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Le dangereux pouvoir des mots
Les mots pour le dire
Comme chacun sait, toute vérité n’est pas bonne à dire et des mots cruels assénés sans réfléchir, peuvent faire autant de mal, sinon plus, qu’un coup de poignard dans le dos. Mais là n’est pas le fin mot de l’histoire, bien qu’il s’agisse pourtant d’une histoire de mots…
Avez-vous déjà eu, ne serait-ce qu’une fois, l’idée folle que les expressions courantes et souvent imagées dont vous émaillez conversations sérieuses et propos futiles ou même qui vous traversent parfois fugacement l’esprit, pouvaient receler un pouvoir que vous n’oseriez imaginer sans frémir ?
Si vous le pensiez un seul instant, peut-être tourneriez -vous sept fois la langue dans votre bouche avant de l’ouvrir et de proférer certaines menaces déguisées en trompeuses images…
Une fée malintentionnée se pencha un jour sur le berceau d’un enfant dont les géniteurs avaient eu l’audace de la défier ouvertement, d’autant qu’ils ignoraient qu’elle était ce qu’elle était. Vexée et venimeuse, elle lança sur le bambin endormi la plus effroyable des malédictions :
- Tu auras la langue fourchue et tout ce que tu diras et penseras s’accomplira ! Hurla-t-elle au comble de la rage avant de faire une sortie remarquée, certes, mais qui n’avait rien de surnaturel.
La prenant seulement pour une vieille tante éloignée qu’ils auraient oublié d’inviter, les parents se moquèrent de la grandiloquente menace. S’ils avaient su !
L’enfant grandit et sitôt qu’il sut parler couramment, les mots dans sa bouche devinrent sans qu’il en eût conscience, autant de flèches empoisonnées dont certaines étaient mortelles. Il ne pouvait dire, ni même penser : « Je voudrais qu’il meurt ! » Sans que cela arrivât. Et les gens de s’étonner d’une telle et soudaine hécatombe dans le village ! L’innocent bambin était alors à un âge où l’on souhaite la mort d’une foule de personnes : la maîtresse d’école qui vous a puni injustement, l’adulte indélicat qui vous a piqué votre place dans la queue à la boulangerie, le copain qui n’a pas voulu prêter ses rollers ou encore la gamine, objet de vos premiers émois amoureux qui vous en a préféré un autre…
Même le brave curé qui l’avait fait mettre à genoux dans la travée centrale, un dimanche qu’il avait été particulièrement indiscipliné pendant la grand-messe, ne fut pas épargné. Ce fut pire quand son vocabulaire s’enrichit. Il remplaça alors qu’il meurt par qu’il crève ! Vous imaginez ! Non ? Il faut donc que je vous explique ce qui arriva la première fois qu’il traita quelqu’un de face de rat ou qu’il qualifia une pauvre fille de boudin, de thon ou de cageot !
Vous ne comprenez toujours pas ? C’est pourtant simple !
Quand il utilisait une expression, comme le fait sans y penser bon nombre d’entre nous, les métaphores qui la composaient devenaient réalité. Ainsi ne faisait-il pas bon devant lui, d’avoir une tronche de cake, une gueule d’emplâtre, une bouche en cul de poule, des yeux de braise. Malheureux comme la peste celui ou celle qui arborait un menton en galoche, un nez en patate, une tête d’œuf, des oreilles en feuilles de chou ou quelque autre particularité cocasse susceptible d’attiser sa moquerie !
Le jour où il dit à une gracieuse jeune fille vêtue d’une robe fleurie : « Tu es un véritable papillon aujourd’hui ! » Elle s’envola ! Et celui où il traita un camarade de lycée qui l’avait offensé de « Tas de merde ! »…
Qu’il prononçât grosse vache ou grosse truie, sale porc, tête de nœud ou de cochon, langue de vipère, grande girafe, âne bâté, triple buse, patate, cornichon, andouille, pot de nouille, sac à vin, grande asperge ou toute autre expression détournée de son sens premier et l’injure devenait sentence ! Dans sa bouche, même un compliment devenait dangereux.
Ainsi en connut-il des amours brisées parce qu’il avait dit à la belle du moment, qu’elle avait un teint de porcelaine ou qu’elle lui paraissait aussi fragile que le cristal le plus pur !
Le pire était qu’il ne se rendait compte de rien, car outre le fait qu’il était incroyablement distrait, la sorcière machiavélique qui avait jeté ce mauvais sort, lui avait sciemment donné un effet retard.
Ainsi collectionna-t-il sans le savoir de « belles plantes », des « roses d’amour » et autres « fleurs exotiques », quand ce n’était pas des « petits bouchons », des « roudoudous », des « sucres d’orge », ou encore un important parc de camions rutilants parce qu’à plus d’une il avait susurré qu’elle était belle comme…
Grâce ou à cause de lui, on n’avait jamais vu autant de feux follets la nuit, phénomène inexplicable s’il en était !
Il devint également le propriétaire inconscient d’un zoo à la faune hétéroclite où cohabitaient biches, canards, poulettes, cailles, pigeons, colombes, lapins, gazelles, louves, tigresses et lionnes, chattes, chatons, cabrettes et poussins…
Il était fatal qu’un jour les mots assassins se retournassent contre lui.
Sa vie se termina dans un superbe embrasement quand, fou d’amour, à genoux devant sa dernière conquête, il lui déclara sa flamme avec emphase :
- Je brûle pour toi ! Clama-t-il avant de prendre feu.
Rien que de penser à cette triste mais néanmoins flamboyante fin, j’ai le cœur au bord des lèvres et un chat dans la gorge !
Oups ! Je retire ce que je viens de dire !
©A-M Lejeune
(extrait du recueil : "Mes histoires farfadesques"
PS : Le mots "farfadesque" n'existe pas dans les dicos. C'est un néologisme que j'ai créé tout exprès pour le titre de ce recueil.
Rappelez vous le célèbre "abracadabrantesque" de Jacques Chirac, ou le "bravitude" de Ségolène Royal !
Tags : contes, nouvelles, histoires courtes, recueil
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Commentaires
Oui, en effet, Anne-Marie, ne pas dire à la légère ce que nous pourrions regretter car, il en reste toujours quelque chose. Pesons nos mots ; n'attirons pas la foudre contre nous !!! Bonne soirée de ce dimanche et bon début de semaine. Gros becs ♥
Je confirma chacun de tes mots ici Anne-Marie.
En ayant été victime en juillet 22, de la part de 2 de mes sœurs,
je sais combien cela peut causer de dégâts. Les mots ont ce pouvoir de détruire, de reconstruire et de guérir...
J'adore cet article que tu as écris....
Quand j'écris, les mots viennent tout seul. Les mauvais ou les dangereux s'envolent pour ne pas revenir. Les bons reviennent toujours. Le poète n'a pas le droit de choquer les lecteurs. Il écrit pour être lus pas pour faire souffrir. Le poète souffre quand il ne peut écrire, quand sa muse et en grève, ou malade. Bonne soirée. Chaton
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Coucou Anne-Marie,
Je découvre ce blog d'écriture en cherchant celui des tubes !
Une belle plume que tu as et de l'humour !
Les mots peuvent causer bien des maux ou alors les guérir !
Malheureusement, je parle souvent trop vite et je me dis que
j'aurais mieux fait de me taire...
On nous a pourtant bien dit de tourner notre langue
sept fois dans la bouche avant de parler !
Bonne journée,
Bises,
Sosolune