• "Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 26

    Elle se débat dans d’invisibles rets dont elle ne parvient pas à se défaire totalement. En état de semi réveil, elle a la sensation d’être encore dans le cauchemar où elle s’engluait. Un horrible cauchemar où tout était blanc. La dernière image qu’elle y a vue, c’est l’Élisa 7 de la Sphère. Elle-même quoi ! Enfin celle qu’elle croyait être jusqu’à présent ! Debout en face d’elle, dans ce néant oppressant, les yeux accusateurs, elle jetait des mots terribles :

    « Il n’acceptera pas de t’abandonner. Il mourra avec toi ! »

    -Jo..na…than ? Articule-t-elle la bouche pâteuse.

    - Je suis là ! Rendors-toi mon amour…

    - Tu…Tu es sûr ? J’ai l’impression de dormir depuis des jours et des jours. Et si je ne me réveillais pas ?

    - Tu vas te réveiller ! Et je serai là !

    - Tu…ne vas pas mourir hein ?

    - Tu vas te réveiller ! Je ne mourrai pas !

    -J’ai si peur ! Je viens de faire un affreux cauchemar !

    - Calme-toi ma douce ! Tout ira bien. Dors !

    De nouveau, elle sent sa main apaisante sur son front.

    - Et… toi.. tu ne dors pas..

    - Ne t’inquiète pas pour moi. Dors !

    Obéissante, elle consent à refermer les yeux. Le sommeil la reprend si vite dans sa toile, qu’elle se retrouve aussitôt dans la blancheur qu’elle vient à peine de quitter…

    …Á une différence près, elle n’y est plus prisonnière. Enfin plus complètement, dans la mesure où elle peut à présent s’y mouvoir. Qu’importe qu’elle puisse marcher, elle est toujours coincée là, cernée de tout côté par le même néant blanc, sans savoir ce qu’elle y fait.

    Même si leur venue inopinée l’a autant surprise qu’elle l’a fait trembler d’une frayeur quasi mystique, elle espère revoir ses trois visiteuses. Ces autres Élisa nées de ses songes, elle le comprend à présent. Même celle de la Sphère !

    En même temps, elle se demande où se trouve la vraie en ce moment, ixième clone et lointaine descendante de celle du XXIe siècle. Si c’est réellement ce qu’elle est ! Elle n’est plus sûre de rien ! Est-ce bien cette Élisa qui dort dans le refuge, veillée par un Jonathan qui n’est pas censé être là lui non plus !

    Cette Élisa qui dort et qui rêve !

    Car elle a bien compris désormais, qu’elle est en plein songe et que cet homme qu’elle aime et qui l’a toujours enjointe de se réveiller, souhaite maintenant , suprême paradoxe, qu’elle dorme et qu’elle rêve.

    Pourquoi ?

    Elle sent confusément qu’elle est au bord de comprendre quelque chose d’essentiel mais qu’elle refuse pourtant de faire le pas qui la mènerait vers la vérité. Voilà pourquoi elle était comme clouée au sol avant de se réveiller à moitié dans le refuge, suppose-t-elle. Cela voudrait donc dire que puisqu’elle ne l’est plus, elle a maintenant la possibilité, si elle le désire, de franchir ce cap décisif. Que doit-elle faire pour cela ? Attendre une nouvelle visite ? Quelqu’un qui serait capable de lui apporter des éléments de réponse ?

    Le plus étonnant dans cette situation hors norme, c’est qu’elle soit capable, au sein de ce rêve des plus étranges, de se faire ce genre de réflexion !

    « Je rêve, je sais que je rêve ! Je pourrais donc me réveiller mais je ne le dois pas… »

    Dans son premier cauchemar dont celui-ci n’est que le sinistre prolongement, les trois « Élisa » qui sont venues la voir lui ont dit sensiblement la même chose : elle doit se réveiller, sinon elle mourra et pire, Jonathan mourra aussi !

