• Jacob est mort. Martha n’a pas pu le sauver. Son agonie a duré trois jours.

    Le lendemain de leur installation forcée au campement provisoire, il semblait aller mieux. Sa température était un peu retombée et sa respiration paraissait beaucoup moins laborieuse. Il avait même pu avaler sans s’étrangler quelques gorgées du bouillon aux herbes concocté par Martha. Á le voir assis avec eux autour du feu, le sourire revenu sur ses lèvres craquelées, ses trois compagnons en oubliaient la nuit de veille exténuante durant laquelle ils s’étaient relayés à son chevet.

    - Je pense être capable de reprendre la route ! Inutile de continuer à perdre du temps pour moi ! Avait-il déclaré avec une détermination que démentaient ses joues creuses et ses yeux encore mangés de fièvre.

    - Pas question ! Avait décrété Jonathan. Nous attendrons le temps qu’il faudra ! Tu dois d’abord reprendre des forces et guérir de cette maudite toux.

    - Bien chef ! Avait-il cédé. Tu as raison, je le sais ! Et puis il faut bien qu’Élisa se repose, je lui trouve mauvaise mine. Il ne faudrait pas qu’elle soit malade à son tour ! Avait-il ajouté en se tournant vers la jeune fille qui, en effet, tombait littéralement de sommeil et dont la pâleur et les yeux cernés faisaient peine à voir.

    Elle lui sourit émue. Elle lui avait tenu la main toute la nuit, ne cédant sa place à Martha que pour aller se soulager dehors.

    - Laisse-nous te soigner mon ami et ne te fais pas de souci pour moi, je suis juste un peu fatiguée, comme Jonathan et Martha mais pour le reste, tout va bien ! L’avait-elle rassuré.

    - Merci ! Lui avait-il dit reconnaissant. Je suis honoré d’avoir pu te rencontrer et d’avoir appris à te connaître. Tu es aussi généreuse que belle ! Heureux est l’homme que tu aimes !

    Jamais ils n’avaient évoqué ensemble le lien qui l’unissait à Jonathan ! Jacob le discret ne disait pas grand-chose mais il savait regarder.

    Il lui avait pressé doucement la main et glissé un regard qui lui disait à elle et à elle seule, une vérité qu’elle pressentait. Elle s’était mise à pleurer à chaudes larmes, comprenant soudain que les mots qu’il venait de lui adresser, étaient des mots d’adieu.

    Elle était sortie pour pouvoir pleurer tout son soûl et même Jonathan qui l’avait rejointe dehors, n’avait pu la consoler.

    La nuit suivante, Jacob rechutait. Toux, fièvre délire, gémissements entrecoupés de quintes de toux déchirantes qui semblaient ne jamais devoir finir…Bouche béante, narines pincées, il allait chercher sa respiration de plus en plus loin. Il ne parvenait plus à boire.

    De temps à autre, Martha humectait ses lèvres desséchées avec un linge imbibé d’eau.

    Au matin du deuxième jour, Jonathan les avait laissées avec Jacob. Il avait parcouru au pas de charge les dix kilomètres séparant leur campement du refuge. Il en avait ramené du pain ,de la viande séchée, des couvertures et des vêtements de rechange. Puis il avait pris Élisa dans ses bras et l’avait embrassée à perdre haleine avant de la forcer à s’étendre, enveloppée d’une couverture propre, aussi loin qu’il était possible de la paillasse de Jacob. Sa pâleur mortelle et les cernes profonds de ses yeux l’inquiétaient et lui brisaient le cœur.

    Penché sur elle à toucher son visage, il lui avait dit :

    -Jacob a raison mon amour, heureux est l’homme que tu aimes !

    - Tu es cet homme Jonathan, avait-elle murmuré contre sa bouche. Puis elle s’était endormie d’un coup, écrasée de fatigue.

    - Tu devrais en faire autant Martha avait-il dit à sa coéquipière qui, toujours au chevet de Jacob, observait la scène sans mot dire. Il n’y a rien que nous puissions faire de plus pour lui.

    Elle avait obéi à celui qui s’était petit à petit imposé comme le chef de l’expédition. Quelques minutes après, elle dormait elle aussi.

    La journée s’était étirée. Rien n’avait pu tirer les deux femmes de leur profond sommeil. Jonathan était resté seul à guetter le souffle de plus en plus ténu de Jacob. La nuit venue, son état était demeuré inchangé. Il respirait encore mais paraissait plongé dans un bienheureux coma. Un peu reposée, Martha avait repris le relais, décidant de ne pas réveiller Élisa  qui dormait toujours à poings fermés!

    - Á quoi bon ? Avait acquiescé Jonathan. Elle sera bien assez tôt confrontée à la mort.

    Sans rien ajouter, le cœur lourd de culpabilité, elle s’était préparée à vivre auprès de lui, une nouvelle nuit de veille.

    Á l’aube, Jacob avait rendu l’âme.

    *

    Martha lui a redonné la plus belle apparence possible avant de l’envelopper dans sa cape, tandis que Jonathan creusait le trou qui allait recevoir sa dépouille, dans la terre ameublie par la pluie des jours précédents. Il a dit quelque mots qu’Élisa n’a pas entendus tant elle sanglotait. Aidé de Martha, il a fait glisser le corps emmailloté dans la fosse puis l’a recouvert de terre. Á la tête, il a planté le bâton de marche du défunt sur lequel était solidement attaché son havresac. Sur la tombe, il a entassé de grosses pierres afin d’empêcher les animaux sauvages de déterrer le pauvre Jacob.

