• Le Chat

     

    J’ai beau être réapparu sous les traits d’un chaton chétif et famélique, je n’en ai pas moins conservé par delà cette huitième réincarnation, mes dons de clairvoyance. Ce que j’avais prédit s’est hélas réalisé.

    Elle a si longtemps tergiversé que la garce d’à côté a fini par se lasser de ses constants atermoiements. Elle a porté plainte. Les gendarmes sont venus constater. Ils ont vu, arrogant, immense, dressé au milieu du petit jardin, ses branches dépassant allègrement de chaque côté des deux haies mitoyennes, le sujet du litige. Le corps du délit. Ils ont vu et ayant pu vérifier la légitimité de la plainte, l’ont en bonne et due forme déclarée recevable pour la plus grande satisfaction de la plaignante .

    L’affaire a été portée devant la justice où l’accusée résignée a reconnu ses torts. Elle a donc été condamnée à les réparer sine die. En d’autres termes, elle s’est vue enjoindre de couper l’arbre incriminé sans délai.

    Elle a aussitôt fait appel à la mansuétude du juge et réclamé un sursis, arguant de ses difficultés financières encore aggravées par les frais de justice.

    - Bien que je cherche activement, je n’ai toujours pas trouvé de travail.

    A-t-elle plaidé, les larmes aux yeux sans avoir besoin de jouer la comédie cette fois ! Le danger imminent qui pesait sur la tête d’Arbre suffisait à la terroriser pour de bon.

    Elle a obtenu un mois pour s’exécuter. Un mois durant lequel elle s’est enfermée, tournant et retournant dans sa tête des solutions pour le sauver encore, toutes plus folles les unes que les autres, allant même jusqu’à évoquer l’idée de prendre les armes pour le défendre, de faire une grève de la faim ou en dernier recours, de s’enchaîner à lui pour empêcher sa destruction.

    Elle n’allait plus parler à son ami se fermant à lui à la fois pour ne pas se laisser fléchir par son chagrin et surtout pour qu’il ne devine aucune de ses pensées saugrenues. Elle était au désespoir et elle ne voulait pas qu’il sache !

    Comme au terme échu du délai si généreusement octroyé par le juge en accord avec son exécrable voisine, elle n’avait toujours rien fait, les gendarmes sont revenus la mettre en demeure d’obtempérer. Confrontés à son refus obstiné, ils ont fait appeler un entrepreneur, au frais de la coupable bien entendu !

    Il est venu. Avec une nacelle, armé d’une redoutable et lourde tronçonneuse. Par le haut, branche après branche et tranche après tranche de tronc, il a commencé à couper.

    À chaque branche amputée, à chaque tronçon scié, Arbre poussait une plainte déchirante, un hurlement d’infinie douleur que seuls elle et moi étions capables de percevoir.

    - Pars ! Suppliait-il entre deux vagues d’intolérable souffrance. Pars, je ne veux pas que tu me voies mourir.

    - Non ! Protestait-elle en étouffant de silencieux sanglots. Non ! Peut-être…

    - Non, le miracle n’aura pas lieu une seconde fois, va-t-en !

    Mais elle est restée. Et moi aussi, collé à ses jambes, solidaire malgré la terreur que faisait naître en moi l’horrible grincement de la tronçonneuse qui mordait la chair ligneuse de l’Arbre.

    Ses yeux étaient secs mais elle pleurait au-dedans.

    Elle a regardé jusqu’au bout, jusqu’à ce que le dernier morceau du corps martyrisé de son ami tombe sur le sol.

    Elle a regardé ce qu’on ne peut que qualifier d’exécution, en souffrant le martyre chaque fois que la scie vengeresse découpait une nouvelle partie de la chair à vif de l’Arbre. Elle avait aussi mal que si on avait tranché ses propres membres. Il lui semblait que c’était sa propre chair qu’on tailladait sauvagement. Tout en elle criait son refus mais ses lèvres demeurèrent closes tout le temps que dura l’effroyable supplice.

    La vie avec sa sève, s’écoulait irrémédiablement du corps mutilé de notre ami par les mille plaies ouvertes, les mille morsures que lui infligeaient les dents d’acier acérées du monstre mécanique.

    Quand ce fut fini, il ne restait plus de lui que quelques malheureux centimètres de tronc affleurant au-dessus du sol, et un énorme tas de bois mort.

    - À charge pour vous de vous en débarrasser ! Conclurent les forces de l’ordre, ou devrais-je dire du désordre, tandis que le bourreau à leur solde, sa basse besogne achevée, dûment payé, quittait la demeure.

     

    La voix d’Arbre s’est tue.

    À l’instant où le dernier tronçon tranché échouait à son tour sur le gazon saccagé jonché de ses autres restes, dans un ultime sursaut de vie il a crié :

    « NON ! »

    Un non de refus absolu.

