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Mes chers parents...
Mes chers parents,
Je vole ! Oui, je vole encore !
Bientôt, j’entrerai dans ma 72me année.
Comme on dit joliment : « mon avenir, je l’ai dans le dos ! » ou également : « je suis plus près de la fin que du début ! »
Encore qu’à l’aune du temps infini, tout cela ne soit que très relatif !
71 ans le 8 juin ! 71 Saint-Médard dont beaucoup n’ont pas failli à la tradition !
Fallait-il vraiment, mes parents chéris, que ma naissance tombe à la Saint-Médard et que du coup, à chacun de mes anniversaires je coure le risque d’être arrosée plus que nécessaire ? Une assez déplaisante habitude pour quelqu’un qui n’aime guère la pluie ! Mais bien sûr, vous n’avez pas choisi. Ni le jour, ni le sexe de ce 3ème enfant né sous le signe de l’eau et qui pourtant, ne saura jamais nager ! Un comble !
Parce que de l’eau, il en a coulé sous les ponts et il en est tombé sur mes anniversaires depuis ce 8 juin 1951 où je naquis ! A-t-il plu ce jour-là ? Je n’ai jamais pensé à vous le demander et vous n’êtes plus là pour me répondre.
Vous n’êtes plus là ! Finalement, aucun de vous deux ne m’aura vu grandir ni m’envoler hors du nid. Vous n’avez vu grandir aucun de vos enfants. Et pour cause, le nid a été détruit bien trop tôt !
Toi papa, tu nous as quittés le 18 juillet 59, emporté par la mer au beau milieu de cette Baie de Somme que j’aime tant. Tu allais avoir 35 ans. Tu étais si jeune, si inconscient, si fou. Tu ne connaissais pas les dangers de cette baie magnifique ou du moins les as-tu ignorés. Tu pensais pouvoir traverser sans risque du Crotoy à Saint-Valery ! Combien d’imprudents ont été piégés, comme vous l’avez été maman et toi, par la marée montante ? Combien l’ont payé de leur vie cette imprudence ?
Maman a été sauvée par un jeune homme dont nous n’avons jamais su l’identité. Elle a survécu, en apparence parce que dans un sens, elle a sombré avec toi ce jour-là. Elle allait avoir 31 ans. Elle t’a vu couler. Ta disparition brutale l’a anéantie. Tu laissais une veuve inconsolable et 7 orphelins !
Toi maman, la perte de l’homme de ta vie t’a brisée en mille morceaux. Il t’a fallu des années et des années pour parvenir à les recoller tant bien que mal Tout reconstruire sur un champ de ruines n’est pas facile et hormis tes enfants, tu étais bien seule pour affronter l’avenir qui t’attendait sans lui.
L’été 61 a vu le naufrage de notre fragile bateau familial. Nous ne nous sommes pas envolés, comme le font naturellement tous les enfants un jour ou l’autre, il était encore bien trop tôt pour ça ! Non, nous avons été volés à toi ! Un mal nécessaire, peut-être mais dans « mal nécessaire » il y a MAL !
Notre famille déjà rudement éprouvée a été déchirée. Nous avons été éparpillés. On nous a envoyés grandir ailleurs, dans d’autres nids, pauvres oisillons perdus.
Et nous avons grandi, sans vous chers parents.
Comme mes 6 frères et sœurs, j’ai grandi sans vous.
Sans vous, j’ai ri, pleuré, crié, aimé pour la première fois.
Papa, je n’ai pas pu me moquer ou avoir peur de ton regard furibard quand des garçons m’ont approchée de trop près. Tu n’étais pas à mon bras pour me conduire à la mairie et à l’autel quand je me suis mariée. Tu n’as pas versé une petite larme en douce à la naissance de tes petits enfants..
Maman, je n’ai pas bénéficié de tes précieux conseils de mère quand je suis devenue femme.
Je n’ai eu que mes cahiers de poèmes et de longues lettres écrites en cachette pour me confier à toi durant toutes ces années de séparation. Séparation douloureuse mais seulement physique parce qu’au moins, dans ma vie tu étais là tout de même maman chérie.
Mes chers parents, la vie est ainsi faite, que le Destin décide pour nous. Que tout ce qui nous arrive en amont, fait de nous ce que nous sommes en aval.. Nous sommes construits par notre passé, par notre présent et par l’avenir qu’il nous reste à vivre.
Nos sommes également construits par l’amour qui a présidé à notre naissance. Alors, mes parents chéris, je m’estime heureuse de l’avoir été par vous. Parce que même si vous n’avez pas été là pour me voir grandir, je n’oublie pas que c’est vous qui m’avez faite ce que je suis : une part de vous.
Dans le secret de mon cœur, papa, maman, je vous dis tout ce que je n’ai pas pu vous dire, sûre que vous entendez chaque mot.
Mes chers parents je vole, je vole encore parce que vous m’avez donné des ailes.
Votre fille qui vous aime
21/02/2022
A-M Lejeune
Mes parents, Anne-Marie et Alfred Brouard en 1948,
Dans le landau c'est Jean-Claude, mon frère aîné
Tags : lettre, parents, amour, souvenir
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Commentaires
Bonjour Anne-Marie,
Comme il est touchant, ton texte.
