• L'Arbre -Livre 1- Chapitre 18- La voisine

    La voisine

     

    J’ai toujours entendu dire que notre pays en général et cette région en particulier, ne sont pas prédisposés aux tremblements de terre. En tout cas de l’avis autorisé des sismologues et scientifiques de tous poils qui par la suite, ont tenté d’analyser les évènements.

    C’est notre maison qui a été la première touchée par le phénomène avant qu’il n’atteigne notre petite cité tranquille tout entière et ne s’étende à la totalité de la Ville.

    Je dis phénomène car je ne sais quel nom donner à ce qui est arrivé puisque les spécialistes compétents continuent, en dépit des faits, à jurer leurs grands dieux qu’il ne peut s’agir d’un séisme, même au plus petit degré sur la fameuse échelle de Richter.

    C’est quoi alors ce truc qui nous a réveillés en pleine nuit et qui a ébranlé notre maison des fondations jusqu’au toit ? La vaisselle dégringolait des placards, c’est d’ailleurs ce fracas qui nous a sortis de notre bienheureux sommeil. Ça et le chien qui aboyait comme un dingue. Puis notre lit s’est mis à glisser sur le parquet ciré. On s’est levés à toute vitesse. À vrai dire on a été littéralement jetés hors de nos draps par la secousse et par la peur. On voulait savoir ce qui se passait. On s’est rués dans l’escalier et on est descendus aussi vite qu’on a pu en s’agrippant à la rampe pour ne pas tomber car la maison tremblait. Je vous jure qu’elle tremblait ! Elle semblait craquer de toutes parts. On se serait crus à bord d’un bateau en pleine tempête !

    En bas dans la salle à manger autant que dans la cuisine, c’était le chaos ! Tout était sens dessus dessous ! De la vaisselle en petits morceaux, plus une assiette, plus un verre intact ! Les provisions contenues dans les buffets éparpillées sur le carrelage : confiture, épices, pâtes, riz, huile et vinaigre renversés, œufs et fruits éclatés…une innommable bouillie ! Les tableaux décrochés des murs et brisés, la télé explosée, les chaises par terre, les meubles de guingois… Mes jolis bouquets de la veille dont les fleurs déchiquetées gisaient au milieu des flaques d’eau, des débris de leurs vases et de ceux des bibelots que j’affectionne…Et dans cet indescriptible bazar, l’odeur infecte de la pisse et des crottes de notre pauvre chien mort de trouille…

    On n’osait même pas sortir tellement on avait peur de ce qu’on allait découvrir dehors !

    On a d’abord cru que c’était une explosion de gaz mais on a réalisé qu’on n’avait rien entendu de tel. Bien sûr, on dormait profondément mais quand même ! Ça ne pouvait pas non plus être le crash d’un avion, ça aussi on l’aurait entendu et ça aurait mis le quartier en effervescence or, on semblait être les seuls à avoir été secoués…On a fini par sortir pour en avoir le cœur net. Tandis que le reste de la cité continuait à dormir du sommeil du juste, seuls nos voisins les plus proches étaient à leur fenêtre. Ils n’avaient ressenti qu’une légère secousse qui n’aurait pas suffi à les réveiller s’ils n’avaient pas en même temps entendu le boucan provenant de chez nous. En nous voyant dehors l’air hagard et un rien échevelés, ils ont cru que nous étions en pleine querelle conjugale. Une querelle qu’on aurait décidé de finir de vider dans la rue après avoir tout bousillé chez nous manifestement, vu le vacarme ! En colère, ils nous ont demandé de la fermer et de faire taire notre sale cabot. Ils voulaient dormir nom de nom !

    Comment après ça leur faire croire que nous étions les seules victimes d’un tremblement de terre ? Pourtant, c’est la seule hypothèse qui nous soit venue à l’esprit sur le moment. La seule explicable en tout cas, pour autant qu’on puisse en juger par l’ampleur des dégâts occasionnés chez nous ! Je ne crois ni aux fantômes ni aux poltergeist ni au mauvais sort.

    Vu les circonstances pour le moins particulières, inutile d’alerter les autorités, elles ne nous auraient pas crus non plus ! Et impossible de faire marcher notre assurance, la thèse d’une catastrophe naturelle frappant une seule habitation n’étant pas crédible, il faut bien le dire ! Mon mari et moi n’avons rien pu faire d’autre que ravaler notre rancœur face à l’incrédulité et en désespoir de cause, on a laissé courir la rumeur d’une dispute si terrible qu’on se serait balancés toute notre vaisselle à la figure ! Si violente qu’elle en aurait fait trembler les murs de nos voisins. Humiliés et honteux, nous n’adressons plus la parole à personne.