    Parfois ce dernier cri me parvient encore en écho. Il résonne lugubrement dans mon cœur et dans mon crâne m’empêchant de dormir…

     

    Les jours qui ont suivi, sous les yeux éberlués de la mégère flanquée de son affreux clébard, Elle a ramassé chaque branche, chaque brindille, chaque feuille, chaque morceau du corps de son ami. Tendrement, avec minutie, elle a tout récupéré, tout entassé au fond du jardin, au pied du mur rose sale. Ensuite, armée d’une pioche et d’une bêche, elle a creusé. D’abord autour du petit bout de tronc qui dépassait puis dans toute la surface du jardin, jusqu’à ce que tous les restes d’Arbre soient enterrés. Cela lui a pris plusieurs jours. À la fin ses mains étaient écorchées à force de manier les outils. C’est pourquoi des fleurs de larmes et de sang se sont mêlées à la terre qui recouvre les multiples dépouilles du cher disparu.

    Un tel comportement ne pouvait que lui nuire.

    Ce fut pire quand elle commença à demeurer de plus en plus tard dehors. Assise dans le jardin désert, sur le même banc qui trônait auparavant sous l’ombrage généreux d’Arbre en été, elle monologuait. Des heures entières. Des jours entiers. Se rappelant à haute voix chaque moment passé en sa compagnie, les bons et les mauvais. Du jour merveilleux où elle l’avait choisi et planté à celui maudit entre tous où on l’avait tué. Où elle l’avait tué !

    Elle se sentait coupable de sa mort, se reprochant amèrement de n’avoir pas su le défendre.

    - C’est ma faute ! Ma faute !

    Et elle arrosait sans fin de ses larmes de remords, la terre du petit jardin qui était devenu le cimetière d’Arbre.

    Certes j’étais petit mais en moi vivaient toujours à la fois Chat, le vieux matou borgne et le Sage d’autrefois plus vieux encore. Je n’avais perdu aucune de mes facultés dont celle de voir l’avenir n’est pas la moindre. Je voyais et ce que je voyais m’emplissait d’une crainte sans nom…Et d’autre chose que j’étais encore incapable de définir.

    Fort de ces presciences teintées d’incertitude, je l’ai maintes fois mise en garde. Je comprenais ses états d’âme, son chagrin, je les partageais même. Moi aussi j’avais le sentiment aigu d’avoir perdu le meilleur des amis mais il fallait que je parvienne à la convaincre que lui mort, j’étais désormais le seul être capable de comprendre son comportement bizarre.

    Il fallait qu’elle sache que c’est ainsi qu’on la cataloguait : bizarre, étrange, un peu dérangée…Surtout sa voisine qui, épiant tous ses faits et gestes, le moindre de ses actes un tant soit peu anormal, ne pouvait manquer de parvenir à cette conclusion :

    - Cette pauvre femme devient complètement barje, déglinguée, dingue, frappadingue. Et j’en passe ! Folle quoi ! Elle a toujours été un peu drôlette mais depuis le départ de son mari et surtout depuis qu’on lui a coupé son arbre, c’est bien pis !

    La limite fut dépassée quand, en ouvrant ses volets un frais matin d’automne, ladite voisine découvrit ma maîtresse couchée à même le sol au milieu du jardin, seulement enveloppée d’une mince couverture. Là, c’en était vraiment trop !

    Séance tenante, elle rappela les gendarmes ne sachant à qui d’autre s’adresser. Ils n’eurent aucun mal à entrer, la porte n’étant jamais fermée à clé. Ils parvinrent à raisonner la  pauvre malade, comme l’appelait sa voisine. Mais les jours suivants elle récidiva, à une différence près, elle verrouilla sa porte. On appela à la rescousse le maire, une assistante sociale, le psy qui l’avait suivie et enfin, l’ex mari. Elle n’ouvrit à aucun, ne répondit pas quand ils tentèrent de la joindre par téléphone.

    Alors arriva ce qui fatalement devait arriver. Ils forcèrent sa porte. Pour son bien arguèrent-ils.

    Ce matin, ils sont venus. Deux infirmiers, deux gendarmes, le psy et l’ex. Un véritable commando ! Pour l’emmener en un lieu où elle serait bien soignée, ont-ils promis la bouche en cœur. Elle sait ce qu’ils pensent tous. Elle a compris que c’est l’asile qui l’attend même si l’on n’appelle plus ces lieux ainsi !

    Elle hurlait en se débattant tandis qu’ils joignaient leurs forces pour l’entraîner.

    - Je ne suis pas folle ! Laissez-moi ! Je ne suis pas folle !

    Et moi je miaulais à fendre l’âme, impuissant à empêcher le désastre.

    Lui, le monstre d’égoïsme, s’est aperçu de ma misérable existence. Il a voulu me prendre pour m’emmener chez lui, loin d’ici. Je l’ai griffé sauvagement, laissant sur son visage haïssable une longue trace sanglante. J’ai planté mes dents minuscules mais pointues dans la main hypocrite qui tentait de me caresser.

    «  Sale traître ! » Pensais-je.

    - Sale bête ! A-t-il braillé en me jetant loin de lui.

    J’ai filé en feulant, le poil hérissé de rage. J’ai trouvé refuge chez la voisine. Pas le cafard qui nous a causé tant de torts. Non, l’autre, la gentille, celle qui a choisi de rester neutre dans le conflit. Discrètement elle m’a ouvert sa porte puis l’a refermée. Elle ne voulait pas voir ce qui se passait. Elle ne se mêle jamais des affaires d’autrui. Ni elle ni sa famille.