    La funèbre besogne achevée, il a brûlé le reste des affaires du malade ainsi que leur cahute de branchages. Après quoi ils ont repris en silence leur chemin vers le huitième refuge.

    Inconsolable, Élisa marche près de Jonathan sans rien voir des paysages qu’ils côtoient. Ils ont croisé des animaux inconnus pour la jeune fille. Martha ou Jonathan les lui signalaient au passage. Elle opinait du chef, regardait sans vraiment les voir les autres habitants du dehors. Un vol de grands oiseaux dans le bleu du ciel. Un drôle de petit animal vif comme l’éclair, au pelage roux et à la queue en panache qui s’est réfugié dans un arbre à leur approche. Alors qu’ils traversaient une forêt touffue, ils ont dû courir pour éviter la charge furieuse d’une horde de grosses bêtes aux grognements coléreux. Elle n’a retenu aucun des noms que ses deux compagnons lui donnaient au fur et à mesure. Ce monde qui vient de tuer Jacob n’a plus le moindre attrait à ses yeux. Le plaisir et l’étonnement de la découverte l’ont abandonnée durant les trois jours d’agonie de cet homme tranquille qui était devenu son ami. Rien ne peut la distraire de son chagrin. Elle n’a pas voulu voir la nuée d’oiseaux s’envolant des hautes herbes, fuyant la cavalcade effrénée d’une harde de cervidés. Pas plus qu’elle ne s’est arrêtée pour contempler le scintillement de la rivière serpentant dans la campagne ensoleillée, comme elle l’aurait probablement fait avec lui. Sans lui pour s’émerveiller avec elle, plus rien ne l’intéresse. Jacob lui manque plus qu’elle ne l’aurait imaginé. Elle se rend compte qu’elle appréciait infiniment sa présence discrète et calme. Mais ce qui la brise le plus, c’est ce sentiment de culpabilité qui s’accroche à elle. Elle s’en veut terriblement de n’avoir pas été là pour lui tenir la main jusqu’au bout. Et elle en veut aussi aux deux autres de ne pas l’avoir réveillée.

    Elle dormait pendant que son ami mourait. La honte la submerge.

    - Tu n’en pouvais plus ! Tu dois te pardonner ! Lui dit Jonathan qui, fidèle à son habitude, devine tout de ses pensées.

    - Je sais mais…Mais…J’aurais dû être là pour lui.

    -Il ne s’en serait pas rendu compte ma chérie ! Il était plongé dans un coma profond bien avant d’expirer !

    - Il a raison, renchérit Martha. Cesse de pleurer ! Pense qu’il est mort en homme libre ! Ça vaut mieux que de finir en petites pilules rouges, non ?

    - Vous croyez ? Être mangé par ces infâmes petites bestioles que j’ai vu gigoter dans le trou où nous l’avons enterré, vous êtes sûre que c’est mieux ?

    - C’est la mort petite ! Et ça aussi ça fait partie de la vie ! C’en est juste le dernier et incontournable épisode. Cette mort-là est naturelle au moins !

    - Parce que la maladie est naturelle selon vous ?

    - Hélas oui ! Plus naturelle que celles inventées par les Maîtres des Sphères pour justifier le reformatage à leur guise de leur contingent d’esclaves ! Tu vas devoir t’habituer à la mort comme à tous les inconvénients de la vraie vie Élisa !

    - Je ne peux pas !

    - Tu préfères peut-être qu’on te ramène à ton petit confort de sphérique ? C’est sûr, là-bas, pas besoin de réfléchir, vu que c’est interdit ! Et surtout, rien à décider hein, puisqu’on le fait pour toi ! Allez, on y retourne si c’est ça que tu veux !

    Le ton de la vieille femme est chargé de colère, de rancune même ! C’est plus que n’en peut supporter Élisa.

    - Vous avez été incapable de soigner celui que vous avez sorti de là-bas ! Vous auriez dû prévoir qu’il n’était pas assez résistant pour affronter la pluie et ces marches épuisantes que vous nous imposez depuis notre sortie de la Sphère, Jonathan et vous ! Je n’ai pas de leçon à recevoir de vous, alors fermez-là !

    - Ma parole, c’est qu’elle se rebiffe la gamine !

    -Ça suffit vous deux ! Intervient Jonathan. Vous croyez que Jacob aurait aimé vous voir vous chamailler ? Il est mort ! Vous n’en êtes responsables ni l’une ni l’autre. Toi Martha, tu as fait tout ce que tu pouvais et toi Élisa, le fait que tu dormes ou que tu sois éveillée, n’aurait rien changé au dénouement de cette triste nuit, son heure était venue, voilà tout !

    - Mais… Proteste-t-elle.

    - Il n’y a pas de mais ma chérie ! Nous devons rester unis si nous voulons parvenir sains et saufs à Liberté ! Nul ne sait ce qui nous attend jusque là et la route est encore longue alors calmez-vous et faites la paix en souvenir de notre ami, d’accord ?

