• Soudain, on agrippe son bras... Elle se sent entraînée de force… Les gardes ? Non, ils officient en binôme or, une seule poigne de fer la retient. On la fait courir ! C’est interdit ! Déjà, un Œil-Surveillant est au-dessus d’eux… Une main rageuse l’a saisi et jeté au sol où il se brise ! Fragiles ces petits espions ! Incroyable !

    - Cesse donc de réfléchir Élisa ! On n’a pas le temps !

    S’énerve ce « on » qu’elle n’a pas encore regardé.

    - Plus tard Élisa ! Dépêchons-nous ! La Machine a été alertée, elle va réagir. On doit atteindre la cheminée gravitationnelle avant !

    Tiens, « on » est également capable de lire dans les pensées toutes fraîches d’Élisa 7, la jardinière déchue !

    Elle n’essaie même pas de lui résister. C’est comme si elle savait qu’il est là pour la sauver. Depuis toujours. Parce qu’elle a la soudaine certitude que ce n’est pas la première fois qu’il la sort de terribles pétrins. Son nom s’inscrit tout à coup en lettres d’or dans sa tête. Jonathan. Jonathan tout court, sans le numéro de classement pourtant obligatoire pour tous les sujets de la Sphère.

    - Parce que je n’en ai pas Élisa ! Viens ! Vite ! On n’est plus très loin ! Tu pourras souffler après, promis !

    Il a senti son épuisement avant elle. Comme beaucoup d’autres choses, courir était un concept jusqu’alors totalement inconnu pour elle. Ici même marcher est interdit hors des zones de vie : habitacube et poste de travail. Il n’est possible de pratiquer la marche à dose concentrée et sur un tapis roulant, que lors de la séance de sport obligatoire qui a lieu tous les quinze jours. Et encore ne fait-elle partie que de la série d’exercices imposés, répartis sur les deux heures qui suffisent, selon les Autorités, à maintenir le corps d’un ouvrier de base dans la forme requise par la Machine pour le travail quotidien.

    Elle s’avise un peu inquiète qu’il n’y a plus personne autour d’eux et qu’ils ont quitté les pédiroules. Ils courent à présent dans une galerie au sol bétonné, faiblement éclairée. Elle ignorait que de tels endroits apparemment abandonnés, puissent exister dans la Sphère…

    - Jonathan....

    Le prénom de son sauveur lui est spontanément venu aux lèvres. Et elle parle ! C’est grisant ! Qu’elle en soit capable devrait pourtant la stupéfier !

    - Oui ma douce…

    Ma douce ? Elle n’en est plus à un étonnement près de la part de cet homme bizarre qu’elle n’a pas encore vraiment eu le loisir de regarder.

    - Vous avez parlé de LA cheminée gravitationnelle mais il n’y en a pas qu’une…. Sauf que par ici, il ne devrait pas y en avoir du tout. Je me trompe ?

    Questionne-t-elle inquiète.

    - Tu te trompes. Il y en a une. Ceux d’En-Haut l’on totalement oubliée mais elle fonctionne toujours. J’y ai veillé ! On y est amour de ma vie !

    - Mais….Jonathan…

    - Je sais mon cœur, je t’expliquerai. Viens ! Fais- moi confiance ! On nous attend !

    - On nous attend ? Qui ça ?

    - Tu verras quand on y sera ! Encore un petit effort Élisa, on n’est plus très loin !

    « Tant mieux ! » Pense-t-elle. Décidément, les séances de sport en salle, même intensives auxquelles sont soumis les « « sphériques », n’ont rien à voir avec la course effrénée que lui a fait subir Jonathan. Pourtant, lui ne montre aucun signe de fatigue ni d’essoufflement. Elle est à la limite de l’évanouissement quand ils s’arrêtent enfin. Elle a un point de côté .Ça ne lui est jamais arrivé ! Elle aurait bien besoin d’une pilule énergétique.

    - Tiens ! Avale ! Dit-il en lui donnant ce que son corps réclame.

    Il a devancé sa pensée ! Elle ne s’en étonne plus. Puis il tapote sur le clavier d’un petit boîtier fiché sur la paroi en face d’eux. Un doux chuintement et voilà qu’une porte totalement invisible à l’œil nu s’ouvre devant elle.

    - Vous voilà enfin. Marmonne une voix émanant de l’orifice ainsi dégagé. Je commençais à craindre que vous ne vous soyez fait prendre.

    C’est Martha ! Elle n’en revient pas !

    - Mais… vous deviez rejoindre le niveau 14 !

    - Les pédiroules sont surveillés, tu l’as bien vu ! Je ne pouvais rien te dire de plus sans me mettre en danger. Le simple fait de te parler était déjà un délit. Et puis ma vraie fonction, c’est au 14 que je l’exerce.

    -Quoi… que.

    -Je t’expliquerai plus tard ! Il faut y aller maintenant !

    Elle acquiesce abasourdie. Mais tant de choses effarantes viennent de lui arriver en très peu de temps que cette histoire de double fonction cesse rapidement de la préoccuper.

    - C’est…c’est ça la cheminée gravitationnelle dont vous m’avez parlé Jonathan ?

    - C’est ! Entre, n’aie pas peur !

    Il en a de bonnes ! C’est impressionnant au possible cet étroit boyau vertical qui semble n’avoir ni début ni fin et dans lequel Martha se tient debout sur rien de tangible, juste au-dessus d’un vide insondable, environnée par une sorte de nuage luminescent !

    - C’est ça qui me tient ma belle, allez, viens ! Plus de temps à perdre ! La presse Martha.

    - Elle a raison mon cœur ! Dit-il en la poussant dans la cheminée et en y pénétrant à son tour. Là-haut, ça bouge ! On nous recherche !

    Là-haut ? Ils sont donc descendus ? Mais comment ? Dans l’espèce d’euphorie provoquée par la montée d’adrénaline, elle ne s’est rendu compte de rien. D’un seul coup lui reviennent des détails auxquels elle n’a pas eu l’impression d’avoir prêté la moindre attention sur le moment. Des traces de…de roues sur le sol inégal et poussiéreux. Elle n’a jamais croisé le moindre…véhicule dans la Sphère…Une interminable succession de virages en pente qui ont mis ses jambes peu habituées à fonctionner aussi rapidement, à rude épreuve. Des virages en pente comme dans les…parkings souterrains. Waouhhh ! D’où sort-elle cette idée saugrenue ?

    - Mémoire ancestrale ma jolie ! Dit Martha qui semble avoir une faculté de lire les pensées supérieure à celle de Jonathan.

    Sans répondre, elle poursuit l’inventaire des choses incongrues qui l’ont inconsciemment interpellée, histoire de ne plus rien oublier. En suspension dans le halo des lumières bien plus falotes que celles qui éclairent son Unité, dansaient de fines particules de poussière. Impensable dans l’atmosphère totalement aseptisée de la Sphère ! Et puis cet air lourd, chargé d’humidité ! Ça aussi c’est impossible là-haut !

    Humidité…Elle se rappelle s’être arrêtée deux ou trois secondes pour essuyer d’un revers de main le liquide salé, un peu poisseux qui lui coulait dans les yeux et jusqu’aux commissures des lèvres. Sa légère combinaison brune de trieuse lui collait à la peau. Transpiration…Le mot lui vient soudain en même temps que la sensation désagréable qu’elle a éprouvée. Elle était épuisée, percluse de courbatures et Jonathan qui ne cessait de la houspiller pour qu’elle avance…

    Elle est toujours morte de fatigue, totalement déboussolée, effrayée comme elle ne l’a jamais été - parce que la frayeur ou toute autre émotion ne faisait pas partie du programme - mais incroyablement, absurdement heureuse !

    Heureuse ! Ce matin, au réveil, ce mot-là - et la sensation…délicieuse qui va avec - ne voulait rien dire. Ne faisait pas partie de son vocabulaire licite. Comme tant d’autres qui la submergent à présent : amour, désir, plaisir…Des mots, des besoins surgis de sa troublante proximité avec Jonathan dans ce réduit cylindrique manifestement pas fait pour trois. Si étroit, qu’elle est obligée de se serrer contre lui, poussée autant par la crainte irraisonnée qu’elle éprouve à se tenir ainsi au-dessus du vide que par l’exiguïté du lieu.

    - On est rudement à l’étroit là-dedans, marmonne-telle en se détachant légèrement de lui pour lui cacher son trouble.

    -Normal ! Cette cheminée là n’était qu’un monte-charge à l’origine ! Explique Jonathan

    -Pourquoi ne bougeons-nous pas ?

    - Mais nous bougeons ma chérie ! Nous montons pour être plus exact ! Tu ne le sens pas ?

    Lui dire qu’être là, tout contre lui, à percevoir son cœur qui bat sous la paume de sa main posée sur la large poitrine, l’empêcherait de sentir…un tremblement de terre ! Et encore une drôle d’idée qui lui vient de sa mémoire ancestrale à en croire Martha ! Est-ce aussi sa mémoire ancestrale qui lui dit, sans qu’elle ait eu besoin de le regarder plus que ça, que Jonathan qui la domine de deux têtes au moins, est beau, très beau même. Son corps brûle partout où il est en contact avec le sien. Désir…Amour…Plaisir. Joie ! Elle a envie de chanter, de danser, de rire !

    Inimaginable le nombre de nouveaux concepts qu’elle a intégrés depuis que la voix atone de CVUT2007 l’a sortie de ses pensées inquiètes au sujet de ses rêves. L’un d’eux en particulier qui l’a fortement marquée mais dont elle ne parvient pourtant pas à se souvenir…

    - Ça va te revenir jeune fille ! Alors Jonathan, on y arrive où quoi ? C’est bien long cette fois !