    Quant à la sorcière, elle ne se privait pas du spectacle. Au contraire, elle n’en perdait pas une miette. Elle s’en gavait, s’en repaissait tel un vautour d’un cadavre, s’en léchait les babines avec délectation. Affichant une mine de circonstance, attristée juste ce qu’il faut, cachant parfaitement sous cette bienséante commisération une satisfaction intense et une féroce jubilation, elle commenta :

    - Je l’avais bien dit qu’elle était bonne pour l’asile. Elle devenait de plus en plus dingue la pauvre ! Si je n’avais pas été là, elle aurait fini par mourir de froid à force de coucher dehors. Elle sera mieux là-bas. À l’abri, bien soignée. Ce n’est plus comme avant les asiles. C’est plutôt des maisons de repos. Il n’y a plus d’électrochocs, de douches froides et tout ça !

    Ah ! Elle pouvait être fière d’elle la commère, elle avait fait sa B-A et ça lui donnait bonne conscience ! À l’entendre on aurait pu croire que ma maîtresse allait séjourner, juste pour son plaisir, dans un hôtel quatre étoiles, et tout ça grâce à elle !

     

    Elle est partie.

    Je n’ai rien pu faire pour empêcher ça. Je ne suis qu’un petit chat ! Malgré la sagesse dont je me suis toujours vanté, je suis incapable de me dresser contre l’injustice, la méchanceté et la bêtise des Hommes. Pour lutter contre eux, je n’ai que mes griffes et mes dents puisque mon esprit leur demeure hermétique. Quant à mon langage, s’il n’est pas inaudible, il s’en faut de beaucoup, il leur est totalement incompréhensible.

    Elle est partie.

    Je me retrouve seul. Les braves gens qui m’ont recueilli ont beau m’entourer d’affection, ils ne peuvent, remplacer les deux êtres qui m’étaient les plus chers.

    C’est la fin du monde pour moi. Ce pourrait être la fin de cette histoire. Il n’en est rien !

    Mes visions ne m’ont encore jamais trompé.

    Il est des frémissements dans l’atmosphère, des murmures dans le vent, des silences soudains dans le chant des oiseaux, des vibrations dans le sol…Un je ne sais quoi d’indéfinissable qui flotte dans l’air, comme le souvenir d’un parfum oublié. Tout un fourmillement d’indices annonciateurs d’évènements proches, très proches. Trop ! 

    Moi aussi, comme Elle l’a fait dans les pires moments d’adversité, j’ai appris à donner le change. Je mange ma pâtée quotidienne. J’accepte les caresses de mes nouveaux maîtres en ronronnant béatement. Je dors roulé en boule dans le panier douillet qu’ils ont aménagé pour moi. Je musarde le nez au vent, humant l’air pour y déceler le danger ou l’odeur appétissante d’une possible proie…Mais le plus souvent, j’escalade la haie pour me rendre à côté, dans le jardin abandonné envahi de mauvaises herbes ou Arbre dort du sommeil éternel. J’y passe de longues heures, immobile, assis près du petit bout de tronc qui est tout ce qui subsiste de ce qui fut mon ami.

    J’attends…

     


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  • Chat est de retour…

    Sous la misérable apparence d’un chaton perdu et grelottant qui lui ressemble étonnamment, j’ai reconnu l’esprit à la fois malicieux et sagace de mon vieil ami.

    Elle l’a ramassé dans la rue au cours d’une de ces longues promenades en solitaire et sans but qu’elle fait désormais régulièrement pour étourdir son chagrin, pour trouver l’apaisement et se fatiguer afin de dormir sans avoir recours aux médicaments. Elle l’a ramené à la maison, tremblant, maigre à faire peur, sale et malodorant, sans réfléchir, pour remplacer celui qui nous a quittés. Elle ne l’a pas reconnu mais c’est bien lui. Moi je n’en ai pas douté un seul instant en dépit de ses miaulements plaintifs et de son aspect peu ragoûtant.

    Si le langage félin qu’il en est réduit à adopter pendant quelque temps n’est encore que le balbutiement d’un bébé chat, son esprit lui, est le même, vif et acéré tel que je l’ai connu et apprécié avant sa septième mort. Quand elle est venue me le présenter, d’un clignement de ses yeux verts et larmoyants, d’un frémissement de ses moustaches, il a confirmé mon intuition.

    - C’est moi ! A-t-il dit, me parlant directement d’esprit de chat à esprit d’arbre.

    - Je sais ! Ai-je répondu de la même manière, sous le regard étonné et ravi de notre commune amie.

    - Mais…Comment…A-t-elle balbutié, se mêlant à notre mental échange.

    - Je ne pouvais raisonnablement me résoudre à vous abandonner, surtout dans ces circonstances ! A-t-il conclu avant de s’endormir du sommeil du juste, pelotonné sur ses genoux, heureux d’être de retour chez lui pour commencer cette huitième existence avec nous bien que ce ne soit pas sous les meilleurs auspices.