    J’ai racheté de la vaisselle et une nouvelle télé, changé le mobilier cassé. Mon mari a réparé ce qui pouvait l’être. Nous avons refait des provisions et tenté d’oublier notre triste mésaventure. Le chien est devenu tellement froussard qu’il refuse la promenade et fait ses besoins dans la maison. Il ne veut même plus sortir dans le jardin ! S’il continue il faudra le faire piquer. La dernière fois que j’ai voulu le mettre dehors pour nettoyer ses saletés, il m’a mordue. C’était la première fois !

    - Ce sera la dernière ! A hurlé mon mari en le traînant de force hors de la maison.

    Désormais la pauvre bête porte une muselière et passe tout ses nuits à gémir pitoyablement dans sa niche. Tant pis pour ceux que ça dérange ! Quant à moi, je suis devenue insomniaque et quand mon mari est de nuit, je guette les bruits et craquements suspects qui annonceraient le retour de ce truc inquiétant que je n’ose plus appeler tremblement de terre, bien que je sois convaincue que c’en était un. Pourquoi seulement en- dessous de chez nous ? Ça je n’en sais rien ! C’est juste un fait irréfutable pour moi et j’ai appris que devant les faits, chacun doit s’incliner.

    J’ai acheté un bouquin qui traite des séismes et autres cataclysmes naturels. J’ai eu beau le lire et le relire, je n’y ai rien trouvé sur la chose qui nous a frappés. Elle est demeurée inexpliquée jusqu’à ces jours derniers…

     

    Pendant trois semaines il ne s’est rien passé. Trois semaines de répit. C’est notre tour de rire même si on rit jaune. La suite inattendue des évènements vient de nous donner raison et de clouer le bec aux médisants et aux moqueurs. Cette fois, c’est tout le quartier qui a été touché !

    À minuit - heure du crime - tous les habitants de notre charmante petite résidence étaient dehors, pétrifiés de peur. Une série de secousses d’une violence inouïe a ébranlé le quartier faisant jaillir tout le monde hors du lit. Même la route tremblait sous nos pieds et on se regardait, ébahis et muets de terreur. Il fallait se rendre à l’évidence, on avait bel et bien affaire à un tremblement de terre. À moins que tous les résidents n’aient choisi cette nuit pour se livrer à une méga scène de ménage et faire voler la vaisselle, pensai-je avec humour malgré ma frousse.

    Nul ne songeait plus à se moquer ni à nous traiter de fabulateurs.

    Dans chaque foyer régnait un chaos digne de l’enfer de Dante, mille fois pire que ce que nous avions connu trois semaines auparavant.

    La rupture des tuyauteries occasionna des fuites d’eau monumentales qui, à leur tour, provoquèrent d’innombrables courts-circuits. Des dizaines de téléviseurs implosèrent. Çà et là des incendies se déclarèrent…Des vitres volaient en éclats. Sous nos pieds, le macadam se lézardait, les gens se jetaient sur le sol en se couvrant la tête et en hurlant de terreur ou s’enfuyaient dans tous les sens…Bref, un cauchemar de fin du monde. Une pagaille totale ! Les cris, les pleurs, la fureur…le tout ponctué par l’ululement sinistre des sirènes et par les tonitruants « pimpon » des camions de pompier.

    De sous la terre, semblaient monter d’effroyables gémissements et des grondements de colère tandis que le sol tremblait de plus belle.

    Les bouches d’égout vomissaient sans interruption des geysers d’eau qui s’échappaient des canalisations crevées tandis que l’odeur caractéristique du gaz commençait à se mélanger à l’air frais de la nuit. La terreur fut à son comble lorsqu’au milieu des incendies que les hommes du feu ne parvenaient pas à circonscrire, les bouteilles à usage domestique explosèrent, propageant les flammes aux habitations voisines. Dans le même temps, la haute cheminée de briques rouges de l’ancienne fabrique jouxtant la cité, s’effondra d’un coup sur elle-même dans un vacarme épouvantable. C’est alors que les forces de l’ordre dépêchées sur les lieux, prirent vraiment la mesure de la gravité de l’incroyable événement et ordonnèrent l’évacuation générale, intimant à la cohorte médusée de quitter la cité dans le calme et la discipline.

