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Elle a rêvé.
Depuis qu’elle dort près de Jonathan, ça ne lui était plus arrivé. Ou alors, rien que des rêves ordinaires. De ceux qui s’évaporent dès le réveil. Aucun songe qui soit susceptible de la troubler !
Or aujourd’hui, c’est en plein jour qu’elle s’est endormie. C’est la première fois ! D’habitude elle parvient assez facilement à vaincre la fatigue, ce qui était le cas ce matin. Alors que la journée était déjà bien avancée, elle a succombé au manque de sommeil que ces trop courtes nuits qui précèdent le départ de son compagnon, bien avant le lever du soleil, engendrent immanquablement.
Il en est ainsi chaque fois qu’il doit partir, que ce soit pour la pêche ou pire pour ces longs jours que nécessite une expédition d’extraction à la Sphère. Ils s’aiment alors passionnément comme s’ils ne devaient jamais se revoir.
Elle a rêvé. Ou peut-être est-ce en ce moment -même qu’elle est en plein rêve. Elle ne sait plus ! Tout s’embrouille dans sa tête ! Où finit le rêve, où commence la réalité ?
Lorsqu’elle émerge d’un songe, n’est-ce pas pour retomber aussitôt dans un autre comme cela lui est déjà arrivé tant de fois ?
Jonathan et Martha ont beau lui répéter sans cesse que la vraie vie, c’est ici et maintenant, à Liberté, elle ne peut s’empêcher de douter. Il suffit pourtant que l’homme de sa vie soit auprès d’elle pour avoir un peu moins de mal à s’en convaincre.
Il n’empêche que chaque matin dès qu’elle se réveille, elle craint plus que tout d’avoir replongé dans l’un de ses mondes oniriques. Et cette crainte sourde subsiste jusqu’à ce qu’elle sorte de la maison et pose son premier regard du jour sur l’océan dont elle perçoit le murmure et dont elle voit le scintillement à travers le rideau de grands pins qui bordent le village.
« Quand me réveillerai-je pour de bon, se demande-t-elle, quand ? »
Elle pensait pourtant être libérée de l’influence néfaste de la Sphère. Si loin de la Machine et de ses maîtres maudits, elle croyait légitimement pouvoir vivre une vie normale avec des rêves normaux ! Elle voulait être aussi heureuse et épanouie que dans ce dernier songe, le plus beau de tous dont elle vient de sortir à grand peine, avec Jonathan à ses côtés et son fils endormi, repu, contre son sein !
Ce matin, elle s’est réveillée seule. Jonathan est parti à l’aube avec Rafael et Khaled, ses deux acolytes habituels. Une expédition de pêche programmée pour réapprovisionner les fumoirs de Liberté. L’océan généreux abonde de poissons variés et de délicieux crustacés géants. Une manne providentielle pour la communauté de Liberté qui ne cesse de s’agrandir après chaque extraction réussie.
Pour ce qui est de l’adorable nourrisson si présent dans les différentes époques de l’autre « Élisa », il n’existe pas dans ce monde- ci, le réel, s’oblige-t-elle à croire ! Elle n’a pas encore d’enfant ! Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé depuis deux ans ! Jonathan et elle s’y emploient avec ardeur sans le moindre résultat ! C’est comme si la nature humaine de la jeune femme se vengeait d’avoir été si longtemps contrariée !
- C’est parce que tes menstruations ne sont pas régulières ma fille, lui affirme Martha pour la rassurer ! Mais elles finiront par se stabiliser et tu pourras concevoir ! Il en a été de même pour bien des jeunes femmes de Liberté !
Elle sait qu’en effet, il a fallu presque un an et demi à Djamila et Alban, le premier couple officiel de la Communauté, pour avoir leur premier enfant, un garçon qu’ils ont appelé Adam à cause d’un vague souvenir biblique issu de leur proche passé de « Rêveurs ». Et comme de juste pour leur deuxième, une fille née un an après, Ils l’ont baptisée Ève pour la même raison ! Ces deux premiers rejetons de la jeune communauté de Liberté ne représentaient-ils pas l’avenir du monde nouveau ?
Quant à ses menstruations, il est vrai que depuis ce premier saignement à la fois si terrifiant et si porteur d’espoir pour elle autant que pour Jonathan, elles sont très anarchiques ! Il lui arrive de saigner deux fois au cours du même cycle et pas du tout le mois suivant ! Elle ne peut donc pas s’y fier pour prévoir ses périodes de fécondité ainsi que le lui a appris la guérisseuse.
Ce bébé, ce petit garçon joufflu et insatiable prénommé Jacob en souvenir de son vieil ami de cavale, elle ne peut le chérir qu’en rêve ! Voilà pourquoi, en même tant qu’elle les hait et qu’elle les craint, elle n’a qu’une hâte chaque nuit, c’est d’y replonger pour retrouver ce bonheur parfait d’être mère ! Un bonheur auquel elle aspire de toute son âme et que ne connaissent qu’Ehi Sha, la jeune femme de la préhistoire, l’Élisa du Moyen-âge et celle du XXI e siècle.
C’est cette absence, entre autres choses, qui lui fait douter de la réalité, parce que dans le rêve qu’elle a fait juste avant de se réveiller, l’Élisa du XXI e siècle, les voyait, elle et Jonathan, à Liberté, parents eux aussi d’un petit Jacob braillard et affamé !
Pourquoi cette prétendue réalité dont on lui serine chaque jour qu’elle est la sienne et la seule tangible, ne correspond-elle pas à ses rêves ?
Devient-elle folle ?