    Elle est restée près de moi très longtemps, jusqu’à la nuit tombante avec notre jeune ami retrouvé endormi contre son cœur malgré le froid piquant de ce milieu d’hiver. Elle, Chat et moi, notre trio peu banal enfin reconstitué, unis, coudes serrés si je puis dire, prêts à affronter ensemble le destin qui nous est réservé.

    Depuis le divorce, elle joue un jeu dont nous ne sommes que trois à connaître les règles douteuses. La tricherie en constitue la principale. Elle s’acharne à faire bonne figure, répondant par des sourires qui ont l’air convaincants, aux regards teintés de pitié condescendante du voisinage. Tous ces gens bien pensants qui lui témoignent à retardement une fausse compassion, masquant le plus souvent une maligne et vraie curiosité, sont en réalité une bande d’hypocrites qui se disent qu’elle a bien cherché ce qui lui arrive après tout !

    Elle a rouvert sa porte aux inévitables commères ainsi qu’à son acariâtre voisine avec laquelle elle a signé une trêve. Pour gagner du temps elle a promis juré de régler le litige qui les oppose : moi.

    - Soyez patiente ! C’est dur pour moi en ce moment. Vous savez, c’est mon mari…mon ex mari qui s’occupait de tout…Je…Je…A-t-elle bégayé des sanglots dans la voix, faisant vibrer la corde sensible et charitable de la virago.

    - Bien sûr ! Je comprends. Il vous faut du temps pour vous retourner…Ma pauvre ! Ça ne doit pas être facile pour vous tous les jours, hein ? Bon ! On n’est pas des sauvages tout de même ! On doit pouvoir s’arranger pas vrai ? Quand pensez-vous…

    - Dès que j’aurai trouvé du travail, je ferai ce qu’il faut. Je cherche, j’ai bon espoir.

    - Dans quoi cherchez-vous ? Si je peux vous aider…

    - Le secrétariat…La couture…N’importe quoi en fait. Dans ma situation et sans aucune réelle formation, je ne peux me permettre de faire la difficile.

    - Tu le ferais ? Lui ai-je demandé non sans inquiétude.

    - Quoi ?

    - Ne fais pas l’innocente. C’est sérieux ! Finiras-tu par me faire couper ?

    - Jamais ! Si c’est en mon pouvoir, jamais ! Que deviendrais-je sans toi ? Avec Chaton tu es ma seule famille. Mais je dois gagner du temps, tu le sais bien !

    Du temps ! Mais combien de temps ? J’ai le sentiment pressant qu’en dépit de sa farouche volonté de me sauver la vie, mes jours sont comptés. Pourra-t-elle encore longtemps mentir pour me préserver et retenir de ses deux mains le Destin en marche ?


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  • Chat est mort.

    Il s’est éteint à mes pieds. De vieillesse. De maladie. De lassitude. Ou plus simplement parce que son heure était venue. Parce que sa septième vie, longue et bien remplie, devait s’achever à l’instant précis qu’avait prescrit le destin.

    Chat savait qu’il allait partir dans l’autre monde, dans ce lieu impalpable où il se verrait attribuer une nouvelle vie dont il ignorerait jusqu’à sa renaissance la finalité.

    Le seul ami que j’avais, le seul être à sang rouge qui ait témoigné une chaude affection et une fidélité sans faille à mon aimée, celui-là même que j’ai si souvent refusé d’écouter, nous a abandonnés tous deux à notre sort incertain.

    Où va-t-il revenir ? Et quand ? Qui saura lui donner ce qu’il a reçu dans cette vie ? Qui, mieux que je ne l’ai fait, saura lui prêter une oreille attentive et ne railler ni sa sagesse ni ses conseils avisés ?

    À mes pieds, là où elle l’a trouvé endormi, Elle a enterré sa dépouille mortelle. Comme moi, elle sait que son âme vagabonde erre à présent dans les limbes en attendant un corps digne de lui.

    Chat, tu me manques déjà !

    Le danger rôde et nous cerne. Un danger qu’il avait prédit et que j’ai trop longtemps nié, rejeté loin de moi, balayé comme une poussière importune. Un péril que j’ai traité de fadaise née d’un esprit pessimiste.

    - Tu vois tout en noir. Tu deviens gâteux Chat ! Me moquais-je.

    - Tu verras ! Et quand tu verras ce sera déjà trop tard. Répondait-il trop effrayé par ses visions pour prendre ombrage de mes moqueries.

    Il savait.

    Peut-être en fait est-ce lui qui a choisi le moment du départ afin de n’être plus là quand arriverait ce qui devait arriver ?

    Il savait et las de tant d’iniquités, il désirait fermer enfin cet œil unique qui en avait déjà trop vu.

    Il ne voulait plus voir.

    Quelque part, en un autre lieu loin d’ici, il y a une autre femme. Pas plus jeune ni plus belle, non ! Elle possède seulement ce qui manque cruellement à ma tendre amie, l’ineffable don d’enfanter.

    Il s’est longtemps et fermement refusé le droit de céder à ce doux enchantement. Il n’a tout d’abord fait qu’accepter de l’autre, la consolatrice amitié qu’elle lui offrait. Une amitié vraie, sans ambiguïté, croyait-il, en laquelle il ne voyait aucun mal, aucune trahison.

