• Ils sont repartis à l’aube, après cette trop courte première nuit de liberté qui les a à peine reposés. Une nuit sans rêves d’aucune sorte pourtant !

    Avant de quitter leur refuge, Martha leur a fait enfiler une espèce d’ample cape à capuche à Jacob et à elle.

    - Les matinées sont très fraîches en cette saison sans compter que nous aurons encore de la pluie aujourd’hui, leur a-t-elle dit en guise d’explication en jetant la sienne sur ses épaules.

    Puis elle leur a donné à chacun un solide bâton.

    - C’est pour nous défendre ? A avancé Jacob

    - Non, pour marcher ! Ça vous aidera, surtout quand nous grimperons.

    - Grimper ? Se sont exclamés les deux fugitifs d’une même voix plaintive.

    En se remémorant leur longue et épuisante course dans les tréfonds de la Sphère et la non moins harassante marche qu’ils ont dû subir après leur évasion, ils doutent d’être capables de « grimper ». Leur air désespéré a fait sourire Martha.

    - Oui, grimper ! Rien de bien méchant, rassurez-vous ! Juste une collinette !

    - Une collinette ? A questionné Élisa qui n’avait pas envie de rire.

    - Un monticule à côté de la Sphère que nous apercevrons lorsque nous serons au sommet, crois-moi petite ! Tenez ! A-t-elle ajouté en leur tendant un grossier havresac de toile, vos provisions de route.

    Puis elle leur a montré comment le fixer sur le dos.

    -Ce sera plus facile à porter de cette façon.

    - Il y a quoi là-dedans, a demandé Jacob que la perspective de « grimper » fatiguait d’avance.

    - Une gourde d’eau, des pilules nutritives qu’il vous faudra économiser parce que ce sont les dernières, de la vraie nourriture à laquelle tôt ou tard il faudra vous habituer, des vêtements de rechange. On va en avoir besoin. Et un onguent miracle de ma composition pour soigner vite fait plaies et bosses de toute sorte, également valable contre les coups de soleil - mais pas de risque aujourd’hui – et contre les piqûres d’insectes.

    -Des…insectes ? C’est quoi des insectes ? C’est dangereux ? L’a interrogée Jacob inquiet.

    - Pour vous deux dont la peau est encore très fragile et dont le système immunitaire n’a jamais été mis à l’épreuve, oui ! Mais rassure-toi Jacob, mon onguent a déjà fait plusieurs fois ses preuves sur les « sphériques », à commencer par Jonathan et moi.

    - Et les pilules…est-ce que…A timidement demandé Élisa que l’idée de se nourrir de ses congénères emplit désormais d’horreur.

    - Non, il n’y en a pas de rouges lui a assuré Martha devançant sa question.

    Un double soupir de soulagement lui a répondu. Quant à savoir en quoi consiste la « vraie nourriture » qu’elle a évoquée, ni l’un ni l’autre n’est pressé de le découvrir ! Ni d’y goûter d’ailleurs !

    - Où est Jonathan ? A demandé Élisa, remarquant d’un seul coup l’absence de son étrange sauveur.

    - Déjà parti ! A répondu Martha laconique

    - Parti ? S’est exclamé Jacob. Parti où ?

    - Pa...Parti ? A balbutié Élisa d’une toute petite voix, le cœur étreint d’une tristesse qu’elle ne veut pas s’expliquer.

    Sa soudaine pâleur n’a pas échappé à la vieille femme.

    - Allons ! Ne vous inquiétez pas ainsi ! Il ne nous a pas abandonnés hein ! Il est juste parti en éclaireur. Les sentiers que nous empruntons sont très vite repris par la végétation entre deux extractions vous savez ! Il faut donc chaque fois les retrouver et les rendre à nouveau praticables, c’est tout !

    Le sourire renaissant de la jeune fille et les couleurs revenues sur son visage, n’ont fait que confirmer l’intuition de Martha. Élisa est amoureuse ! C’est trop tôt ! Comment réagira-t-elle quand elle saura, éprise comme elle l’est déjà du jeune homme ! Elle a pourtant tout fait pour empêcher ça ! Et insisté assez lourdement pour que Jonathan passe aux aveux avant qu’il ne soit trop tard ! L’entêté l’a envoyée paître ! Il risque de s’en mordre les doigts plus vite qu’il ne le croit ! Il n’est hélas plus en son pouvoir d’intervenir !

    - Comment les retrouvez vous alors, a questionné Jacob, interrompant le cours de ses pensées.

    - Que… quoi ?

    - Les chemins ? Comment les retrouvez-vous ?

    -Comme le faisaient nos lointains ancêtres randonneurs cher Jacob ! Nous avons dressé des tumulus de pierres tout le long de la route jusqu’à Liberté. Et pour faciliter notre tâche de reconnaissance, nous y avons planté solidement des bâtons sur lesquels sont fixés des morceaux d’étoffe rouge. Nous perpétuons cette très ancienne tradition en demandant à ceux que nous libérons, d’ajouter leur pierre à chacun de ces tumulus.

    - Nous sacrifierons bien volontiers à cette tradition chère Martha, a déclaré Jacob d’un ton joyeux.

    - Vous avez parlé de « Liberté » s’est enquise Élisa. C’est quoi ?

    - Notre destination, tout en bas de la Nouvelle-France jeune fille ! D’ailleurs, si vous êtes prêts, on va y aller ! Il ne faudrait pas faire attendre notre guide trop longtemps !

    C’est ainsi qu’ils se sont mis en route tous les trois, cheminant d’un bon pas dans le petit matin frisquet, pressés de retrouver Jonathan à l’endroit prévu par Martha et lui la veille.


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  • Combien de temps ont-ils cheminé  avant que la pluie glacée ne s’abatte sur eux? Elle ne sait pas ! Tout juste ont-ils fait une courte pause pour avaler une pilule nutri énergétique. De quoi recharger leurs batteries avant de se remettre en marche prestement.

    Heureuse de voir les parois du dôme immense s’éloigner, elle a suivi Jonathan sans vraiment regarder autour d’elle, pressée d’arriver à l’abri promis par Martha. Elle a cependant pu constater que le disque éblouissant n’était plus visible dans le ciel, comme avalé par l’espèce de plafond gris qui assombrissait tout le paysage.

