tellement humain parfois !
Elle a monté une Weena tout heureuse de galoper sans contrainte.
Elle a cueilli des baies plus grosses mais aussi juteuses et savoureuses que celles de ses lointains souvenirs. Des mûres du monde d’après.
« Après quoi ? » Lui a susurré une petite voix qu’elle a fait taire aussitôt.
« Elles sont en avance. » S’est-elle avisée. Á peine une seconde de pensée furtive qu’elle a également chassée de son esprit, comme on chasse un insecte de la main.
Oui, une journée vraiment idéale au cours de laquelle elle s’est sentie en vacances ! Elle en a savouré chaque seconde, oubliant pour un temps sa mission de sauvetage. « Mais quel sauvetage ? » Se demande-t-elle soudain, infiniment troublée de ne se rappeler qu’à grand peine pourquoi elle a pris la route il y a maintenant près d’un mois !
Les vacances… Encore un concept venu du lointain passé d’avant la Sphère.
Elle a brossé soigneusement sa jument l’a nourrie et abreuvée, reprenant avec bonheur cette tâche qu’elle avait fini par abandonner à Bob sans plus se poser de questions. Elle s’est concocté un repas sommaire composé d’un poisson tout frais sorti de la rivière, grillé au feu de bois suivi de quelques mûres et d’une poignée d’autres baies au jus vermeil très sucré dont elle a oublié le nom. Un dîner qu’elle a dévoré au bord de la rivière, copieusement accompagné d’une eau fraîche et pure comme il n’en existait plus dans les cours d’eau du monde d’avant, pollués à l’extrême d’après ses souvenirs à la fois si anciens et si neufs dans son esprit.
Un dernier bain illuminé par le soleil couchant de ce superbe soir de fin d’été et elle est allée se coucher, délicieusement lasse, sans avoir vu réapparaître son cher robot-gardien.
« Demain est un autre jour ! » S’est-elle dite avant de s’endormir.
Tags : roman, rêves, Elisa, Liberté, chapitre 14
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Commentaires
Ah le chemin de la vérité... et si la sienne... amitiés, jill