• Chapitre 17

    13 Novembre

     

    Dans un peu moins d’un mois, c’était le mariage. La romance Mary-Hubert suivait son petit bonhomme de chemin, observée à la loupe par les futurs mariés attendris qui ne tarissaient pas d’éloge sur son cavalier. Surprise était la plus coriace.

    - Il est super Jean-Hub, hein ? Un peu conventionnel mais sympa, pas vrai ?

    - Il est très gentil.

    - Bon sang ! Je n’aime pas quand tu dis qu’un mec est gentil ! Qu’est-ce qui ne te plaît pas chez celui-là ?

    - Mais rien ma chérie ! C’est seulement que ton acharnement à vouloir me caser à tout prix, me fatigue. Et c’est un euphémisme de taille ma vieille !

    - Bon ! Je le reconnais ! Ça me peine de te voir encore célibataire à 30 ans. Allez, avoue que Jean-Hub est…

    - Craquant, d’accord mais je crois que notre ami est assez grand et intelligent pour plaider sa cause tout seul, non ? Alors cesse de t’occuper de nos affaires et pense à ton propre mariage avant de vouloir marier les autres !

    Elle entendait distinctement les rouages du machiavélique cerveau de son amie se mettre en branle. La petite futée avait tout enregistré. Le « grand », le « intelligent» et surtout ce « nos affaires », significatif pour elle de la notable évolution des relations chez ce couple qu’elle voyait déjà convoler.

    - Stop ! Ne tire pas de conclusions hâtives s’il te plaît !

    - Diable ! Comment fais-tu pour toujours deviner ce que je vais dire ?

    - Je te connais si bien ! Tu es sans surprise pour moi ma chère. Je lis en toi à livre ouvert !

    Ce n’était que trop vrai hélas ! Généralement, le fiancé embrayait, vantant à son tour les mérites certains de son ami. Ses efforts étaient louables, il voulait le voir aussi heureux que lui.

    - Tu sais, c’est un beau parti. Sa fortune personnelle est considérable !

    - J’ai toujours entendu dire que l’argent ne fait pas le bonheur !

    - C’est vrai mais l’amour, si ! Et il est très amoureux de toi, je le sais !

    - Mais moi, je ne le suis pas de lui !

    - Ça pourrait venir non ? Tu ne le vois plus uniquement comme un simple chevalier servant si je ne m’abuse.

    - D’accord ! C’est un excellent ami !

    Et de les rassurer tous les deux :

    - C’est vrai qu’il est très bien Hubert ! C’est même le mieux que vous m’ayez présenté. Si je dis qu’il est gentil, c’est parce qu’il l’est ! Vraiment ! En fait, c’est l’homme le plus gentil que j’aie jamais rencontré ! Là ! Vous êtes contents ?

    Leur satisfaction ne faisait aucun doute. Elle se lisait sur leur visage et en eux, aussi éblouissante qu’une de ces enseignes tridimensionnelles géantes dont les lettres fluo vous arrachaient les yeux dans la rue.

    « On a eu raison ! »

    « Quel beau couple ils feraient ! »

    « C’est sûr, ils vont finir ensemble ces deux là ! »

    Autant de messages qu’ils se lançaient du regard. Entre eux, nul besoin de télépathie. Leur amour leur tenait lieu d’émetteur-récepteur. Elle les enviait d’être unis par un sentiment si fort qu’ils se comprenaient à demi-mot, parfois même sans les mots. Elle avait connu cela en mille fois mieux et elle y avait sciemment renoncé. Elle savait qu’elle ne connaîtrait jamais cette connexion avec Hubert. Ils s’entendaient bien, elle en convenait mais pour elle en tous cas, cela n’allait pas plus loin.

    En fait chaque sortie avec lui était décevante et se soldait par un véritable fiasco. Chaque fois qu’il tentait un flirt un peu plus poussé, elle ne pouvait retenir un mouvement de recul. Il le sentait et reprenait aussitôt son rôle d’ami fidèle, s’imposant une réserve aussi drastique que frustrante pour un homme aussi épris que lui. L’adorer en silence devenait de plus en plus difficile mais il n’osait se déclarer, attendant d’elle un geste qui le lui permette. Il ne l’avait pas encore touchée comme il aurait aimé le faire, se contentant du traditionnel baisemain juste pour la voir rire un peu de ses manières démodées. Parfois, il allait jusqu’à effleurer de ses lèvres sa joue veloutée, en tout bien tout honneur, amicalement, tout en pensant qu’il y avait une bien meilleure façon de….

    Elle redoutait cet instant que lui appelait de tous ses vœux, attendant patiemment qu’elle soit enfin prête pour lui. Elle essayait bien de se convaincre, se répétant sans cesse ses nombreuses qualités. Il était sensible, généreux, plein d’humour, compréhensif, pondéré, stable etc, etc. Et plus que tout, il était là lui, au moins !

    « Mais si Hawk n'est pas là, c'est que tu ne le veux pas. » Lui soufflait insidieusement sa conscience.