    Cette fois ? Il y a donc eu d’autres fois ?

    - Comme d’habitude Martha ! Je te trouve bien impatiente ma vieille amie ! Bon, si je me fie à mes souvenirs, nous serons bientôt dehors !

    Ses souvenirs…Dehors… Ils sont fous !

    - Dehors ? Mais on meurt dehors !

    - Comment peux-tu le savoir ? Tu y es déjà allée ?

    Demande Martha, un petit sourire ironique aux lèvres.

    - Je.. On... On me l’a dit…

    - La Machine te l’a dit !

    - La Machine ne peut mentir !

    - Vrai ! Mais ceux qui l’ont créée, si !

    - Non…je…c’est impossible !

    - Martha a raison mon amour et tu en auras bientôt la preuve. Tu me fais toujours confiance n’est-ce pas !

    - Oui !

    - Alors ne crains rien et continue à te concentrer sur ces merveilleuses facultés qui te sont revenues.

    - Qui me sont revenues ?

    - Oui ! Rire par exemple ! Tu ne veux pas essayer ? Ou m’embrasser. Il faut bien que ça te revienne ça aussi, alors autant que ce soit avec moi !

    L’idée de rire s’impose à elle avec une force insoupçonnable, autant que celle de l’embrasser, juste pour le plaisir d’effacer son sourire goguenard. Plaisir, plaisir ! Quel mot merveilleux, quelle merveilleuse sensation ! Son diaphragme se contracte, les commissures de ses lèvres s’étirent malgré elles vers le haut et d’un coup, ça explose, miraculeux, incoercible. Si fort qu’elle en pleure ! C’est lui qui se penche sur elle pour étouffer ce déferlement sauvage de sa bouche chaude, si chaude, si voluptueuse…

    C’est donc ça un baiser? Son premier? D’enivrantes sensations la submergent, l’embrasent, la font trembler de la tête aux pieds, tandis que la langue de Jonathan joue avec la sienne. Quand ? Où a-t-elle déjà éprouvé cela ?

    Ils ont oublié Martha, la fuite, les gardes lancés à leur poursuite…Enlacés, éperdus, ils sont en train de monter au septième ciel…

    Le premier, comme à regret, son sauveur se détache d’elle, le souffle court. À côté d’eux, Martha qui s’est faite discrète pendant cet échange très intime, réprime difficilement un fou-rire.

    - Eh bien ! Elle fait des progrès fulgurants notre petite Élisa ! Le septième ciel, rien que ça ! Sais-tu ma jolie qu’on vient de l’atteindre ton septième ciel ? Allez les tourtereaux on sort de là et on met le plus d’espace possible entre nous et la Sphère ! Pressons !

    Élisa a bien du mal à émerger de la brume de délices dans laquelle l’a plongée cette fabuleuse étreinte. Jonathan n’a pas l’air beaucoup plus lucide qu’elle.

    - Élisa mon amour, je t’aime ! Si tu savais combien je t’aime ! Depuis si longtemps !

    - Je…Je crois bien que je t’aime moi aussi ! Même si je découvre à peine ce que ça veut dire !

    - Stop les enfants ! Vous aurez tout le temps de roucouler lorsque nous serons vraiment en sécurité ! Sortons de là !

    Là, c’est petite pièce qu’elle découvre avec stupéfaction car elle est totalement vide. Pas de lumière là-dedans, pourtant on y voit à peu près clair. L’éclairage diffus, en même temps qu’une espèce de souffle frais, provient du haut de l’escalier étroit et raide qui fait face à la porte à présent refermée de la cheminée gravitationnelle.

    Plus que quelques marches à grimper avant d’atteindre le « Hors-Monde». Elle est pétrifiée. Pour elle, la merveilleuse montée dans la lumière bleutée de la cheminée n’aura-t-elle finalement été que l’ascenseur pour l’échafaud ? « Saleté de mémoire ancestrale, lâche-moi !» Car en-haut de ces marches, c’est la mort qui l’attend, qui les attend à coup sûr.

    Il faut toute la force de persuasion de ses deux compagnons pour qu’elle accepte enfin de les suivre dans cette ascension vers ce qu’eux appellent la liberté. Bravo ! Elle va mourir libre, mais elle va mourir !

    - Non mon amour, tu ne mourras pas ! Il te reste encore trop de choses à découvrir. Personne ne va mourir !

    Dernière marche…Quelque chose de froid la gifle. Comme le souffle qu’elle a senti d’en bas mais en plus fort. Elle serait tombée si Jonathan ne l’avais pas retenue d’une main ferme.

    - C’est le vent ma chérie ! Il est froid parce qu’il est encore tôt mais aussi parce nous ne sommes qu’au début du printemps.

    - Le printemps ?

    - Une des quatre saisons de ce que tu appelles le « Hors-Monde » et qui est en fait, le Monde, le vrai ! L’originel !

    - Enfin ! Nous voilà dehors s’égosille Martha qui est sortie la première. Encore une de réussie !

    Encore une de réussie ? Une quoi ?

    Puis c’est à Jonathan qui, de ce «dehors » qui l’épouvante, lui tend la main pour qu’elle y accède à son tour. À quoi bon résister ? Elle ne va tout de même pas retourner dans la Sphère ! Mourir pour mourir…Elle sort.

    Éblouie par une lumière aveuglante, elle ferme les yeux, trébuche, manquant de dévaler les marches qu’elle a gravies tellement à contrecœur. Jonathan n’a que le temps de la retenir. Il la serre entre ses bras rassurants, la berce tendrement pour qu’elle s’habitue. La tête enfouie contre son torse puissant, elle n’a pas encore osé respirer. Elle ne se sent pas très bien..

    - Essaie mon amour, tu ne risques rien. Sinon, pour le coup, tu vas vraiment mourir ! Ce serait dommage, tu ne crois pas ?

    - Ne te moque pas ! Dit-elle très vite, terrifiée à l’idée de ce que ce peu de paroles vient de laisser entrer dans ses poumons.

    - Élisa mon trésor, suis-je mort ? Et Martha ?

    - Allez jeune fille, un peu de courage ! Renchérit cette dernière qui n’est effectivement pas morte empoisonnée par les miasmes délétères du « Hors-Monde »

    Un peu vexée que la vieille femme la trouve poltronne, elle écarte la tête du torse de Jonathan et se décide enfin à goûter cet air inconnu. Elle en avale une grande goulée, suffoque, tousse…mais ne meurt pas !

    - Ho la ! Vas-y doucement tout de même, tu n’as pas l’habitude !

    - Et toi ? Et Martha ?

    - Elle et moi, ce n’est pas la première fois que nous montons jusqu’ici. Et même que nous nous aventurons bien plus loin ma chérie !

    -Ohhh ! Ne peut –elle que répondre.

    Elle aurait dû deviner qu’au grand jamais il ne l’aurait exposée à d’autre danger que celui de son évasion de la Sphère. C’était en bas qu’elle risquait la mort, pas ici. Elle le comprend soudain pleinement.

    - Bien mon amour ! Si tu regardais autour de toi à présent !

    - D’accord !

    Elle n’est pas encore très rassurée mais elle a également envie de lui prouver qu’elle est capable de surmonter ses plus grandes peurs. Alors elle regarde. Un coup d’œil derrière elle…pas très loin ... « Pas assez loin ! » lui souffle l’esprit de Martha, se dresse et s’étend une immense masse arrondie qui semble toucher le ciel d’un bleu comme elle n’en a jamais vu. Une masse compacte, transparente mais qui lui apparaît grise et sale comparée à la pureté du ciel.

    - Le Dôme ?

    - Hum hum… Fait Jonathan en souriant !

    Comment peut-il sourire alors qu’en y pensant bien ils viennent de quitter la sécurité de la « Sphère » qui bien qu’elle soit une prison est tout de même bien moins dangereuse que le Hors-Monde ! Certes, l’air semble y être redevenu respirable mais…

    - Regarde par ici ! L’invite-t-il en pointant de l’index l’horizon qui devrait…

    Impossible ! C’est impossible. C’est cela l’espèce d’avertissement que contenait le regard énigmatique de Jonathan il y a seulement quelques secondes.

    Son cœur manque un battement….deux… elle avale une autre grande goulée d’air… un voile noir passe devant ses yeux… Elle s’écroule, sans connaissance…

    Du fond du puits noir de son inconscience, elle entend la voix de Jonathan :

    - Réveille-toi Élisa !


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  • …« Élisa 7 ! Contrôle ! Élisa 7 ! Contrôle ! »

    La voix désincarnée de CVUT 7007, coordinateur virtuel de son Unité de Travail, la tire de ses pensées inquiètes. Elle a beau avaler chaque soir très consciencieusement sa pilule régulatrice de sommeil, elle rêve ! Elle rêve alors que c’est interdit ! Rien ne doit nuire à la concentration des «ouvriers» de l’Unité 7007 consacrée à l’entretien des serres de cultures hydroponiques !

    Il est quatre heures, son poste débute à cinq-heures-trente précises. Elle n’a que le temps de se rendre au Centre de Contrôle, angoissée à l’idée de ce qui l’attend ! Un troisième reformatage ? Probable ! Elle en a déjà subi deux pour des dysfonctionnements moins graves que celui qui affecte son sommeil depuis une semaine. Deux déraillages inopportuns dont le premier de surcroît n’était pas de son fait.