    - D’accord ! Concède Martha en s’avançant vers elle la main tendue ! Pardonne-moi Élisa et pardonne-toi aussi, je t’en prie ! Et à partir de maintenant, dis moi tu, s’il te plaît, comme tu le faisais pour la Martha de tes rêves.

    Étouffant les sanglots de repentir qui se ruent dans sa gorge, elle se jette dans les bras de la vieille femme.

    - Vous…Toi pardonne-moi ! J’ai été tellement injuste avec toi! Je suis sûre qu’il a été comblé par ces quelques jours à l’air libre et qu’il est parti heureux de les avoir vécues avec nous ! Mais si tu savais comme je m’en veux et comme j’ai peur !

    - Ne t’en fais pas Élisa ! Dans la Sphère, on ne voit pas la mort en face. Là-bas, c’est beau, c’est propre ! On nous endort avant de nous injecter le poison qui nous tue. Là, c’étaient les derniers instants d’un être humain dans ce qu’ils ont de plus cruels, normal que tu sois sous le choc ! Tiens bon petite, nous sommes avec toi !

    La paix est revenue dans le groupe même si le chagrin continue à miner l’ambiance. Élisa reste la plus atteinte, toujours au bord des larmes, les deux autres ne parviennent pas à la sortir de son mutisme. Tous leurs efforts pour lui changer les idées restent vains.

    Le trio ressentant encore très lourdement la fatigue des trois jours d’agonie de leur infortuné compagnon, ils ont mis trois bonnes heures pour atteindre le refuge. Ils n’y ont fait qu’une courte halte, juste le temps de se restaurer un peu bien que l’appétit ne soit pas vraiment au rendez-vous. Ce matin ils n’ont pas eu le cœur à manger quoi que ce soit. Jonathan a forcé les deux femmes à avaler quelques biscuits et à s’hydrater un maximum pour reprendre quelques forces avant de se remettre en chemin. Le printemps est maintenant bien installé. La journée s’annonce assez chaude. Les voyant grignoter leur ration du bout des dents, il a insisté jusqu’à ce qu’elles avalent tout.

    - Poursuivre l’estomac vide avec le long parcours qui nous attend, serait du suicide ! A-t-il argué pour qu’elles s’exécutent.

    Elles ont obéi puis ils sont repartis.

     


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  • Huit jours qu’ils marchent, cheminant le jour et ne faisant vraiment halte qu’à la presque tombée de la nuit.

    Ils ont dû s’arrêter avant d’avoir atteint le huitième des refuges qui jalonnent le long parcours menant à Liberté.

    Jacob ne va pas bien. Voilà maintenant quatre jours qu’il se traîne sans se plaindre. Il s’est juste étonné d’avoir perpétuellement le nez qui coule et quelques difficultés à respirer. Martha a mis ces symptômes alors bénins sur le compte de la teneur grandissante de pollens en suspension dans l’air

    - Un phénomène courant en cette saison ! A-t-elle expliqué au pauvre Jacob que de nombreuses crises d’éternuement contraignaient à s’arrêter régulièrement tant elles le fatiguaient.

    - Mais Élisa ne semble pas avoir ce genre de problème, pourquoi ?

    - Elle est moins sensible que toi ! Regarde, chez elle ça se traduit par des yeux rouges et larmoyants ! Vous développez des allergies très normales pour tous ceux qui n’ont respiré toute leur vie que l’air aseptisé de la Sphère ! J’ai connu ça moi aussi !

    - Et toi Jonathan ? A demandé Élisa en s’adressant à celui qui ne la quitte plus d’une semelle depuis le cauchemar qui a scellé leur réconciliation.

    - Ce truc m’a épargné ! A répondu l’intéressé. Allez savoir pourquoi !

    -Toi, tu n’es pas comme tout le monde ! Á croire que tu as toujours vécu dehors ! Tu n’es pas normal !

    A jeté Martha d’un air faussement envieux.

    - Je ne m’en plains pas ma vieille amie ! J’aurais mauvaise grâce à le faire !

    - Et ça va durer longtemps ? S’est inquiété Jacob qu’une nouvelle crise venait de laisser rouge et suffocant.

    - Ça dépend ! D’après ce que j’ai vu avec nos autres rescapés, personne ne réagit de la même façon ! Mais ça finira par passer ! Ton organisme va s’habituer ! Les crises vont s’espacer, s’atténuer et disparaître. Fais-moi confiance et prends ton mal en patience

    L’a rassuré Martha.

    Hélas, rien ne s’est amélioré, au contraire. Aux crises d’éternuement ont succédé des quintes de toux sèche de plus en plus fréquentes, de plus en plus violentes. Puis la fièvre s’est installée. Mais Jacob ne voulait pas retarder leur progression, alors il a continué à avancer tant bien que mal, soutenu par Élisa qui ne cachait plus son inquiétude.

    Aujourd’hui, après ces quatre jours durant lesquels l’état du pauvre homme n’a cessé de s’aggraver, Jonathan a décidé de s’arrêter bien qu’ils n’aient fait que la moitié du chemin prévu pour la journée. Dès le départ, pour ménager leurs deux protégés, Martha et lui ont décidé qu’ils s’en tiendraient à la cadence journalière de vingt à vingt-cinq kilomètres. La cabane censée les accueillir pour la nuit est donc encore à une dizaine de kilomètres. Dix bornes de trop pour Jacob qui, même s’il s’en défend, serait bien incapable de poursuivre, atteint comme il l’est par bien plus grave qu’une simple allergie aux pollens.