    Elle était gaie, volubile, simple, sans affectation, sincère et libre de toute attache. Et surtout, saine de corps autant que d’esprit. Avec elle il pouvait flirter, bavarder de tout et de rien, s’adonner en riant à un marivaudage si léger qu’il effleurait ses sens sans altérer sa bonne conscience. Avec elle il redevenait un homme à part entière.

    Fine mouche et très psychologue, elle devinait de ses problèmes plus qu’il n’osait lui en dire. En parlant beaucoup d’elle, de ses espoirs, de son rêve de trouver un jour l’homme idéal qui lui ferait les tas d’enfants qu’elle désirait, elle l’amena petit à petit à lui confier ce qu’elle avait pressenti de ses déboires conjugaux.

    Au lourd chagrin qui suivit ces aveux douloureux, elle sut en véritable amie lui prêter une épaule compatissante, des bras consolateurs, des lèvres qui, de la joue pour une bise amicale, glissèrent sur sa bouche comme par mégarde pour un baiser dont il ne put bientôt plus ignorer l’appel sensuel. Un geste en entraînant un autre, il se retrouva au lit avec la belle intrigante et but avec délice le philtre d’amour jusqu’à la lie. Il en savoura chaque goutte. Ce divin nectar lui plut tellement qu’il en redemanda encore et encore. Elle le laissa boire tant qu’il voulait, sachant pertinemment qu’il est des soifs qu’on ne peut étancher.

    Ce qui n’était au départ qu’une liaison pour l’hygiène, devint folle passion lorsqu’elle lui apprit la nouvelle qui devait combler tous ses espoirs : elle était enceinte.

    - J’ai arrêté la pilule ! Je voulais un enfant de toi et quoi que tu décides, je serai heureuse ! Ce petit qui grandit dans mon ventre, ce sera un peu de toi et cela suffira à faire mon bonheur, même si tu restes avec ta femme !

    Lui dit-elle sans détours en lui annonçant sa grossesse. Mais en même temps, elle lisait avec une immense satisfaction sur le visage de son amant les signes évidents de sa victoire sur cette rivale inconnue.

    Il allait avoir un enfant, enfin !

     

    C’est hélas vrai, l’autre est enceinte ! Pour lui, tout le reste est devenu insignifiant. Sa femme, son mariage, sa maison…Même son métier ne présente plus le moindre attrait à ses yeux. Il n’a plus besoin de fuir, il a trouvé son port d’attache. Pour elle, il est prêt à sacrifier sa liberté. Pour elle et pour l’enfant à venir, son enfant, il a accepté de changer radicalement de vie. Sans rien en dire à son épouse légitime, il a déjà trouvé un emploi sédentaire tout à fait convenable près de sa maîtresse. Pour elle, parce qu’elle lui donne ce qu’il a toujours désiré le plus, il est prêt à toutes les concessions, ce dont il n’a jamais été capable avec sa femme.

    Il n’éprouve aucun remords envers celle qu’il délaisse. Juste de la pitié pour le mal qu’il lui fait. Froidement, très vite avant de manquer de courage, il lui a dit :

    - Je te quitte. Je ne renie rien de ce qu’on a vécu ensemble. J’ai été très heureux avec toi. Ce n’est plus vrai depuis un bon bout de temps hélas ! Il y a quelqu’un d’autre dans ma vie. Je l’aime, elle attend un enfant de moi. Je pars vivre avec elle. Le divorce sera à mes torts bien entendu. Je te laisse tout à condition que tu acceptes d’en finir sans faire d’histoires. Tout est à toi ! La maison, les meubles, la voiture, la caravane, le chat…Et l’arbre ! N’a-t-il pu s’empêcher d’ajouter, laissant enfin filtrer l’inexplicable jalousie qu’il ressentait à mon égard. Mais je serais toi, je le ferais couper avant d’avoir des ennuis avec les voisins, a-t-il conseillé, décochant ainsi sa flèche du Parthe avant d’aller boucler ses valises.

    Clouée sur place, vaincue sans combattre, anéantie, elle l’a regardé quitter la maison sans autre forme de procès. Une voiture l’attendait dehors. Une belle voiture avec une jolie femme au volant. Elle n’a rien tenté pour le retenir, sachant à l’évidence qu’elle n’avait rien à opposer à sa rivale. Rien qui vaille la peine comparé à cet enfant qui poussait dans la matrice de l’autre. Les yeux secs, le cœur sec, le ventre sec, face à cette porte définitivement refermée sur son amour défunt, elle a juste dit en éclatant d’un rire amer comme la ciguë pour ne pas pleurer :

    - Dieu merci, je vais enfin pouvoir mettre fin à ces séances de confessions psychanalytiques aussi coûteuses qu’inutiles ! 

    Puis, tel un automate bien réglé, elle est montée dans la chambre vide où désormais plus personne ne viendrait la rejoindre. Elle s’est allongée sur le lit devenu soudain trop grand et elle a fermé les yeux, bien décidée à ne plus jamais les rouvrir.

