• l'Arbre1-Chapitre 21

    Le temps effeuille ses jours un à un. La mélancolie dont je suis atteint m’engourdit et m’empêche de réagir. Le combat a mobilisé toute mon énergie et l’a momentanément épuisée. Obsédé par le désir de vaincre, aveuglé par la colère, j’ai failli oublier pourquoi je me battais. Pour qui.

    Maintenant que le vacarme de la bataille s’est tu et que j’ai repris des forces, il me reste un dernier combat à mener, une dernière promesse à tenir. Je vais la retrouver. Non pas que je puisse aller la chercher là où elle se trouve, mais au moins, je vais m’efforcer de rester connecté à son esprit pour lui insuffler de l’énergie. C’est pour Elle que j’ai survécu, l’espoir chevillé au corps et au cœur. Un espoir tenace, insensé, celui de la rejoindre coûte que coûte ne serait-ce que par la pensée. C’est de cette façon que je pourrai la guérir, en détruisant le mur de folie qui l’emprisonne, aussi sûrement que j’ai détruit les murs de la ville.

    Dans le petit jardin où elle me planta, il y a de cela mille ans me semble-t-il, près de la maison qui de par mon inébranlable volonté de la préserver pour elle, est demeurée seule intacte, je me bâtis une nouvelle vie.

    De mes racines opiniâtres qui ont crevé le sol autour du moignon de tronc qu’ils n’ont pas coupé, un nouvel arbre est en train de naître.

    Mes premiers essais ont été un peu brouillons. Çà et là de bizarres et noueuses racines aux formes tourmentées ont jailli du sol. Puis ma technique s’est affinée, gagnant en précision. Une de ces miraculeuses excroissances radiculaires s’est dressée. Plus haute, plus épaisse et vigoureuse, un peu moins tordue que les autres, elle a commencé à se ramifier. Sur cet ersatz de tronc se développent déjà les futures branches de l’arbre que je redeviens à part entière. Ma rencontre avec les racines d’autres essences risque de faire de moi un être hybride des plus étranges. Stimulé par toutes ces énergies entremêlées, je pousse, je pousse, encore plus vite qu’avant.

    Chat observe cette mutation d’un œil curieux et attentif.

    - Arbre, tu me plais ainsi ! Mal foutu, biscornu mais beau ma fois ! Tu ne ressembles à aucun autre ! En fait, tu ne ressembles à rien de ce que j’ai connu en matière d’arbre au cours de mes précédentes vies !

    - Si Elle revenait, crois-tu qu’elle me reconnaîtrait ?

    - Bien sûr ! Même si tu es quelque peu difforme, ton âme elle, n’a pas changé. Pas tant que ça en tout cas !

    Lui aussi s’est transformé. Il a grandi, s’est allongé et un rien efflanqué. Privé de sa pâtée quotidienne, il a renoué avec la chasse, revenant ainsi à une nourriture naturelle. Il a perdu son policé d’animal domestique pour endosser la personnalité affûtée de ses ancêtres sauvages mais sous le vernis craquelé, au fond de son œil unique brille toujours l’antique sagesse. Pure coïncidence ? Il a en effet perdu l’œil gauche de la même façon que lors de sa tumultueuse septième existence.

    Contre toute logique, comme autrefois dans la Jardinerie-prison de la Grande Ville, j’attends. Je l’attends ! Quelque chose de plus fort que la raison me dit qu’elle reviendra. Si je m’efforce de m’en convaincre c’est que je veux continuer à croire que toutes ces épreuves ont un sens.

    Sur l’horloge de la mairie à-demi écroulée, les aiguilles ont cessé leur course, elles n’égrèneront plus jamais les heures. Le temps s’est arrêté. Ici, nul n’a besoin de pendule ni de montre. La vie est rythmée par l’immuable rotation de la terre sur son axe et par sa course tranquille autour du soleil. Les jours, les nuits, les saisons se succèdent tandis que bat, infime poussière dans l’univers infini, le cœur de notre monde clos…

    Nous sommes le rythme de la vie. Du bourgeonnement à la fleur et de la fleur au fruit. Du verdoiement printanier à la moiteur estivale, du flamboiement automnal à la nudité hivernale, nous sommes le temps qui passe. Chaque saison des amours, chaque nouvelle portée, chaque nichée représente un tour de cadran sur la grande horloge de la vie. Chaque moment d’espoir, d’attente, de chagrin ou de bonheur est une parcelle d’éternité…

     

    Tous mes sens aiguisés le pressentaient depuis quelques jours, Elle est revenue ! Mais dans quel lamentable état !

