• - Élisa ma chérie, réveille-toi !

    - Humm ! Je ne me sens pas encore très bien !

    - Comment ça, pas encore très bien ? Tu étais en pleine forme hier !

    - Non…Je…

    Elle s’interrompt soudain. La voix qui l’interpelle n’est pas celle de… qui déjà ? Bob croit-elle se rappeler. Mais Il ne l’aurait pas appelée ma chérie. C’est un…

    - Allez ma puce, debout, tu as de la visite !

    Cette voix…

    Elle ouvre péniblement les yeux. Ses tempes sont enserrées dans un étau de migraine atroce.

    Ma puce…Une seule personne au monde l’affuble...l’affublait …de ce petit nom affectueux.

    -Je t’en prie Élisa, secoue-toi un peu ! Tu te lèves, tu prends une bonne douche et tu descends ! Ce n’est pas poli de faire attendre un visiteur !

    Une… douche ?

    Et cette voix… La tête enfouie dans la tiédeur moelleuse de son oreiller… Un oreiller ? Elle se demande si elle n’est pas en train de rêver. D’ailleurs, elle s’entend encore dire à…Bob : « Là, maintenant, est-ce que je rêve ? » . C’était…hier et… et… elle était malade à mourir.

    - Bon ! Tu te bouges ou il faut que je te sorte moi-même de ton lit ! Mais qu’est ce qui t’arrive ce matin ?

    - Mal au ventre… et à la tête…

    - Si tu n’avais pas mangé autant de mûres aussi !

    Cette voix…

    Elle soulève la tête de son nid de plumes… Se retourne et regarde…

    - Maman ! Hurle-t-elle, faisant sursauter la femme penchée vers elle !

    - Tu es folle de brailler comme ça ! Tu m’as fait une de ces peurs ! Ma parole, on croirait que tu viens de voir un fantôme !

    Un fantôme…Oui…Satanés cauchemars ! Ils lui tourneboulent vraiment le cerveau ! Elle se met à pleurer sans crier gare, incapable de contrôler les sanglots qui la secouent.

    Elle sent le poids de sa mère qui vient de s’asseoir près d’elle au bord du lit. Une main douce, se pose sur sa joue, caresse son front douloureux.

    - Là…là… C’est quoi ce gros chagrin ?

    - Tu…Tu n’étais plus là… Il n’y avait plus…personne… Parvient-elle à bredouiller.

    - Encore un de tes fichus rêves mon trésor !

    - Oui…

    - Heureusement que tu ne reprends pas les cours ! Tu as travaillé tellement dur pour ton Master ! Il était temps que ça se termine et que tu te reposes !

    Tout lui revient petit à petit. Ses études…Son diplôme…L’université…Bordeaux… Chloé…

    - Ça va aller ma puce ? Tu as vraiment l’air dans le coltard !

    - Ça…ça va aller…ma…man…

    - Tu es sûre ?

    - Oui…je …je crois…

    - Bon, je redescends alors ! Il doit se demander ce qui se passe !

    - Il ? Qui… Quoi…

    - Ton visiteur ! Je ne sais ni qui il est, ni ce qu’il te veut mais tu vas certainement pouvoir éclairer ma lanterne hein !

    Pas sûr se dit-elle ! Pour ça il faudrait que ses circuits se remettent à fonctionner normalement. Circuit…Bob… Les bribes confuses d’un songe plus qu’étrange.

    - C’est peut-être pour un travail ! Un peu rapide si tôt après ton diplôme mais ce serait bien tout de même !

    -J’a…J’arrive…

    Tandis que la porte de sa chambre se referme, elle se décide enfin à se redresser puis à poser les pieds sur l’épais tapis de laine qui lui sert de descente de lit. Vacillante, elle se lève pour se rasseoir aussitôt. La tête lui tourne. Elle se sent mal, nauséeuse… Trop de mûres… Trop de mûres… Elle se lève à nouveau, inspire longuement, relâche son souffle lentement…

    « Ça va aller, ça va aller… » Se répète-t-elle, luttant contre l’envie de vomir qui lui soulève l’estomac. D’un pas mal assuré, mais aussi vite que ses jambes flageolantes le lui permettent, elle se dirige vers la petite salle de bain attenante à sa chambre.

    Elle n’a que le temps de se pencher au-dessus du lavabo.

    Vidée, une sueur aigre et froide mouillant son front, elle se glisse enfin sous la douche, encore tremblante et désorientée.

    Pas de Bob sous la main avec ses remèdes miracles ! Il lui faudra se contenter d’un comprimé de paracétamol doublé d’une tisane dont sa mère a le secret pour éviter que ne reviennent les nausées ! Ça lui apprendra à être aussi gourmande !

    C’est rafraîchie, un peu plus en forme qu’au réveil et vêtue d’un jean et d’un tee-shirt propres qui lui paraissent étonnamment confortables, qu’elle s’apprête à descendre enfin à la rencontre de son visiteur impromptu.

    Du haut de l’escalier qui fleure bon la cire d’abeille, elle entend sa mère papoter avec l’inconnu. Elle s’adresse à lui en faisant chanter les mots. Elle a toujours adoré cet accent méridional si joli qui est propre à Sarah. Contrairement à son défunt mari, elle n’est pas native des Eyzies mais de Forcalquier où vivent encore ses parents, papé et mamé Triboulet. Ah ses grands-parents, comme ils lui manquent ! Elle ne les a pas revus depuis leur dernier Noël à Forcalquier. Le souvenir de ces retrouvailles est étrangement flou dans sa mémoire.

    C’est en retenant un ultime haut-le -cœur qu’elle arrive dans le petit salon.

    Assise dans l’un des deux fauteuils cosy qui le meublent en partie, sa mère fait courtoisement la conversation à l’inconnu de haute stature qui lui fait face dans l’autre. Posé entre eux sur la table basse en chêne brut, un plateau en bois d’olivier, bien garni. Café noir et petit pot de crème pour l’homme. Thé au jasmin pour Sarah. Le tout accompagné des délicieux sablés aux noisettes dont elle a le secret.

    -Ah ! Ma chérie, te voilà enfin ! Viens donc que je te présente…

    Elle n’a pu terminer sa phrase. L’homme est déjà debout. Elle se perd dans les prunelles mordorées qui la détaillent sans vergogne…

    -Bonjour mademoiselle Barjac.

    Il lui tend une grande main soignée qu’elle serre distraitement, impressionnée par l’homme qui la domine d’au moins deux têtes. Elle se sent ridiculement petite à côté de lui.

    - Bonjour ! .Á qui ai-je l’honneur ? Prononce-t-elle machinalement, incapable de détacher son regard de ce mâle…fascinant, elle doit bien se l’avouer.

    Il mesure au moins un mètre quatre -vingt -cinq. Des épaules larges. Un torse musclé sous la chemise bleu-lavande très chic dont les manches sont négligemment retroussées sur des avant-bras hâlés à souhait. De longues jambes d’athlète moulées dans un jean de prix. Une crinière entre le blond et le fauve, sagement nouée en catogan, pour faire plus sérieux, probablement.

    Et ces yeux, mazette, à faire tomber en pamoison toutes les midinettes à cent lieues à la ronde ! Sont-ils jaunes, sont- ils verts ? Elle ne saurait exactement définir leur couleur mais, posés comme ils le sont sur elle en cet instant précis où elle l’observe, ils la troublent infiniment.

    - Jonathan Sauveur. Consent-il enfin à répondre, manifestement aussi ému qu’elle par ce qu’il voit.

    Sarah n’en perd pas une miette. Elle la connaît si parfaitement qu’elle pourrait presque entendre les rouages qui viennent de se mettre en branle dans son crâne.