    Nuages…Le mot lui est revenu en même temps que des images issues de ses rêves : une petite fille…une caverne…un ciel bas chargé de pluie…l’orage… la peur…

    Quand les premiers coups de tonnerre ont retenti, précédés par des éclairs aveuglants, elle s’est retrouvée des millions d’années en arrière, dans la peau d’Ehi Sha, terrifiée, tremblante, les mains sur les oreilles pour ne plus entendre les grondements assourdissants de l’orage, un peu rassurée tout de même de voir que Jacob semblait craindre autant qu’elle les bruyantes manifestations du ciel.

    À présent, à l’abri et au chaud elle se souvient précisément de toutes les sensations qu’elle a éprouvées lorsque la pluie a commencé à tomber : surprise, froid, crainte quasi mystique et enfin une joie démesurée. Elle s’est mise à danser en riant à gorge déployée, la bouche grande ouverte afin d’absorber le plus possible de cette eau pure providentielle. Bien que plus réservé qu’elle, Jacob n’a pu s’empêcher de l’imiter. Le spectacle de ces deux prisonniers en fuite tournoyant comme des fous sous la première averse de leur vie dans leur légère combi de travail pas du tout faite pour ça, a déclenché un énorme éclat de rire chez leurs libérateurs qui se sont aussitôt joints à leur danse débridée.. En un rien de temps, le quatuor s’est retrouvé trempé jusqu’à la moelle et complètement frigorifié.

    Leur refuge n’a rien à voir avec les habitacubes hyperfonctionnels et climatisés de la Sphère mais il leur paraît tellement confortable après ce qu’ils viennent de traverser, qu’en dépit de leur épuisement et de la douleur qui raidit leurs jambes, les évadés se sentent bien. Le regard attentif de leurs deux sauveurs les rassure. Ils ont cessé de trembler de froid. Une pilule nutritive et un peu d’eau les ont rassasiés Des vêtements secs les attendaient. Leurs noms lui sont revenus spontanément : pantalon, pull…et ces petites choses légères que Martha lui a tendues avec un sourire de connivence en lui montrant l’endroit où se changer. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’elle a constaté que leur abri est bien plus grand qu’il n’y paraît de prime abord. Là encore, en même temps que le tout nouveau concept, lui est venu le nom : maison. Quoique vu sa taille, c’est plutôt une maisonnette. Toute de bois, elle lui rappelle celle où elle vivait avec sa mère dans l’un de ces rêves dont elle se souvient de plus en plus précisément. Ils y tiennent tous les quatre très facilement. Elle suppose même qu’ils y tiendraient plus nombreux.

    - C’est déjà arrivé ! A répondu Jonathan à la question qu’elle s’apprêtait à lui poser lorsqu’elle est sortie métamorphosée de ce qui lui a semblé être une espèce de salle de bain sommairement aménagée.

    Elle ne s’en étonne plus ! Il y a tellement d’autres choses qui retiennent son attention. Des milliers de sensations nouvelles comme Les démangeaisons de son crâne par exemple, qui n’est plus si lisse sous ses doigts.

    - Ce sont vos cheveux qui commencent déjà à repousser les amis ! Lance Martha hilare en les voyants tous deux faire le même geste.

    - Mais…mais… Bégaient-ils de concert.

    -Hé hé ! La pluie n’a pas le même effet que la douche hein ? Poursuit-elle. L’eau qui nous tombe dessus tous les matins dans la Sphère, contient des principes actifs qui empêchent les cheveux de pousser. Bien pratique et nettement plus sain que cette toison tellement dégoûtante pour ceux d’en- haut qui sont aussi chauves que vous ! Mais dans vos rêves, vous aviez des cheveux, rappelez-vous !

    Ça crisse légèrement au contact de sa paume tâtonnante. Des cheveux…Oui, l’Élisa de ses rêves fabriqués avait des cheveux noirs, longs, fournis ! C’est seulement maintenant qu’elle s’avise que la sorcière et Jonathan ne sont pas chauves comme les prisonniers de la Sphère. Ils sont presque semblables à la Martha et au Jonathan de ses songes extraordinaires, même si leurs cheveux sont plus courts et plus disciplinés que ceux de leurs alter egos oniriques. Comment ont-ils réussi à cacher ça dans la Sphère ? Mais doit-elle encore s’étonner de quelque chose s’agissant de ces deux-là ? Ils la regardent, un demi-sourire aux lèvres comme s’ils pouvaient lire tout ce qui s’agite dans son crâne. Et c’est probablement ce qu’ils font vu la rapidité déconcertante avec laquelle ils répondent les trois-quarts du temps à des questions qu’elle n’a pas encore posées !

    À voir l’air ébahi de Jacob, elle se doute que ses pensées suivent le même cours que les siennes. Comme elle il découvre, ressent, appréhende toutes ces choses nouvelles, étranges qui font aussi peur qu’elles sont grisantes pour les robots qu’ils étaient encore il y a quelques heures.

    Ils se sont trémoussés tous les deux dans leurs drôles de vêtements si différents de leur combi de travail aseptisée et moulante comme une seconde peau. Leurs pieds commencent tout juste à s’habituer aux chaussures qu’ils n’étaient pas loin de considérer comme des instruments de torture lorsqu’ils les ont enfilées en lieu et place de leurs sandales trop légères pour la marche qui les attend encore. Il y a aussi l’odeur corporelle plus forte à laquelle ils ne sont pas habitués. C’est assez désagréable mais en même temps, c’est captivant ! Sentir est quelque chose d’aussi neuf que ressentir pour eux ! Dans la Sphère, leurs narines « robotisées » ne subissaient aucune agression olfactive qu’elle soit bonne ou mauvaise. Depuis qu’ils sont dehors, elles palpitent à tout instant, envahies de tellement d’odeurs différentes et totalement inconnues, que leurs yeux en pleurent. Des yeux qui ont vu tant de choses effarantes depuis leur sortie, qu’ils ne demandent qu’à se fermer, aussi fatigués que leurs propriétaires !

    - Nous sommes assez éloignés de la Sphère à présent ! Nous allons pouvoir nous reposer !