L’environnement dans lequel elle évolue dans les songes qui la hantent, a le mérite d’être construit, solide, rassurant ! Fiable du fait même de sa réalité très précise. Qu’il s’agisse de la préhistoire, du Moyen-âge ou du vingt et unième siècle, il lui suffit de fermer les yeux pour retrouver intact chacun des lieux où elle a vécu. S’il lui fallait les décrire, elle serait intarissable ! La caverne du clan d’Ehi Sha sur son promontoire rocheux dominant la rivière bouillonnante et sauvage ; l’humble masure moyenâgeuse, non loin de la forêt et de l’imposant château seigneurial ; la maisonnette périgourdine adossée aux rochers, Les Eyzies, Sarlat, l’université bordelaise… Elle est capable de visualiser tout cela si nettement ! Et l’hôpital aussi, à partir de son réveil après le long coma ! Sans parler de sa vie dans l’appartement de Bordeaux avec Jonathan et Jacob. Bordeaux…Une grande ville de ce passé si lointain où ont peut-être vécu ses ancêtres mais qu’elle n’a pu connaître qu’en rêve puisque de toutes les cités, grandes ou petites où grouillait la vie au XXI e siècle, il ne reste pas la plus infime trace ! Bordeaux où elle pourrait se promener les yeux fermés…
« C’est ce que tu fais justement » Lui susurre une petite voix insidieuse.
Même la Sphère qu’elle est pourtant capable de mémoriser très parfaitement, lui apparaît désormais comme appartenant à ce monde onirique interdit ! Les habitacubes, le pédiroule, le redoutable Centre de Contrôle et de Reformatage, les serres hydroponiques où Élisa 7 s’interdisait de rêver, de penser, les profondeurs insondables de cet univers forclos qu’elle n’a découvertes qu’avant de s’en évader, tout cela ne serait-il pas également qu’un rêve après tout?
Bien sûr, Liberté lui apparaît aussi réelle et solide que ces autres lieux de ses existences prétendument oniriques. Elle en connaît chaque ruelle, chaque construction, de la grande Maison commune à chacune des petites maisons de pierre et de rondins caractéristiques de ce premier et unique village de la nouvelle France érigé un peu en hauteur face à l’océan houleux !
Tout l’environnement qui compose sa prétendue réalité hors de Liberté, tout ce qu’elle a pourtant parcouru de la Sphère jusqu’au village, lui semble uniforme, plat, sans véritable consistance !
Ce monde-là, aujourd’hui encore, elle a tant de peine à se le rappeler ! Un univers si étrange qu’elle se sent incapable de le décrire. La seule chose d’à peu près tangible dont elle se souvienne, c’est de la horde de chevaux sauvages. Et encore n’était-ce qu’au sortir d’un horrible cauchemar. Pour le reste, des arbres, des collines, des sentiers, des montagnes, des rivières…Rien de net et surtout, peu de vie en dehors d’elle et de ses compagnons de cavale.
C’est comme s‘ils avaient évolué dans un décor. Comme si cette fuite éprouvante n’avait été pour elle qu’un rite de passage entre ses autres rêves et celui de maintenant avec ses points d’ancrage inamovibles : Jonathan évidemment et Martha. Puis des personnages tels Rafael, présent dans son monde des cavernes Rah Faeh, ou Khaled dont elle a fait connaissance quand elle a été mordue par une bestiole inconnue après l’aveu de Jonathan et son départ. Elle se souvient qu’ils étaient presque au bout de leur équipée vers Liberté.
Mais se souvient-elle vraiment ?
Ce Khaled-là, qu’elle ne parvient pas à apprécier, toujours fourré avec Jon’ comme il l’appelait dans cet autre rêve, ou cette autre réalité au cours de laquelle elle s’est réveillée d’un long coma dans un hôpital du XXI e siècle, ce Khaled-là est-il le vrai ?
Et puis il y a tous ces « personnages » qui n’appartiennent qu’à l’un ou l’autre des mondes oniriques où elle a vécu, ou cru vivre : les membres du Clan de la Caverne, l’odieux fils du seigneur et l’Ogre si doux du moyen-âge, devenu le Harold de Martha au XXIe siècle où vivaient également Chloé, sa meilleure amie à jamais perdue. Plus que perdue même, puisqu’elle n’a sûrement jamais existé que dans ses rêves. Même Sarah, sa douce maman et Patrick, son frère chéri, n’existent pas ici !
Dieu du ciel ! Quel Dieu ? Quel ciel ? Est-elle en train de rêver là, maintenant ? Va-t-elle se réveiller dans un monde lointain du passé ou du futur dans lequel Jonathan, son éternel sauveur, n’existera pas ?
Se souviendra-t-elle de lui avec tristesse, comme elle se souvient de Chloé de Sarah et de Patrick ? Ce serait terrible !
Soudain prise d’une incontrôlable frénésie, elle part en courant vers le village. Il faut qu’elle voie Martha, les habitants de Liberté dont la journée commence. Il faut qu’elle les voie, qu’elle leur parle, qu’elle les touche avant qu’ils ne s’évanouissent à tout jamais. Il faut qu’elle voie Jonathan, qu’elle le serre dans ses bras…
L’un de ses nombreux songes lui revient, oppressant :
…Elle se sent partir…
- Hep ! Réponds-moi Élisa
…Elle a beau essayer de résister, elle décroche.
- Que t’arrive-t-il ? Dis quelque chose !
Elle perd pied… c’est comme si elle s’enfonçait dans des sables mouvants…
- Élisa !
De toutes ses forces, elle tente de se raccrocher au claquement de doigts près de son oreille…à cette voix d’homme de plus en plus lointaine…
- Réponds-moi je t’en supplie !