    Il faut dire que l’air crépite entre elle et ce Jonathan qu’elle rencontre pour la première fois mais qu’elle a pourtant l’étrange sensation de connaître depuis toujours.

    - Et quel est le motif de votre visite monsieur Sauveur ?

    Elle se fait volontairement froide pour chasser les papillons qui viennent d’envahir son ventre rien qu’à le regarder !

    - Bon, je vous laisse discuter tous les deux ! Minaude sa mère. Je vais te préparer un café très fort, sans sucre, comme tu aimes ma chérie et je te ramène aussi un morceau de brioche ! Il faut que tu te requinques, tu as une mine de déterrée !

    « Merci maman, pense-t-elle, tu me gâtes ! Si c’est comme ça qu’il me voit, ce monsieur venu de nulle part, je ne comprends pas pourquoi il a l’air d’un crapaud mort d’amour devant moi ! »

    - C’est vrai que vous êtes très pâle ! Vous êtes malade ? Si c’est le cas, je m’en voudrais de vous déranger. Je peux revenir demain si vous voulez.

    - Non, non ! Rien de grave ! Juste une indigestion de mûres ! Répond-elle machinalement !

    Et au moment-même où elle prononce ces mots, elle se revoit, gisant sur un grabat de fortune, le ventre tordu de spasmes douloureux, un…robot à son chevet ! Elle est sûrement malade en effet, mais c’est de la tête ! Ça ne tourne plus du tout rond là-dedans !

    - Vous êtes sûre ?

    - Tout à fait ! Dites-moi donc l’objet de votre visite monsieur…Sauveur.

    - Bien ! Mais tout d’abord, vous rappelez-vous avoir rempli un questionnaire au début de votre cursus

    - Euh… Non ! Je ne vois pas

    - Vous ne vous souvenez pas de moi non plus du coup !

    - Je…Je devrais ?

    Une impression fugace de  « déjà vu» la traverse… L’université… Le grand amphi… Une conférence sur…Elle ne sait plus quoi… Et un conférencier hors du commun…

    - Attendrez…Ça me revient. Enfin…Je crois. C‘était ma première année oui !

    - Et…

    - On nous a proposé une conférence sur… Les conditions de vie communautaire en isolement total. Oui, c’est ça. Le sujet me semblait intéressant même s’il ne correspondait pas vraiment avec mon cursus anthropo paléo.

    - C’est ça ! Confirme l’inconnu

    - Et…vous étiez le conférencier !

    - Exact !

    Comment avait-elle pu oublier cet homme jeune, fascinant, tellement différent de la plupart des profs qu’elle découvrait en ce début d’année universitaire à Bordeaux ? Un seul regard sur ce beau mâle avait suffi à accélérer considérablement son rythme cardiaque ! Pas que le sien d’ailleurs ! Plus d’une étudiante avait succombé à son charme dévastateur !

    -Vous avez fait pas mal de victimes ce jour-là ! S’entend-elle prononcer avant d’avoir eu le temps de se retenir.

    Son regard scrutateur posé sur elle, semble lire en elle comme dans un livre ouvert. Elle l’entendrait presque penser lui aussi !

    « Et vous Élisa ? Avez-vous succombé ? »

    Le rouge lui monte au front d’avoir osé formuler tout haut une telle ineptie !

    -Pardonnez-moi… Je… Je ne voulais pas dire ça.

    Un demi-sourire un rien moqueur, étire les lèvres magnifiques de son visiteur. Des lèvres qu’elle a soudain une envie folle de sentir sur les siennes, comme si c’était leur place.

    «Depuis toujours et pour toujours» Ne peut-elle s’empêcher de penser. Que lui arrive-t-il ?

    Elle n’a pas le temps de réagir qu’il la prend par la main, ouvre la porte à la volée et l’entraîne dehors avec détermination.

    Ses prunelles mordorées se sont assombries. L’orage y gronde, violent.

    Á peine sont-ils hors de portée du regard de sa mère que le claquement de la porte à alertée, qu’elle se sent enfermée entre les bras possessifs de Jonathan, ses lèvres chaudes écrasant les siennes comme saisies d’une faim dévorante.

    Sa langue a tôt fait d’en forcer le barrage. Enfiévrée d’un désir aussi soudain qu’incongru, elle se love plus encore contre lui et répond avec ardeur à son baiser sauvage….

    Il la relâche aussi vite qu’il l’a saisie. Contre sa bouche meurtrie, elle l’entend murmurer de cette voix rauque qu’elle se rappelle à présent totalement :

    - Depuis toujours et pour toujours !

    - Vous…vous lisez en moi ? Bredouille-t-elle sans réaliser qu’en posant cette question, elle lui livre effectivement le fond de sa pensée subreptice.

    - Croyez-vous ?

    Puis il ajoute comme à regret :

    - Pardonnez-moi ! Il fallait que je le fasse !

    - Que vous fassiez quoi ? Demande-t-elle encore étourdie par ce qu’elle vient de vivre.

    -T’embrasser. J’en meurs d’envie depuis plus de 5 ans !

    - Co…Comment ?

    - Il y a eu deux victimes ce jour-là Élisa. L’as-tu donc oublié ?

    Son regard intense l’emprisonne. Il est encore si proche d’elle qu’elle sent son souffle caresser son visage, tandis qu’il se penche, attendant sa réponse.

    Elle ferme les yeux pour mieux faire appel à ses souvenirs.

    Elle se revoit, juste après la conférence...

     

    …Seul un groupe d’intéressés dont elle fait partie, s’est rassemblé autour de lui. Jonathan Sauveur, ainsi qu’il s’est présenté avant de commencer. Il leur a fait signer une feuille de présence. Elle a paraphé, les yeux fixés sur lui, dans un état second…

    Il parle… Elle est captivée par sa voix, bien plus que par ce qu’il dit.

    Il s’exprime pour tous mais ne semble regarder qu’elle… Il se passe quelque chose entre eux…Elle le ressent jusqu’au fond de son ventre où s’agitent des milliers de papillons…

    Elle s’efforce cependant d’écouter ce qu’il dit, parce qu’en dehors de sa formidable aura masculine, le sujet de sa conférence l’a fortement interpellée… Soudain, les mots : projet, État, expérience et volontariat, la tirent de sa béate contemplation du superbe orateur.

    - Excusez-moi, mais pourriez-vous répéter s’il vous plaît ? Je ne faisais pas attention… Demande-t-elle timidement, le rose au front

    - J’avais remarqué, mademoiselle.

    Répond l’Apollon, un demi-sourire aux lèvres… Des lèvres bien dessinées qu’elle a soudain une folle envie d’embrasser ! Qu’est-ce qui lui prend ?

    Le temps semble suspendu… Pourtant il poursuit aussitôt.

    - Que voulez-vous savoir mademoiselle ?

    - Élisa Barjac. Vous évoquiez un projet, une expérience qui sera mise en place dans 5 ou 6 ans je crois…

    - C’est exact ! Mais en réalité, la conceptualisation de ce projet d’envergure, date déjà d’une dizaine d’années quant à la super structure, aux trois- quarts souterraine, qui abritera l’expérience elle est en cours de construction depuis bientôt 4 ans. Si rien ne vient freiner, elle sera totalement achevée et fonctionnelle quand l’expérience démarrera.

    - Pouvez-vous nous dire qui a imaginé un tel projet ? Et pourquoi personne n’en a jamais entendu parler ?

    -Beaucoup de grandes réalisations demandent un minimum de discrétion mademoiselle. Il est prouvé depuis longtemps que tout ce qui s’ébruite trop tôt, suscite immédiatement des tas de mouvements protestataires. Or, l’expérience qui sera menée est tellement inhabituelle qu’elle ne manquerait pas d’opposants si nous l’exposions au grand jour !