    - On s’installe ici ! Ordonne Jonathan péremptoire.

    Puis, sans laisser à quiconque le temps d’émettre un avis contraire, il répartit les tâches :

    - Élisa mon cœur, tu vas allumer le feu ! Tu sais comment faire maintenant ! Je suis sûr que tu t’en sortiras très bien ! Toi Martha, tu installes Jacob le mieux possible en attendant mon retour ! Couvre le bien ! Il faut qu’il transpire. Dès que le feu sera allumé, prépare-lui une de ces potions dont tu as le secret.

    - Où vas-tu ? Demande la jeune fille qui a déjà commencé à rassembler du petit bois.

    - Couper des branches dans le boqueteau que tu vois là-bas ! Quand le feu sera prêt, viens m’y rejoindre, je vais avoir besoin de ton aide. Il va nous falloir une cabane assez solide pour tenir au moins trois jours.

    - D’accord, je vais faire vite et j’arrive,

    Martha a étendu Jacob sur sa propre cape, le couvrant soigneusement avec les trois autres. Agenouillée près de lui, elle a pris note à la fois du ton de commandement de Jonathan et de sa tendre complicité avec Élisa. Hier encore, elle en aurait pris ombrage mais aujourd’hui elle a un sujet d’inquiétude autrement plus sérieux  que les mensonges par omission du jeune homme envers sa protégée : Jacob risque de mourir par sa faute. Si elle culpabilise à ce point, c’est parce que de toute évidence, elle s’est lourdement trompée sur la gravité des symptômes présentés par l’homme qui tremble malgré l’amoncellement de couvertures. Il ne souffre pas d’allergie, il est malade ! Très malade même !

    Dans la Sphère, toute pathologie infectieuse a été éradiquée depuis des lustres. Les bactéries et autres virus n’y ont pas leur place. L’air soigneusement filtré, les mesures draconiennes d’asepsie, ont éliminé tout risque de contamination par quelque micro-organisme que ce soit. Il en va de la survie des habitants de ce monde forclos où la moindre épidémie serait meurtrière. Voilà d’ailleurs pourquoi les membres des équipes d’extraction  prennent garde d’être parfaitement sains avant chaque expédition de sauvetage, sacrifiant dès leur retour dans la Sphère, aux règles drastiques d’hygiène érigées en lois par les Maîtres d’En-Haut.

    Comment a-t-elle pu oublier que dehors les invisibles agents pathogènes pullulent ? Elle aurait dû se souvenir que si le système immunitaire des « sphériques » en dormance puisque inutile, se réactive automatiquement dès qu’ils se retrouvent à l’air libre, il ne le fait hélas pas de façon égale pour tous ! Car si les reclus des Sphères ont été formatés, uniformisés à outrance, lorsqu’ils retrouvent leur vraie nature humaine, ils retrouvent en même temps et pleinement cette spécificité qui fait qu’aucun être humain n’est pareil à un autre ! Les Maîtres des Sphères n’ont fait que gommer cette spécificité, ils n’ont pu l’annihiler comme ils l’ont fait de la maladie. Par le formatage, ils ont voulu effacer les différences mais dans les Sphères aussi, en dépit de tous leurs stratagèmes pour robotiser leur main d’œuvre, il y a des forts comme Jonathan, Élisa ou elle-même et des plus faibles, comme Jacob. Aujourd’hui mais un peu tard, lui reviennent en mémoire les cas d’infections mortelles qui ont suivi les premières extractions.

    - Le feu est prêt Martha, murmure Élisa en lui touchant doucement l’épaule, la tirant de ses sombres réflexions. Je vais aider Jonathan !

    - Va, jeune fille, je m’occupe de notre malade !

    - Il…Il va s’en sortir ?

    - Je ne sais pas petite ! Je vais faire tout mon possible en tout cas, je te le jure !

    - Dans mes rêves, vous saviez guérir ! Vous allez le sauver, n’est-ce pas ?

    - Je te promets d’essayer, je ne peux te promettre de réussir ! Tu te souviens de tes rêves, c’est bien ! Rappelle-toi cependant que ce n’était que des rêves et même pas les tiens ! Ni les miens d’ailleurs !

    - Je sais ! Mais là, dans la réalité, vous savez vraiment faire des tas de remèdes comme la guérisseuse de mes rêves ! Je crois en vous Martha ! Guérissez Jacob, je vous en prie !

    - Ta confiance me touche Élisa, je vais tout faire pour ne pas la trahir ! Va maintenant, Jonathan doit t’attendre !

    Comme si elle craignait de ne plus le revoir à son retour, elle s’agenouille près de son vieil ami et embrasse son front brûlant de fièvre. Elle se moque de savoir si elle risque ou pas d’être contaminée par les immondes bestioles microscopiques qui ont envahi l’organisme de Jacob ! La Machine avait raison finalement, l’air du dehors est réellement dangereux pour les humains qui ne respirent que de l’air filtré depuis quinze siècles !

    Elle se relève puis d’un pas lourd d’inquiétude elle s’en va rejoindre Jonathan.