…Elle ne sait plus où elle est…Qui elle est… Qui lui parle…
…Est-ce que quelqu’un lui parle ? Sûrement….Il y a des voix dans sa tête…Que disent-elles?
- On la perd ! Il faut faire quelque chose ! Arrête le processus ! Réveille-là !
-Impossible pendant cette phase ! Trop dangereux !
…Est-ce d’elle dont on parle ? Est-elle en train de mourir ?
- Élisa, Élisa, reste avec moi mon amour ! Réponds-moi !
…Rester ? Où ça ? Répondre mais à quoi ? À qui ?
À ces deux voix dans sa tête dont les intonations métalliques lui font mal, ou à cette autre voix suppliante qui s’affaiblit et s’éloigne à l’orée de son subconscient…
- Élisa…Élisa…Elisa !
Elle voudrait bien parler pour leur demander à tous de se taire mais aucun son ne peut franchir ses lèvres. Elle panique !
Deux horribles sensations totalement antinomiques s’emparent d’elle : celle de tomber dans un puits noir et sans fond en même temps que celle de flotter au-dessus de son corps, comme si elle était dans un coma profond proche de la mort. C’est terrifiant !
Elle tente vainement de se secouer pour sortir de ce double cauchemar… Impossible ! Elle est comme entravée dans d’invisibles rets qui la maintiennent allongée…
Allongée ? Elle était allongée près de…de qui déjà ? Elle était allongée quand…quand quoi ? On lui parlait… qui ?
Il n’y a personne. Elle est seule, totalement seule dans la brume ouatée d’un vide…étouffant...
Elle s’était réveillée dans la Sphère…
- Élisa 7 contrôle…Élisa 7 contrôle !
La voix désincarnée de CVUT 7007, Coordinateur Virtuel de son Unité de Travail l’appelait…
Et si ça lui arrivait encore de décrocher d’un monde, sans préavis comme cette fois-là et de retomber dans un autre, puis dans un autre, sans jamais pouvoir se réveiller, sans savoir si elle vivait dans un espace onirique ou dans la réalité ?
Si elle rêve, là, maintenant, il faut qu’elle profite de chaque seconde de cette existence éphémère avec tous ces gens qui demain, peut-être, n’existeront plus !
Et il faut que Jonathan revienne avant qu’elle ne tombe à nouveau dans un puits sans fond !
« Mais je suis là moi, à chaque fois. » Murmure dans son esprit affolé, la voix de l’homme qu’elle aime.
Sa course effrénée l’a menée jusqu’à la maison de Martha. Elle a croisé des hommes, des femmes, qui l’ont hélée, qui ont même tenté de l’arrêter mais ni leurs voix inquiètes, ni leurs mains tendues n’ont pu la stopper.
Elle n’a pas eu besoin de frapper ni de l’appeler ! La vieille femme était devant sa porte, comme si elle l’avait attendue !
Elle se jette dans ses bras, le souffle court, le cœur battant à tout rompre.
- Là, là…calme- toi petite, murmure la guérisseuse en lui caressant les cheveux d’une main apaisante. C’est encore arrivé hein ! Tu ne sais plus où tu en es ! Ne t’inquiète pas, tu finiras par te réveiller !
- Je sais, vous ne cessez de me le rabâcher Jonathan et toi ! Mais j’ai si peur parfois !
- Parlons-en de ton Jonathan ! Il n’est pas encore rentré ce vaurien ! La voilà la vraie raison de tes angoisses ! Et tu as encore rêvé, pas vrai ?
- Oui… c’était… c’était…
- Chut ! Nous allons marcher tranquillement jusqu’au ponton attendre nos vaillants pêcheurs qui ne devraient plus tarder à rentrer maintenant ! Tu me raconteras en chemin !
Bras dessus bras dessous, elles prennent le sentier sableux qui descend vers la plage en contrebas.
- Je vais te raconter mais avant, dis-moi, pourquoi as-tu dit que je finirai par me réveiller ?
L’hésitation de Martha ne dure qu’une seconde mais elle est là, comme un nouveau point d’interrogation.
- Tu as dû mal entendre ! J’ai dit que tout finira par s’arranger.
*
Elles ont attendu. Toutes deux d’abord, suivies peu après par Mélodie, la compagne de Rafael et par Shana, celle de Khaled. Puis au fur et à mesure que la journée s’étirait, les compagnes des six hommes partis dans les deux autres bateaux, les ont rejointes près du ponton de bois.
Elles ont attendu, les tripes de plus en plus nouées par l’angoisse. Côte à côte, unies par la même ancestrale peur des femmes de pêcheur, elles ont scruté l’horizon à s’en brûler les yeux, jusqu’à ce que le soleil se couche.
La nuit est tombée sur la plage. Les pêcheurs ne sont pas rentrés ! Le Conseil du village qui devait avoir lieu dans la soirée, a été annulé. Mortes d’inquiétude, soutenues par Martha, les neuf femmes n’ont pu se résoudre à aller se coucher. D’autres habitants de Liberté sont venus les soutenir. Ils ont allumé de grands feux sur la plage pour guider les robustes petits bateaux de pêche.
Personne ne comprend ! L’océan est très calme. Peu de vagues, pas de vent ! La dernière grosse tempête a eu lieu l‘automne dernier ! Sur six barcasses parties à l’aurore comme aujourd’hui, seules deux étaient rentrées. Trois hommes n’étaient pas revenus de la journée de pêche ! L’océan n’avait jamais rendu leurs corps ! Chacun s’en souvient la mort dans l’âme ! Même s’il s’agissait de trois célibataires !