    Annonce Jonathan qui n’a pas besoin de lire en eux pour constater l’état des deux rescapés. Ils sont fourbus. Il sait pour avoir vécu cela avant eux, combien leur corps perclus des multiples douleurs qui leur étaient jusqu’alors épargnées, a besoin de se détendre. D’autant plus que les effets du formatage s’estompent très rapidement dehors !

    - Mes amis, pas besoin de douche ionisante ni de pilules du sommeil pour vous endormir ce soir, je vous le garantis ! Ajoute-t-il en voyant leurs paupières battre désespérément pour tenter de rester ouvertes !

    - Et vous ne rêverez pas non plus ! Vous êtes bien trop harassés pour ça renchérit Martha ! Venez, je vais vous montrer où vous étendre ! C’est sommaire mais ça va vous paraître hyper confortable après cette longue journée éprouvante pour vos muscles !

    - Je…je …hésite Élisa

    - Quelque chose à ajouter ? Questionne Martha avec Cette inexplicable pointe d’acrimonie qu’elle prend toujours en s’adressant à elle.

    « Que lui ai-je donc fait  qui lui déplaise à ce point ? » se demande la jeune fille. Il n’y a en effet qu’avec elle que la vieille femme use de ce ton peu amène. Avec Jacob, elle est tout sourire !

    -Je sais ce dont notre jeune amie a envie ! Intervient Jonathan en jetant un regard d’avertissement à sa coéquipière. Viens Élisa ! Et après, il faudra dormir, d’accord ? Demain nous avons encore un long chemin à parcourir !

    - D’accord ! Acquiesce-t-elle.

    Elle le suit, non sans avoir fusillé des yeux l’acariâtre « sorcière ».

    - C’est ma faute ! Ça lui passera ! Lui murmure Jonathan en l’entraînant dehors.

    Elle ne comprend rien ! Pourtant d’un coup, les insinuations de son sauveur autant que l’antipathie latente de Martha à son encontre n’ont plus d’importance.

    La nuit est fraîche mais le ciel au-dessus d’eux est totalement dégagé, comme lavé par la pluie. Pour la protéger de ce froid inhabituel pour elle, Jonathan l’a enveloppée dans une sorte de longue cape d’une incroyable douceur. « Laine » pense-t-elle, se rappelant subrepticement le moelleux de cette matière qu’elle n’a pourtant connu qu’en rêve.

    Ils se sont éloignés de la maisonnette et ont atteint très rapidement une petite clairière qui laisse voir un joli pan de la voûte céleste dans toute sa splendeur.

    Chancelante d’émotion, blottie contre son sauveur qui lui a passé un bras protecteur autour des épaules, sûrement pour la réchauffer un peu plus encore, se dit elle, elle contemple extasiée les milliards d’étoiles qui déversent sur eux leur scintillante lumière. Ce souvenir-là, comme tous les autres, lui a été imposé et voilà qu’il est devenu réalité. En une seconde, elle redevient la petite fille des temps lointains qui regardait la nuit s’étendre, envahie par la crainte de ne jamais revoir le soleil apparaître derrière les collines. Puis la toute jeune fille de cette même préhistoire qui attendait sans faillir son beau chasseur. Et aussi l’Élisa du XXIème siècle qui, sous les étoiles, succombait au charme irrésistible d’un viril dompteur de tigre.

    - Ehi Sha…mon amour, croit-elle entendre tout près de son oreille

    - Roh Ahr Anh. Je t’aime… S’entend-elle répondre.

    Et là, sous les étoiles, portés par la magie de la nuit, ils scellent d’un un baiser brûlant qu’ils n’ont prémédité ni l’un ni l’autre, cet amour onirique que d’autres ont créé pour tromper leur incommensurable ennui.

    - Pardonne-moi Élisa, je n’ai pu m’empêcher !

    -Ce n’est qu’un rêve ! Excuse-t-elle encore tremblante entre les bras puissants qui la retiennent.

    -Pas cette fois mon cœur, pas cette fois ! Il va falloir t’habituer !

    Qu’importe, elle est toute prête à s’habituer à la douce et béate torpeur que ce délicieux instant  a fait naître en elle!

    C’est d’un pas incertain, dans un état second, qu’ils regagnent la cabane où les deux autres dorment déjà d’un sommeil de plomb.


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  • Combien de temps ont-ils cheminé  avant que la pluie glacée ne s’abatte sur eux? Elle ne sait pas ! Tout juste ont-ils fait une courte pause pour avaler une pilule nutri énergétique. De quoi recharger leurs batteries avant de se remettre en marche prestement.

    Heureuse de voir les parois du dôme immense s’éloigner, elle a suivi Jonathan sans vraiment regarder autour d’elle, pressée d’arriver à l’abri promis par Martha. Elle a cependant pu constater que le disque éblouissant n’était plus visible dans le ciel, comme avalé par l’espèce de plafond gris qui assombrissait tout le paysage.

    Nuages…Le mot lui est revenu en même temps que des images issues de ses rêves : une petite fille…une caverne…un ciel bas chargé de pluie…l’orage… la peur…

    Quand les premiers coups de tonnerre ont retenti, précédés par des éclairs aveuglants, elle s’est retrouvée des millions d’années en arrière, dans la peau d’Ehi Sha, terrifiée, tremblante, les mains sur les oreilles pour ne plus entendre les grondements assourdissants de l’orage, un peu rassurée tout de même de voir que Jacob semblait craindre autant qu’elle les bruyantes manifestations du ciel.

    À présent, à l’abri et au chaud elle se souvient précisément de toutes les sensations qu’elle a éprouvées lorsque la pluie a commencé à tomber : surprise, froid, crainte quasi mystique et enfin une joie démesurée. Elle s’est mise à danser en riant à gorge déployée, la bouche grande ouverte afin d’absorber le plus possible de cette eau pure providentielle. Bien que plus réservé qu’elle, Jacob n’a pu s’empêcher de l’imiter. Le spectacle de ces deux prisonniers en fuite tournoyant comme des fous sous la première averse de leur vie dans leur légère combi de travail pas du tout faite pour ça, a déclenché un énorme éclat de rire chez leurs libérateurs qui se sont aussitôt joints à leur danse débridée.. En un rien de temps, le quatuor s’est retrouvé trempé jusqu’à la moelle et complètement frigorifié.