    C’est la première fois qu’elle est confrontée à une vraie maladie, elle que la Machine n’était plus loin de considérer comme une malade incurable, bonne pour la suppression. Ce qu’elle l’était ! Dans la Sphère en effet, les seuls maux nécessitant des soins sont les dérèglements comportementaux des plus infimes aux plus profonds, tels ceux dont elle était affectée. On les traite à grands coups de pilule du sommeil, de casque anti-rêve, de simple révision ou de reformatage intégral comme celui qu’elle aurait subi si Jonathan n’était pas venu la libérer. Dans la Sphère, en somme, on se contente de remettre en état les machines déréglées et on met à la casse celles qui ne sont plus réparables !

      Mais là, c’est autre chose ! Comment peut-on guérir le mal insidieux dont souffre Jacob ? Se demande-t-elle rongée par l’angoisse.


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  • ..Elle se débat en proie à une terreur indicible. Elle veut s’enfuir mais deux bras vigoureux l’en empêchent, la maintenant par derrière. La horde se précipite droit sur elle au triple galop…Des centaines et des centaines de chevaux ! Le bruit de leurs sabots résonne, assourdissant. Elle n’en a jamais vus même si elle sait que ces animaux-là, comme beaucoup d’autres de différentes espèces, existent dans les zoos, à la surface, pour Eux qui préfèrent se nourrir des rêves de ceux d’en bas, plutôt que de profiter des merveilles mises à leur disposition.

    Elle va mourir parce qu’ils ont menti sur la réalité du Monde !

    Elle va mourir parce que celui qu’elle aime ne lui rend pas son amour comme dans les rêves que les monstres froids l’obligeaient à vivre.

    Elle est dehors ! Jamais elle n’aurait pensé qu’un jour elle sortirait de sa tombe- prison. Comment aurait elle pu penser ? C’est interdit dans la Sphère.

    Elle est dehors et elle va mourir ! Les chevaux foncent sur elle, aussi noirs que la Mort !

    Qu’importe ! Mieux vaut mourir que vivre sans l’amour de Jonathan.

    - Tu as raison, laisse-les me piétiner ! Je n’ai plus la force de lutter contre toi !  Murmure-t-elle à celui qui la retient prisonnière, comme s’il était décidé à mourir avec elle. Tu peux me lâcher et aller vivre ta vie ! Je ne m’enfuirai pas ! Insiste-t-elle tournant la tête vers lui.

    Dieux du ciel ! C’est une femme sans âge au visage marmoréen qui la serre à l’étouffer. Pas l’homme de sa vie ! Les bras se sont desserrés et l’ont relâchée. Elle est libre face à cette abomination qui n’a plus rien d’humain. Elle pourrait s’enfuir mais ses jambes sont de pierre.

    - Ah ah ah ! T’enfuir ? Tu m’amuses petite esclave naïve ! Tu ne peux pas t’enfuir ! C’est drôle hein ! Ce rêve, tu vas devoir le vivre jusqu’au bout parce que tel est mon plaisir ! Tu ne peux t’y soustraire ! Croyais-tu donc pouvoir nous échapper ? Ah ah ah !

    Elle crie sa terreur, sa haine, son refus, frappant de toute la force de ses poings nus, la poitrine de l’horrible femme-robot.

    Une voix qu’elle croit reconnaître hurle dans ses oreilles :

    - Réveille-toi Élisa ! Réveille-toi ! Ce n’est qu’un mauvais rêve, tu dois te réveiller.

    Elle se débat, en proie à une terreur indicible. Deux bras vigoureux la secouent. Elle ouvre les yeux et se dresse sur la paillasse qui lui sert de lit de fortune. Encore tremblante de peur, elle frappe des deux poings la poitrine de celui qui l’a forcée à se réveiller, la sauvant du même coup du cauchemar qui l’emprisonnait.

    - Bon sang, Tu m’as fait une de ces peurs Élisa ! Je croyais que tu n’allais jamais te réveiller !

    - Jonathan ?

    - Oui ?

    -C’est vraiment toi ?

    - Qui veux-tu que ce soit ?

    - Je ne suis pas en train de rêver alors !

    -Non plus maintenant ! Et c’est tant mieux car ça m’avait tout l’air d’être un rude cauchemar !

    -Tu…Tu n’étais pas là cette fois !

    - Non ! Mais je suis là à présent ! De quoi t’ai-je sauvée ma douce ?

    - Une horde de chevaux noirs me fonçait dessus. Ils allaient m’écraser.

    - Et qui frappais-tu avec une telle violence que j’en ai encore mal ?

    - Je crois que c’était Serena. Jonathan… C’est quoi ce bruit ?

    - Tu parlais d’une horde de chevaux ? Viens voir !

    Totalement réveillée à présent, elle le suit dehors où les deux autres se trouvent déjà, admirant le spectacle grandiose qui se déroule en contrebas.

    Dans la vallée qui s’étend à perte de vue à leurs pieds, des centaines et des centaines de chevaux sauvages, galopent crinière au vent. « D'où viennent-ils ? » se demande-t-elle mais la question s’efface devant la magie de l’instant.

    - Te voilà réveillée jeune fille ! Tu allais rater le plus beau ! Tu veux savoir d'où ils viennent pas vrai ? Ils font partie des nombreux sacrifiés du Zoo. Comme tous les animaux que tu rencontreras un de ces quatre, ils ont été relâchés tout jeunes dehors, non pas pour vérifier l'état de l'air, même si c'est ce qu'Ils disent alors qu'en réalité Ils s'en moquent mais juste pour éviter le trop plein dans les enclos. Comme tu le sais on n'utilise que les "vieux" voués à la destruction finale pour nourrir la Sphère, que ce soit chez les humains ou chez les animaux. Alors, qu'en penses-tu ? Tu voulais voir de la vie, n’en est-ce pas là une des plus merveilleuses manifestations ?

