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"Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 13
Vingtième jour
La matinée s’est étirée, monotone. Pour ne pas dire mortellement ennuyeuse. Elle bénirait presque cette maudite colline qu’elle se souvient fugacement avoir gravie dans l’autre sens. Était-ce en rêve ou dans la réalité ?
Pour tromper cet incommensurable ennui, elle a décidé de grimper à pieds, dirigeant Weena à la longe.
Son impassible ange -gardien l’a laissée faire. Il est devant elle comme d’habitude, attelé au chariot tel une bête de somme. Il n’a pas dit un mot depuis ce matin.
Vu la position du soleil dans l’azur implacable du ciel, il n’est pas loin de midi. Ils s’arrêteront probablement bientôt pour lui permettre de se restaurer. Lui s’est rechargé avant leur départ, comme il se doit.
Deux nuits sans le moindre rêve, même fugace. Deux soirs où sciemment, il ne lui a pas donné sa pilule. Quand elle lui a demandé pourquoi, il a répondu qu’elle avait besoin d’un repos total. Elle a bien dû admettre qu’en effet, ces deux nuits exemptes de songes ont eu sur elle un effet des plus bénéfiques les jours qui ont suivi. Revoir Jonathan fût-ce en rêve, lui a fait du bien mais l’a également énormément perturbée.
Son étrange compagnon l’a compris et en a tiré les conclusions qui s’imposaient pour le bien être de son « humaine ». Á moins que cela comme le reste, ne fasse partie du plan de ses Maîtres ?
- Bob ?
-Tu as besoin de quelque chose ?
- Non. Je veux juste savoir…
- Quoi ?
- Pourquoi ne me parles-tu plus ?
- Tu as des questions à me poser ?
- Pas spécialement non ! J’ai seulement besoin que quelqu’un me parle autrement que par mono phrase ou pour répondre à mes questions, même si j’en aurais encore des tas à te poser.
- Je ne suis pas programmé…
- Pour faire la conservation. Je sais !
- Je peux répondre à tes questions.
- Ça, je l’ai bien compris ! Encore que tu refuses de répondre à certaines !
- Je ne refuse pas. Je ne suis pas autorisé.
- Ça aussi j’ai compris ! N’empêche que c’est dur de n’avoir personne à qui vraiment parler de tout et de rien. Tes maîtres auraient pu te faire un peu plus humain quoi !
- Ce n’était pas utile lors de notre conception.
- Quand as-tu été conçu ?
- Les premiers robots androïdes ont été conçus en même temps que les Sphères.
- Dans quel but ?
- La maintenance technique. La fabrication de nouveaux robots pour remplacer ceux dont le fonctionnement ne répondait plus aux exigences de leur service.
- Et encore ?
- Je ne suis pas autorisé à t’en dire d’avantages.
- Pourquoi ?
- Je ne suis pas autorisé.
- Pourquoi t’ont-ils envoyé à mon service ?
- Parce que tu as besoin d’aide.
- Y a-t-il d’autres humains qui aient besoin de ce genre d’aide ?
- Non.
- Je suis la seule alors !
- Oui.
-Quel immense privilège ! Lance-t-elle avec acrimonie.
- Tu es la seule aujourd’hui.
Coup de poing dans le plexus ! Elle en est presque KO debout. Une information qu’elle n’a pas sollicitée vient de tomber sur elle. Elle est sonnée !
- Aujourd’hui ?
- Oui.
- D’autres ont eu besoin de toi ?
- De moi ou d’un autre.
- Pour les mêmes raisons ?
- Sensiblement oui.
- Ils ont dû revenir à la Sphère ?
- En quelque sorte, oui.
- Ça veut dire quoi, en quelque sorte ?
- Je ne suis pas autorisé à répondre à cette question.
- Je te hais 26-B-RH-1 ! Je hais tes Maîtres. Je vais parler à Weena tiens ! Elle a plus de sentiments que toi, même si elle ne me répond pas !
Boudeuse elle est restée près de la jument, allant jusqu’à ralentir le pas à seule fin de se tenir le plus loin possible de Bob. Lequel n’en avait cure, évidemment. Il est arrivé bien avant elle au sommet de la colline et l’y a attendue, debout, devant le refuge.
- Déjà ! N’a-t-elle pu s’empêcher de lancer
- Oui. Nous n’irons pas plus loin aujourd’hui.
- Comment ça ? Nous ne sommes qu’à mi-journée ! Nous n’allons pas nous arrêter si tôt tout de même.
- Si Élisa ! Regarde !
Des jours et des jours qu’elle ne voit plus le paysage. Des jours et des jours qu’elle marche droit devant elle dans une espèce de brouillard intérieur cotonneux. Un brouillard vide, confortable qui l’empêche de réfléchir à ce qu’elle devrait voir et qu’elle ne voit pas ou ne veut pas voir. Ce monde au sein duquel elle évolue, n’est que silence et vacuité.
Obsédée par la mission qu’elle s’est fixée, elle ne regarde plus autour d’elle. Et voilà qu’au loin, réverbérant les rayons du soleil, immense, menaçant, s’étend le dôme de la prison qu’elle cherche à rejoindre autant qu’elle l’a fuie : la Sphère maudite.
L’instant d’étonnement passé, sa combativité naturelle reprend le dessus.
- Je ne comprends décidément pas pourquoi nous devrions nous arrêter si près du but.
- Elle a l’air proche mais en réalité, elle est beaucoup plus loin que ce que tu imagines.
- Justement ! Nous aurions pu utiliser le reste de la journée pour nous avancer un peu, non ?
- Tu as raison Élisa.
- Alors pourquoi ne pas le faire ?
- Tu n’es pas prête.
- Comment peux-tu affirmer cela ?
- Je le sais.
- Mais encore ?