    Celui-là elle ne l’a dû qu’à une très exceptionnelle erreur lors de son formatage de passage à l’âge adulte, le jour de ses 15 ans. Elle y a malencontreusement été programmée par la Machine pour l’Unité 5005, Niveau 5, affecté aux ateliers de fabrication des lourds panneaux de métal composite, destinés au remplacement des parois de protection interne de la Sphère. Il s’agit là d’une unité de travail exclusivement réservée aux sujets mâles de taille et de force suffisantes pour accomplir un ouvrage aussi dur et aussi vital pour la survie de tous les résidents des niveaux inférieurs, que le sont pour d’autres raisons les cultures hydroponiques.

    En revanche, elle est responsable de son deuxième reformatage. Celui-là elle l’a subi à cause d’actes répréhensibles qui ont été les premiers signes des troubles bizarres dont elle souffre depuis et qu’à force de volonté, elle parvient encore à cacher à la Machine!

    Dans les serres, les ouvriers sont de trois catégories. Il y a les « Jardiniers », dont elle faisait encore partie avant ce fameux deuxième passage au «Centre de Reformatage». Ils sèment, plantent et replantent, taillent, bouturent, pollinisent, nourrissent les cultures dont ils sont également les soigneurs en quelque sorte.

    Juste en-dessous d’eux, il y a les « Récolteurs » qui, comme leur nom l’indique, récoltent et convoient les plantes vers les labos où les chimistes les transforment en pilules hyper nutritives.

    Et enfin, tout en bas de l’échelle, il y a les «Trieurs » qui préparent les graines pour l’ensemencement. Eux, ne voient jamais le résultat de leur travail, sinon lorsqu’ils avalent une nutri-pilule. Mais ça ne les prive pas, ils sont formatés pour ça ! Tout comme le sont les  « Récolteurs » et les «Jardiniers» en dépit de leur supériorité hiérarchique. Tous travaillent sans état d’âme, tels des robots. Ils ne voient pas la beauté des plantes qui poussent sous les bulles. Ils ne respirent pas les odeurs parfois délicates qui émanent de certaines fleurs destinées à la fabrication d’huiles essentielles hautement concentrées dont les fioles minuscules autant que précieuses finiront dans les coffres blindés des privilégiés de la « Haute Sphère ». Ils ne voient la beauté ni ne sentent le parfum parce qu’ils n’en ont pas le droit. Parce qu’ils ne sont pas programmés pour ça. De la même façon que ne sont pas programmés pour ressentir quoi que ce soit, les ouvriers des autres niveaux de la Sphère.

    Or, justement Élisa voit ce qu’elle ne devrait pas voir, sent ce qu’elle ne devrait pas sentir et suprême dérèglement qui a justifié son second reformatage, non seulement elle a aimé ça –ce qu’elle aurait pu cacher - mais encore, elle a eu la bêtise de le montrer. Alors qu’elle effectuait tout à fait mécaniquement son centième replantage au moins, d’une plante aromatique aux vertus médicinales dont elle ne sait même pas le nom, elle s’est soudain arrêtée et s’est penchée vers le parterre de compost artificiel sur lequel elle travaillait pour sentir. Juste sentir ! Oublieuse soudain de « l’Œil-Surveillant » qui parcourait la Serre. Le verdict a été immédiat. Deux gardes sont venus la chercher. Direction le Centre de Reformatage !

    Elle est toujours ouvrière à la Serre mais à un rang subalterne. Elle est passée de Q3 à Q1. En conséquence de quoi elle n’a désormais plus le droit de manipuler les plantes germées et bien évidemment, moins encore celles qui sont parvenues à maturité. Elle a donc été reléguée dans l’atelier de triage des semences. Le problème c’est que, contrairement aux autres « Trieurs », elle en souffre ! En secret car le chagrin, comme toute autre émotion susceptible de perturber le bon fonctionnement de la classe ouvrière des Sphères, est formellement prohibé ! Elle a échappé à la refonte totale, gardé son statut de « 7 » qui lui permet non seulement de ne pas être mutée vers un autre secteur de la Sphère, mais encore de continuer à résider au niveau 7 du sien malgré sa rétrogradation.

    Il lui aura fallu ce deuxième reformatage pour s’aviser que sur elle, le procédé n’a que peu d’effet ! Son coordinateur virtuel et la Machine l’ignorent encore ! Les Créateurs du Monde des Sphères en soient remerciés même si elle ne sait pas comment c’est possible. Cela ne l’empêche pas de craindre le troisième.

    Elle rêve ! S’il n’y avait que ça ! Le simple fait qu’elle soit capable de penser par elle-même, la met en grand danger d’une refonte totale avec abaissement de catégorie à la clé, assorti d’une descente de niveau bien sûr ! Á moins que ce ne soit le bannissement au quinzième niveau où s’entassent les sujets devenus « inutilisables » pour les Unités de Travail Productif.

    Nul ne sait ce qu’il advient réellement de ces sujets dits « Lambda », si ce n’est les habitants de la « Haute Sphère ». Ceux qui vivent à la surface, sous le dôme transparent et indestructible, ainsi que l’ont voulu les concepteurs originels, à portée du ciel. Ceux qui règnent en maîtres sur les Coordinateurs Virtuels des Unités de Travail et sur la Machine. Eux savent ! Mais le pire, c’est qu’elle sait qu’ils savent. Et le pire du pire, c’est qu’elle sait ce qu’ils savent ! Au quinzième niveau, le plus bas dans la Sphère, on survit en attendant la « suppression ». On sert de cobaye pour de nouveaux médicaments. On teste la qualité de l’atmosphère hors des dômes. Ce qui est plus dégradant qu’une « suppression » en bonne et due forme, puisque le « Lambda » sacrifié pourrira dans les vapeurs délétères qui empoisonnent le « Hors-Monde » inhabitable depuis mille-cinq - cents ans.

    La « suppression légale » elle, tout comme la mort naturelle au terme d’une longue vie de labeur, des résidents du niveau 14, permet la récupération des corps qui, « traités » comme il se doit pour que rien ne se perde, fourniront aux populations actives des niveaux supérieurs, l’apport en protéines animales dont elles ont besoin, sous forme de pilules, évidemment, comme pour le reste de leur nourriture quotidienne.

    Si tout là-haut, près du ciel pollué, on apprend qu’elle connaît ce que tout « ouvrier » des Sphères est censé ignorer, elle risque de servir bientôt, sous forme de petites pilules rouges, de plat de résistance à ses congénères.

    À bien y réfléchir- ce qui en soi est déjà délictueux- elle se demande comment elle a appris tout ça. Et bien d’autres choses encore qu’elle ne devrait pas savoir, dont pas même la plus petite idée n’aurait dû surgir dans son cerveau formaté d’ouvrière désormais classée Q1.

    Comment a-t-elle découvert qu’au contraire d’une grosse majorité de « sphériques » conçus dans les cuves, elle fait partie, à titre expérimental, des rares « enfants » à avoir poussé in utero ? Elle sait qu’elle a été conçue de la façon naturelle qu’utilisaient les lointains ancêtres des sphériques. Elle sait qu’elle est le quatrième rejeton d’une vraie famille de chair et de sang, que son géniteur et deux de ses trois frères ont été « supprimés » pour cause de dysfonctionnement majeur. Elle sait que sa mère et son troisième frère sont en vie, loin d’elle dans deux autres secteurs. C’est la règle absolue décrétée pour ces rarissimes familles biologiques. Les enfants sont séparés de leurs parents ainsi que de leur fratrie dès la naissance, les femmes du géniteur de leur progéniture. Ils doivent ignorer toute leur vie que de tels liens de sang existent entre eux et d’autres habitants de la Sphère. Le formatage est supposé effacer chez eux tout souvenir de ces liens familiaux.

    Tout ce savoir est-il inné chez elle ? Inné et plus fort que la Machine puisqu’il semble bien que ses deux précédents formatages aient eu sur elle un résultat totalement inverse à celui que cette opération banale, produit sur les autres sujets. Lesquels, sans en être le moins du monde conscients, sortent du centre de « reformatage » encore plus béats, amorphes et robotisés qu’ils ne l’étaient avant d’y entrer !

    En elle, trop de connaissances anormales, de conscience condamnable, de réactions non-conformes, d’émotions illicites, de rêves interdits…Trop…d’humanité !

    Humanité ! Ce mot résume à lui seul toutes ces choses encombrantes, dangereuses, qu’elle ne devrait pas connaître. Tous ces concepts dont il y a peu de temps encore, elle ignorait jusqu’à l’existence. Elle n’était alors, en toute inconscience « légale », qu’une petite machine bien réglée sous les ordres de la « Machine », elle-même programmée par les Deus ex Machina de la « Haute Sphère » pour obéir à leurs seules directives.

    Désormais, habitée par cette conscience nouvelle, Elle ne voit plus la Sphère comme un cocon protecteur mais plutôt comme une prison à vie ! L’Enfer de Dante et ses cercles maudits ! Où a-t-elle entendu ça ?

    Parmi toutes ces connaissances dangereuses qui ont pris possession d’elle petit à petit, il en est une qui la rassure : elle n’est pas seule. Il y a Martha, une classe 7, comme elle. Martha qui l’a toujours observée, elle s’en souvient à présent puisque cette faculté-là aussi, fait désormais partie intégrante d’Élisa 7, ouvrière Q1 des ateliers de la Serre. Martha dont elle fuyait inconsciemment et pour cause, le regard scrutateur, dérangeant, interdit !