    C’était en tous points un homme merveilleux qui aurait fait un amant et un mari plus que convenable pour la plus difficile des femmes. Il n’y avait entre eux qu’un léger malentendu : il l’aimait, elle ne l’aimait pas. Il la désirait de plus en plus ardemment mais lui, la laissait totalement indifférente sur ce plan. Et elle se sentait incapable de lui donner le change, pas même pour respecter la promesse qu’elle s’était faite dernièrement de lui offrir une chance. Elle ne le pouvait pas. Elle aurait eu l’impression de trahir, pire, de tromper « l’autre »…

    Mais Hubert ne désarmait pas. Chaque fois que son travail lui en laissait le loisir, il l’attendait à la sortie de l’Hôpital, quelle que soit l’heure de la fin de son service. Plein de prévenance, il lui ouvrait la portière de son rutilant coupé sport sous les regards extasiés de ses collègues qui lui enviaient ce parti de choix, à la fois riche et beau.

    Ils étaient devenus assez intimes pour se tutoyer mais curieusement ne le faisaient pas encore. Il en rêvait pourtant sans oser se le permettre. Cette privauté revêtait aux yeux de l’architecte presque plus d’importance que ce baiser sur la bouche de sa belle qu’il rêvait de lui donner depuis qu'il l'avait rencontrée. Lui dire tu, enfin…

    C'était arrivé la veille incidemment, tandis qu'il la raccompagnait. Comme à leur habitude, ils devisaient gaiement. Il avait commencé sans même s'en rendre compte, elle avait poursuivi comme si de rien n'était. Ce moment avait été si doux à son cœur qu'il en avait conçu un espoir indéracinable. Le sourire qu'il avait eu à cet instant-là, aurait pu faire fondre les icebergs alors qu’il se disait sans savoir qu'elle lisait en lui :

    « Je vais gagner ! Elle m’ouvrira bientôt son cœur… et son lit ! »

    Quant à elle, même si ce tour intime donné à leur relation lui faisait peur, elle avait décidé de faire fi de ses craintes.

    La nuit d’avant, elle avait rêvé de Blue Hawk, de façon très normale cette fois car respectant sa promesse, il ne s’était plus manifesté. C’est elle qui l’appelait, le suppliait de rester tandis que sa haute silhouette floue se diluait dans le néant. Elle s’était réveillée en larmes, déplorant contre toute logique qu’il ne lui soit pas apparu comme avant, qu’il ne l’ait pas appelée de sa voix rauque et tendre. Vite, elle avait remis un verrou d’acier trempé à son esprit indiscipliné, avant que de stériles regrets ne l’étouffent.

    Oui, c'était décidé ! Hubert serait sa sauvegarde, pas ce maudit pendentif qu’elle refusait toujours de porter malgré les conseils appuyés de son ennemi juré…

    En cette fin de journée pluvieuse, son amoureux transi profitait du moelleux confort de son canapé en sirotant un whisky. Comme convenu, il l’avait récupérée à la sortie de son service. Ils avaient décidé d’aller ensemble choisir leurs cadeaux pour les futurs mariés

    - Comment vas-tu ? Lui avait-il demandé en guise de bonjour, en l'embrassant tendrement sur les deux joues.

    - Bien et toi ? Lui avait-elle répondu en s'installant près de lui. Allez hop ! On y va, on n'a pas beaucoup de temps.

    Ni l'un ni l'autre n'avait eu l'air de s'étonner de cette nouvelle familiarité et lui n'avait pas voulu la relever. Il n'y croyait pas encore. En arrivant chez elle, elle l'invita à s'asseoir et à se servir un verre en attendant qu'elle finisse de se préparer

    - Tu sais où est le bar, fais comme chez toi et sers-moi un verre aussi, un Porto s'il te plaît ! Lui dit-elle en allant accrocher leurs manteaux dans la penderie.

    Un prodigieux sentiment de victoire l'envahit.

    Le « tu » n'était pas un accident ! Elle l'admettait enfin dans son intimité. D'ailleurs, n'était-ce pas la première fois qu'il resterait chez elle plus d'une heure ? Après leurs courses communes, il était convié à dîner.

    - Ce sera à a bonne franquette pour une fois cher ami. Je tiens à te montrer qu'il n'y a pas que le resto sur terre. Ma mère m'a appris à faire de bons petits plats à l’ancienne avec trois fois rien !

    Avait-elle lancé tout à trac alors qu'il s'apprêtait à l'inviter au restaurant comme presque chaque fois qu’ils sortaient ensemble.

    Qu’un si petit mot, une si banale invitation à dîner aient pour lui un tel impact, était touchant et elle était touchée plus qu'elle ne l’aurait souhaité. Elle revint vers lui, l'embrassa gentiment sur la joue, but une gorgée et se releva :

    - Sois un amour, attends moi encore un peu, je vais faire vite, promis ! Je prends une petite douche et je suis à toi !