- Fais-moi confiance. J’agis pour ton bien.
- Ce sont « Eux » qui te le demandent ?
- Non. Le problème vient de toi. Tu refuses encore trop de choses.
-Pourquoi ne me serines-tu plus de me réveiller Bob ?
Il ne répond pas, se contentant de la fixer avec dans les yeux une espèce d’intensité qu’elle n’y a encore jamais vue. Puis, toujours aussi raide mécanique, efficace, il se détourne d’elle et va s’occuper de Weena.
« Accepte de te souvenir. Accepte la vérité Élisa » Murmure une voix dans son esprit. Et c’est Jonathan qu’elle entend.
Son cœur se met à cogner à lui faire mal. Elle se précipite vers Bob. Il est en train de brosser la robe pommelée de Weena avec des gestes si humains qu’elle en reste une seconde interdite avant de hurler :
- Bob ! Jonathan m’a parlé.
-Oui. Se contente-t-il de lui répondre sans interrompre le mouvement régulier de la brosse sur le flanc de la jument.
Il n’a pas l’air surpris. Comment le serait-il ? Il n’est que mécanique bien huilée. Pas une goutte de sang dans ces circuits électroniques. Aucun cœur battant dans ce torse qui n’a de viril que l’apparence. Á vivre près de lui, elle en a fini par oublier que Bob, ou plutôt 26-B-RH-1, n’est qu’un faux semblant d’humain.
- Tu sais n’est-ce pas ! As-tu entendu ce qu’il m’a dit ?
- Oui.
- Moi, je ne l’ai entendu que dans ma tête pourtant.
- Je sais.
- Et que m’a-t-il dit, Monsieur-je-sais-tout ?
- Que tu dois accepter de te souvenir. Accepter la vérité.
- Me souvenir de quoi au juste ? Et de quelle vérité parles-tu ?
- Tout ce que tu refuses encore.
- Dis-moi quoi ?
- Je ne peux pas. C’est en toi. Tu possèdes la clé mais tu l’as cachée et manifestement, tu ne veux pas la retrouver Or il devient urgent que tu comprennes enfin que si tu t’obstines à rejeter ces souvenirs, cette vérité, tu mourras !
- C’est à ce point ?
- Oui Élisa.
La sensation d’être au bord d’une révélation importante, essentielle même, pour ne pas dire vitale, se fait jour en elle. Un bref instant, elle touche du doigt l’évidence. Puis dans la seconde qui suit, tout s’efface. Ne reste que le brouillard qui prend de plus en plus de place dans son esprit.
Une chose cependant, s’est imprimée dans sa conscience.
- C’est pour cette raison que tu refuses que nous allions plus loin aujourd’hui, n’est-ce pas.
- Absolument. La Sphère ne s’ouvrira pour toi que lorsque tu auras cessé de fuir Élisa
- Je ne fuis pas. Bredouille-t-elle d’une toute petite voix.
- Si. Et tu n’imagines pas à quel point cette fuite incessante te met en danger.
- J’aurais dû rester à Liberté, si je te comprends bien.
- Non. Quitter Liberté était nécessaire.
- De toute façon, je ne dois pas beaucoup leur manquer là-bas ! Ils n’ont lancé personne à ma poursuite.
Pas de réponse, une fois de plus. L’insupportable robot se contente de la fixer, comme pour la forcer dans ses retranchements les plus profonds.
- Je n’ai rien compris, c’est ça que ton silence obstiné cherche à me dire.
Elle le regarde. Il n’a pas bougé d’un pouce. Tellement immobile qu’elle pourrait presque croire qu’il est déchargé. Mais non, elle le sent bien présent, scrutateur. Comme s’il attendait qu’elle trouve elle-même la réponse à sa question. Á toutes ses questions.
- Je croyais que tu étais là pour m’aider Bob, s’obstine-t-elle mais finalement tu n’es et ne seras jamais qu’un numéro de série, 26-B-RH-1.
Elle est hargneuse et injuste, elle en a conscience mais l’incompréhension, l’impatience, la fatigue, la minent un peu plus à chaque jour qui passe. Il ne cesse de lui répéter qu’elle approche du but alors qu’en réalité, elle a la sensation étrange que chaque kilomètre parcouru, l’en éloigne un peu plus.
- Tu as raison consent-il enfin à lui répondre
- En quoi ?
- Je ne suis qu’un robot. Un numéro de série.
- Pardonne-moi Bob
- Je n’ai rien à te pardonner. Ils m’ont assigné à ton service. Ils auraient pu choisir un Max. Les M-RH ont les mêmes fonctionnalités que les B –RH.
Tout cela exprimé avec l’absence absolue de contrariété qu’elle aurait aimé entendre. Il ne peut être vexé. Il énonce froidement la réalité de ce qu’il est. Point barre ! C’est elle et sa fichue nature humaine qui veut absolument l’humaniser, le parer de sentiments qu’il est incapable de ressentir.
- Un Max aurait agi au poil près comme toi ?
- Exact.
- Il aurait donné les mêmes réponses à mes questions.
- Exact.
- Il m’aurait aidée, comme toi hein. Mais à quoi finalement ? Je n’y comprends toujours rien.
-Cesse de fuir tes souvenirs Élisa et tu comprendras.
- Pourquoi ceux qui t’ont programmé ne viennent-ils pas eux-mêmes ?
- Ils ont essayé Élisa mais là où tu es, ils ne peuvent plus t’atteindre.
- Qui a essayé ?
Il se ferme soudain, au sens littéral du terme.
-Va te reposer, la journée prochaine risque d’être rude pour toi, se contente-t-il de lui répondre avant de se remettre à la tâche pour le plus grand plaisir de la jument.
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Commentaires
Bonne question, qui... il doit bien y avoir une réponse... amitiés, JB