    Les gens encore statufiés par la peur et l’incrédulité, s’animèrent soudain…Ce fut la fuite éperdue, une énorme bousculade…Qui en pantoufles et pyjama débraillé, qui en nuisette affriolante ou en chemise de nuit pudique, qui serrant contre son cœur affolé ses maigres bien emportés in extremis aux premières secousses…chacun s’égaillait en braillant sans s’occuper des autres, sans but, en proie à une panique innommable tandis que la terre grondait sous les pas éperdus des résidents épouvantés. Il fallut toute la force de persuasion des gendarmes pour canaliser le flot de fuyards hébétés dont je faisais partie, je l’avoue toute honte bue !

    Pauvres hères choqués, frigorifiés, hagards et dépenaillés, nous trouvâmes refuge chez les habitants du centre ville, dans les écoles, les gymnases et les locaux municipaux.

    Le lendemain, les représentants de la presse régionale étaient là, rapidement suivis par le gratin de la presse nationale. Reporters des journaux écrits et télévisés s’agitaient en tous sens, brandissant caméras, micros et calepins sous le nez des passants aussi curieux qu’esbaudis par ce déploiement médiatique sans précédent dans notre petite commune rurale. Il faut dire que ces messieurs et dames de la ville étaient excités comme des puces par cet évènement hors du commun confirmé par les experts appelés en renfort : un séisme d’une amplitude d’au moins sept degrés sur l’échelle de Richter, là, dans une ville tranquille, située bien loin des zones reconnues à haut risque sismique de notre pays!

    Et il y en a peu malgré tout !

    Le plus étrange c’est que les savants calculs des fameux experts, situèrent l’épicentre de ce séisme tout à fait inattendu, juste sous notre gentille résidence sans histoire, d’où les dégâts  occasionnés! Bien qu’à leur yeux cela demeurât invraisemblable, voire impossible, ils furent contraints d’admettre l’irréfutable véracité des faits. La ville n’étant dotée d’aucun appareil d’enregistrement et pour cause, ils en firent venir un de la capitale. Puis aussitôt que tout danger en fut écarté, ils établirent un campement sur la zone sinistrée afin d’étudier au plus près les répliques attendues.

    Mon mari et moi, premiers atteints par la catastrophe, dédommagés par la société d’assurance, nous fûmes également les premiers à déménager. Nous ne pûmes comme les autres, en dehors de ceux dont la maison avait brûlé, aller récupérer quelques biens avant que la cité ne soit déclarée inhabitable, vu que notre maison, probablement déjà fragilisée par les premières secousses, s’était effondrée, oui, effondrée ! Alors que celle de nos ex voisins, toujours nantie de son écriteau « À vendre », avait été totalement épargnée elle ! C’était d’ailleurs une des seules qui ne montrât absolument aucune lézarde, aussi curieux que cela puisse paraître ! Mais ce tremblement de terre, bien que ce fait n’eût rien de drôle en soi, n’était-il pas déjà à lui seul une curiosité ?

    La mort dans l’âme nous avons fait une croix sur notre passé et nous nous sommes installés à quarante kilomètres d’ici, chez ma sœur qui a accepté de nous héberger en attendant que nous trouvions un autre logement. Pour ma part, très touchée par ce qui nous est arrivé, je regarde de loin et en toute sécurité, au journal télévisé et dans la presse écrite, la suite des évènements qui secouent ma ville natale, c’est le cas de le dire. Je suis restée insomniaque et je suis désormais incapable de regarder un de ces films catastrophes que j’adorais avant !

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  • Commentaires

    4
    Samedi 27 Août 2022 à 01:14

    Bonjour Anne-Marie

    Bravo pour tes tes beau chapitre sur l'arbre, c'est vraiment bien narré et très intéressant à lire !!! J'ai finie par me mettre à jour (sourire)

    Chez moi c'est temps à la pluie, ils en annonce beaucoup.

    Moi j'ai fais des commissions hier avec ma fille qui a eu 26 ans le 23.

    Je suis toujours sur la déprime... chaque jour n'est difficile.

    Je te souhaite aussi un beau weekend en espérant que tout aille bien pour toi !

    Gros bisou

    Jane

    3
    Vendredi 26 Août 2022 à 11:32

    La vengeance est terrible, l'arbre et chat doivent jubiler. 

    J'adore ton livre !

    Bonne fin de semaine.

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    2
    Vendredi 26 Août 2022 à 02:23
    colettedc

    Bonjour Anne-Marie, ce qui termine comme il se devait selon l'Arbre lui-même le livre 1. Il n'y va pas à moitié, loin de là. Bon vendredi et, au livre 2.

    Bisous

    1
    Jeudi 25 Août 2022 à 22:34

    Un mal terrible que ces tremblements de terre, dégâts et peur au programme, amitiés, JB

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