Chaque vie est précieuse à Liberté ! Chaque femme, chaque homme sauvé de la Sphère devient aussitôt pour les autres, un ami, un parent. Lorsque l’un ou l’une décède, trop faible pour résister aux multiples germes du « dehors », ou par accident, le chagrin s’abat sur la Communauté tout entière! Et s’il ne dure pas - la survie de Liberté dépend de la force de ses membres - il laisse en chacun de profondes cicatrices !
Élisa elle-même ne s’est jamais vraiment remise de la mort de son compagnon de cavale. Elle a promis d’appeler son premier fils Jacob en souvenir de lui, comme elle l’a instinctivement fait dans certains de ses rêves. Mais pour cela, il faudrait que Jonathan revienne.
Depuis la perte cruelle des trois vaillants pêcheurs, il y a eu successivement deux nouvelles expéditions à la Sphère, dont l’une, la dernière menée par Jonathan, a failli mal tourner. Les petits mouchards volants à la solde des Maîtres semblent plus nombreux et actifs qu’auparavant ! Néanmoins réussies, les extractions ont ramené à Liberté, quatre hommes et quatre femmes aux talents très utiles pour la Communauté. L’une des femmes, Esperanza, s’est montrée aussi versée que Martha dans la connaissance des plantes médicinales et elle possède comme elle le fabuleux don de guérir ! Merci les rêves implantés !
Dans les siens, Claire était gynécologue ! Ce qui a libéré Martha de son travail d’accoucheuse mais plus encore, la jeune femme aide ses congénères à se réapproprier leurs fonctions reproductrices, d’autant qu’elle se révèle être une excellente psychologue auprès de le gente féminine !
Enseignante dans ses vies oniriques, Malika a trouvé sa juste place auprès des premiers enfants de Liberté avides de s’instruire ! Lire écrire, compter… Apprendre à connaître le monde où ils sont nés. Comment il était avant, comment il est devenu, d’où viennent leurs parents… Tout est à refaire pour les adultes de Liberté, tout est à construire pour les enfants !
Enfin, en Anaëlle, hommes et femmes du village ont trouvé l’idéale remplaçante de Maud, la couturière de liberté, morte en couche l’hiver dernier. Les réserves de tissu ramenées de la Sphère lors des extractions, s’épuisent inexorablement! Or, Annaelle, au contraire de Maud, est capable de transformer en tissu puis en vêtements confortables, les tas de plantes fibreuses poussant à profusion dans le nouveau monde !
Pour ce qui est des hommes, ils ne sont pas en reste !
Djibril sait reconnaître d’instinct sans jamais se tromper, les plantes comestible et la façon de les cultiver puis de les accommoder de mille et une façons ! Avant lui, c’était un peu la débrouille, d’où quelques accidents, heureusement sans trop de gravité, jugulés grâce aux connaissances médicinales de Martha ! Entre ces deux là, s’est très vite noué une extraordinaire complicité, née de leur complémentarité ! Sans compter que la jeunesse de Djibril en a fait un fils de substitution pour la vieille femme sans enfant !
Météorologue averti, Lukas n’a pas son pareil pour prédire le plus petit changement du temps ! Lui non plus ne se trompe jamais ! Voilà bien pourquoi les pêcheurs ont pu partir tranquilles ce matin ! Ce qui inquiète Élisa au plus haut point ce soir, c’est qu’il a annoncé une assez rude tempête pour demain !
Pour ce qui est des deux derniers, Yvan et Thomas, le hasard du choix de leurs rêves imposés, a bien fait les choses, puisque Thomas est architecte naval et Yvan charpentier de marine ! Grâce à leurs connaissances conjuguées, les barcasses à rames si fragiles du début, sont devenues de véritables petits bateaux de pêche, solides, très maniables, avec cabine de pilotage, gouvernail et un grand mât pourvu d’une voile résistante assemblée par les mains habiles d’Annaelle !
La discussion prévue au Conseil annulé, devait d’ailleurs porter sur la construction de plus grandes embarcations, capables d’aller plus loin. De traverser l’océan peut-être, pour aller voir comment a évolué le Monde ailleurs qu’en Nouvelle France. Mais un projet plus proche devait être évoqué, celui de faciliter les extractions en longeant la côte jusqu’à l’embouchure du grand fleuve proche de la Sphère ! Éviter la fatigue, les risques d’une longue expédition à travers un territoire hostile, devenait urgent ! Cela et sauver en une seule fois plus de prisonniers de la Sphère.
« Et puis, avait dit Jonathan, il faut absolument que je vous parle de ma dernière opération d’extraction, parce que ce qui s’y est produit va nous amener à prendre une grande décision pour la suite des évènements. Il en va de la survie de Liberté mais également, de l’avenir de nos frères et sœurs prisonniers de la Sphère »
« Mais pour cela, il faudrait que tu reviennes Jonathan ! » Se répète une fois de plus Élisa, les yeux fixés sur la surface ondulante de l’océan, scintillant sous la pâle clarté de la lune.
Sa dernière pensée avant de s’endormir exténuée sur l’épaule de Martha c’est :
« Je rêve, je rêve encore… »
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…Dans la hutte construite par Roh Ahr Anh non loin de la rivière, Ehi Sha est seule. Le soleil vient de disparaître derrière les grands arbres de la forêt touffue qui borde le camp du Clan des Chasseurs.
C’est la première fois que son compagnon part aussi longtemps depuis qu’ils se sont installés dans la Tribu de la Grande Plaine. Déjà deux lunaisons qu’avec les six meilleurs chasseurs du clan, il a quitté le village, la laissant seule avec leur enfant à naître qui s’agite dans son ventre distendu. Il serait plus que temps qu’il revienne ! Il a promis d’être là pour la naissance de leur fils. Parce que c’est un fils, ils en sont sûrs tous les deux ! Et elle plus encore que lui, parce qu’elle a vu le petit garçon dans ses songes. C’est pour bientôt, elle le sent dans ses entrailles.