    Elle en rirait presque si la crainte absolue d’être la cause de la mort de Jonathan, ne l’en empêchait pas ! D’un côté, on la supplie de se réveiller et de l’autre, celui qui a le plus à perdre si elle ne le fait pas, lui ordonne de dormir ! C’est décidément à n’y rien comprendre !

    - Aidez-moi, je vous en conjure ! Je ne sais plus où j’en suis ! Que me voulez-vous à la fin ? Lance-t-elle dans le vide qui s’est resserré autour d’elle en même temps qu’il se répand en elle ! 

    « Suis-je en train de mourir ? » Se demande-t-elle comme elle l’a fait la première fois, quand elle s’est retrouvée dans ce lieu implacablement vide.

    « Ce doit être ça ! Parce que j’ai froid, si froid d’un seul coup »

    - C’est ça ! Entend-elle murmurer à son oreille.

    Plus que simplement triste, le ton est empreint de désespoir.

    Sa mère est là, debout, si près d’elle qu’elle n’a même pas à tendre la main pour la toucher.

    -Maman…Balbutie-t-elle, submergée par une vague de bonheur si intense qu'elle en a la respiration coupée.

    Ce qu’elle voudrait plus que tout au monde en cet instant précis, c’est se jeter dans ses bras, enfouir son nez dans la masse soyeuse de ses cheveux qui sentaient si bon, ainsi qu’elle le faisait quand elle est petite. Mais elle sait que rien de cela n’est possible. Alors la vague de bonheur reflue, remplacée par un chagrin infini.

    Car enfin, sa mère a disparu depuis des siècles. Une éternité ! Et la douleur qu’elle ressent à cette idée est indicible. Sa chère, si chère maman est morte et elle n’a jamais pu lui faire ses adieux !

    - Tu peux maintenant ma fille chérie.

    - Oh maman, maman ! Quand je suis partie ce jour-là avec Jonathan, je ne savais pas que je ne te reverrai jamais. Si j’en avais eu la moindre idée, j’aurais refusé de partir !

    - Il le fallait mon petit cœur.

    - Tu savais toi, n’est-ce pas !

    Le regard de Sarah se voile mais elle ne répond pas.

    - Je l’ai vu dans tes yeux quand nous nous sommes dit au revoir. Je l’ai vu et je n’ai pas voulu interpréter ton regard si triste. Je n’ai voulu retenir que ton sourire quand je t’ai dit que nous allions nous revoir. Comment savais-tu ? Jonathan te l’avait dit ? Réponds-moi maman ! Tu savais que tu allais mourir, que des milliards de gens allaient être sacrifiés ! Que seule une infime partie de l’Humanité avait été choisie pour assurer la survie de l’espèce ? Pourquoi moi, maman ? Pourquoi pas toi, Patrick, Chloé ? Et tant d’autres sur la Terre, qui méritaient sinon plus mais au moins autant que moi d’être élus.

    Le silence de sa mère est si lourd, qu’il pèse sur son cœur à l’étouffer !

    - Bien sûr !  Tu ne peux me répondre ! Tu es morte il y a si longtemps ! Quand le cataclysme s’est abattu sur la Terre, ravageant tout sur son passage, tu as été emportée avec le reste du monde en un souffle. Réduite en cendres sans savoir si cette maudite « Arche » avait rempli son office.

    - Elle l’a rempli ! Tu as survécu mon enfant ! Et tant d’autres avec toi.

    - Je ne peux l’admettre ! Je ne supporte pas l’idée de ces milliards de sacrifiés au nom de je ne sais quelle grande opération de sauvetage de l’espèce humaine.

    - Voilà où le bât blesse ma chérie ! Aurais-tu préféré que notre Humanité périsse tout entière ? N’est-il pas merveilleux de penser que grâce à l’Arche et à ses concepteurs, la vie renaîtra sur notre planète, à travers toi et les autres survivants ?

    - Pas à ce prix maman ! Pas à ce prix !