    Leur refuge n’a rien à voir avec les habitacubes hyperfonctionnels et climatisés de la Sphère mais il leur paraît tellement confortable après ce qu’ils viennent de traverser, qu’en dépit de leur épuisement et de la douleur qui raidit leurs jambes, les évadés se sentent bien. Le regard attentif de leurs deux sauveurs les rassure. Ils ont cessé de trembler de froid. Une pilule nutritive et un peu d’eau les ont rassasiés Des vêtements secs les attendaient. Leurs noms lui sont revenus spontanément : pantalon, pull…et ces petites choses légères que Martha lui a tendues avec un sourire de connivence en lui montrant l’endroit où se changer. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’elle a constaté que leur abri est bien plus grand qu’il n’y paraît de prime abord. Là encore, en même temps que le tout nouveau concept, lui est venu le nom : maison. Quoique vu sa taille, c’est plutôt une maisonnette. Toute de bois, elle lui rappelle celle où elle vivait avec sa mère dans l’un de ces rêves dont elle se souvient de plus en plus précisément. Ils y tiennent tous les quatre très facilement. Elle suppose même qu’ils y tiendraient plus nombreux.

    - C’est déjà arrivé ! A répondu Jonathan à la question qu’elle s’apprêtait à lui poser lorsqu’elle est sortie métamorphosée de ce qui lui a semblé être une espèce de salle de bain sommairement aménagée.

    Elle ne s’en étonne plus ! Il y a tellement d’autres choses qui retiennent son attention. Des milliers de sensations nouvelles comme Les démangeaisons de son crâne par exemple, qui n’est plus si lisse sous ses doigts.

    - Ce sont vos cheveux qui commencent déjà à repousser les amis ! Lance Martha hilare en les voyants tous deux faire le même geste.

    - Mais…mais… Bégaient-ils de concert.

    -Hé hé ! La pluie n’a pas le même effet que la douche hein ? Poursuit-elle. L’eau qui nous tombe dessus tous les matins dans la Sphère, contient des principes actifs qui empêchent les cheveux de pousser. Bien pratique et nettement plus sain que cette toison tellement dégoûtante pour ceux d’en- haut qui sont aussi chauves que vous ! Mais dans vos rêves, vous aviez des cheveux, rappelez-vous !

    Ça crisse légèrement au contact de sa paume tâtonnante. Des cheveux…Oui, l’Élisa de ses rêves fabriqués avait des cheveux noirs, longs, fournis ! C’est seulement maintenant qu’elle s’avise que la sorcière et Jonathan ne sont pas chauves comme les prisonniers de la Sphère. Ils sont presque semblables à la Martha et au Jonathan de ses songes extraordinaires, même si leurs cheveux sont plus courts et plus disciplinés que ceux de leurs alter egos oniriques. Comment ont-ils réussi à cacher ça dans la Sphère ? Mais doit-elle encore s’étonner de quelque chose s’agissant de ces deux-là ? Ils la regardent, un demi-sourire aux lèvres comme s’ils pouvaient lire tout ce qui s’agite dans son crâne. Et c’est probablement ce qu’ils font vu la rapidité déconcertante avec laquelle ils répondent les trois-quarts du temps à des questions qu’elle n’a pas encore posées !

    À voir l’air ébahi de Jacob, elle se doute que ses pensées suivent le même cours que les siennes. Comme elle il découvre, ressent, appréhende toutes ces choses nouvelles, étranges qui font aussi peur qu’elles sont grisantes pour les robots qu’ils étaient encore il y a quelques heures.

    Ils se sont trémoussés tous les deux dans leurs drôles de vêtements si différents de leur combi de travail aseptisée et moulante comme une seconde peau. Leurs pieds commencent tout juste à s’habituer aux chaussures qu’ils n’étaient pas loin de considérer comme des instruments de torture lorsqu’ils les ont enfilées en lieu et place de leurs sandales trop légères pour la marche qui les attend encore. Il y a aussi l’odeur corporelle plus forte à laquelle ils ne sont pas habitués. C’est assez désagréable mais en même temps, c’est captivant ! Sentir est quelque chose d’aussi neuf que ressentir pour eux ! Dans la Sphère, leurs narines « robotisées » ne subissaient aucune agression olfactive qu’elle soit bonne ou mauvaise. Depuis qu’ils sont dehors, elles palpitent à tout instant, envahies de tellement d’odeurs différentes et totalement inconnues, que leurs yeux en pleurent. Des yeux qui ont vu tant de choses effarantes depuis leur sortie, qu’ils ne demandent qu’à se fermer, aussi fatigués que leurs propriétaires !

    - Nous sommes assez éloignés de la Sphère à présent ! Nous allons pouvoir nous reposer !

    Annonce Jonathan qui n’a pas besoin de lire en eux pour constater l’état des deux rescapés. Ils sont fourbus. Il sait pour avoir vécu cela avant eux, combien leur corps perclus des multiples douleurs qui leur étaient jusqu’alors épargnées, a besoin de se détendre. D’autant plus que les effets du formatage s’estompent très rapidement dehors !

    - Mes amis, pas besoin de douche ionisante ni de pilules du sommeil pour vous endormir ce soir, je vous le garantis ! Ajoute-t-il en voyant leurs paupières battre désespérément pour tenter de rester ouvertes !

    - Et vous ne rêverez pas non plus ! Vous êtes bien trop harassés pour ça renchérit Martha ! Venez, je vais vous montrer où vous étendre ! C’est sommaire mais ça va vous paraître hyper confortable après cette longue journée éprouvante pour vos muscles !

    - Je…je …hésite Élisa

    - Quelque chose à ajouter ? Questionne Martha avec Cette inexplicable pointe d’acrimonie qu’elle prend toujours en s’adressant à elle.

    « Que lui ai-je donc fait  qui lui déplaise à ce point ? » se demande la jeune fille. Il n’y a en effet qu’avec elle que la vieille femme use de ce ton peu amène. Avec Jacob, elle est tout sourire !

    -Je sais ce dont notre jeune amie a envie ! Intervient Jonathan en jetant un regard d’avertissement à sa coéquipière. Viens Élisa ! Et après, il faudra dormir, d’accord ? Demain nous avons encore un long chemin à parcourir !