    J’ai eu beau l’appeler, elle n’a pas voulu m’entendre.

    À sa place et pour elle, j’ai pleuré comme pleurent les arbres, sans bruit. Oui, j’ai pleuré pour elle, car elle n’en était plus capable, ayant épuisé toutes ses larmes.

    Pendant des jours et des jours, une suite interminable de jours dont je n’ai su faire le compte, elle est demeurée prostrée, muette, comme frappée de stupeur. Oubliant ma présence, sourde à mes cris d’amour, elle a continué d’accomplir les gestes du quotidien, par habitude. Elle s’est levée chaque matin, s’est lavée, coiffée, habillée sans se voir dans le miroir. Elle s’est nourrie pour survivre, a dormi assommée de somnifères. Elle est sortie pour faire quelques courses de première nécessité. Elle marchait sans rien voir des regards apitoyés qu’elle suscitait.

    Pendant des jours et des jours, elle a vécu comme un zombie sans verser une larme. Jusqu’à ce que le divorce soit prononcé. Alors seulement, elle s’est effondrée, laissant enfin jaillir le chagrin qu’elle jugulait bravement depuis le départ de l’infidèle.

    Ce jour-là, j’ai bien cru qu’elle allait commettre l’irréparable et j’ai hurlé de toutes mes forces pour l’en empêcher.

    Elle m’a entendu. Comme un courageux petit soldat, elle est repartie à l’assaut malgré ses blessures à vif. Doucement elle a remonté la pente et si elle n’a pas vraiment repris goût à la vie, du moins a-t-elle fait semblant, pour moi.

    La première chose qu’elle a accomplie lorsqu’elle a émergé de son deuil d’amour, a été de trouver acquéreur pour la grosse voiture et pour la caravane devenues des symboles d’un bonheur révolu. À la place, elle a acheté un véhicule plus petit.

    - Afin de ne pas me couper totalement du monde. M’a-t-elle dit un soir, à l’abri des regards indiscrets, alors que pour ma plus grande joie, nous avions retrouvé la complicité de nos miraculeuses conversations.

    - Pfffftttt ! Pour ce qu’il t’a apporté le monde jusqu’à maintenant ! Ai-je marmonné. As-tu vraiment besoin d’une de ces saletés puantes ?

    - Il faut bien que je mange, je n’ai pas de racines moi ! Tu sais, je ne m’en servirai qu’en cas d’extrême nécessité ! Sinon, où veux-tu que j’aille désormais. Les vacances en solitaire, ça ne me dit rien, surtout que je ne peux t’emmener avec moi mon cher Arbre !

    - Si tu partais ma douce amie, je crois bien que je trouverais le moyen de te suivre où que tu ailles malgré mes racines !

    - J’ai bien failli t’abandonner tout de bon hein ? M’a-t-elle avoué en soupirant.

    - Je ne t’aurais jamais laissée le faire.

    - Tu me pardonnes alors ?

    - Comment ne pas te pardonner, tu es tout pour moi.

    - Et toi, tout pour moi, a-t-elle répondu faisant naître en moi un fol espoir.

    Puis elle a ajouté comme pour tempérer cet aveu extraordinaire :

    - Depuis que Chat est mort, n’es-tu pas tout ce qu’il me reste ?


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  • L’Arbre

     

    Elle m’est revenue… Je ne sais si je dois m’en réjouir. Elle est si triste, si désemparée que son chagrin me transperce jusqu’à l’âme. Assombri par sa peine, je ne trouve plus les mots pour la consoler. Je ne sais plus comment l’atteindre.

    J’ai peur, si peur pour elle ! Des mots, il y en a plein dans l’air. Ils flottent entre eux, cruels, dangereux : divorce, folie, suicide…

    Plus que jamais, elle est seule, abandonnée de tous. Une fois encore, le bonheur l’a fuie et le sourire a quitté son visage. Elle est lasse à mourir et cherche auprès de moi le réconfort que ses semblables lui refusent. Un réconfort que je suis pour le moment hélas, incapable de lui apporter.

    Je suis impuissant ! Son désespoir est si noir et profond qu’il obscurcit mon jugement, altérant mes facultés encore malhabiles de communication avec elle. Elle est elle-même trop affaiblie, trop envahie de sombres pensées pour capter au mieux les messages de tendresse que je lui envoie. Ce lien, ténu encore, que nous étions parvenus à tisser entre nous n’en est que plus fragilisé. Pourtant je dois agir. Elle n’a plus que moi pour l’empêcher de sombrer dans un insondable abîme de désespoir et de folie. Moi et Chat aussi, j’en conviens mais il me semble malade et trop vieux pour m’être d’un grand secours.

    L’homme est le plus souvent absent. Pour échapper à ses propres tourments il se réfugie plus que jamais dans le travail.

    Il fuit.