    Martha la jardinière la plus haut gradée et la plus ancienne de la Serre, que son âge va bientôt faire descendre au niveau 14, voire au 15 si ceux d’En-Haut découvrent qu’elle aussi en sait beaucoup trop sur le monde où elle vit, sur eux ! Bien plus que n’en sait Élisa elle-même en fait, et depuis bien plus longtemps !

    « Élisa 7 ! Contrôle ! Élisa 7 ! Contrôle ! » Semble tonner la voix de CVUT 7007 pourtant aussi également métallique et atone que de coutume.

    Ses réflexions l’ont emmenée si loin qu’elle en a perdu la notion du temps ! Elle a intérêt à accélérer le mouvement si elle ne veut pas que deux gardes viennent se saisir d’elle pour l’emmener manu militari au Centre de Contrôle. Voila ce que ça lui coûte d’avoir acquis, à son corps défendant certes, de nouvelles fonctions non prévues par la « Machine ». Par ceux qui la gouvernent surtout !

    Un passage ultra rapide dans la minuscule cellule d’hygiène, vite vite elle enfile sa combi de travail marron, couleur de son terne poste de trieuse. Elle avale une pilule blanche énergétique pour tenir le coup jusqu’au « soir ».

    Ce qu’on appelle le soir dans la Sphère, correspond à l’extinction générale des feux à tous les étages exception faite du premier, celui de la surface qui bénéficie de la lumière naturelle du Monde du Dehors que laisse passer la paroi transparente du dôme, permettant à l’élite dirigeante de connaître, même atténué, le rythme des saisons et de leurs variations lumineuses. Pour les niveaux inférieurs, les résidents ne connaissent que l’éclairage à intensité variable des héliolumis, censés reproduire les fluctuations de la lumière solaire d’une journée type de plein été. Ils s’allument chaque matin à quatre heures et s’éteignent chaque soir à vingt-deux heures. C’est indispensable à ces profondeurs où les phases d’allumage-extinction, servent en outre à se repérer dans le temps qui est calqué sur les anciennes mesures du Hors-Monde. Des journées de vingt-quatre heures, des semaines de sept jours, des années de trois-cent-soixante-cinq jours...Des heures, des journées, des années sous la lumière artificielle ! S’ils étaient capables de se réjouir, peut-être apprécieraient-ils de vivre un perpétuel été.

    Bien, la voilà prête. Elle quitte à regret l’abri sommaire mais rassurant de son modeste « habitacube » d’ouvrière. En hâte, elle se glisse dans le flux des travailleurs qui passent, le regard vide, entraînés vers leur lieu de labeur quotidien par les « pédiroules » qui, telle une immense toile d’araignée, desservent la Sphère.

    Pour atteindre les niveaux supérieurs ou inférieurs seulement accessibles aux cadres, aux gardes et aux livreurs ainsi qu’aux « vieux » du 14 et, en tout dernier recours, aux bannis du niveau 15, Élisa sait maintenant qu’il existe des cheminées gravitationnelles qui fonctionnent par impulsions électromagnétiques différenciées. Une pour monter, une pour descendre, une pour stabiliser, le tout en totale apesanteur. Elles ne les a jamais vues, ne s’en est jamais servi bien sûr mais savoir qu’elles existent lui insuffle soudain une bouffée d’espoir. Un sentiment tout neuf qu’elle expérimente avec délice. Elle pressent qu’il existe également des passages entre les différents secteurs, interdits naturellement aux robots-ouvriers comme elle. Des passages qui, si elle les trouvait, lui permettraient de retrouver sa mère et son frère.

    - Fais attention à toi jeune fille ! Murmure une voix tout près d’elle.

    Elle tourne légèrement la tête. C’est Martha. C’est la première fois qu’elle entend sa voix. Qu’elle entend pour dire vrai, une autre voix que celle artificielle et coupante de son virtuel coordinateur, ou celle, faussement doucereuse et tout aussi artificielle de la Machine qui se diffuse par tous les organes de contrôle répartis dans la Sphère dont l’ont dotée ceux d’En-Haut. Dans ce monde forclos strictement dédié au travail personne ne parle même pour répondre à la Machine. Tout ce qu’elle livrera d’elle au Centre de Contrôle, lui sera soutiré sans qu’il lui soit nécessaire de prononcer le moindre mot. On posera des électrodes sur son crâne nu, on analysera les données récoltées directement à la source puis elle passera en salle de Décontamination Psy. Après quoi, à n’en pas douter, elle subira ce troisième reformatage décisif qu’elle redoute si fort. Le dernier autorisé avant sa plus que probable mise au rebut au quinzième niveau vu les circonstances.

    Elle a tellement de tares ! Tellement de dysfonctionnements profonds à cacher à la Machine qu’elle craint d’en laisser passer quelques uns. Or, aucun n’est moindre aux yeux de la Loi !

    C’est cela que veut dire la mise en garde de Martha. Discrètement - pas le moment de se faire remarquer – elle la cherche des yeux. La vieille « Jardinière » a disparu. Quelle idiote elle fait ! C’est normal, elle a bifurqué vers la Serre !

    « Non ! Je suis descendue au 14 » Entend-elle à l’orée de sa conscience nouvellement éveillée. Puis plus rien.

    « Déjà ! Elle n’avait pas l’air si usée pourtant ! »

    Et voilà, deux dérèglements supplémentaires d’un coup ! Elle a entendu les pensées de Martha qui a aussi très bien capté les siennes au demeurant ! En plus, elle éprouve de la compassion pour le triste sort de ce « sujet » dont elle ne connaît l’existence que depuis sa désastreuse prise de conscience ! Un éveil pernicieux qui progresse à une vitesse fulgurante !

    Elle ne s’en sortira pas à aussi bon compte que lors de son deuxième reformatage ! Ça va mal se terminer pour elle ! Très mal ! À cette allure, ce n’est pas le bannissement au niveau 15 qui la guette mais la suppression pure et simple ! Si elle pouvait fuir, où irait elle ? Ici, aucune échappatoire ! Ou s’il y en a, elle n’aura pas le temps de les découvrir.


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  • Aïe ! Bon sang, elle a un mal de crâne à se taper la tête contre les murs ! Et la voix qu’elle entend brailler : « Réveille-toi Élisa ! » derrière sa porte n’est pas celle d’un beau mec aux yeux verts comme des lacs de montagne ! C’est celle de Chloé. Le ton de son amie n’est ni chaud ni grave mais plutôt suraigu comme lorsque elle est hyper énervée. Elle a le droit de l’être : c’est la troisième fois cette semaine -qui est celle de leur rentrée universitaire commune - qu’elle doit tambouriner à sa porte pour la réveiller. Mais elle ne veut pas se réveiller, au contraire. Ce qu’elle aimerait c’est retourner illico au royaume des songes pour vérifier si dans celui duquel les hurlements de Chloé l’ont sortie, c’était bien la voix de Jonathan Sauveur qui lui enjoignait de revenir à elle. À en croire ses oreilles malmenées par les cris qui lui parviennent par-delà les dernières brumes du sommeil, elle n’y arrivera pas.

    - Magne-toi nom d’une pipe ! Allez, secoue tes puces, sors de ton pieu et viens m’ouvrir ou on va encore être en retard ! Hurle son amie à lui crever les tympans, tout en cognant de plus belle à la porte de ses deux poings rageurs.

    Au deuxième étage du Bâtiment C de la résidence universitaire, ça remue. Des portes claquent. Des voix coléreuses s’élèvent. Le tintamarre de Chloé a également réveillé tous ceux qui, exemptés de cours aujourd’hui, faisaient la grasse mat’.

    - C’est pas bientôt fini ce boucan ! Y en a qui se reposent ! Crie quelqu’un à l’autre bout du couloir.

    C’est Magali, une deuxième année de droit qui ambitionne de devenir avocate, dont elle reconnaît le timbre haut perché. Ça va être quelque chose quand elle plaidera celle-là !

    - Ouais, c’est vrai ça ! Y a de l’abus ! Répond une autre voix, masculine celle fois, émanant de la chambre voisine.

    C’est Youssouf. Il est en LEA d'Anglais et se destine au commerce international.

    - Eh Chlo, elle a encore fait la teuf hier soir ta copine ou quoi ?

    Celui-là, c’est Éric, futur sociologue. Il passe son temps à draguer la rouquine qui joue avec lui comme une chatte avec un mulot. Il a encore beaucoup à apprendre sur le rôle des femmes dans la société.

    - Tu rigoles ! Élisa, elle fait jamais la teuf mon pauvre ! Toujours plongée dans ses bouquins ! Elle a encore dû étudier jusqu’à pas d’heure, comme d’hab’ pardi !

    Chloé a bien raison ! Cependant sa longue soirée de veille le nez dans les livres n’est pas la seule cause de son état comateux. Pas ce matin en tous cas. Les deux autres fois, c’était parce qu’elle avait repiqué aux somnifères de sa mère en dépit de sa promesse d’arrêter. Elle les avait avalés très tard, à quatre heures du mat’ bien dépassées, juste après avoir enfin refermé les fameux bouquins. En conséquence de quoi elle s’était endormie comme une masse et avait eu le plus grand mal à sortir de son hébétude lorsqu’elle avait entendu Chloé frapper violemment à sa porte à huit heures, soit pile une heure avant le début de leur premier cour en amphi. Son amie l’avait vertement engueulée puis vigoureusement sermonnée, la menaçant de ses pires foudres si elle ne stoppait pas presto ces cochonneries de cachets qui la faisaient ressembler chaque jour un peu plus à un zombie.