    - D’accord ! Acquiesce-t-elle.

    Elle le suit, non sans avoir fusillé des yeux l’acariâtre « sorcière ».

    - C’est ma faute ! Ça lui passera ! Lui murmure Jonathan en l’entraînant dehors.

    Elle ne comprend rien ! Pourtant d’un coup, les insinuations de son sauveur autant que l’antipathie latente de Martha à son encontre n’ont plus d’importance.

    La nuit est fraîche mais le ciel au-dessus d’eux est totalement dégagé, comme lavé par la pluie. Pour la protéger de ce froid inhabituel pour elle, Jonathan l’a enveloppée dans une sorte de longue cape d’une incroyable douceur. « Laine » pense-t-elle, se rappelant subrepticement le moelleux de cette matière qu’elle n’a pourtant connu qu’en rêve.

    Ils se sont éloignés de la maisonnette et ont atteint très rapidement une petite clairière qui laisse voir un joli pan de la voûte céleste dans toute sa splendeur.

    Chancelante d’émotion, blottie contre son sauveur qui lui a passé un bras protecteur autour des épaules, sûrement pour la réchauffer un peu plus encore, se dit elle, elle contemple extasiée les milliards d’étoiles qui déversent sur eux leur scintillante lumière. Ce souvenir-là, comme tous les autres, lui a été imposé et voilà qu’il est devenu réalité. En une seconde, elle redevient la petite fille des temps lointains qui regardait la nuit s’étendre, envahie par la crainte de ne jamais revoir le soleil apparaître derrière les collines. Puis la toute jeune fille de cette même préhistoire qui attendait sans faillir son beau chasseur. Et aussi l’Élisa du XXIème siècle qui, sous les étoiles, succombait au charme irrésistible d’un viril dompteur de tigre.

    - Ehi Sha…mon amour, croit-elle entendre tout près de son oreille

    - Roh Ahr Anh. Je t’aime… S’entend-elle répondre.

    Et là, sous les étoiles, portés par la magie de la nuit, ils scellent d’un un baiser brûlant qu’ils n’ont prémédité ni l’un ni l’autre, cet amour onirique que d’autres ont créé pour tromper leur incommensurable ennui.

    - Pardonne-moi Élisa, je n’ai pu m’empêcher !

    -Ce n’est qu’un rêve ! Excuse-t-elle encore tremblante entre les bras puissants qui la retiennent.

    -Pas cette fois mon cœur, pas cette fois ! Il va falloir t’habituer !

    Qu’importe, elle est toute prête à s’habituer à la douce et béate torpeur que ce délicieux instant  a fait naître en elle!

    C’est d’un pas incertain, dans un état second, qu’ils regagnent la cabane où les deux autres dorment déjà d’un sommeil de plomb.


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  • Jonathan…Ce prénom la titille. C’est un peu comme la brûlure du laser, en moins douloureux mais à l’intérieur de son crâne.

    - Vous…Vous êtes Jonathan…Bafouille-t-elle.

    C’est une évidence, pas une question. D’ailleurs sans attendre de réponse de l’intéressé, poussée par une espèce d’urgence, elle se met à se frotter les yeux pour s’assurer qu’elle n’est pas en plein rêve.

    - Je suis dehors. Je suis dehors… Murmure-telle pour elle-même.

    Elle est dehors ! Comment en douterait-elle. Il n’y a qu’à voir Jacob aussi éberlué qu’elle qui ne sait pas où poser les yeux. Il faut dire que comparé à la monotonie de la Sphère, le spectacle a de quoi les époustoufler. Pour la première fois, ils découvrent un vrai paysage. Un vrai ciel, immense, infini ou luit un disque jaune éblouissant !

    - Attention, ne regardez pas le soleil en face ! Les ont avertis Martha et Jonathan dès leur sortie.

    Trop tard ! Ils ont été aveuglés quelques secondes. Sous la lumière surnaturelle de l’astre, les couleurs explosent. C’est vert, ocre, bleu… Ils ont encore peine à croire à tout ce qu’ils voient, loin, très loin, à perte de vue dans l’espace qui s’étale librement bien au-delà de la Sphère dont la masse énorme obstrue tout l’horizon de l’autre côté, aussi loin et haut que se porte leur regard exorbité. C’est un dôme plus gigantesque encore que tout ce qu’ils auraient pu imaginer si cette faculté- là ne leur avait pas été tout aussi interdite que les autres. La sortie vers ce dehors qu’ils ont craint toute leur vie, est à quelques mètres à peine à l’aplomb des épaisses murailles transparentes de leur monde sphérique. Un monde qui s’élève aussi haut et s’étend aussi vaste au-dessus qu’il s’enfonce profondément et s’étale immensément en dessous Depuis leur naissance, leur seul horizon aura été constitué par les murs métalliques de la Sphère. Leur seule lumière n’aura été que l’artificielle et quasi permanente lueur des héliolumis.

    Elle sait désormais, avec certitude, que la vraie vie est là, dehors. La vie, c’est la fraîcheur de ce souffle d’air qui la fait frissonner…Le vent…Ça s’appelle le vent…C’est chargé d’odeurs inconnues qui provoque chez elle comme chez Jacob une réaction des plus surprenantes.

    - Atchoum ! Font-ils ensemble !

    C’est bruyant, ça soulage c’est drôle ! Le rire fuse malgré eux de leur gorge un peu enrouée. Quelle sensation grisante ! Ils se jettent un regard ému de connivence. Ils ont déjà expérimenté ça… Quand ?

    Près d’elle, attentif au réveil de toutes ces émotions si nouvelles pour elle, Jonathan l’observe. Un léger rictus étire ses lèvres vers le haut. Ça, c’est un…sourire ! Elle se souvient.

    - Tu te souviens ! Dit -il, faisant écho à sa pensée informulée.

    - Je ...Je crois oui !

    - Ne t’emballe pas Élisa ! Ce ne sont que des souvenirs implantés.

    - Je sais !

    - Tu sais ?

    - Oui, ça me revient petit à petit.

    - Moi aussi ! Confirme Jacob dont la mine réjouie de l’instant d’avant s’allonge au rythme du réveil de sa mémoire.

