• Chapitre 38

    Juin 2059. Beverly Hills, Californie

     

    Dans sa superbe et vaste résidence privée sur l’ancienne colline des stars, Solomon Mitchell goûtait à un repos bien mérité. Il avait mené les choses plutôt rondement pour reprendre en main tout son petit monde. Du moins ce qu’il en restait après qu’il y ait mis bon ordre. En effet, ne demeuraient plus à son entier dévouement que ceux qui ne se prenaient plus pour des Sages. Gavés des plaisirs qu’il leur octroyait, accrochés à ce qu’ils croyaient encore être le pouvoir, ils passaient leur temps à braire comme des ânes pour obtenir de lui la carotte qui les faisait vivre. Il était las de ces bouffons mais il avait besoin d’eux pour quelques mois encore.

    Un an. Une toute petite année à regarder ces misérables vers de terre ramper à ses pieds pour obtenir ses faveurs, alors qu’en fait, ils le haïssaient et rêvaient de le supplanter à la Maison Blanche. Dans un an il atteindrait enfin le but qu’il s’était fixé depuis qu’il avait intégré les rangs des Sages. Bien avant même. Le Pouvoir absolu ! Voilà ce qu’il gagnerait au terme de cette si longue attente. C’était presque à sa portée maintenant ! D’ici là, il serait venu à bout du dernier obstacle qui se dressait encore entre lui et le trône sans partage qu’il briguait.

    Cet homme là pourtant, le subjuguait aussi fort qu’il l’emplissait de haine. Il lui ressemblait ! Son habileté à manipuler les foules n’avait d‘égale que la sienne. Il ne parvenait pas à croire que Blue Hawk ne désirait pas le pouvoir autant que lui. Il ne croyait pas un seul instant à ce désintéressement qui semblait faire sa force. Pas plus qu’il ne gobait que son ennemi était un incurable pacifiste ! Tout cela n’était que façade, poudre aux yeux des crédules qui l’écoutaient fascinés. Comme lui, celui que désormais tout le monde baptisait « le Rassembleur », n’était en fait qu’un manipulateur hors du commun.

    Il se devait d’abattre ce fanfaron avant qu’il ne lui vienne l’idée de venir revendiquer sa place à Washington. S’il ne pouvait le tuer, il le corromprait. Personne ne résistait très longtemps à l’appât du gain. Encore moins à celui du pouvoir suprême ! Et s’il réussissait à capturer sa catin – car il était convaincu que cette garce d’évadée était sa maîtresse – elle serait un argument de poids pour contraindre ce maudit gourou à se rendre à ses raisons.

    Solomon avait confiance. Ses troupes d’élite étaient prêtes. Ses futurs gouvernants téléguidés aussi. Tous ce beau monde fabriqué de toutes pièces, était bien caché, bien rangé à vrai dire !

    Dans leurs cuves amniotiques, nourris comme des fœtus dans le ventre de leur mère, ils attendaient d’être activés. Au cœur souterrain des immenses nurseries-laboratoires secrètes, profondément enfouies dans les sous-sols d’anciennes bases militaires désaffectées disséminées à travers le Monde, ronronnant doucement, les « matrices » fonctionnaient à merveille ! Dans moins d’un mois, sans bouger de son bunker, il réveillerait les androïdes des deux sexes, destinés à gouverner et les lancerait progressivement dans la vie politique. Ils étaient programmés pour ça. La pénurie de Sages allait bientôt se faire sentir. Les idées nouvelles seraient les bienvenues.

    La sagesse des prétendants aux sièges vacants, fabriquée de toutes pièces par Solomon, en ferait des phares pour l’opinion mondiale en pleine déroute. Une opinion certes très partagée mais tout de même assez fortement conditionnée par les évènements pour demander au gouvernement actuel, le renouvellement rapide de ses membres démissionnaires ou décédés.

    Ses limiers allaient retrouver la piste de la femelle de Blue Hawk. Le temps de la victoire finale était proche…

     

    11 juin 2059. Moscou.

     

    Dans le petit hôtel sans prétention de la grande banlieue moscovite qui les hébergeait, Hawk et son groupe d’intervention passaient inaperçus, touristes parmi les touristes. « On » ne savait pas encore qu’ils s’étaient mis en route !

    Pour l’instant, les Gops ne recherchaient toujours que Gertrud et Mary. Ils étaient partis de Krépotz’7, bien loin de la capitale, après quoi, sans comprendre comment c’était possible, ils avaient rapidement perdu la piste que leur indiquait le brouilleur-psy de la gardienne-chef. Hawk devinait aisément pourquoi, lui ! Ces hommes et ces femmes, si fins limiers qu’ils soient, ignoraient que l’évadée avait mis au monde deux petits surdoués ! Et pour cause, leur patron, l’infâme Solomon, ne détenait pas cette information capitale. Il venait bien de dépêcher une deuxième meute de chiens de chasse en Russie, certain que les Mutants allaient enfin remuer ciel et terre pour récupérer l’évadée mais Hawk et les siens avaient de l’avance ainsi que l’avantage de savoir où se diriger, eux !