    Il lui avait fallu un deuxième réveil tambour battant pour se décider à jeter la boite de comprimés incriminés. Le résultat avait été immédiat. La veille donc, elle avait étudié jusqu’à pas d’heure, comme le disait si justement Chloé pour se fatiguer un maximum. Elle avait fini par se coucher tout de même sur le coup de trois heures, les tempes serrées dans un effroyable étau de migraine. Elle avait eu beaucoup de peine à s’endormir. Quand elle y était enfin parvenue, ce qu’elle craignait s’était produit : elle avait de nouveau rêvé ! Et quel songe !

    Les bavardages derrière la porte lui vrillent le crâne. Apparemment cette satanée migraine est toujours là. Elle se masse le front et les tempes pour tenter de la chasser.

    Ouille ! Sur celle de droite, il y a une grosse bosse et quelque chose de gluant lui fait retirer vivement la main. Du sang ! Elle a dû se cogner à sa table de chevet en s’agitant pour échapper à son cauchemardesque agresseur. Heureusement, il n’a pas eu le temps d’accomplir son ignoble forfait. Comme les autres fois, dans la réalité et dans le rêve qui a suivi, son sauveur est arrivé à point nommé pour lui éviter de justesse une mort certaine. Car c’était lui les yeux mordorés, la voix chaude et grave. Elle n’a pas besoin de retourner dans les limbes du sommeil pour en être persuadée.

    Quoi d’étonnant à cela ? Depuis son unique et pour le moins étrange rencontre avec le viril dompteur, elle n’a cessé de penser à lui. Quoique le terme d’unique ne soit pas totalement approprié dans la mesure où, lors de la fameuse rencontre, elle se rappelle avoir eu la soudaine sensation de le connaître depuis toujours. De toute éternité pour être exacte !

    Oui ! L’étrangeté a marqué ce jour-là de son sceau, tout comme elle a présidé à ce rêve bizarre qui, tel le précédent dont elle n’a rien oublié, ne quittera plus ses pensées.

    Pourquoi s’est elle remise à rêver, comme par hasard juste après avoir croisé la route de Jonathan Sauveur ? Pourquoi maintenant alors que depuis la mort de son père et de son frère, cela ne lui est plus arrivé ?

    Pourquoi ces deux rêves chargés d’une telle puissance évocatrice, d’une telle réalité jusque dans les moindres détails, la perturbent-ils aussi fortement ? Odeurs, couleurs, lieux, personnages récurrents…Tout lui revient avec une incroyable précision. Le plus surprenant dans tout ça, n’étant pas que son énigmatique et fuyant sauveur y soit apparu à chaque fois même si cette nuit, elle n’a fait que reconnaître sa voix. Ou du moins celle de Jonathan Sauveur le bien nommé. Mais était-ce vraiment lui ? Se demande-t-elle plus si sûre tout à coup. Le revoir…Écouter ses intonations, son indéfinissable accent…Voilà qui répondrait à ses questions. À ses désirs secrets surtout, elle doit bien se l’avouer ! Ça mettrait fin du même coup, à l’insistance parfois limite lourde de Chloé à vouloir à tout prix la caser.

    - Tu as vu comme Youssouf te regarde ? Un beau morceau à croquer non ?

    Ne cesse-t-elle de lui rabâcher à l’en soûler. Quand elle ne vante pas les charmes de son habituel voisin de cours ou de tel ou tel autre étudiant du campus.

    Pour l’instant, le beau Youssouf n’est pas de bon poil. À travers la mince cloison qui sépare les piaules mal insonorisées de la résidence, elle l’entend pester contre la terre entière, contre les nanas qui empoisonnent la vie des mecs, contre Chloé en particulier qui continue à faire un barouf d’enfer, en vitupérant et frappant comme une folle à sa porte.

    - Élisa! Tu vas m’ouvrir à la fin ! Bordel de merde ! Quel besoin tu as de t’enfermer à double tour hein ? Vocifère-t-elle furieuse.

    Ébouriffée, pieds nus, encore sonnée et la tête prête à exploser, elle se lève enfin pour aller ouvrir à son impétueuse amie.

    - Mais…c’était pas fermé à clé…Marmonne-t-elle, une main étouffant un dernier bâillement, l’autre égarée dans sa tignasse emmêlée.

    - Ah ! C’est pas trop tôt ! Braille Chloé sans même l’écouter en faisant irruption au pas de charge dans la minuscule chambre estudiantine.

    Là dessus, au summum de l’énervement, elle claque violemment la porte, soulevant aussitôt une nouvelle bordée d’injures chez les voisines et voisins que ce tapage matinal fait beaucoup plus qu’indisposer.

    - Vos gueules les mouettes ! Lance Youssouf excédé.

    En écho à la sienne, d’autres réactions virulentes fusent des chambres avoisinantes. À croire qu’elles sont les seules à avoir cours ce matin !

    - C’est ça ! Vos gueules les gonzesses !

    - Ouais ! Fermez-la ! Y’en a marre !

    - Barrez-vous !

    - Laissez-nous pioncer !

    - Mais…j’ai rien dit moi ! Clame Élisa vexée.

    - C’est vrai mais c’est tout comme beauté ! Fais donc taire ta gueularde de copine et tu seras pardonnée !

    Rétorque Youssouf un peu radouci en toquant légèrement à la cloison décidément peu étanche.

    - Tu sais ce qu’elle te dit la gueularde ? Riposte Chloé encore plus fort.

    Beauté…Chloé aurait elle raison ? Obnubilée par le souvenir envahissant de Jonathan Sauveur, elle ne voit pas les autres garçons.

     

    *

     

    Elle a fait fissa. Lavée, habillée en un tournemain, elle a avalé un café sur le pouce. Si elle a le temps entre deux cours, elle s’offrira un petit pain au chocolat, histoire de tenir jusqu’à midi ! En espérant qu’il y aura de la place au restau universitaire.

    Dans l’amphi, ça bourdonne tous azimuts. Le prof d’anthropo est en retard ce matin ! Ça ne lui arrive jamais. Giraud est un parangon de ponctualité !

    Le nez dans son classeur, alors que tous les autres étudiants ont une tablette, Élisa relit ses dernières notes de cours pour s’occuper en attendant. Zut de zut ! Elle aurait eu le temps de petit déjeuner un peu mieux ! Ça risque d’être long jusqu’au prochain repas consistant ! Son estomac gargouille intempestivement. Elle a l’impression que tout l’amphi peut l’entendre ! Très désagréable et très inconfortable ! Une main se pose sur son bras. Elle sursaute. Les deux feuilles qu’elle vient de retirer de son classeur tombent à ses pieds. Énervée autant que gênée, elle se penche pour les ramasser…

    - Eh, Élisa.

    - Quoi ? Demande-t-elle presque hargneuse en se relevant.

    - Ben…

    - Pas ma faute ! J’ai faim ! Je n’ai avalé qu’un kawa en guise de petit- déj’…

    - De quoi tu parles ?

    C’est Yann Le Garrec. Il est venu de Quimper pour étudier la paléoanthropologie à Bordeaux. Ils se sont rencontrés le jour-même de la rentrée et ont tout de suite sympathisé. Yann ne représente aucun danger pour elle. Il ne cesse de lui parler de sa chérie restée en Bretagne. Il se morfond sans elle, dit-il.

    - Ah…Je croyais…Mon estomac fait un tel bruit que je pensais…

    - Mais non ! T’étais pas là quand on nous a annoncé que Giraud ne viendrait pas ce matin ! C’est ça que je voulais te dire, c’est tout !

    - Ah bon ! Et pourquoi ?

    - La grippe à ce qu’il paraît ! Il sera absent pendant au moins une semaine.

    - Et.

    - Ben on a un remplaçant pour aujourd’hui et sûrement pour le prochain cours d’anthropo du coup !

    - Il est en retard !

    - Tiens, justement, ça doit être lui qui arrive là  !

    - Pas trop tôt !

    - Purée ! Il est baraqué le mec ! Et rudement jeune ! Rien avoir avec ce vieux barbon de Giraud !

    - Ne dis pas de mal de lui, c’est le meilleur ! Rétorque Élisa sans lever le nez des feuillets étalés sur ses genoux

    Soudain, une voix s’élève…

    - Bonjour tout le monde ! Je me présente…

    Élisa n’entend pas la suite. Un voile noir passe devant ses yeux. Ses oreilles bourdonnent. Le cœur au bord des lèvres, livide, elle s’affaisse sans connaissance, retenue de justesse par un Yann paniqué. Elle ne l’entendra pas hurler :

    - Elle fait un malaise hypoglycémique, vite !

    Des tapes sur ses mains glacées, sur ses joues, la tirent du brouillard cotonneux où elle s’était enfoncée.

    Près de son oreille, une voix reconnaissable entre toutes lui murmure :

    - Réveille-toi Élisa !


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  •  

    L’aube pointe à peine. Guillerette, la jeune fille sort de la maisonnette aux murs de torchis blanchis à la chaux où elle vit avec sa mère. Elle est mince mais solide, brune, le teint hâlé par la vie au grand air. Ses yeux noisette pétillent d’intelligence. Elle a appris à lire en cachette de ses parents avec la vieille Martha - celle-là même que tout le village appelle « la sorcière » - il y a quatre ans de cela. Elle avait tout juste 11 ans, elle en a 15 à présent. Depuis, Martha lui a appris des tas d’autres choses normalement réservées aux demoiselles du Château : les mathématiques, la danse, le chant, la poésie… Et aussi ce que doivent savoir les filles des serfs : tisser la laine, coudre, cuisiner, jardiner, traire les vaches et les chèvres, faire les fromages, teindre les étoffes, tenir propre la demeure que le Seigneur met à la disposition de ses paysans. Mais plus encore elle lui a enseigné et continue de le faire, les remèdes et les herbes qui soignent et soulagent les maux les plus divers.