    Comme la sienne !

    - De quoi te souviens-tu ? Questionne Jonathan.

    - Les rêves, vous, Martha…Et…Et...La dernière fois que vous…que je…

    Elle étouffe… La masse écrasante de la Sphère se referme sur elle, l’engloutit. Elle se sent aussi minuscule qu’un petit animal pris au piège. Le mastodonte de verre et d’acier, se dresse au-dessus d’elle, cruel prêt à la dévorer. Une terrible envie de hurler la submerge. Haletante, elle se rue en avant, poussée par une peur immonde. Ne plus se réveiller dans la Sphère. Jamais ! Échapper aux rêves étrangers.

    Le bras ferme de Jonathan la retient ! Il la serre contre lui. Elle se débat un peu puis cède, plus épuisée qu’après leur interminable fuite dans les entrailles humides et glaciales de sa prison.

    - Calme-toi, respire ! Laisse venir tranquille !

    - Partons d’ici, je vous en supplie, sanglote-elle à bout de résistance. Je ne veux pas qu’ils me reprennent !

    - Nous allons partir Élisa ! Sois sans crainte, ils ne te reprendront pas ! Pas plus que Jacob ou que tous ceux que nous avons tirés d’ici jusqu’à aujourd’hui ! « Ils » ne sortent jamais ! Nous ne courrions de réel danger d’être arrêtés que tant que nous étions à l’intérieur. De temps à autre et de façon tout à fait aléatoire, ils envoient un « Œil-espion » parcourir les anciens niveaux. Un ou deux extracteurs se sont déjà fait prendre, hélas.

    - Que s’est -il passé ?

    -Leurs « extraits » ont été supprimés d’office. Quant à eux ils ne l’ont été qu’après avoir été sondés en profondeur par la Machine. Ceux d’en -haut voulaient savoir s’ils avaient des complices et surtout, ce qu’ils savaient de leurs pratiques illicites. Mais ils n’ont rien livré. Les extracteurs s’auto conditionnent de manière drastique. Il est impossible de leur soutirer le moindre aveu.

    - Mais la Machine justement ?

    - Elle aussi n’exerce sa néfaste influence que dans la Sphère, rassure-toi !

    - Je veux bien vous croire mais allons-nous en d’ici quand même ! Insiste-t-elle à bout de nerfs.

    Le cri de terreur qu’elle réprime depuis que la conscience lui est revenue, comme réactivée par l’air frais et pur, n’est plus loin de jaillir de sa gorge nouée. Elle voudrait hurler sa rage, sa haine, sa peur, le sentiment infini de perte qui remonte en elle. Crier pour évacuer ce qui lui fait mal, pour éteindre dans sa tête la voix de ceux qui l’ont manipulée comme un jouet et qui étaient prêts à la reformater ou peut-être même à l’exiler chez les irrécupérables juste parce qu’elle leur échappait comme ils disaient. Elle n’était à leurs yeux qu’un objet qu’on jette après usage. Ils allaient la remplacer. Elle croit les entendre encore : 

    « Il va falloir la reformater ! » Conseillait celle qui s’appelle Serena.

    « Changer de sujet serait plus sûr » répondait froidement le dénommé Septime.

    C’est bien ça, ils allaient la jeter aux oubliettes et s’offrir un nouveau jouet. Que leur importait qu’elle finisse en pilules rouges pour ses congénères ? C’est exactement ce qu’il serait advenu d’elle si Jonathan ne l’avait pas sortie de là-dessous ! Le cri qu’elle n’a pas réussi à lâcher se mue en sanglots convulsifs. Ce qu’elle endure est pire, bien pire qu’un reformatage ! Parce qu’après un passage au Centre de Contrôle, pendant un temps au moins vu sa « perversion », elle redevenait un robot amorphe et sans conscience. Sans souffrance ni émotion d’aucune sorte. Elle se serait bien passée de cette nouvelle sensation qui la brise. Les larmes qu’elle ne peut empêcher de couler mouillent le large torse contre lequel elle s’est si souvent blottie en rêve. Seulement en rêve ! Dans sa tête s’égrènent des noms, des lieux, des époques, des évènements…Toutes ces choses qu’ils ont implantées dans son esprit juste pour la faire rêver à leur place et qui lui reviennent à présent comme s’il s’agissait de ses propres souvenirs.

    Jonathan-Roh Ahr Anh, Ehi Sha, Patrick-Parh Anh, Martha –Mah Rah, Sarah-Sha Rah, Chloé, Carla, Sarlat, la caverne, le Clan, le cirque…Tout se bouscule en elle jusqu’à l’affoler. Il est plus que temps qu’ils s’éloignent enfin de ce lieu maudit qui l’emprisonne encore. La Sphère-Prison pour les esclaves des Serena, Septime, Maïandra, Magnus et tous les autres tyrans de la Haute Sphère. De là où elle se trouve, elle ne distingue qu’à grand peine les habitations de la surface. Elles lui apparaissent telles des ombres gigantesques, de hautes tours déformées par l’énorme épaisseur du dôme qui les recouvre et les protège. Mais de quoi ?

    « Eux aussi sont prisonniers » Pense-t-elle, s’avisant d’un coup qu’il ne semble y avoir aucune activité humaine là derrière cette bulle étonnamment nette. Un système d’auto nettoyage externe parfaitement efficace sans doute.

    - C’est vrai qu’ils sont prisonniers ! Intervient Martha. Mais eux le sont volontairement !

    - Elle a raison ! Renchérit Jonathan ! Les bouleversements qui ont rendu la Terre inhabitable ont eu lieu il y a un peu plus de 1500 ans. Or, bien que les capteurs placés à l’extérieur des Sphères aient signalé que l’atmosphère n’était plus létale depuis 500 ans, ils ne sont pas sortis et ont maintenu leur emprise sur les habitants-ouvriers du dessous.

    -500 ans ! Tous ceux qui vivent là-dessous aujourd’hui à tous les niveaux des Sphères pourraient donc être dehors sans aucun risque depuis toujours ! C’est monstrueux !

    Braille Jacob le discret, comme elle l’a surnommé ! L’homme est à son tour saisi de révolte et d’incompréhension !