Les vaillants chasseurs devraient déjà être de retour. Le temps des grandes chasses s’achève avec l’arrivée du froid, annoncé par les premières chûtes de ce que les anciens appellent la neige. Or, cela fait plusieurs jours que tout est blanc alentour.
Les femmes ont ressorti les peaux de bisons qui tiennent si chaud la nuit venue. Des vêtements plus épais ont remplacé ceux de la saison douce, pratiques mais trop légers pour l’hiver qui s’installe très vite dans cette contrée où il n’y a pas de grotte où s’abriter quand vient le grand froid !
Et Roh Ahr Anh qui ne revient pas et qui risque de ne pas voir naître son enfant !
- N’attends plus, petite du Clan de la Caverne, ils ne reviendront pas ! Lui a jeté le sorcier du village, en agitant devant elle son bâton orné d’osselets et de cailloux colorés passés dans de fines lanières de peau de bison.
- Roh Ahr Anh reviendra, a-t-elle répondu, butée ! Il a promis !
- Son esprit reviendra te hanter petite ! Mais lui, il a rejoint ses ancêtres. Il te faudra bientôt choisir un nouveau compagnon pour que ton petit ait un père. Si l’un des hommes de notre fière tribu qui n’ont pas encore de compagne, veut bien d’une fille du Clan de la Caverne!...
… Elle est seule, abandonnée de tous. Elle ne sortira des oubliettes du château que pour être brûlée vive, comme la sorcière qu’on l’accuse d’être !
Jonathan ne viendra pas à son secours ! Sait il même qu’on l’a enfermée ? Au service du Roi, il est parti guerroyer en de lointaines contrées.
C’est donc seule qu’elle a dû se défendre contre le fils du seigneur qui s’était une fois de plus attaqué à elle, arguant du droit de cuissage de ceux de sa race, pour assouvir ses bas instincts. Alors qu’il tentait de la violenter, elle avait saisi une grosse pierre et l’avait frappé à la tête avec une force que la peur et la rage avaient décuplée. L’odieux personnage s’était effondré sur elle, le crâne en sang. C’est sur elle, sa verge noueuse devenue flasque, qu’il avait rendu son âme au diable. Près de la sienne, gisait la tête du monstre. Sur sa face vérolée, les yeux que la mort voilait déjà, la fixaient encore avec une expression de haine et d’incrédulité.
Elle était parvenue non sans mal à s’extirper de dessous ce corps massif désormais sans vie. Puis elle avait vomi dans l’herbe tendre parsemée de fleurs printanières.
C’est en titubant, les vêtements en lambeaux, qu’elle avait regagné la sécurité de la chaumière où l’attendait sa mère, inquiète à juste raison de son retard.
Mais hélas, la scène avait eu un témoin. Un villageois à la solde du seigneur, auquel il s’était empressé d’apporter la triste nouvelle, dénonçant du même coup la coupable de ce crime. La sorcière, ainsi que beaucoup la désignaient du doigt du fait même de son amitié avec Martha.
Lorsque les soldats du château avaient déboulé chez elle au grand galop, Élisa n’avait pas résisté.
Si personne, hormis son père, n’avait pleuré la mort de l’infâme rejeton du château, personne non plus ne s’était risqué à prendre la défense de la jeune fille et de sa mère lorsque la vindicte du seigneur éploré s’était abattue sur elles.
Élisa avait été jetée aux oubliettes en attendant son procès en sorcellerie. Sa pauvre mère n’avait eu que le temps de s’enfuir à dos de mulet, avant que sa maison soit brûlée et ses maigres biens confisqués. Elle avait trouvé refuge chez l’une de ses sœurs qui vivait avec sa famille, à une lieue du village, sur les terres d’un autre fief.
Pourtant, la disparition brutale de ce débauché de la pire espèce avait soulagé plus d’une jeune paysanne en âge de se marier. Plus jamais aucune d’elle ne tomberait entre ses sales pattes ! Car non content d’user sans vergogne de ce qu’il affirmait être son bon droit, ce porc infligeait les pires sévices aux malheureuses pucelles qui osaient se rebeller.
Quant à toutes celles qu’il n’avait pu engrosser, suprême affront à sa virilité, elles étaient soit défigurées, soit estropiées ou pire, elles avaient succombé sous ses coups !
Et elle qui l’avait tué pour ne pas subir l’ultime outrage, allait payer de sa propre vie son courage et sa résistance…
…Des gardes au visage impassible viennent de débarquer à la porte de son petit « habitacube » d’ouvrière classe 3 des Serres hydroponiques.
Elle en tremble de peur ! Un sentiment aussi interdit que tous les autres dans la Sphère.
Ces tremblements incoercibles la désignent d’ores et déjà comme une coupable.
Elle pense, elle ressent, elle réfléchit, elle rêve… Tout cela est proscrit.
Ce qui l’attend, c’est un reformatage de plus qui refera d’elle, pour un temps au moins, un parfait robot, obéissant et efficace, à l’instar de tous les « esclaves » des tréfonds de ce qu’elle appelle désormais la « prison ».
Pour un temps, car Élisa 7 semble résister à ce traitement de choc inventé par Ceux d’en Haut dans le seul but de garder sous total contrôle, une main d’œuvre incapable de se rebeller.
-Élisa 7, suis nous!
Ils n’en diront pas plus, ce n’est pas leur rôle. Eux ils sont formatés pour obéir aux ordres de la Machine créée par les Maîtres du premier niveau. Et ils le font sans jamais se poser de question ! Il ne leur viendrait pas à l’idée de le faire !