    Ce n’est pas par lâcheté pense-t-il mais pour le salut de sa santé mentale. Près d’elle il sent sa raison vaciller. Sans cesse la rage menace de l’étouffer. L’atmosphère délétère de la maison devient irrespirable. Ils n’ont plus rien à se dire et leurs rares échanges tournent vite à l’orage. Alors ils préfèrent se murer dans un silence qui devient si opaque, si oppressant que chaque minute passée dans cette morbide ambiance ressemble à la mort. Voilà pourquoi il part chaque jour plus longtemps, recherchant ailleurs, en compagnie d’autres gens, la vie, le mouvement, le bruit, la joie, la normalité qu’il ne trouve plus chez lui. Il envisage de plus en plus sérieusement de la quitter pour de bon mais il n’ose franchir ce pas décisif. Pas encore. Pas tant qu’elle est dans ce lamentable état de décrépitude tant physique que psychique. Il ne voudrait pas passer pour un salaud et de plus, il se sentirait coupable de non assistance à personne en danger s’il l’abandonnait maintenant.

    Obéissante et passive, une fois par mois elle se rend chez le psy qu’il a choisi pour elle. Elle s’allonge sur le divan et parle. Face à cet inconnu muet, presque indifférent qui prend des notes l’air faussement absent, elle parle. Au compte-gouttes elle livre le contenu de son âme, peu convaincue cependant du bien fondé de la thérapie à laquelle son époux l’a contrainte à se soumettre par chantage.

    Elle parle de ce qui lui fait mal, de ce qui gâche sa vie de femme, sa vie tout court : l’impossibilité d’avoir un enfant, la solitude, le manque de communication, le terrible sentiment d’abandon, l’impression d’être inutile, la peur horrible de la folie…

    Elle lui dit tout ! Du moins le croit-il car en dépit de son habileté de fossoyeur de l’esprit, il ne se rend pas compte qu’elle lui tait l’essentiel, lui cachant farouchement tout ce qui lui donnerait à croire qu’elle est réellement la folle en puissance qu’on l’accuse à tort d’être.

    Elle ne dit rien de notre commun secret. Rien de l’invraisemblable amitié qui la lie à un arbre et à un vieux chat borgne. Rien de nos longues et apaisantes conversations silencieuses. Rien de la fabuleuse métamorphose spirituelle qu’elle a subie dans la montagne. Elle redoute que dans le légitime acharnement qu’il met à exhumer des tréfonds de son âme, les pourritures qui sont censées la ronger, le praticien ne finisse par y découvrir l’inconcevable vérité si bien enfouie.

    L’inacceptable vérité !

    S’il parvenait à en atteindre le noyau, à en toucher ne serait-ce que du bout du doigt la plus infime parcelle, il signerait aussitôt, les yeux fermés, l’internement de sa cliente. Heureusement, malgré sa vulnérabilité quelque chose en elle de dur et d’inexpugnable résiste et le tient éloigné de ce bouillonnant magma de vérité dangereuse.

    Jusqu’à quand ?


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  • Les commères

    Bla bla bla, bla bla bla !

    Les voici, les voilà !

    Sur le pas de leur porte

    Elles lancent des mots

    Et le vent les emporte

    Comme des feuilles mortes.

    Que de gentils ragots,

    Que de mielleux poisons

    Distillent les commères.

    Que de soupes amères

    Cuisent en leurs maisons

    Quelles touillent en chœur,

    Qu’elles mangent en sœurs

    Bavassant, l’air gourmand.

    Quand grondent les orages

    Chargés de commérages,

    N’écoute pas le vent

    Qui enfle la rumeur !

    Barricade ton cœur

    Puis ferme tes volets

    Et d’un coup de balai,

    Chasse donc les sorcières,

    Les commères !

     

    A-M Lejeune

     

    Les commères.

     

    Elle ne nous invite plus. On a bien essayé d’aller frapper chez elle pour avoir des nouvelles mais chaque fois, elle se dit trop fatiguée ou trop occupée pour nous recevoir. Tu parles !

    Heureusement, on a sa voisine pour nous tenir informées. Auparavant, elle ne nous causait pas, vexée de ne pas faire partie du clan de son ennemie. Maintenant, tout est changé. C’est chez elle qu’on va prendre le petit café quotidien avant de partir ensemble chercher les enfants à l’école. Elle ne se prive pas de nous raconter tout ce qu’elle sait et qu’on meurt d’envie d’apprendre.

    On lui a bien dit que nous non plus, on ne l’aime pas plus que ça la donzelle d’à côté. Si on acceptait ses invitations, c’était par pure charité chrétienne.

    Pour être honnête, ce qui nous manque le plus aujourd’hui ce sont ses petits fours. Elle n’avait pas son pareil pour en confectionner de vraiment délicieux ! Faut dire qu’elle avait tout son temps pour ça. Nous, avec les enfants, on n’a pas que ça à faire ! Enfin ! On ne va pas se plaindre d’en avoir, pas vrai ? Ils sont si mignons nos petits chérubins !