    Cela leur laissait donc un peu de temps pour peaufiner les différentes phases de « L’Opération Sirène » dont le commando était au complet depuis l’arrivée d’Hubert le matin-même.

    À bord de la version moderne de l’Orient Express, ils avaient voyagé sans être inquiétés. Tout avait été prévu. Les gops qui effectuaient les contrôles à Paris-Euro gare, étaient des ralliés à la cause. Les papiers des Mus étaient de toute façon des faux parfaits. Afin de limiter encore un peu plus les risques, ils s’étaient répartis d’un bout à l’autre du train. Tous pouvoirs déployés ils pouvaient communiquer télépathiquement et surtout surveiller leurs arrières sans éveiller les soupçons de quiconque. Moscou n’était que la première étape de leur long périple. Il était heureux qu’elle ait été la plus facile car le pire les attendait. Alexeï pour sa part, avait comme prétexte tout trouvé, de se rendre chez ses parents pour leur confier Marie-Rêve jusqu’à la guérison de sa femme. Le véritable but était en fait de mettre la petite fille en sécurité, pour le cas où « l’Opération Sirène » tournerait mal.

    Hubert quant à lui, continuait à se déplacer sans soucis. En l’occurrence, pour cette fois, il était censé venir très officiellement en Russie pour superviser les travaux de la nouvelle gare de Vladivostok, terminus du Transsibérien qui, dès qu’il serait mu à l’énergie solaire, deviendrait le Transsibhélio. C’était prévu pour 2065.

    L’hôtel moscovite abritait donc vingt personnes déterminées à sortir Mary, ses enfants ainsi que leur protectrice des griffes de la Meute de Solomon et du piège de la taïga sibérienne. Après moult discussions, l’ensemble des participants venaient de prendre l’unanime décision de scinder l’expédition en trois groupes.

    Celui de Hawk serait composé de Fleur, Hubert, Alexeï, Jézabel, Loup, Brise, Nuage et le fameux Léo qui s’était mis en tête de séduire la belle veuve de Lazaro. Le nouveau rival de Jean-Hubert du Mercy- de Combarant. Et puis il y aurait Félie bien sûr, que nul n’avait pu convaincre de renoncer à ce pénible et périlleux voyage. Pas plus que Jézabel d’ailleurs, que sa grossesse fatiguait.

    Le deuxième, dirigé par Brave Hawk, le grand-père des jumeaux, ne serait composé que de Mutants. Il y aurait Jeronimo, Vent d’été, Deborah, des fidèles de la première heure. Mais aussi, parce que leur présence avait aux yeux de Blue Hawk comme aux leurs, valeur de symbole puissant, pour renforcer cette deuxième équipe il faudrait compter avec la fervente volonté de Salomeh, Génésio, Mériadec, Vlad, Genghis et Robinson, six compagnons de captivité du regretté Antonio, rescapés du camp de Lobos d’Australie grâce à la courageuse intervention de Mary-Anne.

    Bien que frustrée, Blue Moon, la mère de Hawk, avait laissé son mari s’en aller, non sans un pincement au cœur à l’idée des dangers qu’allait devoir affronter sa famille. Elle ne pouvait quitter son poste à la tête du centre hospitalier secret de Black Mesa où ses incomparables talents de médecine-woman étaient jugés indispensables.

    Le troisième groupe de six personnes attendait à Irkoutsk Composé de trois Élus et de trois Mutants originaires de Russie, il avait assuré sur place toute la logistique de la phase finale de l’Opération Sirène. Cette équipe de choc s’était chargée de trouver des véhicules tout terrain robuste et dotés de grands coffres, que leurs propriétaires et amis normaux avaient prêtés munis des cartes à puce qui en autorisaient officiellement la conduite. Soit, par précaution, six voitures au total dans la mesure où Hawk comptait bien ramener à la fois Mary, ses enfants et la gardienne de la Forteresse mais aussi tous les membres de l’expédition ! Il avait également fallu étudier plusieurs itinéraires possibles afin d’éviter un convoi qui ne pouvait qu’attirer l’attention. Prévoir les étapes communes n’était donc pas simple ! Les six s’occupaient également des vivres, du carburant ainsi que de tout l’équipement de survie. Un travail de titan dont ils s’étaient acquittés avec les honneurs !