    - Ces gens sont fous ! Ils ne méritent pas de vivre ! Comment en sont-ils arrivés à faire de nous des robots à leur service ? Car je suppose qu’il n’en a pas toujours été ainsi ! poursuit-il au comble de la rage.

    - Oui, expliquez-nous à la fin ! L’appuie-t-elle en se détachant de Jonathan.

    Sa colère remonte d’un cran, ranimée par la diatribe virulente de son compagnon d’infortune.

    - Bien ! Je vois et surtout, j’entends que vous avez repris des forces ! Nous pouvons donc nous mettre en route maintenant ! Rétorque Jonathan calmement.

    Il a l’air presque amusé.

    - C’est ça ! Allons-y, nous avons perdu assez de temps comme ça ! La pluie menace et il vaut mieux que nous soyons à l’abri loin d’ici quand ça va dégringoler ! Lance Martha dont les yeux sont levés vers le ciel.

    - La...la pluie ? S’interrogent en chœur les deux ex prisonniers.

    - Les trombes d’eau qui ne tarderont plus à nous tremper jusqu’aux os si nous traînons encore. Les pluies de début du printemps, ça ne rigole pas ! Et je vous jure que ce n’est pas aussi agréable que les douches des habitacubes ! Hop, hop, hop, on s’active !

    Sans préavis, elle a pris la main de son protégé tandis que Jonathan fait de même avec elle. Comme lors de leur fuite dans la Sphère, il l’entraîne presque au pas de course. Le désir de fuir au plus vite ce lieu maudit lui insuffle des forces et une énergie qu’elle n’aurait jamais soupçonné posséder jusqu’à ce matin. Où vont-ils ? Elle ne sait. Ce qui lui importe pour le moment, c’est de mettre un maximum de distance entre elle et sa prison. Pour autant, elle n’oublie pas ses compagnons de captivité. Ceux du secteur de la Sphère où elle est née et où elle a toujours vécu, comme ceux innombrables des autres secteurs.

    - Leur heure viendra Élisa !

    Répond Jonathan qui perçoit décidément tout de ses pensées.

    - Septime… Il…Il a dit quelque chose d’étrange.

    - Oui ?

    - Je n’ai plus la force… Il a dit : je n’ai plus la force.

    - Je sais ! C’est vrai et c’est bien pour ça que l’heure de la libération viendra pour les esclaves d’en bas.

    -Il a dit autre chose d’aussi bizarre : il interfère. Qu’est-ce que ça veut dire ?

    - Je t’expliquerai. Plus tard.


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  • Elle obéit, saisie d’appréhension. Le lieu où ils se trouvent réunis tous les quatre est sombre. Beaucoup moins cependant que le tunnel du niveau originel. Une espèce de lueur qui ne ressemble pas du tout à celle que diffusent les héliolumis, descend vers eux. Dans le réduit ainsi faiblement éclairé, il fait froid. Frais plutôt mais d’une fraîcheur presque…agréable qui là encore, n’a rien à voir avec le froid pesant, mortel régnant dans le ventre de la Sphère. Plus aucune trace de l’entrée de la cheminée gravitationnelle ! C’est comme si elle n’avait jamais existé. Ce simple constat l’enferme dans la terrible sensation qu’elle est encore en train de rêver. Encore ?

    - Où sommes-nous ? Demande Jacob qu’elle sent trembler près d’elle.

    Instinctivement, elle lui prend la main, pour le rassurer autant que pour se rassurer elle-même.

    - Tout…tout va bien ! Nous…nous sommes vivants… Chuchote-t-elle, à peine convaincue que ce qu’elle affirme sera encore vrai tout à l’heure, quand ils monteront vers la lumière.

    Car il n’y a pas d’autre alternative que de monter. En ouvrant les yeux, elle a cru apercevoir un…escalier. Le mot lui est venu en même temps qu’elle découvrait la chose ! Et puis ce truc bizarre qui flotte à l’orée de sa conscience : mémoire ancestrale.

    - Non jeune fille ! Mémoire implantée !

    Rectifie sèchement la voix de…de Martha près d’elle.

    - Ne soit pas si pressée ma vieille amie, elle ne peut pas savoir ! La morigène doucement l’homme qui l’a sauvée des griffes de la Machine. Je te trouve d’un seul coup bien dure avec elle !

    - Et toi, trop doux ! Cesse donc de la couver ! Elle n’est pas ta protégée ! Enfin, pas plus que celles et ceux que tu as extraits avant elle ! Ce n’est pas parce que tu…

    - Stop Martha ! N’en dis pas plus !

    Le ton est sans appel. La colère y pointe…

    Colère ! Elle prend à son compte ce nouveau concept qui vient de surgir en elle. Colère ! Ça enfle prêt à exploser, sauvage. Elle a envie de frapper l’homme et la femme qui parlent d’elle comme si elle n’était pas là.

    - Vous avez fini tous les deux ! Hurle-t-elle à présent totalement possédée par cette violence jusqu’alors inconnue d’elle.

    - Du calme Élisa ! S’interpose Jacob que son emportement vient à point nommé de sortir de l’hébétude dans laquelle il semblait se complaire depuis son arrivée dans la cheminée gravitationnelle.

    Choqué par sa réaction il s’est libéré de la main qui lui serrait les doigts à les briser.

    - Il faudrait que je me calme quand ces deux-là me traitent comme si j’étais transparente ? Nous étions des choses en bas Jacob ! Des robots programmés pour obéir à la Machine et à ceux qui l’ont inventée. Ils décidaient et nous faisions ce qu’ils demandaient sans réfléchir ! Sommes-nous encore ces choses sans pensée propre ? Vous je ne sais pas mais moi, depuis qu’on m’a fait courir comme une forcenée pour sortir de ma prison, je me sens libre de réfléchir par moi-même et je refuse qu’on parle  de moi comme d’un objet !

    Elle à bout de souffle presqu’autant qu’après la longue course dans les tunnels. Des larmes s’échappent malgré elle de ses yeux mais elle se sent bien. Plus vivante qu’elle ne l’a jamais été. Soulagée !

    - Bon, on y va maintenant ! Clame t-elle impatiente soudain de voir ce qu’il y a au-delà de cette lueur qui semble l’appeler.