    C’est pourquoi, comme vous devriez le savoir, dans la mesure où vous l’avez accepté en signant tout à l’heure la première règle est d’ores et déjà le secret absolu sous peine de sévères sanctions, pour toutes celles et ceux qui sont encore ici, qu’ils adhèrent ou pas par la suite. N’avez-vous pas lu avant de le faire, mademoiselle Barjac ?

    Confuse, elle entend les rires sous cape des autres participants. Lui continue à la regarder avec une insistance presque déplacée dans le contexte. Aucune interrogation dans ce regard qui la sonde.

    Il sait ! Il sait sans avoir besoin d’une signature, qu’elle le suivra aux tréfonds de l’Enfer s’il le lui demande.  Alors pourquoi se moque-t-il d’elle ?

    - Excusez-moi… Marmonne-t-elle pétrifiée de honte !

    - Ce n’est rien ! Vous aurez tout le temps de lire, de relire et de mesurer la confiance infinie que nous mettons en chacun de vous ! Venons-en aux concepteurs de « L’Arche », dont je fais partie ! Je suis l‘un des tout premiers. Nous n’étions que 4 au départ. C’était il y a exactement 12 ans !

    Comment est-ce possible ? Il a l’air tellement jeune !

    - Notre toute petite organisation était privée. Nous l’avions baptisée « l’Arche », du nom même de la structure que nous avions imaginée ensemble et dont celui d’entre nous qui est architecte, avait dessiné des plans détaillés.

    Il nous a fallu deux ans pour peaufiner ce projet qui d’un peu fou, est devenu très réel et solide entre les pages de l’énorme dossier que nous avons monté pour le rendre crédible. Puis nous l’avons présenté à une organisation para gouvernementale dont nous avons appris l’existence par l’intermédiaire d’une connaissance commune haut placée qui venait tout juste d’intégrer notre équipe. Cet homme, un scientifique de renom dont je tairai l’identité, nous a rapidement fait savoir que l’organisation en question, placée sous le sceau du secret d’État, venait tout juste de mettre à l’étude un projet assez similaire au nôtre. Il a organisé la rencontre. Nous avons été écoutés et pris très au sérieux ! Non seulement ces hautes personnalités nous ont suivis, mais en plus, c’est notre concept qui a été retenu dans sa globalité, ainsi que le nom de notre association qui s’est très vite enrichie de nouvelles têtes pensantes.

    Toutes et tous, nous sommes des spécialistes dans nos domaines respectifs. Nous avons uni nos compétences dans le seul but de mettre sur pieds ce projet pharaonique : physiciens, chimistes médecins, chercheurs, sociologues, informaticiens, as de la robotique anthropologues, ingénieurs de toutes les disciplines…

    - Et votre domaine, c’est lequel ?

    - Je suis astronome. Mais c’est la psycho-sociologie mademoiselle Barjac, une autre de mes spécialités, qui m’a conduit au recrutement des volontaires pour l’expérience qui sera menée dans 6 ans. Dans le dossier que je vais vous distribuer, vous trouverez quelques explications supplémentaires sur la marche à suivre, ainsi qu’un questionnaire assez long et ardu, j’en conviens, auquel il vous faudra répondre très précisément, honnêtement et complètement. Vous l’enverrez, avec le formulaire actant votre candidature, dûment rempli et signé, dans l’enveloppe pré adressée jointe au dossier. Si vous êtes intéressée bien sûr ! Et vous l’êtes mademoiselle Barjac ! Je me trompe ?

    La conférence n’était pas obligatoire, et elle est restée après, donc, il ne se trompe pas. Pas besoin de confirmer l’intuition du beau conférencier qui la regarde comme un chat prêt à dévorer une souris appétissante…

     

    Elle se souvient parfaitement à présent, de la tension qui montait dangereusement entre eux, et qui les isolait du reste de l’auditoire. Il était le chasseur, elle, la proie plus que consentante. S’ils avaient été seuls, il se serait jeté sur elle et elle se serait laissé faire !

    Lorsqu’il avait eu fini d’expliquer le concept de  « L’Arche », dont elle n’avait pas entendu un traître mot, puis répondu au feu roulant des questions, il avait commencé à distribuer les dossiers de candidature

    Sur la totalité de l’amphi, une cinquantaine d’étudiants de première année, garçons et filles à égalité, était resté à la fin de la conférence. Chacun s’en emparait avidement avant de quitter l’amphi en jacassant à qui mieux mieux.

    Comme par hasard, elle avait été la dernière servie, et ils s’étaient retrouvés seuls, face à face, à se manger des yeux, attirés l’un vers l’autre par une force si puissante, qu’ils n’étaient déjà plus en mesure de la maîtriser !

    « Le coup de foudre, ça existe donc vraiment ! » S’était elle dit, tandis qu’ils se rapprochaient, prêts à céder au maelström qui allait les emporter…

    Quand la voix de baryton du directeur des études, avait tonné dans l’immense amphi déserté.

    Ils s’étaient aussitôt éloignés l’un de l’autre, terriblement frustrés.

    Elle avait pris son dossier. Leurs doigts s’étaient frôlés…Puis elle s’était enfuie toute honte bue d’avoir failli se jeter dans les bras d’un parfait inconnu…

     

    -Tu te souviens… Murmure-t-il tout contre sa bouche

    Et de nouveau, il l’embrasse avec passion.

    Le monde peut bien s’arrêter de tourner et sa mère surgir à l’instant, rien ne pourra l’empêcher de répondre à ce baiser qui la consume.

    -Je me souviens…Soupire-t-elle quand il se décide à rompre leur brûlante étreinte.

    Comment a-t-elle pu oublier ?

    Á peine une semaine plus tard, elle partait avec lui.


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  • …Elle est crucifiée par une douleur atroce. Allongée sur la terre brûlée, elle se tient le ventre à deux mains. Elle voudrait hurler mais sa gorge est obstruée par la poussière grise et noire qui recouvre le sol aussi loin que se porte son regard. Une poussière mortelle qui s’infiltre partout, pénètre ses poumons… Elle suffoque !

    Cendre et suie… la planète n’est plus que cendre et suie. Et dans ce monde terriblement, désespérément vide, elle est seule. Alors crier ne lui servirait à rien ! Il n’y a plus personne pour lui venir en aide !

    Elle va mourir ! L’insupportable vérité s’impose à elle, brutale, inéluctable et la ravage comme le feu du ciel a ravagé la Terre, y annihilant toute vie. Tout a été soufflé, dévoré, vaporisé ! Hommes, bêtes, villes et villages, prairies et forêts…. Il n’y a plus rien, rien !

    Il ne reste qu’elle, les tripes déchirées, perdue dans l’immensité fuligineuse. Il ne reste qu’elle et elle va mourir, elle aussi. La dernière étincelle de l’Humanité va s’éteindre avec elle.

    Cendre et suie…. La planète n’est plus que cendre et suie que le vent soulève et fait tournoyer au-dessus d’elle. Elle ne peut même pas fermer les yeux pour s’en protéger, elle n’a plus de paupières. Elle pleure des larmes de sang mêlées de poussière charbonneuse.

    Cendre et suie, tel sera son linceul. Mais avant que la mort ne survienne, il lui faut encore souffrir, souffrir, souffrir…

     

     

    Vingt-deuxième jour

    - Réveille-toi Élisa ! Commande la voix de Bob tandis que consumée par une forte fièvre, elle se débat sur sa couchette.

    - Il n’y a plus rien. Les flammes ont tout dévasté… Marmonne-t-elle, encore sous l’emprise de son cauchemar.

    - Ce n’est qu’un mauvais rêve, réveille-toi.

    - J’ai mal, j’ai tellement mal !

    - Ne parle-pas, tu es malade.

    - Ma…malade ? Articule-telle péniblement.