Dûment encadrée par quatre hautes silhouettes encapuchonnées raides comme la justice, sur le maudit pédiroule rouge qui mène au redoutable Centre de Contrôle, elle se laisse porter vers son destin, la mort dans l’âme…
…Dans la chambre douillette de son appartement de la banlieue bordelaise, son enfant blotti entre les bras, Élisa s’est endormie.
Ce qu’elle craignait le plus est en train de se produire, elle rêve. Elle voyage d’un monde à l’autre, d’une époque à l’autre…
Elle est Ehi Sha, la jeune femme des temps préhistoriques. Puis Élisa, la paysanne du Moyen-âge.
D’un coup, elle redevient Élisa 7, la trieuse des serres de la Sphère. La voix métallique de CVUT7007 résonne dans ses oreilles. Mais une autre voix, chaude et grave, la libère de la cruelle et froide Machine.
La voici à Liberté, heureuse, épanouie avec l’homme de sa vie. Là bas aussi, dans ce futur où le monde dévasté par un terrible et innommable cataclysme renaît de ses cendres après 10 siècles, son fils s’appelle Jacob en mémoire de son compagnon d’évasion.
Un battement de cil… Elle se retrouve face à un tigre aux crocs menaçants.
Un autre… Le sinistre ululement des sirènes envahit son crâne douloureux. La voici maintenant entravée de la tête aux pieds sur un lit d’hôpital. Inconsciente ? Non, des images, des souvenirs ? S’entrechoquent dans son esprit.
Dieux des Sphères, ça recommence. Son cœur se met à battre furieusement. Elle s’agite, gémit...
Contre son sein, le poids de son enfant la rassure. Sur son ventre, la main possessive de Jonathan se fait caressante.
« Tout va bien mon amour ! » Murmure-t-il, apaisant.
Et ce poids de douceur, cette main caressante, cette voix apaisante, l’empêchent de replonger et de s’égarer dans les méandres infinis du temps...
1 commentaire -
Bonsoir,
Voici le projet final de la maquette de couverture de mon roman :"Les rêves d’Élisa - Liberté" , dont j'ai également terminé la mise en page et la correction. Comme on dit, désormais, c'est lancé ! A Dieu Vat !
Je précise que le tour blanc et les carrés de coins, sont les marques de découpe finale et que par conséquent, la maquette est envoyée telle quelle
Donc, plus qu'à envoyer le tapuscrit et la maquette de couverture, puis à attendre la notification de "publication" dans le catalogue de TheBookEdition.com
Ce qui ne m'empêchera pas de publier ici, par épisode, la suite de ce roman dont mes lectrices "privées" ont déjà pu découvrir la première partie !
Et ça commence dès demain
Bisous
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« Et si les rêves n’étaient que d’autres réalités ? »
Anne-Marie Lejeune
Dans la chambre douillette de son appartement de la banlieue bordelaise, son enfant blotti entre les bras, Élisa s’est endormie.
Ce qu’elle craignait le plus est en train de se produire, elle rêve.
Elle voyage d’un monde à l’autre, d’une époque à l’autre…
Elle est Ehi Sha, la jeune mère tes temps préhistoriques. Puis Élisa, la paysanne du Moyen-âge.
D’un coup, elle redevient Élisa 7, la trieuse des serres de la Sphère. La voix métallique de CVUT7007 résonne dans ses oreilles. Mais une voix chaude et grave la libère de la cruelle et froide Machine
La voici à Liberté, heureuse, épanouie avec l’homme de sa vie. Là bas aussi, dans ce futur où le monde dévasté par un terrible et innommable cataclysme renaît de ses cendres après plus de quinze siècles, son fils s’appelle Jacob en mémoire de son compagnon d’évasion.
Un battement de cil… Elle se retrouve face à un tigre aux crocs menaçants.
Un autre… Le sinistre ululement des sirènes envahit son crâne douloureux.
La voici maintenant entravée de la tête aux pieds sur un lit d’hôpital. Inconsciente ? Non, des images, des souvenirs ? S’entrechoquent dans son esprit.
Dieux des Sphères, ça recommence. Son cœur se met à battre furieusement. Elle s’agite, gémit.
Contre son sein, le poids de son enfant la rassure. Sur son ventre, la main possessive de Jonathan se fait caressante.
« Tout va bien mon amour ! » Murmure-t-il, apaisant.
Et ce poids de douceur, cette main caressante, cette voix apaisante, l’empêchent de replonger et de s’égarer dans les méandres infinis du temps.
Achevé le 17 février 2015
©Anne-Marie Lejeune
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…Accroché à son sein lourd, Rah Oh tête goulûment sous le regard attentif de son père. Il est bien le fils de Roh Arh Anh : beau, fort, vigoureux comme l’est son chasseur. Ehi Sha ne se lasse pas de l’exquise sensation que lui procurent les lèvres de son petit refermées sur son téton. Entre douleur et plaisir. C’est comme au plus fort de leur accouplement, lorsque son compagnon la mord. Emporté par la jouissance il oublie bien souvent où est posée sa bouche.
Depuis le jour où il l’a sauvée de la noyade dans la rivière, il ne l’a plus quittée. C’est ce jour-là que Rah Oh a été conçu. Tout le temps qu’a duré sa grossesse, ils sont resté avec le clan de la caverne. Quelques levers de soleil après la venue au monde de leur fils, ils sont partis.