    Martha elle, ne possède pas de vraie maison mais une petite cabane dans une clairière au cœur de la forêt où elle vit avec son époux que les gamins comme leurs parents surnomment « l’ogre » à cause de sa grande taille, de sa force impressionnante et de sa grosse voix rocailleuse et tonitruante. Lui aussi est victime de la méfiance des villageois. Il passe plus de temps à braconner le gibier du domaine seigneurial au nez et à la barbe de la soldatesque du Château, qu’à cultiver le maigre lopin de terre qu’il a pourtant eu bien du mal à arracher aux broussailles et à la caillasse. S’ils habitent si loin du village c’est parce qu’ils savent n’y être pas les bienvenus. Cet éloignement les prive de la protection de l’enceinte fortifiée du Château mais c’est le prix à payer pour la liberté qu’ils ont choisie. Il leur plaît d’être des reclus volontaires. C’est même avec une certaine jubilation qu’ils défient ouvertement l’autorité du Seigneur. Et si ses soldats traquent sans relâche ce braconnier -là comme ils le font pour les autres, ils laissent la sorcière tranquille car leur maître a trop souvent recours à ses remèdes pour lui causer le moindre ennui. En échange de cette paix relative, Martha lui fournit secrètement potions abortives pour les servantes qu’il engrosse régulièrement, emplâtres et décoctions pour soigner ses crises de goutte, onguents pour ragaillardir une virilité rendue défaillante par trop de bonne chair et de libations, tisanes pour soulager les aigreurs de femme bafouée de sa légitime épouse ou pour l’endormir chaque fois qu’il découche...

    Quant aux gens du village, ils se signent quand ils les croisent elle et son « ogre » et font tout pour les éviter. On ne leur parle pas, on ne les salue pas, on fait comme s’ils n’existaient pas mais on va les voir en douce, car pour les nécessiteux, il y a toujours un peu de gibier en plus des remèdes concoctés par Martha. Ainsi la sorcière et son mari peuvent-ils mener une vie tranquille, tolérés par ceux qu’elle soigne en cachette et dont elle met la progéniture au monde puisque toujours en secret bien sûr, elle fait aussi office de sage-femme. Tout le monde le sait mais tout le monde fait semblant de ne pas le savoir. On se hâte d’oublier que les enfants qu’elle a fait naître et tenus dans ses mains, sont aussi souillés que si c’était le Diable lui même qui les avait fait sortir du ventre de leur mère. Le prêtre s’empresse de les exorciser et de les baptiser pour laver la souillure. Il en a été ainsi pour Élisa. À 10 ans à peine, elle a su par hasard que c’était Martha qui l’avait mise au monde comme ses frères avant elle. Martha qui, après avoir perdu son seul fils, piétiné à l’âge de 3 ans par les sabots d’une trentaine de chevaux lors d’une chasse seigneuriale, n’a plus jamais réussi à avoir d’enfants. C’est probablement pour cela qu’elle a alors choisi de faire naître ceux des autres.

    Faisant fi d’une possible rencontre avec l’ogre et poussée par son insatiable curiosité, la fillette avait voulu savoir à quoi elle ressemblait cette femme qui avait recueilli son premier cri. Courageuse, elle était partie seule dans la forêt où C’est Martha qui, guidée par ses sanglots déchirants, l’avait retrouvée terrorisée, recroquevillée aux pieds d’un énorme chêne. Comme la nuit tombait, elle l’avait ramenée à sa cabane. Sitôt entrée dans la masure, réticente, Élisa avait jeté autour d’elle des regards inquiets. Devinant ce qui la tracassait, Martha l’avait rassurée.

    - Ne crains rien petite fille, il est en vadrouille mais tu ne dois pas avoir peur de lui, il est très doux avec les enfants. La seule chose que mon homme dévore avec plaisir, c’est un bon civet de lièvre ou de sanglier.

    Après avoir séché ses dernières larmes, elle l’avait nourrie. Du pain, du miel, des noix. Ensuite elle l’avait couchée dans son propre lit où elle l’avait endormie avec de belles histoires de lutins et d’elfes. Au matin, elle l’avait reconduite à l’orée du bois touffu et remise dans la bonne direction. Mais elle lui avait surtout montré comment retrouver le chemin de sa cabane.

    - En cas de besoin fillette, tu sauras toujours où me trouver ! Lui avait-elle dit.

    - Merci ! Avait-elle simplement répondu en pensant que jamais elle n’aurait besoin de l’étrange femme.

    Sans comprendre ce qui la poussait à ce geste audacieux, elle s’était alors jetée dans ses bras, l’embrassant très fort sur les deux joues. Après quoi elle s’était enfuie à toutes jambes sans voir le sourire malicieux de Martha.

    Lorsque sa mère, folle d’angoisse, l’avait enfin vue réapparaître, elle l’avait d’abord giflée puis elle l’avait serrée contre elle à l’étouffer tant elle était soulagée de la voir de retour

    - Je te croyais morte, dévorée par les loups ou pire encore, petite idiote ! Cesseras-tu enfin de faire la sauvageonne ! Veux-tu donc ma mort ? 

    Avait- elle hurlé en la secouant de toutes ses forces, partagée qu’elle était entre la colère et la peur qui la tenaillait rétrospectivement à l’idée de ce qui aurait pu arriver à son imprudente fille.

    Ne pouvant deviner que ce « pire encore » auquel sa mère avait fait allusion était d’une toute autre nature que le risque de croiser « la sorcière » ou même « l’ogre » et convaincue qu’elle serait sévèrement punie si elle parlait de sa rencontre avec Martha, elle n'avait osé raconter qu’une partie de la vérité : elle s’était perdue en allant aux champignons. La nuit venant, elle n’avait eu d’autres recours que de s’endormir sous un tapis de feuilles mortes au pied d’un arbre, à la merci des bêtes sauvages. Au matin, terrifiée à l’idée de ne plus retrouver son chemin, elle avait recommencé à marcher en priant Dieu de lui accorder son aide bienveillante. Il l’avait entendue en lui envoyant Martha. Elle passait par là et l’avait reconduite à la lisière de la forêt. Elle avait eu très peur bien sûr ! Elle jurait de ne plus jamais aller seule aux champignons et surtout de ne plus jamais s’enfoncer dans la forêt !

    C’est de là qu’était née son étrange amitié avec la sorcière car bien entendu, elle n’avait pas tenu sa promesse et avait commencé à aller régulièrement chez Martha sans en rien dire à personne. Même la vue du géant à la grosse voix et à la barbe broussailleuse n’avait pu l’en dissuader. Au contraire, les histoires de chasse et d’incessantes ruses pour échapper aux soldats du Seigneur que lui racontait le doux géant, la faisaient rire et la passionnaient tout autant que les contes de la gentille sorcière ou que son précieux enseignement.

    C’est Martha qui l’avait consolée quand son père et deux de ses frères avaient été tués avant d’être dépouillés de leurs derniers deniers par des voleurs de grand chemin alors qu’ils revenaient quasi ivres-morts de la taverne du village où ils se rendaient bien trop souvent au grand dam du reste de leur famille. C’est Martha, qui, venue à son appel avait sauvé sa mère alors que terrassée par le chagrin, elle mettait prématurément son dernier né au monde dans le sang et la douleur. Un petit garçon chétif qui n’avait pas survécu à ce pénible accouchement et avait de surcroît failli tuer Sarah. C’est encore et toujours Martha qui l’avait prise sous son aile affectueuse lorsque Patrick, le jumeau survivant avait été vendu comme berger pour le compte d’un autre Seigneur. Tout cela était arrivé l’année de ses 13 ans. Celle-là même où ses premières menstrues faisaient d’elle une femme. Qui, là encore l’avait rassurée en lui disant que perdre son sang chaque mois était chose naturelle ?

    Sa mère l’aime, bien sûr mais depuis la mort de son époux et de deux de ses fils et le départ du dernier, elle n’a que peu de temps à consacrer à sa fille. Elle est seule pour faire marcher leur petite ferme. Seule pour labourer, semer et récolter le blé, l’orge et le seigle de leur lopin de terre régulièrement dévasté par le Seigneur et ses invités lors des chasses à courre. Seule pour s’occuper de leur maigre élevage : le bœuf pour labourer et tirer la charrette, un taureau, deux vaches pour le lait - dès la fin du sevrage, les veaux vont grossir le troupeau du fief seigneurial - quatre chèvres et un bélier, quelques volailles … Lorsque son père et ses frères sont morts, sa mère a dû vendre le verrat, la truie et sa dernière portée de porcelets devenus pour elles deux une charge de travail bien trop lourde.

    Il faut couper le foin avant l’hiver pour nourrir les bêtes, les mener au pré à la belle saison, les traire, assurer le vêlage et l’agnelage… La pauvre Sarah est bien obligée de faire le travail des trois hommes absents pour survivre, laissant à sa fille le soin de la maison, de la basse-cour et du potager. Elle aide en outre sa mère pour la traite et la fabrication des fromages. Le bœuf de labour tirant la charrette, elles vont toutes deux à la ville pour les marchés après avoir donné au Seigneur sa part de leur production : poulets, œufs, légumes, grain, farine, lait frais et fromages. Elles deux se contentent de peu. Le dur labeur quotidien leur permet d’oublier leur chagrin encore bien vif.