    Le peu de parole qu’elle réussit à émettre lui arrache la gorge et son ventre lui fait terriblement mal, comme si des mains brûlantes lui tordaient les boyaux dans tous les sens.

    - Oui, très malade. Ta température est anormalement élevée. Ta gorge semble très enflée et tu as mal au ventre n’est-ce pas ?

    - Oui.

    Elle réalise que sa gorge extrêmement douloureuse ne lui permet que de faibles coassements. Une odeur fétide lui envahit les narines et un goût immonde, acide, dans sa bouche lui soulève le cœur.

    - Sent…mauvais.

    - Tu as vomi. Beaucoup !

    - Que…Que…M’arrive-t-il ?

    - Empoisonnement alimentaire, je pense. Qu’as-tu mangé hier soir ?

    - Poisson…mûres...

    -  Autre chose ?

    - Baies…rouges…

    - Quelles baies ?

    - Je…Ne sais pas.

    Il s’éloigne quelques secondes puis revient avec une petite poignée des baies incriminées.

    - C’est cela que tu as ingéré ?

    - Oui…délicieux !

    - Mais très toxique !

    - Je…je vais .mourir ?

    - Non ! Cependant, tu dois évacuer tout le poison de ton organisme !

    Elle ne sait que trop bien ce que cela signifie : lavage d’estomac ! Douloureux au possible. Elle se rappelle en avoir subi un quand elle était gamine, il y a tellement longtemps. Pourtant, le souvenir est horriblement frais dans sa mémoire.

    Bob la scrute comme s’il lisait dans son regard, le cheminement de sa pensée.

    - Rassure-toi. J’ai ce qu’il faut. Nul besoin de recourir à la méthode archaïque à laquelle tu penses. Les comprimés que je vais te donner feront le même effet. Ce sera douloureux, certes, mais beaucoup moins qu’un lavage gastrique !

    - Dou…douloureux ? Comment ?

    - Je vais te faire boire. Beaucoup ! De l’eau tiède additionnée de sel et d’une poudre émétique. L’action conjuguée de ce traitement et du cachet qui a remplacé le charbon actif de nos ancêtres, va éliminer la substance toxique qui te rend malade et te nettoyer totalement l’estomac !

    - C’est drôle, a-t-elle la force de murmurer, tu me fais penser à Martha.

    - Qui est Martha ?

    - Je…je ne sais plus…

    - Ne t’inquiète pas. Bientôt, tout te reviendra. Tu es prête ?

    - Allons-y !

    - Demain, tu iras déjà beaucoup mieux. Et dans un ou deux jours, en fonction de ton état, nous repartirons.

    - Bob…Là, maintenant… est-ce que… je…je...rêve ?

    Il n’a pas répondu.

    Dehors, Weena hennit doucement

    Un nouveau spasme lui tord le ventre. Elle se penche pour ne pas salir la couverture propre que Bob a étendue sur son corps nu.

    Le poison est toujours en elle mais pour l’instant, elle n’a plus rien à vomir. Pas même de la bile.

    Pour l’instant !

     

    Elle a vomi, vomi, vomi…

    Tout son corps lui fait mal ! C’est comme si on l’avait rouée de coups pendant des heures. Son ventre mais aussi et surtout ses côtes.

    Tout le temps qu’a duré le traitement, Bob a été là, à la soutenir tandis qu’elle se vidait, entre diarrhées violentes et vomissements douloureux. Il l’a lavée, changée, lui a fait boire et reboire la tiédasse et amère mixture émétique. Chaque fois qu’elle a repoussé de la main le dégoutant breuvage, il l’a forcée à l’avaler, sans jamais se départir de son flegme de « Rhobomme » patenté, bien sûr !

    Rien de véritablement empathique dans son comportement ! Comme tous ses congénères, il se contente d’obéir scrupuleusement aux lois de la robotique édictées il y a des siècles par un certain Isaac Asimov, écrivain de science-fiction réputé, dont elle a lu bon nombres d’ouvrages dans son adolescence !

    Oui, Bob agit en brave robot qu’il est ! Pourtant, Au cours de cette si longue journée, elle s’est surpris plus d’une fois à le comparer au beau kiné de l’un de ses nombreux rêves d’avant.

    Avant … Avant quoi ?

    Et comment s’appelait-il ce mâle superbe dont elle était tombée amoureuse ?

    C’est avec une terreur grandissante qu’elle voit disparaître un tas de souvenirs, tandis que d’autres réapparaissent, lointains, si lointains mais en même temps, tellement vivaces !

    Sa vie de jeune fille, sa mère, son frère, Chloé, ses études à Bordeaux, ses copains et copines de l’université, ses jobs d’été…Tout son monde d’avant, elle s’en souvient comme si c’était hier.

    Avant…Avant quoi ?

    En revanche, pourquoi elle est Ici, d’où elle est partie et les raisons pour lesquelles elle a entrepris ce périple vers elle ne sait plus quelle destination, tout cela lui échappe, se fond peu à peu dans un nuage de brume opaque !

    Elle a même oublié pourquoi Bob est à ses côtés !

    Depuis combien de temps chemine-t-il avec elle ?

    Elle a la sensation qu’il a toujours été là, fidèle et dévoué. Son seul ami !

    Impossible lui hurle sa conscience ! Bob n’est qu’un robot ! Il n’est pas là de son propre chef ! « On » te l’a envoyé !

    Qui l’a envoyé ?  Et pourquoi ?

    Tout tourne dans sa tête… Tout s’embrouille…

    - Avale ! Ordonne une voix lénifiante tout près d’elle.

    Elle sent qu’on lui glisse un comprimé dans la bouche. Puis qu’on l’oblige à boire une gorgée d’eau pour le faire passer.

    Le bras qui la soutient est solide et rassurant. La voix est douce, un peu rauque…

    -Avale, ça va t’aider à t’endormir. Quand tu te réveilleras, tu iras bien, promis !

    Oh, cette voix ! Elle lui rappelle quelqu’un ! Un homme de son passé lointain. Un homme de son présent aussi. Un homme qui a disparu. Ou qu’elle a oublié.

    Cette voix, chaude, impérieuse, n‘a rien du timbre métallique et impersonnel de Bob. Son bras est chaud…Son souffle près de son oreille…tellement humain…

    Le brouillard cotonneux du sommeil est déjà en train de l’envelopper…

    Il faut qu’elle sache…

    Elle ouvre les yeux…

    Assis à côté d’elle sur la couchette, il est là !

    Jonathan !

    Et le brouillard l’engloutit.


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  • …Ils sont tous là, rassemblés face à elle au sein d’une espèce de désert embrumé. Au milieu de ce nuage grisâtre, menaçant, leurs silhouettes immobiles se détachent, incroyablement nettes.

    Au premier rang, il y a Sarah, sa mère qui entoure Newton, son chat borgne, de ses deux bras. Patrick, son frère est là lui aussi, bien sûr, avec Titan, son fidèle chien de berger couché à ses pieds. Il tient Théo, son fils, d’une main ferme. Tout près de lui, sa femme, Malika avec Leila nichée contre son sein.

    Elle voit également Chloé, sa meilleure amie accompagnée d’un beau mec qu’elle reconnaît aussitôt. C’est Éric, l’ex étudiant en sociologie qui la draguait ferme à Bordeaux. Il y enseigne à son tour désormais. Elle était à leur mariage il n’y a guère plus de six mois Sa chère copine est ronde de leur premier enfant. Ils n’ont pas perdu de temps ces deux là ! Des visages si chers à son cœur.