    Maigre, sale, échevelée, malade, lasse à mourir ! Elle a pourtant été capable de retrouver le chemin qui la menait vers moi. Pour elle, l’invisible muraille s’est ouverte puis refermée. Incrédule elle a traversé la ville ravagée avant de parvenir, épuisée, au petit jardin. Fiévreuse, à bout de forces, à bout de mots, elle s’est effondrée à mes pieds où elle a sombré aussitôt dans un sommeil lourd entrecoupé de sanglots et de gémissements de douleur.

    Hormis son âme qui transparaissait sous l’épaisse carapace qu’elle s’était forgée pour survivre là-bas, il ne subsistait plus grand-chose de la déesse femme des jours heureux qui m’avait subjugué. Ses pieds nus étaient en sang, ses joues striées de larmes et de poussière. Ses vêtements maculés de boue flottaient sur son corps terriblement amaigri. Elle était si pâle sous la saleté qu’au milieu de ce décor apocalyptique, elle aurait pu passer pour l’unique survivante d’un cataclysme planétaire. Une rescapée à court terme tant elle paraissait résignée à mourir. Elle avait mis ses dernières réserves d’énergie vitale dans son retour, il ne lui en restait plus pour lutter contre le mal sournois qui la tuait.

    Comment avait-elle réussi à déjouer la surveillance de ses geôliers ? C’est un mystère ! Était-elle devenue si calme qu’elle en passait inaperçue, si transparente qu’elle a pu fuir sans se faire repérer ? A-t-elle bénéficié d’une complicité à l’intérieur de l’établissement ? C’est peu probable, elle n’avait sur elle ni argent ni papiers…

    Elle dort d’un sommeil cataleptique, si profond qu’il ressemble à la mort. Elle a cessé de gémir…

    Je lis en elle comme dans les pages à-demi brûlées d’un livre tiré de justesse hors des flammes. Des passages entiers en sont noircis de fumée, des feuilles roussies ou trouées par le feu en sont devenues illisibles. Elle ne livre plus d’elle qu’une histoire incomplète que j’ai bien du mal à reconstituer. Mais au-delà des mots effacés, j’en devine l’essentiel : la volonté farouche et soudaine de sortir de l’abrutissement artificiel dans lequel les médicaments la plongeaient malgré elle, et l’obscur désir de fuir, en réponse à l’appel lancinant qui résonnait à l’arrière-plan de son hébétude, voilà ce qui le retenait de sombrer totalement dans la folie sans retour. Elle m’entendait et ce cri lui prouvait que j’étais vivant, que je l’attendais.

    Elle dort. Je sais qu’elle est tellement épuisée qu’elle ne se réveillera pas. Le coma va remplacer le sommeil. Il sera alors temps pour moi d’agir. Vite, sans m’attarder à un chagrin stérile, sans réfléchir à la portée de mes actes.

    Elle risque de mourir. Cela seul compte et c’est pour moi inacceptable ! Ce que je vais faire est totalement contraire à l’éthique des hommes, à l’extrême limite des lois de la Nature mais je vais le faire !

    Je DOIS le faire !

     

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  • Commentaires

    4
    Lundi 29 Août 2022 à 14:42

    Que va-t-il faire ? Là, je n'ai aucune idée, j'attends !

    Bonne semaine.

    3
    Lundi 29 Août 2022 à 04:15

    La preuve que c'est possible

    IMG_4787[1]

    Chez mon frère 

    Une souche reprend vie 

    Bonne journée 

     

    2
    Lundi 29 Août 2022 à 02:27
    colettedc

    La voilà rendue !!! Mais, que fera-t-il donc ... c'est vraiment à suivre ! Bonne semaine Anne-Marie, Bisous

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    1
    Dimanche 28 Août 2022 à 22:27

    Cet arbre est résolu à tout pour la sauver.... amitiés, JB

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