    Voilà pourquoi Élisa s’est prise d’affection pour Martha et en arrive à la considérer pas tout à fait comme une deuxième mère mais plutôt comme une bonne fée protectrice. Voilà pourquoi elle défie secrètement l’autorité maternelle pour se rendre régulièrement dans l’antre merveilleuse et chaleureuse de la vieille femme où elle trouve outre le savoir, une tendresse que Sarah n’a plus le temps de lui prodiguer.

     

    *

     

    En repensant à ces trois dernières années, Élisa se prend à sourire. Certes, tout n’a pas été rose mais elle et sa mère ont survécu et s’en sortent plutôt bien. Les récoltes se sont succédé bon an mal an en dépit de rudes hivers et des dégradations successives causées par les sabots des chevaux. Elle sait que Sarah économise patiemment afin de lui constituer une dot, tout comme elle travaille à son trousseau en lui ressassant à lui en échauffer les oreilles qu’à 15 ans révolus, il est plus que temps qu’elle se trouve un époux solide et travailleur pour prendre la relève d’une pauvre veuve fatiguée. Elle culpabilise de ne pouvoir répondre aux légitimes attentes de sa mère mais elle n’est pas pressée de se marier. Les hommes meurent ou s’en vont alors à quoi bon. Quant à faire des enfants, pour qu’ils naissent morts, elle n’en voit pas l’utilité. Elle se voit plutôt prendre la relève de Martha qui continue à lui enseigner tout ce qu’elle sait. Elle commence à bien connaître tous les remèdes de son amie et saura en faire bon usage le temps venu. Peu lui chaut d’hériter de la sulfureuse réputation de la sorcière. Elle sait, elle, que Martha, sous ses airs revêches, est bonne comme le pain et n’utilise ses dons que pour faire le bien autour d’elle.

    Grâce à elle, elle s’est elle-même découvert quelques facultés que le chapelain condamnerait à coup sûr s’il les connaissait. Parfois ses rêves se réalisent. Elle a refusé ce talent maudit, fermant son esprit à toute incursion nocturne lorsqu’elle a vu la mort de son père et de ses frères en songe. Quand elle a avoué cette tare à Martha, pour ne pas dire ce péché mortel, celle-ci lui a dit qu’un tel don est un cadeau de Dieu même s’il peut parfois ressembler à une punition. Or, qui peut se permettre de refuser un don du Ciel ?

    - Il ne faut pas avoir peur et si tu n’oses rien en dire à ta mère, confie-toi à moi. Je suis une sorcière pas vrai ? Alors moi, je peux prédire l’avenir. On ne me craindra pas plus qu’on ne me craint déjà ! Tant pis pour les incrédules qui passeront outre aux prédictions de la sorcière.

    Elles ont alors conclu un pacte. Depuis, elle raconte ses rêves à Martha qui fait siennes les prémonitions qu’ils recèlent parfois. Celui de cette nuit, elle ne lui en parlera pas, il est trop personnel. À la fois confus et précis, elle a grand peine à en comprendre la signification, s’il en a une, ce dont elle doute et pourtant... Confus, parce que, contrairement à son habitude, au réveil, elle n’en a retenu que de fugaces images qu’elle s’est empressée de chasser de son esprit pour n’en garder qu’une. Précis, parce que cette image-là elle, était très nette et avait quelque chose de profondément rassurant. Il lui suffit de fermer les yeux pour la revoir : un visage penché sur elle. Un beau visage mâle dont le troublant regard mordoré la scrute intensément, empli d’inquiétude. Rien que ce souvenir lui fait battre le cœur plus vite et plus fort tandis que tout son corps frémissant de sensations inconnues, réagit d’une façon qui la fait rougir de honte. Aucun des regards concupiscents que les garçons du village lui jettent depuis qu’elle est devenue femme, ne lui a encore fait ce bouleversant effet.

    Que dirait le chapelain s’il savait. Qu’importe, elle ne lui confessera pas. Pour cela, elle brûlera sans doute en enfer mais ne risque-t-elle pas depuis bien longtemps déjà la damnation éternelle en fréquentant une sorcière notoire ? Elle préfère ne pas y penser et hâte le pas vers la forêt. C’est un doux matin d’automne. Les champignons n’attendront pas. D’un pas vif et léger, elle marche vers ces bois qu’elle ne craint plus depuis qu’elle y a deux protecteurs. Les oiseaux commencent à piailler dans les futaies. Á l’orient, le ciel à peine ennuagé se teinte de rose. La journée sera belle. Elle aspire une grande goulée d’air frais et commence à chanter en balançant allègrement son panier pour marquer la cadence de ses pas. Sa voix pure et cristalline s’élève vers l’azur, se mêlant aux chants des oiseaux. Plus très loin maintenant se profile la forêt accueillante. Les grands arbres qu’elle aime tant déploient leurs branches feuillues où se mélangent au vert encore présent, les couleurs flamboyantes de ce début d’automne.

    Toute à sa joyeuse mélodie, elle n’a pas entendu le galop derrière elle. Cependant, mue par ce sixième sens qui s’affine de jour en jour, elle se retourne soudain. Il arrive, piquant des deux les flancs de sa monture noire comme la mort. Elle n’a pas besoin de le voir de près pour savoir à quoi ressemble son agresseur. Elle le connaît ! Elle a déjà vu ce regard torve fixé sur sa poitrine naissante, ces bras tendus prêts à se saisir d’elle, ce sourire libidineux étirant une bouche lippue, ce visage vérolé. Elle ne le sait que trop clairement  ce qu’il fera d’elle s’il l’attrape !

    Elle se souvient fort à propos de ce danger bien pis que les loups ou que la sorcière et son mari, qu’évoquait sa mère quand elle était petiote ! Elle comprend parfaitement la mise en garde aujourd’hui, d’autant plus que le danger en question est tout proche à présent, en la personne de l’homme abominable qui fonce droit sur elle. C’est un débauché notoire qui agit néanmoins en toute impunité et pour cause, il est le fils aîné du Seigneur ! En tant que tel, il exerce son droit de cuissage sur toutes les jeunes paysannes encore vierges du fief de son père. Quand il ne passe pas son temps avec les ribaudes de la taverne dont la fréquentation lui a valu cette horrible face grêlée !

    L’idée de ce qui l’attend la révulse à tel point que sans réfléchir d’avantage, lâchant son panier pour relever ses jupons à deux mains, elle se met à courir vers la forêt. Elle court à perdre haleine, fuyant désespérément le monstre qui la poursuit, consciente qu’elle ne pourra longtemps échapper à un cheval lancé au triple galop. Le diable sur son noir destrier fait entendre un énorme rire, un rire de vainqueur tandis qu’un bras puissant l’agrippe par la taille et la soulève pour la jeter sans ménagement devant lui à travers la selle. Elle hurle et se débat tellement qu’elle parvient à se défaire de la poigne qui l’enserre. Alors qu’il tente de la retenir, elle mord sauvagement la main qui tient les rênes. Lançant un bras à l’aveuglette, elle réussit même à griffer au sang le visage haïssable. Énervé, le cheval rue, désarçonnant le cavalier et sa proie. Elle chute lourdement sur le sol. Sa tête heurte violemment l’angle aigu d’une pierre. Son agresseur, lui, s’est relevé sans peine. Il s’agenouille… Déjà ses mains sont sur elle. Il va la violer. Puis il se vengera en la tuant des blessures sanglantes que ses dents et ses ongles lui ont infligées, c’est plus que probable ! Sa vue se brouille, elle a mal. Le sang s’écoule de sa tempe. La dernière chose qu’elle se dit avant de perdre connaissance, c’est qu’au moins elle subira sans les sentir, les outrages et la mort.

    Que se passe-t-il ? Serait elle au paradis en dépit de ses péchés les plus inavouables ? Ce beau et mâle visage au regard mordoré teinté d’inquiétude penché sur elle n’est pas celui de son ignoble violeur ! Elle l’a déjà vu, mais où ? Elle se sent repartir dans l’inconscience tandis qu’une voix chaude et grave lui ordonne :

    « Réveille- toi Élisa ! »…

     

     


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  • Le mois d’août est arrivé avec son cortège de touristes. Sa mère est en vacances. Chloé, aussi qui a moins besoin d’argent qu’elle pour financer ses études. Sans être des nababs, ses parents gagnent bien leur vie. Sa mère est prof de Français à Périgueux, son père médecin aux Eyzies. Si Chloé travaille l’été, c’est autant par souci d’indépendance vis à vis d’eux que pour se faire un peu plus d’argent de poche, avoue-t-elle. C’est vrai qu’elle est assez dépensière !

    Joyeuse, Élisa a entamé son job d’hôtesse d’accueil au Musée de la préhistoire.

    Elle commence bien plus détendue que d’habitude. Il faut dire que cette année, elle n’a pas été fatiguée par la mauvaise humeur permanente de Maryse, la vendeuse titulaire du magasin de souvenirs qui a exceptionnellement pris ses congés en Juillet. Ce qui explique aussi qu’elle ait pu partager un peu de son emploi du temps à la boutique avec Chloé et qu’elle l’ait fait de si bon cœur bien que ce partage l’ait privée du surcroît de rémunération dont elle aurait bénéficié en l’absence de l’irascible Maryse. Laquelle se taille habituellement la part du lion d’habitude, ne lui octroyant pour la remplacer que les deux jours du week-end. Les plus chargés certes mais qui ne compensent pas pour autant la paye qu’elle a gagnée cette année en effectuant quatre semaines quasi complètes de travail en plein boum estival, période durant laquelle la boutique ne ferme pas. De plus, chaque fois que la pétasse blonde prend le relais, elle vérifie et revérifie la caisse au cas où.