    Puis elle s'éloigna sans se retourner pour ne pas voir le sourire de pur bonheur qui s'épanouissait sur ses lèvres par la seule grâce de ce « Je suis à toi ! »

    Si le jet bienfaisant la lavait de ses soucis, il n’oblitérait pas la présence de son soupirant ni ses pensées bouillonnantes. L’insonorisation de la salle de bain avait beau être au top, elle les entendait parfaitement

    « J’aimerais bien être sous la douche avec toi et que tu sois enfin à moi comme tu dis » Se disait-il très excité.

    Il mit très vite un frein à cette évocation car la seule idée de la jeune femme nue et ruisselante d’eau le mettait au supplice provoquant d’intempestives et gênantes réactions. Mary-Anne le savait, c’est pourquoi elle prit son temps afin de lui permettre de se ressaisir et de redevenir décent. Il ne pouvait deviner, le pauvre, qu’elle captait la moindre de ses pensées concupiscentes. Elle contrôlait de mieux en mieux ce don embarrassant, elle les occulta donc, se sécha, s’habilla et le rejoignit sur le canapé où, apparemment calmé, il patientait sans se douter de rien. Puis ils partirent, bras dessus bras dessous comme un vieux couple, tout en discutant joyeusement des cadeaux qu'ils allaient acheter et de cette noce qui s’annonçait magnifique. Heureuse pour ses amis, pour Surprise surtout, Mary redoutait la venue de sa mère à l’occasion de cet événement. Que lui dirait-elle?

    Elle aurait aimé leur donner une chance à toutes deux de régler leurs différends mais prétextant que son appartement était trop exigu et qu’elle aimait ses aises, Félie avait décidé de loger à l’hôtel. Elle en avait été absurdement rassurée. Le fossé entre elles était devenu gouffre. À Surprise qui s’étonnait de cette brouille inexplicable, elle avait menti en disant :

    - Comme toi, elle a trop cherché à me caser.

    - Avec le type mystérieux de tes vacances je suppose ?

    - Exactement !

    - Mais cela valait-il une telle fâcherie entre vous?

    - Oui ! Et ne me demande pas de t’en dire plus. En parler me stresse, tu comprends ?

    - Sûr ! Mais tu as Hubert maintenant !

    - C’est vrai !

    Ce mensonge là ajouté à tous les autres, elle n’en était plus à un près ! La seule vérité, c’était la rancune tenace qu’elle vouait à sa mère depuis l’été. Elle aussi s’était enferrée dans le mensonge par omission. Elle savait vers quoi, vers qui elle envoyait sa fille pourtant, elle n’en avait rien dit. Ce qu’elle attendait de Félie, ce n’était pas tant une vérité qu’elle connaissait pour l’avoir apprise lors du rite sur la falaise, mais l’aveu même de cette vérité de sa bouche. La nuance était de taille pour la jeune femme déçue par un silence maternel qu’elle ne s’expliquait toujours pas.

    Elle au moins, mentait par nécessité, pour se préserver du danger dans lequel la mettait sa répugnante et anormale nature. Cependant, cela lui pesait de plus en plus, alors pour se consoler, elle se disait qu’autour d’elle, tout n’était que mensonge. À commencer par le monde dans lequel elle s’était toujours sentie à sa place jusqu’à ce que la Roue lui en dévoile les noirs aspects. Il était loin d’être aussi idyllique que le Gouvernement des Sages s’évertuait à le faire croire. Quant à ses concitoyens, dont beaucoup de ses patients, elle n’avait plus envers eux la même indulgence.

    Elle ne savait que trop quelles sombres pensées les agitaient souvent.

    La duplicité des autres l’enfonçait chaque jour un peu plus dans la sienne propre et elle n’y voyait aucune échappatoire, il en allait de sa sécurité. Elle se mentait à elle-même en faisant semblant d’oublier. Elle faisait croire à ses amis qu’elle était comme eux et qu’elle avait retrouvé la joie de vivre. Elle faisait croire à ce chic type qui la couvait des yeux en rêvant d’amour partagé que c’était devenu possible…

    Il n’y avait qu’un seul être auquel elle n’avait jamais menti. Elle n’en avait pas le pouvoir. Il savait tout d’elle avant de la connaître en chair et en os. Là-bas, près de la « Pierre levée », il avait su la vérité avant qu’elle ne la lui ait dite. Avant qu’elle n’ait consenti à l’admettre enfin. Elle l’aimait et le haïssait avec une égale violence et il lui avait laissé le choix. Il l’avait laissée tout détruire, leur déchirant le cœur à tous deux. Il était trop tard pour revenir en arrière. Elle ne l’appellerait pas de même que lui tiendrait sa promesse de ne plus intervenir dans sa vie. Il l’abandonnait aux mensonges sur lesquels elle avait décidé de se reconstruire une existence dans un monde qu’elle ne reconnaissait plus vraiment comme le sien.

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  • Commentaires

    2
    Samedi 15 Octobre 2022 à 10:43

    Elle est sur une mauvaise pente, commencer par des mensonges ne mène pas loin. 

    Bon week-end. 

    1
    Vendredi 14 Octobre 2022 à 20:01

    Ah les goûts et les couleurs de même que les amours.... amitiés, JB

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