Pour conquérir le droit de l’emmener, Roh Ahr Anh a sacrifié au rituel du clan en ramenant du gibier en échange de la jeune-fille qu’il convoitait. Il était revenu pour elle, décidé à ne pas repartir sans elle, alors pour être sûr de l’obtenir, accompagné de son frère Rha Fahêh, il a mené une grande chasse et rapporté beaucoup de viande à ceux de la caverne. Satisfait, le chef du clan lui a donné Ehi Sha avec la mine de celui qui cède à contrecœur un présent de prix, alors qu’elle sait bien qu’il était soulagé de pouvoir enfin débarrasser de cette jeune femme rétive, capable de se servir d’une massue contre les hommes qui prenaient le risque de l’approcher. Et puis elle devinait trop de choses à son goût. Il avait bien assez de cette vieille sorcière de Mah Rah qui ne se décidait pas à mourir.
Mah Rah…Sans avoir eu besoin de retourner dans sa tribu, Ehi Sha sait que la guérisseuse à enfin rejoint le pays des ombres. Ne lui avait-elle pas promis d’attendre que sa protégée ait retrouvé son chasseur, pour accueillir la mort ?
Ehi Sha est très heureuse avec Roh Ahr Anh. Contrairement aux hommes de son clan, il se contente d’une seule compagne et il la traite en égale. Les liens qui les unissent sont très forts. Elle pense que c’est ce qui leur permet de survivre à la vie errante des chasseurs. Une existence pleine de dangers ou chacun doit être capable de veiller sur l’autre.
Elle voit toujours les évènements avant qu’ils ne se produisent. Une attaque surprise des « marche-courbé » mangeurs d’hommes, une tempête, un feu de prairie… Rien ne lui échappe. Roh Ahr Anh se dit qu’il est béni par les Dieux de ses ancêtres d’avoir une compagne capable de prévoir et de guérir aussi bien que la vieille Mah Rah.
Le pire, ce sont toujours les rêves étranges qu’elle continue de faire. Elle y retrouve cette autre elle-même dans des mondes effrayants.
Dira-t-elle à Roh Ahr Anh qu’elle l’a encore vue cette nuit. La main de son compagnon - à la fois si semblable et si différent du sien- posée sur son ventre, elle donnait le sein à son enfant, comme elle en ce moment…
*
Dans leur propre ferme octroyée par le nouveau seigneur du fief -l’autre et sa descendance n’ont pas survécu à la dernière épidémie de choléra –Élisa et Jonathan coulent une vie paisible.
Libéré de ses obligations par le Seigneur auquel il avait été vendu, Patrick est revenu vivre auprès de Sarah. Il n’est pas rentré seul. Une belle et robuste jeune femme l’accompagnait. C’est donc deux paires de bras solides qui ont pris le relai auprès de sa mère. Elle peut enfin se reposer après tant d’années de dur labeur. Martha et elle ont fini par devenir les meilleures amies du monde. Cela fait donc deux grands-mères aux deux enfants de Patrick et Maria. Au leur aussi, le petit Jacques qui a tout juste un mois.
Après qu’il l’eût tirée des griffes du fils pervers du Seigneur, Élisa a pu faire connaissance avec son sauveur. Elle n’a même pas été surprise de découvrir qu’il n’était pas chevalier ainsi qu’elle l’avait cru. Jonathan Sauveur, qui porte bien son nom, est orphelin. Ses parents sont morts lors d’une terrible épidémie de peste noire. Une femme du village qui venait de perdre son époux et ses trois enfants de la même façon, a recueilli le bambin de cinq ans qu’il était alors et l’a élevé comme son propre fils. Quand elle est morte à son tour, épuisée par les durs travaux qu’elle effectuait au château, il avait à peine quinze ans. C’est à cette époque qu’il s’est réfugié dans la forêt où il a vécu sous la protection de Martha et de « l’ogre », tirant sa subsistance de menus larcins et de braconnage sur les terres seigneuriales. C’est ainsi qu’il a pu observer de loin, la petite fille d’abord, puis la jolie jouvencelle dont il est tombé éperdument amoureux. Elle savait qu’il était un peu voleur, il savait qu’elle était un peu sorcière mais surtout, ce qu’ils savaient tous deux, c’est qu’ils étaient destinés l’un à l’autre.
Il la regarde avec cet amour qui brûle entre eux depuis l’éternité, tandis qu’elle donne le sein à petit Jacques, assise sous le grand chêne qui du haut de son faîte séculaire, domine leur maisonnette de torchis.
Elle a rêvé cette nuit, elle le lui a dit. Rien ne l’étonne plus de sa magicienne. Dans le songe étrange qu’elle a fait, elle a vu leurs doubles à tous deux. L’Élisa de son rêve était assise comme elle, sous un grand arbre, un nourrisson niché contre son sein. Un grand et bel homme qui aurait pu être son Jonathan avec quelques années de plus, se tenait à ses côtés et la couvait du même regard énamouré que son époux. Elle sait d’instinct que la scène à laquelle elle assistait, se déroulait dans un futur si lointain qu’il en est inconcevable même pour les plus grand savants de ce siècle, car une autre image lui est apparue : celle d’une immense coupole translucide où se dressaient de hautes tours qui semblaient vouloir toucher le ciel inaccessible.
*
Jonathan l’a sauvée, une fois de plus, comme dans les rêves que, complice avec ceux d’En-Haut, il lui a imposés
Elle a failli mourir, empoisonnée par le venin d’un animal inconnu d’elle. Un serpent extrêmement venimeux, lui a dit Martha. Elle sait bien que c’est celle qu’elle appelle toujours « la sorcière » dans le secret de son cœur qui a la première accompli un miracle en empêchant le poison mortel de se diffuser dans son organisme. Mais c’est le retour de Jonathan, alors qu’elle n’y croyait plus et qu’elle était prête à cesser de lutter, qui l’a retenue d’accepter la mort comme une délivrance après des jours de souffrance infinie. Il avait extrait deux autres esclaves des bas fonds de la Sphère et avait failli se faire prendre. Galvanisé par le désir de la revoir pour implorer son pardon, il avait réussi à déjouer la surveillance de « l’Œil-espion » qui patrouillait ce jour-là dans les niveaux originels. Le vrai miracle avait donc été qu’il parvienne juste à temps au refuge où elle se mourait.