    - Il n’y avait pas d’autre solution ma fille ! Celle-ci, aussi effroyable qu’en soit le prix, avait le mérite d’exister ! Imagine juste une seconde, qu’il aurait pu n’y en avoir aucune !

    - Il aurait dû me dire maman ! Il ne l’a pas fait ! Il a préféré me mentir et me piéger avec cette histoire de programme expérimental à grande échelle. Ils nous ont piégés tous autant que nous sommes, nous les reclus de la Sphère. Les survivants comme tu dis ! Il jure qu’il m’aime aujourd’hui, comme il me le jurait alors ! Mais il m’a menti, sciemment !

    - Je lui ai fait promettre de te taire la vérité !

    - Il aurait quand même dû me dire ce qu’était réellement ce pseudo programme ! Je n’aurais jamais dû apprendre dix siècles après et de cette horrible façon, à quoi j’avais donné mon accord ! Dix siècles maman !

    - S’il l’avait fait, tu ne l’aurais pas suivi ! En dépit de l’amour si fort que j’ai vu brûler entre vous, tu aurais refusé de partir ! Je te connaissais si bien ma chérie ! Tu serais morte toi aussi et cela vois-tu, c’était inacceptable pour moi !

    - C’est donc cela, la vérité que j’étais censée découvrir ?

    - Pas seulement mon trésor ! Il y a encore des choses que tu dois apprendre !

    - Quelles choses maman ?

    - Je ne peux rien te dire de plus ! Pour savoir, tu dois te réveiller. Tu dois le faire d’abord pour toi, parce que tout ce à quoi Jonathan a consenti pour que tu vives, ne servirait à rien sans cela ! Tu dois le faire pour lui, parce qu’il t’aime à en mourir ! Et il le fera si tu renonces ! Et enfin ma fille adorée, tu dois le faire pour moi et tous ceux que tu aimais, parce qu’il Il faut que tu saches que si tu meurs, nous mourrons tous une deuxième fois. Qui ferait vivre notre souvenir si tu n’étais plus là ?

    -Je.. Je comprends mamounette ! Je t’aime tant ! Mais Patrick, Chloé, Il aurait pu les sauver eux aussi ! Deux personnes en plus, ça lui coûtait quoi ? Ils étaient si jeunes ! ! Ils allaient se marier, faire des enfants ! Il était entre des mains comme les leurs, l’avenir de l’humanité !

    - Et tu aurais trouvé ça juste ? Il y avait des millions et des millions de « Patrick et Chloé » ! Mais les Arches ne pouvaient embarquer qu’une partie d’entre eux ! Tout comme Noé n’a pu sauver du déluge imminent, qu’une partie des créatures vivantes peuplant la Terre ! Tu es capable de comprendre ça !

    - Non! Non et mille fois non ! C’est une énormité inconcevable !

    - Allons ma fille ! Je t’ai connue plus volontaire et courageuse ! Vas-tu lâcher prise maintenant ? C’est ça qui ne serait pas juste !

    - Et les enfants ! Que fais-tu des enfants ? Ils n’ont pas sauvé d’enfant, pourquoi ?

    - Je ne peux répondre à leur place. Es-tu sûre qu’il n’y en a pas eu ?

    - Je ne me souviens pas en avoir vu un seul dans la Sphère !

    - Oh ma chérie ! I Que peux-tu prétendre avoir vu ? As-tu déjà oublié que tu rêves ? Il est vraiment temps que tu connaisses la vérité ! Dis-moi au revoir et fais ce que tu dois faire ! Réveille-toi !

    - Je t’en prie maman, ne me quitte pas ! Je t’aime ! Je t’aime tellement !

    - Il le faut, cœur de mon cœur, chair de ma chair ! Il le faut…Ne m’oublie pas ! Et reste en vie, pour moi, pour nous !...

     

     

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 15 Mars 2023 à 11:02

    Une fin de page qui émeut... amitiés, JB

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