    Ils étaient en outre les oreilles de Blue Hawk en Russie. Leurs dons de télépathes n’avaient pas été nécessaires pour apprendre ce qu’ils voulaient savoir. Les évènements qui avaient ébranlé Krépotz’7 étaient encore très frais quoique passablement déformé par la rumeur publique. Heureusement, ils étaient capables de démêler le vrai du faux grâce à ce qu’ils savaient déjà. Les langues se déliaient facilement dès qu’on évoquait l’impensable évasion d’un des QHI parmi les plus durs au monde.

    On parlait de l’étrange prisonnière à vie bien sûr, dont le secret avait finalement été éventé ! Mais c’est surtout de la honteuse complicité de Gertrud Baumann dont on glosait à n’en plus finir. Aux yeux de presque tous, c’était une garce qui avait trahi sa haute fonction si bien rémunérée de gardienne-chef d’une prison d’État. Non seulement elle avait organisé la seule évasion jamais répertoriée dans ce type d’établissement pourtant réputé inexpugnable, mais encore elle avait perpétré un horrible massacre pour parvenir à ses fins. Bon nombre de gardiens et de gardiennes avaient payé de leur vie le simple fait de s’être trouvés sur le chemin de la Baumann, disait-on. Or, c’était faux puisque seules Andréa Johnson et Wladislawa Koslowski avaient été tuées dans les rangs du personnel féminin.

    On disait aussi que Moïse Douala n’avait dû son salut qu’à son providentiel congé hebdomadaire. Ce que les gens ne disaient pas, vu qu’on le leur avait sciemment caché, c’est que parmi les victimes, il y avait aussi des prisonniers masculins. Rien n’avait filtré non plus, du lieu où avaient été retrouvés les cadavres, ni de la tenue débraillée, pour ne pas dire indécente, dans laquelle ils avaient trouvé la mort, fauchés par les impitoyables rafales du Neutro de l’allemande ! L’orgie de sexe et d’alcool à laquelle, hormis la directrice adjointe et Angelo Battistini, tout ce triste monde s’était manifestement adonné, devait rester le honteux secret de Krépotz’7 !

    Et bien sûr, pas plus qu’on ne parlait du viol de l’évadée, on ne pouvait évoquer sa grossesse. Ce secret là, comme les autres, était mort avec ses tortionnaires.

    Douala n’avait pas approché la prisonnière très spéciale de la cellule zéro d’assez près, pour avoir pu remarquer qu’elle était enceinte ! Taxé d’incompétence, il avait été promptement relevé de ses fonctions directoriales. En fait, il l’avait été dès qu’il avait eu lui-même avisé les Hautes autorités carcérales des évènements qui venaient de foutre en l’air l’ordre parfait de sa chère prison ! Depuis, piteux, apeuré même, il rongeait son frein dans sa jolie datcha de Iakoutsk en attendant desdites autorités la permission de regagner son Afrique natale. Si on la lui donnait jamais !

    Hawk savait que Solomon ne ferait pas de quartier en ce qui concernait Gertrud. Si ses chiens la retrouvaient, c’était la mort sans sommation pour elle. Elle avait trahi ! De plus, elle ne lui servait à rien ! Non, ce qui importait au Dragon noir, c’était la capture de Mary vivante. Et gare à ceux qui se mettraient entre sa Meute et la proie qu’il convoitait ! Le suicide d’Adam et de ses complices mutants l’avait rendu fou de rage. Ce cerveau délectable d’une hybride de Mu et de normale, il le lui fallait à tout prix ! Dieu merci, il ignorait encore que le matricule 1058.01, avait mis au monde deux bébés au cerveau encore plus intéressant que celui de leur mère. Pour combien de temps ?

    D’après ce qu’en savaient Hawk et ses amis, la Meute du Dragon ne sachant plus où chercher, avait décidé de recueillir des informations là où elle pensait pouvoir en trouver, à Iakoutsk. Les gops avaient reçu l’ordre d’interroger Moïse Douala de façon plus poussée puis de l’abattre. Ainsi doivent être punis les incapables.

    Un autre gardien qui avait réchappé à la tuerie pour la même raison que l’ancien directeur déchu, était lui aussi sur la sellette. Il s’était vanté d’avoir été l’un des amants attitrés d’Andréa Johnson laquelle d’après lui, savait des choses que même le directeur ignorait.

    Toute information était bonne à prendre. Si le jeune gardien avait su le sort qui l’attendait, sans aucun doute se serait-il tu !

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  • Commentaires

    2
    Jeudi 8 Décembre 2022 à 14:53

    La chasse est ouverte !

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    1
    Mercredi 7 Décembre 2022 à 19:36

    Mieux vaut se taire parfois.... amitiés, JB

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