    Elle ne répond pas. Elle ne l'a pas vraiment entendue. D’un geste furtif, elle essuie les larmes qui perlent à ses paupières, lui brouillant la vue. Surtout, ne pas perdre une miette de cette fascinante cavalcade ! Le bruit des sabots résonne au rythme effréné des battements de son cœur. Si elle doit mourir maintenant, ce sera de bonheur. Le bras de Jonathan entoure ses épaules. Le rêve était douloureux, le réveil fut magique !

    Martha a raison ! S’ils sont inhérents à la nature humaine, les rêves ne sont qu’une partie de la vie, l’incontournable expression de l’inconscient. Mais la vraie vie, c’est ce qu’elle ressent en ce moment : la chaleur et la tendresse retrouvée de l’homme de ses rêves !


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  • L’escalade de la « collinette » s’est avérée aussi rude que ce qu’elle avait pressenti en la découvrant de loin ! Et le mutisme forcené de Jonathan s’est prolongé. C’est Jacob qu’il a choisi d’aider chaque fois qu’il trébuchait, affaibli par le manque de nourriture. Fort heureusement, elle a pu compter sur la sollicitude de Martha jamais démentie depuis que Jonathan lui bat froid. Elle était tellement fourbue, qu’elle ne voyait même plus la beauté du paysage. Et son malcommode sauveur qui houspillait tout le monde chaque fois que l’allure ralentissait, n’était pas là pour remonter le moral des troupes épuisées. La montée au sommet de la colline a été pour elle un véritable calvaire ! Un enfer  même !

    Pas étonnant donc, qu’au terme de leur longue grimpée, leur modeste havre nocturne lui soit apparu comme un paradis !

    - Il était temps ! La nuit tombe !

    Sont les seuls mots qu’a consenti à prononcer leur guide avant de pénétrer dans le refuge.

    Harassés, ils ont mangé en silence. L’anti vomitif de Martha de nouveau dûment ingurgité, Jacob a enfin pu garder son deuxième « vrai repas ». Après quoi, à bout de forces il est allé se coucher sur sa paillasse sans plus attendre et s’est aussitôt endormi du sommeil du juste.

    Toujours sans mot dire à quiconque, Jonathan a fait de même.

    Elles se retrouvent donc toutes les deux sous le ciel étoilé. Martha lui ayant assuré que c’était possible même de nuit, Élisa voulait voir la Sphère. Une dernière fois, parce qu’après être redescendus de la colline, elle ne sera plus visible, lui a assuré la vieille femme. Elle brille dans le lointain, massive silhouette opalescente, menaçante en dépit de la distance. Elle le regarde, ce monde inhumain qui l’a vue naître et grandir. Elle le regarde avec un pincement au cœur parce qu’il a été toute sa vie durant tant d’années ! Trop ! Des monstres froids comme la glace, froids comme la Machine sans âme qu’ils ont créée, dorment là-bas, forçant ceux de leurs esclaves qui possèdent ce don pourtant interdit, à rêver pour eux !

    « Plus jamais se dit-elle, plus jamais ! »

    - Mais si ma belle, tu rêveras encore ! Seulement, désormais, ce seront tes propres rêves !

    - Non ! Je n’ai plus envie de rêver Martha ! Le réveil fait trop mal !

    - Souffrir mon enfant, ça fait partie de la vraie vie, celle qui t’attend demain et tous le reste de tes jours. Les rêves reviendront ! Il te faudra les accepter comme faisant partie intégrante de ton humanité retrouvée.


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  • Il leur a fallu quatre heures de marche sous une pluie fine et persistante pour atteindre le campement provisoire où Jonathan les attendait effectivement. Ils l’ont trouvé assis à même le sol dans une hutte faite de branchages et de larges feuilles entrelacés. Un abri sommaire mais cependant suffisamment efficace contre ce maudit crachin qui a fini par traverser l’épais lainage de leur cape, les trempant de la tête aux pieds. Sous le regard renfrogné de l’occupant du lieu, ils se sont entassés dans la cabane tout juste assez grande pour eux quatre.

    - Vous en avez mis du temps ! Vous vous croyez en balade ou quoi ? Jette Jonathan avec hargne.

    Son air maussade fait plus que laisser entrevoir son humeur massacrante !

    - Holà mon ami ! Ce n’est pas parce que tu as mal dormi que tu dois t’en prendre à nous de cette façon !

    - Je n’ai pas mal dormi, je n’ai pas dormi du tout ! Ça fait des plombes que je vous attends là-dessous ! Je suis gelé et…

    - Nous aussi ! On a fait aussi vite qu’on pouvait ! Ce n’est pas notre faute s’il pleut depuis l’aube, que les chemins sont glissants ou que tu n’as pas dormi. Encore que pour ce dernier point, la jolie demoiselle ci présent…

    - Stop Martha !

    - Aurais-je raison ?

    - Ça ne te regarde pas ! N’abuse pas de ma patience, je ne suis pas d’humeur !