    Ceux de notre nouvelle amie - les petits fours s’entend - ne sont pas aussi bons mais sa conversation est bien plus intéressante. C’est grâce à elle qu’on a su que finalement, l’opération n’avait pas réussi et que cette fois, c’était certain, sa voisine n’aurait jamais d’enfant. Il paraît - et ce n’était pas la première fois - qu’elle a essayé de convaincre son bonhomme d’en adopter un et qu’il n’a rien voulu savoir. Ils se sont disputés jusqu’à une heure du matin. Le mari de notre amie était de nuit cette fois-là. Elle était donc toute seule avec son gamin quand la bagarre les a réveillés. Le gosse a eu peur. Ça criait là-dedans, ça n’arrêtait pas ! Ils faisaient un tel boucan qu’elle a fini par se lever et qu’elle est allée cogner du poing à leur porte pour les faire taire. Ils n’ont pas eu l’air de l’entendre car ils ont continué à gueuler comme des putois ! Même que la femme est devenue tellement hystérique que le type l’a frappée pour la calmer. Du pas de la porte, elle entendait les claques pleuvoir. Et des injures en veux-tu en voilà ! Elle a bien cru entendre le mot « divorce » plusieurs fois et c’est le mari qui l’a prononcé. Mais pour ça, elle n’est pas vraiment sûre et elle préfère qu’on ne le crie pas sur tous les toits !

    Malheureusement, il n’y a pas qu’elle qui a entendu la bagarre ! Faut dire qu’ils n’étaient pas très discrets non plus ! Alors dans le quartier, on ne parle que de ça ! Ce n’est pas de la méchanceté comme on pourrait le croire. Ni de la curiosité malsaine ! C’est juste de l’intérêt pour des gens qui après tout, nous avaient toujours bien reçues jusque là ! Et puis c’est vrai qu’ils forment un drôle de couple ces deux là ! Lui toujours par monts et par vaux, elle tout le temps enfermée chez elle avec son chat pour seule compagnie. Et son arbre, d’après notre charmante hôtesse !

    Elle ne sort presque plus, à part pour faire des courses au super marché du coin. Elle ne veut plus voir personne. Par tous les temps, elle reste assise dans son jardin, sous le fameux arbre, avec le matou à ses pieds ou sur ses genoux et elle leur parle. Oui, elle leur parle ! C’est dingue non ?

    Nous, on a toujours pensé qu’elle avait un petit grain. C’est pour ça qu’on ne voulait pas la laisser tomber. Par bonté d’âme comme on l’a déjà expliqué et aussi pour essayer de la convertir parce que c’est notre devoir de bonnes chrétiennes comme nous l’a dit monsieur le curé. Car non seulement elle est un brin toquée mais en plus, c’est une mécréante. On ne l’a jamais vue à la messe même pour un mariage ou un enterrement ! Bon, d’accord, elle n’est pas d’ici et elle ne connaît personne en ville à part nous. Et puis il paraît qu’elle n’a pas d’autre famille que son mari ! Plus de parents, ni frère ni sœur mais tout de même ! En plus, chez elle il n’y a pas le moindre crucifix ou la plus petite image pieuse ! Et ça, ce n’est pas des ragots ! C’est elle-même qui nous l’a avoué quand elle daignait encore nous ouvrir sa porte, il n’y a pas si longtemps de ça !

    - Je ne crois pas à toutes ces bondieuseries mesdames mais je respecte les croyances et les opinions de chacun et j’admire votre prosélytisme désintéressé. 

    Voilà ce qu’elle disait !

    Comment osait-elle traiter notre foi de bondieuserie et nous accuser de prosélytisme ? Elle abuse non ? Prosélytisme ? C’est quoi ce truc d’abord ? Ça sonne un peu juif on dirait bien ! Ça ne va pas la tête ! On est de ferventes catholiques nous ! Pas des… prosélytes ou Dieu sait quoi d’autre !

    On s’en est expliquées avec le prêtre de notre paroisse qui nous a assurées que ce mot bizarre n’est pas une injure, bien au contraire. Il nous a même incitées à persévérer dans cette belle œuvre qu’il a dit. Il en a de bonnes lui ! Il n’a qu’à y venir et il verra ! Nous, on a renoncé. C’est une païenne de la pire espèce. Indécrottable ! Vous vous rendez compte, elle nous a dit le plus sérieusement du monde qu’elle adhère pour sa part à la seule religion valable à ses yeux, celle de notre Mère Nature !

    Parlons-en de sa mère nature ! Elle l’a bien abandonnée en tout cas ! Y a t-il quelque chose de plus naturel pour une femme que d’avoir un bébé ? Eh bien elle, malgré sa sainte mère nature, elle ne peut pas en avoir ! Alors …

    Elle aurait été plus avisée de nous écouter et de mettre sa confiance dans le bon Dieu. Ne dit-on pas qu’il n’y a que la fois qui sauve ? Et qu’avec elle on peut déplacer des montagnes ? Tiens ! La dernière nouvelle, c’est qu’elle va suivre une psychothérapie. Pfffuittt ! Ce n’est pas d’un divan qu’elle a besoin mais d’une jolie chambre capitonnée dans un asile quatre étoiles ! Ce qui est sûr, c’est que son mari l’y a obligée.

    - Si tu refuses, je te quitte !  Qu’il a hurlé en colère.

    C’est encore notre très chère amie qui nous a appris ça pas plus tard que ce matin. C’est un vrai réseau d’informations à elle toute seule celle-là ! Il n’y a pas plus commère qu’elle dans le coin ! Nous, on n’est pas comme ça, ça ne serait pas très chrétien !


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