    - Voyez-moi ça ! Elle se réveille la petite ! S’esclaffe Marthe.

    - Vous savez ce qu’elle vous dit la petite ?

    Et des mots qu’elle n’a jamais utilisés lui viennent à l’esprit. Des mots cinglants, aussi brûlants que les décharges punitives des lasers et qui exprimeraient parfaitement sa colère, sa frustration, son ressentiment, son agacement… Tout un tas de sentiments qu’elle n’a jamais éprouvés. Des sentiments interdits à n’en pas douter, donc passibles d’une sanction immédiate et douloureuse de la part des sales petits espions volants de la Machine  toujours à l’affut du moindre manquement aux règles strictes de la Sphère ! Mais elle n’est plus en bas. Elle peut dire ce qu’elle veut désormais !

    - Espèces de salopards prétentieux ! Je vous emmerde lance -t’elle tout à trac sans même comprendre vraiment le sens des termes qu’elle utilise  pour la première fois.

    Un son extraordinaire jaillit de la gorge de l’homme dont elle ignore toujours le nom. Elle sait…. Ou elle se souvient….Ça s’appelle rire. Et c’est…beau !

    - Tu as raison Martha, elle se réveille ! C’est parfait ! Et toi Jacob ?

    -Je…heu…oui…il ya des choses qui me reviennent… mais je me demande si je les ai vécues ou seulement rêvées.

    Balbutie l’intéressé encore surpris par la virulence de sa réaction.

    - Parfait, parfait ! Répète l’homme. Comme tu dis Élisa, allons-y maintenant. Il est temps de quitter ce trou à rats !

    - Qu’est-ce qu’on attend alors !

    - Vos poumons n’étaient pas prêts à respirer l’air non filtré du dehors ma belle, voilà ce qu’on attendait. Assez parlé ! On sort de là !

    Rétorque Martha d’un ton sec qui paraît indiquer qu’elle n’a pas apprécié d’être remise à sa place.

    Sans savoir pourquoi, Élisa se surprend à penser qu’en d’autres circonstances, elle se serait bien entendue avec cette femme qui l’a manifestement prise en grippe. Plus bizarre encore, elle s’avise d’un seul coup qu’apprécier ou non quelqu’un dans la Sphère, n’a pas cours. Que l’idée même y est totalement inenvisageable pour ne pas dire inexistante. « Concept inconnu. Interdit ! » Clame la voix impersonnelle de CVUT7007 dans sa tête en vrac.

    -Magne-toi gamine ! Lance la voix acerbe de celle que dans son for intérieur, elle surnomme la sorcière sans savoir ni pourquoi, ni ce que ça veut dire.

    - J’arrive ! répond-elle en s’élançant vers le trio déjà parvenu presqu’en-haut de la volée de marches abruptes.

    Si l’impatience lui donne des ailes, une crainte irraisonnée la fait trébucher. Une main forte et secourable la retient à temps. Il est revenu sur ses pas pour l’attendre. Quelque chose lui dit qu’il a toujours été là pour la préserver du danger.

    - Doucement Élisa ! Ce serait dommage de te casser une jambe si près du but ?

    - Je ne suis pas votre protégée comme dit votre comparse ! Je peux me débrouiller seule ! Lance-t-elle hargneuse en se dégageant de la poigne solide qui la hisse vers la lumière !

    - Ok Mademoiselle ! Ne sois pas si susceptible ! Il n’y a pas de mal à se laisser aider, crois-moi ! Surtout qu’on n’est pas encore tirés d’affaire !

    - On va nous poursuivre ?

    - Non ! Les gardes ne s’aventurent pas hors de la Sphère ! Comme tous ceux d’en bas, ils sont formatés pour croire que la vie est impossible dehors ! Mais d’autres dangers nous attendent ! Allez viens, on y est !

    Et sans plus tenir compte de ses réticences, il lui fait franchir la dernière marche.

    Son grand corps devant elle, la protège de ce « dehors » dont la proximité la terrorise autant qu’elle l’attire. « Je ne vais pas mourir, je ne vais pas mourir » se répète-t-elle comme une litanie. Il se recule pour la laisser passer. La lumière éblouissante, l’air frais et vif qui lui fouette le visage. D’un côté, le paysage à perte de vue, de l’autre, l’horizon bouché par l’immense bulle où se devinent les silhouettes menaçantes des hautes tours des Maîtres. Tout cela l’agresse avec une violence inouïe. Une main sur le cœur, elle vacille tandis qu’une fois de plus lui revient la sensation d’avoir déjà vécu ça. Sans Jacob mais avec les deux autres. Et puis soudain, deux voix dans sa tête : « On la perd…réveille-la.Trop dangereux.. »

    Elle sent qu’elle va perdre connaissance. Elle s’accroche à ce qui tournoie dans son esprit de plus en plus embrumé. Deux prénoms.

    - Septime…Serena. Bredouille-t-elle au bord de la nausée.

    - C’est l’air ! Tiens bon ! Tu vas t’habituer et ça ira mieux.

    Fermement maintenue par l’homme, étourdie, elle laisse ses poumons s’acclimater à cet air du dehors qui ne l’a pas tuée dès la première goulée ainsi qu’elle le craignait tant.

    - Qui sont Septime et Serena ? Questionne-t-elle tremblante.

    -Tu ne sais pas ?

    - Je devrais ?

    - Probablement puisque tu connais leur nom !

    - Désolée mais non, je ne sais pas !

    - Septime et Serena sont des Maîtres. Ceux qui se servaient de toi ! Comme Magnus et Maïandra le faisaient pour Jacob. Sans parler de tous les autres privilégiés d’En-Haut qui utilisaient pour leur plaisir, les esclaves de la Sphère que nous avons réussi à extraire depuis que… l’un de nous, mal formaté sans doute, s’est rendu compte de la manipulation odieuse dont ils étaient l’objet.

    - Et celui-là jeune fille, même s’il est trop modeste pour te le dire lui-même, c’est notre Jonathan !

    Complète Martha en train de secouer doucement Jacob à demi effondré sur le sol. Elle a clamé cette louange en jetant sur l’intéressé un drôle de regard, comme une espèce d’avertissement muet.

    Jonathan ?


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