    - J’avais remarqué ! Reprends-toi jeune homme et cesse de nous en vouloir pour ces choses qui ne nous regardent pas !

    - OK ! Maugrée le coupable.

    - Bien ! Maintenant, on va se changer, faire sécher un peu nos vêtements, avaler une petite pilule pour se requinquer et se reposer les jambes avant de se remettre en route, d’accord ? A conclu la vieille femme en se débarrassant de son havresac et de sa cape. Si ces messieurs veulent bien aller faire un tour dehors pendant qu’Élisa et moi nous enfilons du sec… Ce serait courtois et bienvenu !

    Les deux hommes sortis, elles ont prestement quitté leurs vêtements mouillés et se sont changées. Puis Jacob a rapidement fait de même.

    Ni Jacob ni elle n’ont dit mot durant cette altercation. Si dans les yeux de son compagnon d’échappée, elle peut lire une totale incompréhension, Élisa, elle, ne devine que trop bien les raisons de l’évidente mauvaise humeur de Jonathan. C’est bien à cause d’elle qu’il n’a pas dormi. Á coup sûr, il regrette leur baiser de la veille ! Mais pourquoi le faire payer aux autres ?

    Á présent, réunis tous les quatre autour d’un petit feu de camp, réchauffés, leurs vêtements humides accrochés sur une corde au-dessus des flammes, chacun reprend des forces de la façon qui lui convient.

    Jacob et elle ont déjà consciencieusement avalé leur pilule nutritive en la faisant passer avec quelques gorgées d’eau. Ils regardent sans envie les deux autres mastiquer avec un plaisir évident leurs « biscuits de survie », ainsi que Martha qualifie les rectangles bruns et croustillants qu’elle affirme avoir confectionnés de ses blanches mains. Ils ont l’air de trouver ça bon. Pourtant, ces spécimens de « vraie nourriture », n’ont rien de ragoûtant aux yeux des sphériques qu’ils étaient encore hier, habitués à une alimentation sous forme de pilules sans odeur ni saveur mais parfaitement adaptées aux besoins nutritionnels et surtout totalement aseptisées.

    - Vous devriez goûter avant de décréter que ce n’est pas mangeable ! Leur propose Martha en leur tendant un biscuit à chacun. Ils sont non seulement naturels et délicieux mais encore parfaitement nourrissants.

    - Euh… Plus tard, peut-être. Décline Jacob en grimaçant

    - Et toi Élisa ? Insiste la vieille femme

    - Je…Je ne me sens pas prête !

    - Tu as pourtant mangé bien des plats différents dans tes rêves petite et tu te régalais, non ?

    - Je ne me souviens plus Martha !

    - Ça te reviendra ! Et il le faudra bien car là où nous allons, pas de petites pilules ma jolie ! N’est ce pas Jonathan !

    - Hum… Bougonne l’intéressé avant de reprendre sa mastication sans plus se préoccuper des autres.

    - Bof ! Ça lui passera marmonne Martha devant la mine consternée des deux fugitifs. Ne t’en fais pas petite ! Murmure-t-elle rien que pour Élisa dont l’air malheureux est plus explicite que les mots.

    Ne pas s’en faire ? Elle en a de bonnes Martha !

     

    *

     

    Quatre nouvelles heures se sont écoulées depuis leur halte matinale. Quatre heures pénibles durant lesquelles Jonathan n’a desserré les dents que pour jeter des ordres brefs d’un ton aussi froid et métallique que celui de CVUT 7007.

    « Stop ! », « Par ici ! », « Plus vite ! » Voilà tout ce qu’elle a entendu, comme les autres. Et jamais il ne s’est adressé à elle directement. Depuis leurs retrouvailles dans la hutte de branchages, il l’ignore purement et simplement ! Il ne marche plus avec elle comme il le faisait hier. Il préfère la compagnie de Jacob, même s’il ne lui parle pas plus qu’à Martha ou à elle. Sentant son chagrin, la vieille femme l’a prise sous son aile, oubliant son animosité de la veille.

    Elle ne comprend rien à l’attitude réfrigérante de son sauveur. C’est comme si elle n’avait jamais existé pour lui, comme si jamais de merveilleux rêves ne les avaient réunis, comme si leur baiser n’avait jamais eu lieu. Á croire qu’il lui en veut pour ce fabuleux moment sous le seul regard des étoiles. Elle n’a pourtant rien fait pour le provoquer, même si elle en a savouré chaque seconde. C’est arrivé, c’est tout ! Ne lui a-t-il d’ailleurs pas dit qu’elle allait devoir s’y habituer, que cette fois, ce n’était pas un rêve ?

    Il a menti ! Plus jamais désormais, elle ne confondra le rêve et la réalité. Le délicieux émoi de la veille, elle va l’oublier. Et ces rêves où ils s’aimaient comme des fous, elle est bien décidée à les bannir de sa mémoire eux aussi. Elle ne veut se souvenir que d’une chose : hier trieuse sans désir ni conscience dans les serres de la Sphère, elle est aujourd’hui Élisa, une femme libre en route pour sa nouvelle vie. L’Amour n’était qu’un leurre ! Le pire de tous.

    La pluie a cessé. Dans le ciel redevenu bleu, le soleil est à son zénith.

    - On s’arrête là ! Lance Jonathan à la cantonade sans même se retourner.