Merci pour ce magnifique partage hommage.
Agréable et douce semaine,
Gros bisous ♥
Bonjour chère Anne-Marie,
Quelle émotion à la lecture de ton texte ! Et quel bel hommage tu rends ici à tes parents, que tu n'auras pas vraiment connus, mais qui auront gravé en toi la sensibilité, le talent et l'élégance littéraire d'une merveilleuse écrivaine poétesse, pour notre plus grand plaisir de lecture :). De là où ils se trouvent, tes parents doivent être fiers de toi, et tout aussi émus que nous le sommes par ce merveilleux hommage.
Bonne journée à toi !
Bisous fleuris,
Martine
Ma très chère Amie,
J'ai lu ton histoire de vie avec émotion hier soir.
Tant émue que je n'ai pas laissé de mots, j'y reviens ce matin tant
cela me touche et cet aveu que tu nous laisses me fait encore mieux te
connaître et je comprends ainsi mieux les débuts pas facile de notre
amitié et de notre collaboration qui n'a pas fonctionnée mais a donné
de beaux résultats par la suite puisque nous sommes ""collègues''..
Tous tes mots me touchent et je dois dire que mes yeux ont versé
quelques larmes car je sais qu'une enfance comme cela marque à vie.
Tu as partagé un fardeau bien lourd ma copine, alors
j'espère qu'il pèsera moins lourd désormais dans ton coeur ...
Je t'embrasse affectueusement Anne-Marie.
Nous avons des souvenirs en commun, mon père lui n'est pas décédé, mais quand j'avais 10 ans, il a abandonné ma mère et je ne l'ai revu que bien des années après, presque 16.
Mon mari lui vivait avec 7 de ses frères et soeurs et ils ont été aussi enlevés à leurs parents et placés dans des familles pas toujours bienveillantes.
Encore un point commun, ma fille qui est décédée d'une mucoviscidose était née le 8 juin, à la Saint-Médard, c'était en 1975 et là moi je peux te dire qu'il faisait une sacrée chaleur.
Et pour terminer je vis depuis plus de 24 ans à 10 km de cette baie de Somme qui t'a pris ton papa.
Bises
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Lundi 7 Mars 2022 à 10:56
C'est vrai que ça nous fait plein de points commun ma chère picarde !
Je me rends compte chaque jour, que beaucoup de mes amies des blogs ont connu des parcours parfois très douloureux dans leur jeunesse et que pour certaines et certains, ce qu'ils ou elles vivent aujourd'hui n'est pas toujours facile ! Je ne suis pas riche d'argent, loin s'en faut mais je suis riche d'amour aujourd'hui et ça rachète largement mes années douloureuses !
Bisous
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Très émouvant ce texte....Une vie difficile pour ta maman et frères et soeur. Bisous douce semaine
Je suis très émue
Touchée
Quel drame qui a fait de toi
Une belle personne malgré ce malheur
Quel bel hommage
Gros bisous
Une tragédie inoubliable pour vous tous, un drame de famille qui ne peut qu'être ancré en vous, en pensant toujours à vos parents.... amicales pensées, JB
3marie des vignesLundi 21 Février 2022 à 11:50
Bonjour , trop émouvant ton billet ce matin, quel bel hommage tu rends à tes parents. C'est très bien écrit avec les mots qui sont sortis de ton coeur. Bon Lundi Amitiés MTH
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Et voilà que tu me fais pleurer ! Fichtre ! Quelle tristesse cette double séparation ! Un papa décédé si jeune - Une maman à laquelle ses petits bouchons sont retirés ... Placés en familles d'accueil ...
Quand je vois ma chère maman, accueillie également mais qui n'a jamais connu ses parents, et le mal que cela lui a infligé déjà toute sa vie alors toi, séparé d'une mère que tu connaissais et de tes frères et soeurs !! Quel terrible événement.
Tu n'as jamais pu revoir quiconque ?
Tu es plus jeune que ma maman par contre, qui va sur ces, déjà ! brr, 77 ans !
On tremble chaque année ... Arrivé vers cet âge ! Pour ces parents.
Bisous bisous !
christelle
Nous ne nous sommes jamais perdus et tous, nous avons retrouvé notre mère à la majorité (21 ans à l'époque). C'est notre amour les uns pour les autres qui a gagné finalement ! Pour la fratrie, les autorités avaient au moins eu le bon sens de nous placer dans le même coin et deux par deux, ou dans mon cas, parce que nous sommes 7, avec deux de mes petites soeurs dont Marie-Lise initiatrice de mon atelier. A part les deux petits derniers que leur famille d'accueil isolait des autres et que nous n'avons pas vus grandir, nous nous rencontrions régulièrement. Si ça reste difficile de ne plus être vraiment ensemble, c'est tout de même moins dur que d'être très loin les uns des autres.
C'est vrai que tout cela marque à vie !
Merci pour tes mots qui me touchent
Bisous