    Puis, près d’eux sur le même rang, elle voit Harold, le compagnon de Martha, les parents de Chloé, Yann Le Garrec, son ami de l’université avec sa femme et leurs trois enfants… Il y a même Maryse, sa meilleure ennemie comme disait Chloé. Elle reconnaît Laurence, la patronne de la boutique où elle travaillait l’été, avec son mari, Frédéric qu’elle ne croisait que rarement, vu qu’il travaillait en région parisienne. Il y a là ce brave docteur Terrasson qui vient tout juste de prendre sa retraite. Il a été durant de longues années le médecin de la famille Barjac et de bien d’autres foyers des Eyzies.

    Elle les voit tous ces gens qu’elle a croisés depuis qu’elle est gamine. Monsieur Robignac, Le directeur de l’école primaire, où elle a été élève, toujours en activité même si ce n’est plus pour très longtemps. Ségolène Jacquart, son institutrice de CM2, à laquelle elle rêvait de ressembler, éternelle « mademoiselle » puisqu’elle n’a jamais trouvé chaussure à son pied pourtant bien joli. Les gérants du petit bistrot de quartier où jeunes et vieux se rencontrent autour d’un verre ou d’une partie de cartes. Le directeur du musée de la préhistoire qui lui a offert son premier job d’été…

    En fait, il semble que tous les habitants des Eyzies soient présents, ainsi que tous ses amis et amies de l’université…

    Curieusement, la seule personne qui manque à l’appel est Martha, sa vieille confidente. Elle a beau la chercher du regard, elle ne la voit pas dans la foule silencieuse.

    En revanche, Jonathan est bien là. Il la tient par la main. Comme la foule amassée, il est immobile et son regard est teinté d’une tristesse qu’elle ne s’explique pas. La même tristesse que dans leurs yeux à tous. Si elle peut comprendre le chagrin de tous ceux qu’elle va quitter, elle s’interroge sur le sien qui n’a aucune raison d’être. Ils sont enfin réunis et ils ne se quitteront plus désormais. C’est ce qu’il lui a affirmé quand il est revenu la chercher. Il a justifié sa dernière absence par de longs préparatifs de quelque chose dont elle ne parvient pas à se souvenir. Ils vont partir, lui a-t-il dit. Et elle ne reviendra plus jamais chez elle.

    Le caractère définitif de ce « Plus jamais » la titille. Pour autant, elle est prête à le suivre au bout du monde. Le coup de foudre qu’elle avait ressenti lors de leur première rencontre avait brûlé tel un feu de paille avant de s’éteindre. Du moins le croyait-elle, jusqu’à ce qu’il se pointe 5 ans plus tard à sa porte. Une étincelle fulgurante avait ranimé des cendres qu’elle pensait froides depuis longtemps. Elle éprouve désormais pour lui un amour dévorant qu’elle sait réciproque. Elle en veut pour preuve les regards possessifs qu’il ne cesse de poser sur elle, la chaleur et la force de sa main qui tient la sienne, comme s’il craignait qu’elle ne disparaisse par elle ne sait quelle magie perverse. Parce que bien sûr, il ne lui viendrait pas une seconde à l’idée de se libérer de lui.

    Emportée par la force inouïe des sentiments qui l’étreignent en cet instant frappé d’étrangeté, elle ferme les yeux … Juste quelques secondes pour retenir la vague de bonheur qui la submerge. Quand elle les rouvre…l’espace en face d’elle est vide. Totalement vide. . Plus personne. Mais surtout, plus rien de ce qu’elle connaît. Plus de gens, de rues, de maisons, de voitures, d’arbres… Rien ! Ne subsiste qu’un paysage morne, désolé, recouvert de cendres fuligineuses. Et au milieu de ce désert apocalyptique, elle, incrédule, terrifiée…

    Seule ! …

     

    Vingt et unième jour

    - Réveille-toi Élisa. Prononce au-dessus d’elle une voix qu’elle reconnaît.

    Elle s’agite, encore enserrée dans les griffes mortelles du rêve qui s’ingénie à la retenir captive.

    «Jonathan ! Hurle-t-elle engloutie par un désespoir immense. Ne me laisse pas, je t’en supplie. Jonathan ! Maman, Patrick, Chloé, où êtes-vous ? »

    Mais personne ne lui répond. Et tandis qu’elle crie à s’en arracher la gorge, une poussière noire de suie, lui entre dans les poumons. Elle suffoque, se débat puis résignée, s’écroule sur le tapis de cendres. Elle abandonne. Mourir là, maintenant, serait une délivrance...

     

    -Réveille-toi Élisa, ordonne la voix désincarnée.

    Des bras robustes la secouent sans ménagement. Brusquement, les griffes qui la maintenaient prisonnière, se desserrent. Les cendres se dissipent…Enfin, elle consent à ouvrir les yeux. Les doigts de Bob sont encore fortement agrippés à ses bras. Elle va avoir des bleus !

    - Ça va ! Tu peux me lâcher maintenant !

    - Tu es sûre ?

    - Oui !

    Pour un peu, elle croirait lire de l’inquiétude dans son regard d’acier. Mais ce n’est qu’un robot hein !

    -Tu hurlais. Et tu te débattais comme une forcenée. Tu peux me dire pourquoi ?

    - Parce que tu l’ignores ? J’ai du mal à le croire.

    - Je peux deviner en partie. Mais je ne suis pas dans ton rêve Élisa.

    - Un cauchemar tu veux dire !

    - Raconte-moi !

    Alors elle lui raconte sans plus se faire prier. Il n’a même pas l’air surpris. C’est comme si, effectivement à défaut d’en savoir les détails, il connaissait la teneur de ses rêves. Elle a désormais compris qu’il lui faut les verbaliser. Bien qu’elle ne sache toujours pas pour quelle obscure raison, il souhaite qu’elle le fasse. Il s’est contenté de lui expliquer que c’est afin de mieux l’aider. Mais l’aider à quoi au juste ? Cela reste un mystère qu’il ne semble pas décidé à élucider !

    Elle ne le lui demande même plus, certaine que si elle le fait, il lui répondra comme d’habitude : « Tu comprendras en temps voulu ».

    - Es-tu prête à repartir ? Lui a-t-il demandé après sa toilette et son petit déjeuner.

    - Je… je ne crois pas !

    - Pourquoi ?

    -Bien que je n’y aie quasiment pas bougé, curieusement, ce maudit cauchemar m’a épuisée.

    - Et encore ?

    -Comment un robot peut-il me percer aussi facilement à jour ?

    - Donne-moi l’autre raison, la vraie ! Hier, tu étais prête à aller plus loin.

    - Je sais ! En fait ce truc là-bas, me terrorise.

    - Quel truc Élisa ?

    - La Sphère.

    - Á ton avis, pourquoi en as-tu si peur alors que tu as déjà fait tant de chemin pour la rejoindre ?

    - Parce que…

    - Allez ! Dis-le !

    - Parce que c’est là que se trouve la vérité. Ma vérité.

    - Pas seulement la tienne Élisa. Mais c’est bien ! Tu avances dans le bon sens. Prends ton temps, repose-toi. Demain, nous poursuivrons notre route.

     

    La journée s’est donc déroulée, assez sereine finalement, après un tel cauchemar.

    Ses tâches accomplies Bob a disparu. Elle ne s’en est pas inquiétée outre mesure. Ne revient-il pas toujours ?

    Elle a profité de cette solitude libératrice pour se baigner nue dans la rivière qui coule en contrebas du refuge. Non pas qu’elle ait eu à craindre le voyeurisme de son drôle de compagnon de route mais il a l’air tellement humain parfois !

    Elle a monté une Weena tout heureuse de galoper sans contrainte.

    Elle a cueilli des baies plus grosses mais aussi juteuses et savoureuses que celles de ses lointains souvenirs. Des mûres du monde d’après.

    « Après quoi ? »  Lui a susurré une petite voix qu’elle a fait taire aussitôt.

    « Elles sont en avance. » S’est-elle avisée. Á peine une seconde de pensée furtive qu’elle a également chassée de son esprit, comme on chasse un insecte de la main.