    - Bien chef ! Jette Martha d’un ton acide.

    Visiblement, elle est fatiguée d’avoir à supporter l’air renfrogné de leur guide. Elle n’est pas la seule. Prétextant son incapacité à suivre le rythme du jeune homme, Jacob s’est joint au deux femmes à l’arrière.

    Là, c’est un bouquet d’arbres majestueux dont les cimes semblent frôler l’azur.

    - Ce sont des chênes probablement plusieurs fois centenaires, explique Martha, amusée par la mine extasiée des deux évadés.

    Les arbres, ils savent qu’il en existe dans le musée arboretum de la Sphère mais ce lieu, établi en surface sous le dôme, leur était tout aussi interdit que les musées architecturaux, artistiques, animaliers et autres richesses pieusement conservées de l’ancien monde pour le seul plaisir de l’élite d’En-Haut. Depuis le début de leur périple, ils en ont admiré des tas mais pas d’aussi beaux que ceux-là !

    -Ils sont gigantesques ! S’écrie Élisa qui du coup, a retrouvé un peu de son enthousiasme. Le Monde du dehors n’a décidément rien à voir avec ce que nous apprenait la Machine quand j’étais enfant ! Il n’est ni dévasté, ni mort, ni désert même si nous n’y avons pas rencontré âme qui vive !

    - Ça va venir jeune fille ! Tu vas en voir du monde, crois-moi ! Et pour ce qui est de la nature, elle a eu 1500 ans pour se remettre de l’Apocalypse ! 15 siècles sans l’Humanité, qui lui ont permis de guérir à la fois de nous, de notre incurie et du feu du ciel ! Je t’expliquerai tout ça en temps voulu. Il est l’heure de nous restaurer ! Nous allons avoir besoin de force pour ce qui nous attend ! Surtout Jacob et toi ! Tu vois là bas ?

    Dit-elle en pointant l’horizon de l’index. Intriguée Elle tourne la tête dans la direction que lui montre la vieille femme.

    - C’est la collinette dont je vous ai parlé ce matin. Nous devons l’avoir grimpée avant ce soir parce que c’est là que se trouve notre prochain refuge pour la nuit. Á moins que vous n’ayez envie de dormir à la belle étoile !

    - On va devoir escalader ça ? Demande la jeune fille en constatant que ça a l’air bien plus haut que ce que leur a annoncé Martha.

    - Eh oui ma belle ! Alors il va falloir manger du consistant ! Cette fois, vos petites pilules ne suffiront pas mes agneaux ! Allez hop, on ouvre les sacs, c’est le moment ou jamais de vous mettre à la vraie nourriture !

    Jonathan ne les a pas attendus. Tout seul dans son coin, il a commencé à manger, adossé au tronc d’un chêne, le regard perdu dans le vague. Il a l’air triste, oui, triste ! Et il l’est, elle en jurerait.

    «  C est que je m’en veux tellement Élisa ! » Croit-elle entendre dans sa tête. Mais elle rêve, sûrement ! De quoi s’en voudrait-il après tout ? De l’avoir embrassée ? Elle était plus que consentante et elle aurait tant aimé renouveler la grisante expérience.

    Obéissante et résignée, consciente que Martha a raison, elle sort de son sac la boîte de « vraie nourriture » qu’elle va devoir se forcer à avaler pour tenir la route ! Tout comme Jacob assis à côté d’elle, qui renifle avec un dégoût manifeste le contenu de sa propre gamelle : des biscuits de survie et de la viande boucanée dont l’odeur forte lui soulève le cœur. « De la viande de quoi  Quel animal du zoo a-t-il été sacrifié ? Ou quelle bête du dehors?  Ils n’en ont croisé aucune jusqu’à présent !» se demande-t-elle inquiète sans oser poser la question.

    Tout comme celui de Jacob probablement, vu sa pâleur, son estomac proteste avec vigueur. Elle s’oblige cependant à mâcher ces mets d’un autre âge, remerciant les médecins et scientifiques de la Sphère, d’avoir su maintenir en état de marche toutes les fonctions du corps humain pour un hypothétique retour à la surface. Durant des années, elle a eu de belles dents blanches bien implantées bien que totalement inutiles pour avaler des pilules et de l’eau. Pas plus que ne l’était son estomac artificiellement entretenu pour pouvoir un jour se remplir d’un contenu plus conséquent. Oui, Les concepteurs des Sphères avaient tout prévu dans l’espoir qu’un jour, les survivants retourneraient à la vraie vie en possession de tous leurs moyens originels mais, les années, puis les siècles passant, ils avaient oublié cet objectif final, allant même jusqu’à tout faire pour que ce retour n’ait jamais lieu.

    Fixée sur ses sombres pensées, elle a tout mâché et avalé sans vraiment s’en rendre compte. Ce n’est pas le cas de Jacob qui, hoquetant, les boyaux retournés, vient de se lever et de partir en courant vomir loin du regard de ses compagnons.

    Lorsqu’il revient, plus verdâtre que pâle, Martha l’oblige à boire une espèce de mixture amère censée lui remettre l’estomac en place pour son prochain repas.

    - Tu as encore droit à une de tes pilules pour cette fois mon ami. C’est la dernière ! Après tu devras t’y mettre toi aussi ! Regarde Élisa, elle a fait la grimace mais elle a tout mangé !


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