    « On ne sait jamais avec ces petites étudiantes. La dope ça coûte cher, pas vrai ? » Clabaude-t-elle sitôt que la petite étudiante en question a le dos tourné.

    Des allusions empoisonnées, elle en fait d’autres à son sujet, du style :

    « Tel père, telle fille, tels frères telle sœur ! Eux, c’était les femmes et l’alcool, elle c’est sûrement la drogue et les hommes, ceux des autres naturellement ! » Ou « Ne vous fiez pas à ses airs de sainte nitouche. C’est juste pour ici. Vous pensez bien qu’à Bordeaux, ça doit défiler dans sa piaule d’étudiante ! »

    Il ne manque pas de bonnes âmes pour lui répéter ses propos venimeux. Maryse n’a aucune raison de la détester et si elle n’était pas la fille Barjac, peut-être auraient-elles pu être amies. D’autant plus qu’elles ont même failli devenir belles-sœurs. Le mariage était prévu, les faire-part envoyés, la salle retenue, la robe commandée et payée rubis sur l’ongle par ses parents. Le couple très épris ne cachait pas son bonheur. Tout fut brisé à la mort de son futur beau-père et de ses deux fils délinquants, lorsqu’elle apprit, comme tout un chacun aux Eyzies, qu’il ne laissait que des dettes à sa femme et à ses deux enfants survivants. Elle rompit sine die avec l’indigne fiancé, la rage au ventre d’avoir été bernée, comme elle dit alors. Elle empocha les cadeaux qui avaient déjà été livrés et poussa la mesquinerie jusqu’à se faire rembourser sa robe par Patrick.

    « Pendant que tu peux encore » Cracha-telle.

    Pour y parvenir-la robe étant hors de prix - il vendit son tout terrain. Il le fit également par réaction à l’accident violent qui avait tué son père et ses frères et pour aider sa mère qui ne s’en sortait pas. Il lui donna la presque totalité de ce qu’il lui restait du produit de la vente ne gardant que quelques économies. Un mois à peine après le drame, doublement miné par le chagrin, désireux de s’éloigner de la pimbêche qui avait été son amour et qui le montrait désormais du doigt comme le pire des pestiférés, il quitta les Eyzies pour la Haute-Provence où il se fit embaucher comme apprenti berger.

    Le fait qu’il ne soit pas là pour se défendre, n’empêche pas Maryse de l’accabler de sa vindicte

    « Et saint Patrick, vous croyez qu’il fume de l’herbe de Provence et boit seulement de l’eau de source dans sa bergerie ? » Répète-t-elle à qui veut l’entendre.

    Heureusement, beaucoup de ceux qui ont agi comme elle au moment des faits, ont depuis révisé leur jugement envers les Barjac. Aujourd’hui, la veuve et ses deux enfants sont estimés à leur propre valeur, plus à l’aune des trois noceurs qu’étaient Michel, Marc et Paul. Voilà pourquoi en dépit de Maryse mais surtout grâce à la mère de son amie la plus chère et la plus fidèle, Élisa a obtenu cette providentielle place de vendeuse. Peu lui importe la méchanceté de Maryse et de celles et ceux qui l’écoutent. Elles ne sont jamais en même temps derrière la caisse, elle n’a donc pas à subir de plein fouet sa langue de vipère. De plus, totalement en règle avec sa conscience, elle se sent à l’aise face à ses détracteurs, répondant par le silence et le mépris aux accusations mensongères qu’ils colportent. Ce qui la met très mal à l’aise en revanche, c’est son propre mensonge envers sa meilleure amie. Un mensonge qui concerne ce qu’elle ressent pour Jonathan dans le secret de son cœur alors que devant Chloé, elle joue l’indifférence à s’en faire mal !

    Il lui a dit qu’ils se reverront alors pourquoi ne se manifeste-t-il pas ? Parce qu’il a autre chose à faire que de s’embarrasser d’une godiche comme elle pardi ! Il y est allé de son boniment avec elle comme il l’a sûrement déjà fait avec d’autres spectatrices ensorcelées par son charme dévastateur. Avec combien d’entre elles est-il allé plus loin qu’un simple baiser ? Sans compter qu’il n’a probablement que l’embarras du choix rien que parmi les femmes qui l’entourent quotidiennement au cirque, à commencer par la jolie Carla. Elle a bien vu de quelle manière possessive la jeune danseuse le regardait pendant leur numéro ! Il y a aussi l’écuyère, le trio d’antipodistes, la gracieuse funambule, les deux partenaires féminines du quatuor de trapézistes et toutes les autres, de la caissière à l’entrée aux vendeuses de bonbons et de programmes… En plus, il n’y a pas beaucoup de laiderons au cirque d’après ce qu’elle a pu voir ! Elle est jalouse et se sent folle de l’être. N’est-elle pas complètement ridicule de fantasmer ainsi sur un homme qu’elle n’a vu qu’une fois ? Ridicule au point d’en occulter le côté étrange de son histoire : le tigre amoureux, l’inconnu qui l’appelle par son prénom, qui lui écrit avant de l’avoir rencontrée, le baiser sous les étoiles…. Elle ne comprend décidément rien à ce qui lui arrive et cela lui semble parmi tant d’autres, une bonne raison de ne rien dire à Chloé.

    Le souvenir trop vif de Jonathan ajouté à ce mensonge qui la tourmente, tout cela la mine et nuit à son habituel entrain, l’obligeant à se remettre en cause. Elle est consciente de s’enfoncer dans une espèce de pot au noir dont il lui sera difficile de sortir si elle ne réagit pas rapidement. Les somnifères lui pompent toute son énergie. Le matin, elle est vaseuse et la journée, elle a bien du mal à se maintenir à son habituel top niveau. Si le sourire, la politesse, le dynamisme sont des qualités indispensables dans le commerce, elles le sont tout autant à l’accueil du Musée. Or elle n’est plus sûre de les posséder en totalité. Certaines remarques aigres-douces qu’elle a entendues à son sujet, lui prouvent qu’il est plus que temps qu’elle se reprenne. Quant à sa mère, elle commence à se poser des questions sur son état et sur la raison pour laquelle elle lui pille sa réserve de comprimés. Elle a inventé un nouveau mensonge rien que pour elle en lui disant que depuis sa mésaventure au cirque, elle fait des cauchemars épouvantables.

    - Il faut arrêter ça tout de suite ma fille ou tu vas devenir dépendante, comme moi ! Je te jure que je préfèrerais mille fois m’en passer tu sais ma chérie ! Pour toi, ça n’est pas trop tard, alors arrête maintenant, crois-moi !

    A supplié Sarah, inquiète. Elle lui a promis juré d’arrêter avant la rentrée universitaire.

    D’ici là, elle espère bien avoir mis un point final à ses chimères et réussi à oublier le dompteur. Peut-être qu’alors elle décidera de tout raconter à Chloé. Elles pourront en rire toutes les deux comme d’une bonne blague en se moquant d’elle, de son romantisme à l’eau de rose et de son imagination délirante. En attendant, chaque soir, avant d’avaler le comprimé qui lui donne un sommeil sans rêve, elle sort la feuille chiffonnée de son tiroir et elle en lit et relit jusqu’à se faire mal aux yeux les mots sibyllins :

    « Nous nous reverrons Élisa, ne m’oublie pas !

    Demain, elle ira voir Martha. À elle probablement, dira-t-elle tout comme elle l’a toujours fait. Plus qu’une amie, Martha est comme une deuxième maman pour elle depuis sa plus tendre enfance. Un peu plus âgée que sa mère, mais toujours aussi brune et hâlée qu’une gitane et vêtue de longues jupes dansantes, elle a l’air bien plus jeune et remplie de vitalité que Sarah. Elle habite à Manaurie dans une ancienne ferme isolée. Une belle propriété sur laquelle se dresse une grande maison bien trop grande pour deux. Avec Harold, son mari - « l’English » comme on l’appelle dans le coin - un brave homme aussi baba cool qu’elle, Martha vit de l’apiculture et de l’herboristerie. Accessoirement aussi, elle écoule une partie de la production de laine de Patrick dont elle est la marraine. Chère Martha, lorsque sa mère a été dans le trente sixième dessous après le drame et le scandale qui ont failli la détruire, elle a été là pour la famille endeuillée. Pour Sarah que le chagrin étouffait au point qu’elle en devenait aveugle et sourde à celui de ses deux autres enfants. Pour Patrick fou de rage envers les trois défunts et rongé de remords de n’avoir pas su empêcher ses frères de suivre leur père. Mais c’est surtout pour elle que Martha a été là, parce que tout à leur peine, les deux autres n’ont pas eu la force de la consoler de cette triple perte ni de la défendre contre la méchanceté de ceux qui, à l’époque, se sont mis à la traiter de bâtarde.

    Dernière née dix ans après les jumeaux alors que Michel trompait déjà sa femme pis que pendre, on murmurait que celle-ci le lui avait bien rendu ! À n'en pas douter, ce fruit tardif ne pouvait être que celui de la vengeance pour Sarah. D’un coup, nul n’a plus vu la moindre ressemblance entre le père et la fille. Encore reconnaissante, elle se souvient qu’avec la pugnacité et la tchatche qui la caractérisent, « cette espèce de sorcière »- comme l’appellent les gens du cru qui vont néanmoins s’approvisionner en remèdes de toutes sortes chez elle - est alors montée au créneau et a réussi à faire taire la rumeur.

    Oui, demain elle ira voir Martha et elle lui parlera même de la Mah Rah de son rêve insolite qui lui ressemble comme une sœur d’une autre époque.

     


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