    Oui, une journée vraiment idéale au cours de laquelle elle s’est sentie  en vacances ! Elle en a savouré chaque seconde, oubliant pour un temps sa  mission  de sauvetage. « Mais quel sauvetage ? » Se demande-t-elle soudain, infiniment troublée de ne se rappeler qu’à grand peine pourquoi elle a pris la route il y a maintenant près d’un mois !

    Les vacances… Encore un concept venu du lointain passé d’avant la Sphère.

    Elle a brossé soigneusement sa jument l’a nourrie et abreuvée, reprenant avec bonheur cette tâche qu’elle avait fini par abandonner à Bob sans plus se poser de questions. Elle s’est concocté un repas sommaire composé d’un poisson tout frais sorti de la rivière, grillé au feu de bois suivi de quelques mûres et d’une poignée d’autres baies au jus vermeil très sucré dont elle a oublié le nom. Un dîner qu’elle a dévoré au bord de la rivière, copieusement accompagné d’une eau fraîche et pure comme il n’en existait plus dans les cours d’eau du monde d’avant, pollués à l’extrême  d’après ses souvenirs à la fois si anciens et si neufs dans son esprit.

    Un dernier bain illuminé par le soleil couchant de ce superbe soir de fin d’été et elle est allée se coucher, délicieusement lasse, sans avoir vu réapparaître son cher robot-gardien.

    « Demain est un autre jour ! » S’est-elle dite avant de s’endormir.

     


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  • Vingtième jour

     

    La matinée s’est étirée, monotone. Pour ne pas dire mortellement ennuyeuse. Elle bénirait presque cette maudite colline qu’elle se souvient fugacement avoir gravie dans l’autre sens. Était-ce en rêve ou dans la réalité ?

    Pour tromper cet incommensurable ennui, elle a décidé de grimper à pieds, dirigeant Weena à la longe.

    Son impassible ange -gardien l’a laissée faire. Il est devant elle comme d’habitude, attelé au chariot tel une bête de somme. Il n’a pas dit un mot depuis ce matin.

    Vu la position du soleil dans l’azur implacable du ciel, il n’est pas loin de midi. Ils s’arrêteront probablement bientôt pour lui permettre de se restaurer. Lui s’est rechargé avant leur départ, comme il se doit.

    Deux nuits sans le moindre rêve, même fugace. Deux soirs où sciemment, il ne lui a pas donné sa pilule. Quand elle lui a demandé pourquoi, il a répondu qu’elle avait besoin d’un repos total. Elle a bien dû admettre qu’en effet, ces deux nuits exemptes de songes ont eu sur elle un effet des plus bénéfiques les jours qui ont suivi. Revoir Jonathan fût-ce en rêve, lui a fait du bien mais l’a également énormément perturbée.

    Son étrange compagnon l’a compris et en a tiré les conclusions qui s’imposaient pour le bien être de son « humaine ». Á moins que cela comme le reste, ne fasse partie du plan de ses Maîtres ?

    - Bob ?

    -Tu as besoin de quelque chose ?

    - Non. Je veux juste savoir…

    - Quoi ?

    - Pourquoi ne me parles-tu plus ?

    - Tu as des questions à me poser ?

    - Pas spécialement non ! J’ai seulement besoin que quelqu’un me parle autrement que par mono phrase ou pour répondre à mes questions, même si j’en aurais encore des tas à te poser.

    - Je ne suis pas programmé…

    - Pour faire la conservation. Je sais !

    - Je peux répondre à tes questions.

    - Ça, je l’ai bien compris ! Encore que tu refuses de répondre à certaines !

    - Je ne refuse pas. Je ne suis pas autorisé.

    - Ça aussi j’ai compris ! N’empêche que c’est dur de n’avoir personne à qui vraiment parler de tout et de rien. Tes maîtres auraient pu te faire un peu plus humain quoi !

    - Ce n’était pas utile lors de notre conception.

    - Quand as-tu été conçu ?

    - Les premiers robots androïdes ont été conçus en même temps que les Sphères.

    - Dans quel but ?

    - La maintenance technique. La fabrication de nouveaux robots pour remplacer ceux dont le fonctionnement ne répondait plus aux exigences de leur service.

    - Et encore ?

    - Je ne suis pas autorisé à t’en dire d’avantages.

    - Pourquoi ?

    - Je ne suis pas autorisé.

    - Pourquoi t’ont-ils envoyé à mon service ?

    - Parce que tu as besoin d’aide.

    - Y a-t-il d’autres humains qui aient besoin de ce genre d’aide ?

    - Non.

    - Je suis la seule alors !

    - Oui.

    -Quel immense privilège ! Lance-t-elle avec acrimonie.

    - Tu es la seule aujourd’hui.

    Coup de poing dans le plexus ! Elle en est presque KO debout. Une information qu’elle n’a pas sollicitée vient de tomber sur elle. Elle est sonnée !

    - Aujourd’hui ?

    - Oui.

    - D’autres ont eu besoin de toi ?

    - De moi ou d’un autre.

    - Pour les mêmes raisons ?

    - Sensiblement oui.

    - Ils ont dû revenir à la Sphère ?

    - En quelque sorte, oui.

    - Ça veut dire quoi, en quelque sorte ?

    - Je ne suis pas autorisé à répondre à cette question.

    - Je te hais 26-B-RH-1 ! Je hais tes Maîtres. Je vais parler à Weena tiens ! Elle a plus de sentiments que toi, même si elle ne me répond pas !

    Boudeuse elle est restée près de la jument, allant jusqu’à ralentir le pas à seule fin de se tenir le plus loin possible de Bob. Lequel n’en avait cure, évidemment. Il est arrivé bien avant elle au sommet de la colline et l’y a attendue, debout, devant le refuge.

    - Déjà ! N’a-t-elle pu s’empêcher de lancer

    - Oui. Nous n’irons pas plus loin aujourd’hui.

    - Comment ça ? Nous ne sommes qu’à mi-journée ! Nous n’allons pas nous arrêter si tôt tout de même.

    - Si Élisa ! Regarde !

    Des jours et des jours qu’elle ne voit plus le paysage. Des jours et des jours qu’elle marche droit devant elle dans une espèce de brouillard intérieur cotonneux. Un brouillard vide, confortable qui l’empêche de réfléchir à ce qu’elle devrait voir et qu’elle ne voit pas ou ne veut pas voir. Ce monde au sein duquel elle évolue, n’est que silence et vacuité.

    Obsédée par la mission qu’elle s’est fixée, elle ne regarde plus autour d’elle. Et voilà qu’au loin, réverbérant les rayons du soleil, immense, menaçant, s’étend le dôme de la prison qu’elle cherche à rejoindre autant qu’elle l’a fuie : la Sphère maudite.

    L’instant d’étonnement passé, sa combativité naturelle reprend le dessus.

    - Je ne comprends décidément pas pourquoi nous devrions nous arrêter si près du but.

    - Elle a l’air proche mais en réalité, elle est beaucoup plus loin que ce que tu imagines.

    - Justement ! Nous aurions pu utiliser le reste de la journée pour nous avancer un peu, non ?

    - Tu as raison Élisa.

    - Alors pourquoi ne pas le faire ?

    - Tu n’es pas prête.

    - Comment peux-tu affirmer cela ?

    - Je le sais.

    - Mais encore ?

    - Fais-moi confiance. J’agis pour ton bien.

    - Ce sont « Eux » qui te le demandent ?

    - Non. Le problème vient de toi. Tu refuses encore trop de choses.

    -Pourquoi ne me serines-tu plus de me réveiller Bob ?

    Il ne répond pas, se contentant de la fixer avec dans les yeux une espèce d’intensité qu’elle n’y a encore jamais vue. Puis, toujours aussi raide mécanique, efficace, il se détourne d’elle et va s’occuper de Weena.