La rage au cœur, les tripes nouées de peur, il l’avait appelée, encore et encore. Elle l’avait entendu et elle était revenue de l’antre de la mort, pour lui. Elle avait guéri, repris des forces. Quand elle avait enfin été capable de marcher, le groupe impatient avait entamé la dernière étape sur le chemin qui menait à Liberté qui n’était plus qu’à deux journées de marche, apprit-elle surprise. Dire qu’elle aurait pu mourir si près du but !
Elle se souvient non sans émotion de leur arrivée dans la petite ville de l’espoir. Ils y sont tous parvenus sains et saufs. L’odieux Khaled auquel elle ne pardonne toujours pas d’avoir voulu l’abandonner. La douce Melody si patiente avec elle. Une amie déjà. Senghor, la force de la nature à la peau noire comme l’ébène - d’’où lui vient cette images ? - et à l’éternel optimisme. Hanneke la discrète qui observe sans rien dire. Elle lui fait penser à Jacob. Elle l’a beaucoup soutenue tout au long de cette dernière marche. Jonathan, en tête de l’expédition qui a réendossé son statut de leader. Martha, très fatiguée après ces longues heures de veille à tout tenter pour la maintenir en vie. Et les deux derniers extraits de Jonathan : Lohan, qui à peine sorti, s’est mis à chanter de joie, alors qu’il ignorait forcément posséder ce don particulier et Li Meï, petite, menue, ravissante, dont les yeux légèrement bridés pétillent de malice. Ces deux-là sont tombés amoureux très rapidement. Le coup de foudre paraît-il ! Et puis elle bien sûr, la miraculée.
Ils ont été accueillis comme des héros. Une grande fête a été donnée en leur honneur, comme au retour de chaque expédition couronnée de succès. Jacob a été pleuré aussi et un hommage plein d’émotion lui a été rendu par Martha.
Ce n’est que le lendemain, parce que Jonathan voulait qu’elle y soit préparée, qu’elle a été présentée à une femme approximativement du même âge que Martha et à un homme encore jeune. Son cœur alors, a parlé pour elle en se mettant à battre à tout rompre. Elle a su sans qu’il soit nécessaire qu’on le lui dise, qu’il s’agissait de sa mère et de son frère biologiques. Elle a su, parce qu’elle les a reconnus ! Ils étaient semblables presque en tous points à la Sarah et au Patrick de ses rêves implantés ! Beaucoup de larmes et de confidences ont scellé ces retrouvailles inespérées.
Quelques jours plus tard sous un soleil éclatant, face à la mer si bleue qu’elle avait découverte extasiée le jour-même de leur arrivée, elle s’unissait à Jonathan, enveloppée par le regard ému de sa famille recomposée. Sur la plage de sable fin léchée par les vagues, tous les habitants de Liberté étaient rassemblés.
Depuis qu’il est père de famille, Jonathan ne participe plus que de temps à autre aux expéditions d’extraction. Elle sait cependant qu’elle ne pourra pas le retenir indéfiniment à Liberté. Il y retournera ! C’est son rôle et elle le comprend. Mais en attendant, elle profite du bonheur infini de l’avoir tout à elle.
Assise à l’ombre bienfaisante d’un arbre immense dont Martha lui a dit qu’il s’agit un chêne d’au moins mille ans, elle est en train de nourrir son fils d’un mois à peine. Jacob a les yeux mordorés de son père mais c’est d’elle qu’il tient sa crinière noire déjà très fournie. Assis près d’elle, Une main possessive posée sur son ventre, Jonathan la dévore des yeux. Serait-il jaloux de ce petit bout accroché à son sein ?
Ce matin, elle lui a dit qu’elle avait recommencé à rêver. Il n’a pas eu l’air plus étonné que ça lorsqu’elle lui a raconté son rêve.
Il était très tôt, le jour n’était pas encore levé. Les cris de rage de leur affamé les ont réveillés. Elle s’est extirpée assez péniblement d’un sommeil aussi vide de songes que d’habitude. Jonathan s’est levé pour aller chercher le petit braillard avant qu’il ne réveille tout le voisinage. « C’est donc ça le bonheur ! » A-t-elle alors pensé, tandis que Jonathan lui tendait le nourrisson gigotant. Il s’est recouché pour contempler l’émouvant tableau qu’elle formait avec leur fils. Jacob avait vraiment très faim. Le bruit de succion de sa bouche minuscule sur son téton douloureux était impressionnant. Près d’elle, Jonathan s’est rendormi. Rassasié, le bébé a fait de même. Elle adore ce moment particulier d’apaisement où elle le garde dans ses bras et où elle s’endort à son tour. Jamais longtemps mais suffisamment pour récupérer ! Il faut dire qu’avec ce glouton, les nuits sont courtes !
Elle s’est donc assoupie, comme chaque fois. Et elle a rêvé. Elle a revu l’une des autres Élisa. Celle du XXI ème siècle. Comme elle, elle était adossée à ses oreillers dans un lit à coup sûr plus confortable que le sien, son enfant endormi contre son sein nu. Près d’elle, son Jonathan dormait lui aussi, une main posée sur son ventre. Les yeux clos, la jeune femme de l’autre époque avait fini par lâcher prise, comme elle. Rêvait-elle ? Et si oui, à quoi rêvait-elle ?
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