    « Accepte de te souvenir. Accepte la vérité Élisa » Murmure une voix dans son esprit. Et c’est Jonathan qu’elle entend.

    Son cœur se met à cogner à lui faire mal. Elle se précipite vers Bob. Il est en train de brosser la robe pommelée de Weena avec des gestes si humains qu’elle en reste une seconde interdite avant de hurler :

    - Bob ! Jonathan m’a parlé.

    -Oui. Se contente-t-il de lui répondre sans interrompre le mouvement régulier de la brosse sur le flanc de la jument.

    Il n’a pas l’air surpris. Comment le serait-il ? Il n’est que mécanique bien huilée. Pas une goutte de sang dans ces circuits électroniques. Aucun cœur battant dans ce torse qui n’a de viril que l’apparence. Á vivre près de lui, elle en a fini par oublier que Bob, ou plutôt 26-B-RH-1, n’est qu’un faux semblant d’humain.

    - Tu sais n’est-ce pas ! As-tu entendu ce qu’il m’a dit ?

    - Oui.

    - Moi, je ne l’ai entendu que dans ma tête pourtant.

    - Je sais.

    - Et que m’a-t-il dit, Monsieur-je-sais-tout ?

    - Que tu dois accepter de te souvenir. Accepter la vérité.

    - Me souvenir de quoi au juste ? Et de quelle vérité parles-tu ?

    - Tout ce que tu refuses encore.

    - Dis-moi quoi ?

    - Je ne peux pas. C’est en toi. Tu possèdes la clé mais tu l’as cachée et manifestement, tu ne veux pas la retrouver Or il devient urgent que tu comprennes enfin que si tu t’obstines à rejeter ces souvenirs, cette vérité, tu mourras !

    - C’est à ce point ?

    - Oui Élisa.

    La sensation d’être au bord d’une révélation importante, essentielle même, pour ne pas dire vitale, se fait jour en elle. Un bref instant, elle touche du doigt l’évidence. Puis dans la seconde qui suit, tout s’efface. Ne reste que le brouillard qui prend de plus en plus de place dans son esprit.

    Une chose cependant, s’est imprimée dans sa conscience.

    - C’est pour cette raison que tu refuses que nous allions plus loin aujourd’hui, n’est-ce pas.

    - Absolument. La Sphère ne s’ouvrira pour toi que lorsque tu auras cessé de fuir Élisa

    - Je ne fuis pas. Bredouille-t-elle d’une toute petite voix.

    - Si. Et tu n’imagines pas à quel point cette fuite incessante te met en danger.

    - J’aurais dû rester à Liberté, si je te comprends bien.

    - Non. Quitter Liberté était nécessaire.

    - De toute façon, je ne dois pas beaucoup leur manquer là-bas ! Ils n’ont lancé personne à ma poursuite.

    Pas de réponse, une fois de plus. L’insupportable robot se contente de la fixer, comme pour la forcer dans ses retranchements les plus profonds.

    - Je n’ai rien compris, c’est ça que ton silence obstiné cherche à me dire.

    Elle le regarde. Il n’a pas bougé d’un pouce. Tellement immobile qu’elle pourrait presque croire qu’il est déchargé. Mais non, elle le sent bien présent, scrutateur. Comme s’il attendait qu’elle trouve elle-même la réponse à sa question. Á toutes ses questions.

    - Je croyais que tu étais là pour m’aider Bob, s’obstine-t-elle mais finalement tu n’es et ne seras jamais qu’un numéro de série, 26-B-RH-1.

    Elle est hargneuse et injuste, elle en a conscience mais l’incompréhension, l’impatience, la fatigue, la minent un peu plus à chaque jour qui passe. Il ne cesse de lui répéter qu’elle approche du but alors qu’en réalité, elle a la sensation étrange que chaque kilomètre parcouru, l’en éloigne un peu plus.

    - Tu as raison consent-il enfin à lui répondre

    - En quoi ?

    - Je ne suis qu’un robot. Un numéro de série.

    - Pardonne-moi Bob

    - Je n’ai rien à te pardonner. Ils m’ont assigné à ton service. Ils auraient pu choisir un Max. Les M-RH ont les mêmes fonctionnalités que les B –RH.

    Tout cela exprimé avec l’absence absolue de contrariété qu’elle aurait aimé entendre. Il ne peut être vexé. Il énonce froidement la réalité de ce qu’il est. Point barre ! C’est elle et sa fichue nature humaine qui veut absolument l’humaniser, le parer de sentiments qu’il est incapable de ressentir.

    - Un Max aurait agi au poil près comme toi ?

    - Exact.

    - Il aurait donné les mêmes réponses à mes questions.

    - Exact.

    - Il m’aurait aidée, comme toi hein. Mais à quoi finalement ? Je n’y comprends toujours rien.

    -Cesse de fuir tes souvenirs Élisa et tu comprendras.

    - Pourquoi ceux qui t’ont programmé ne viennent-ils pas eux-mêmes ?

    - Ils ont essayé Élisa mais là où tu es, ils ne peuvent plus t’atteindre.

    - Qui a essayé ?

    Il se ferme soudain, au sens littéral du terme.

    -Va te reposer, la journée prochaine risque d’être rude pour toi, se contente-t-il de lui répondre avant de se remettre à la tâche pour le plus grand plaisir de la jument.

     

     

     


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  • …Elle se réveille béate au creux de son lit douillet. Elle a rêvé mais contrairement à son habitude, elle ne se souvient pas vraiment de quoi. Les images floues d’une gigantesque coupole de…verre ou d’elle ne sait quelle matière. Une immense ville souterraine … Une espèce de prison plutôt… des robots…

    Un de ces songes bizarres nés de ses dernières lectures. Une histoire futuriste de monde post-apocalyptique. Le genre qu’elle affectionne en ce moment et qui la change agréablement des bouquins qu’elle a dû ingurgiter à l‘université !

    Vive les vacances ! De vraies et reposantes vacances cette fois, sans avoir à travailler pour financer ses études.

    - Tu l’as bien mérité ! Lui a dit sa mère.

    C’est vrai qu’elle a bossé d’arrache-pied pour obtenir ce fichu diplôme ! Pour l’instant, elle refuse de voir plus loin. Elle réfléchira plus tard à la suite de sa vie !

    Repos, repos, repos ! Ce sera le maître mot jusqu’en septembre. Plusieurs options s’offrent à elle. Soit elle continue, soit elle se met en chasse pour du boulot avec un joli CV à l’appui, soit encore, elle prend une année sabbatique, histoire de voir exactement où elle veut aller ! Le Musée de la préhistoire lui a déjà proposé un emploi en attendant qu’elle prenne sa décision. Elle a donc de quoi voir venir sans être à charge de sa mère !

    Totalement détendue, elle s’étire une dernière fois.

    - Allez hop ! Debout paresseuse ! S’admoneste-t-elle.

    Chloé doit venir aujourd’hui. Elles vont passer la journée ensemble. Profiter du soleil. Aller faire les boutiques à Sarlat…

    « Qui sait, on se trouvera peut-être un mec ! Juste un plan Q,  ça nous ferait pas de mal hein ? » Lui a proposé la coquine par SMS hier soir !

    « Ok pour le plan Q ! » A-t-elle tapé conciliante.

    Pauvre Chloé ! Il faut dire qu’elle déprime un peu depuis son dernier plan Q justement ! Pour une fois, elle avait espéré plus et ça n’a pas collé entre elle et le beau gosse qu’elle avait enfin réussi à « pécho ».

    Pour ce qui est de ses propres amours, c’est le calme plat depuis…5 ans en fait.

    Elle avait fini par oublier ! Bizarre qu’elle y repense aujourd’hui ! Un coup de foudre, une étincelle, un baiser fou sous la lune, quelques mots échangés et plus rien ! Disparu le Prince Charmant ! Comme s’il n’avait jamais existé ! En fait, là, maintenant, elle se surprend à penser qu’elle n’a fait que l’imaginer.

    Oups ! Déjà 10 h à son réveil. Un vieux truc bleu en métal à l’ancienne dont elle n’a jamais pu se séparer. Une antiquité comme dit Chloé mais qui ne lui a jamais fait défaut ! C’est ce vieux truc qui la réveillait chaque matin à Bordeaux en faisant un boucan d’enfer au grand dam de ses voisins du campus !

    Impatient, Newton vient lui lécher la figure. Il miaule plaintivement comme pour lui dire de se presser un peu. Il ne descend jamais sans elle. Il doit avoir faim le bougre !

    - Bon, ça va ! Je me lève monsieur le chat ! Lui dit-elle, joignant le geste à la parole.

    - Élisa ! Entend-elle appeler d’en bas.

    - Oui maman, j’arrive ! Eh, je suis en vacances moi !

    - Je sais ma puce, mais il y a quelqu’un pour toi !

    - Chloé est déjà là ?

    - Non !

    - Ben c’est qui alors ? Questionne-t-elle intriguée en glissant ses pieds dans ses vieilles pantoufles !

    - Je ne sais pas, tu me diras ! Allez, descends ! Ce n’est pas poli de faire attendre un visiteur !

    Un visiteur? Son cœur manque trois battements avant de se remettre à tambouriner à toute vitesse. Un pressentiment la fait se hâter soudain. Elle se précipite dans l’escalier et descend les marches quatre à quatre tout en enfilant sa robe de chambre, au risque de se rompre le cou.

    - Entrez monsieur, elle arrive ! Entend- elle encore tandis qu’elle débouche à toute allure dans le vestibule.

    Il est là. C’est bien lui en chair et en os, sur le pas de sa porte. Il la dévisage intensément. Mais pourquoi a-t-il l’air si triste ?

    - Bonjour Élisa ! Murmure-t-il.

    -Jo…Jonathan…Balbutie-t-elle,

    Elle  est incapable de détourner les yeux de cet homme dont elle s’est éprise au premier regard il y a maintenant 5 ans, avant qu’il ne s’évapore sur cet improbable : « Nous nous reverrons Élisa ». Un homme mystérieux qu’elle a dernièrement revu très brièvement sans qu’aucune parole n’ait été échangée entre eux.

    - Et vous êtes ? Demande sa mère, froide et soupçonneuse.

    - Jonathan Sauveur.

    - Et ? Insiste Sarah sans aménité.

    - Un…ami de votre fille madame.

    - Un ami ? Tu ne m’en as jamais parlé Élisa !

    - Si maman !

    - Et quand ça ?

    - Il… Il y a...5 ans… Tu sais… Le jour de mes 20 ans, à Sarlat…

    - Ah… lui… Ton sauveur du cirque. Et que venez vous faire ici après 5 ans, monsieur Sauveur ?

    - Je dois parler à Élisa ! C’est urgent !

    - Que pouvez-vous avoir à lui dire qui ne souffre aucun délai après 5 années sans donner de nouvelles ?

    Elle n’a pas dit à sa mère qu’ils se sont croisés de loin lors de la remise des diplômes à Bordeaux. Elle se demande d’ailleurs encore pourquoi il était là.

     - Maman ! Laisse-nous, veux- tu !

    - Enfin ma fille ! Ce monsieur débarque sans prévenir et…

    - Maman !

    -  Bien, je vous laisse alors mais si tu…

    - Maman ! S’il te plaît ! Jo… Jonathan… On va aller parler dehors, si vous voulez bien.

    - C’est d’accord. Acquiesce-t-il.

    Et sans ambages il la prend par la main pour l’entraîner vers le banc qui trône sous la fenêtre de sa chambre.

    - Viens ! Ordonne-t-il. Il est temps ! …

     

    « Il a parlé… » Pense Élisa en se secouant sous l’épaisse couverture odorante. Elle se frotte les yeux. Elle est dans le refuge. Dehors, la pluie a cessé. Le soleil brille. Debout, immobile près de son lit, Bob monte la garde. Ses yeux d’un bleu d’acier sont posés sur elle. Manifestement, il attendait son réveil. Depuis combien de temps est-il posté là, droit comme un piquet ?

    Jonathan lui a parlé mais elle ne se souvient de rien. Ou de si peu ! Quelques bribes éparses qui flottent dans son esprit confus. Un évènement à venir… Un endroit quelque part… Et puis cette injonction : « Suis-moi ! » qui lui trotte dans la tête depuis qu’elle a ouvert les yeux dans la cabane.

    -Tu as rêvé. Prononce Bob. Et c’est une affirmation, pas une question.

    - Oui !

    - De Jonathan.

    - Exact.

    - Il t’a parlé.

    -  Oui !

    - Que t’a-t-il dit ?

    - Tu dois savoir toi !

    - Tu dois me le dire.

    - En fait, je ne me souviens pas de grand-chose.

    - Tu as oublié.

    - Oui… Non… c’est si confus !

    - Essaie de te souvenir.

    - J’ai déjà essayé, crois-moi ! Je n’y arrive pas.

    - Parce que tu ne veux pas savoir.

    - Comment ça ? Au contraire !

    - Ton esprit rejette encore la vérité. Tu as peur.

    - Il… il…Quelque chose se préparait. Il m’a parlé d’un endroit où nous devions aller. Il…Voulait que je parte avec lui. Puis ma mère est arrivée et lui a demandé de s’en aller. J’étais bouleversée. Je ne sais plus pourquoi mais je me suis mise à pleurer sans pouvoir m’arrêter. Blottie dans les bras de ma mère, je l’ai entendu dire :« Je reviendrai Élisa. Et tu me suivras. Il est temps ! » Je me suis détachée de ma mère pour lui répondre. J’ai regardé vers le banc où nous nous étions assis pour discuter… il… il n’était plus là. Je venais juste de le retrouver Bob ! Et je l’ai reperdu !

    - C’est bien.

    - Mais non ! J’étais si heureuse qu’il soit revenu ! Même si ce n’était qu’en rêve, c’était si bon de le revoir, d’entendre sa voix. Alors pourquoi ai-je oublié ses paroles ?

    -Ton esprit n’était pas encore disposé à les entendre. Tu approches de la vérité Élisa. Et ça te fait peur.

    - Je veux retrouver Jonathan !

    - Es-tu prête à reprendre la route ?

    -Euh… le temps de me laver, de changer de vêtements, de me nourrir… Je ne suis pas un robot ! Je ne fonctionne pas à l’énergie solaire moi ! Weena piaffe d’impatience je suppose !

    - Elle est pansée, ferrée, sellée. Tu la monteras encore aujourd’hui. Fais ce que tu as à faire. Nous partirons quand tu seras prête.

    - Bien chef !

    - Je suis un robot Elisa. Tu ordonnes, j’obéis.

    - Non Bob ! Ils ordonnent, tu obéis et moi je te suis parce que sans toi je n’irais pas au bout.

    - Tu as raison. Tu vas y arriver !

    - C’est bien mon intention.

    -Tu progresses ! Tu n’as jamais été aussi près du but.

    Alors qu’elle s’apprêtait à sortir pour aller faire un brin de toilette dans la rivière toute proche, elle se retourne sidérée.

    Est-ce bien la voix de Jonathan qu’elle a cru entendre ?

    Bien sûr que non ! Quelle idiote !

    Il est là- bas ! Prisonnier ou au service de Ceux d’en Haut, qu’importe après tout. La seule chose dont elle est absolument certaine, c’est qu’il l’attend.

     

     

     


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