• Elle a dormi deux bonnes heures sous la surveillance de Chloé puis elles sont reparties.

    Dans un coin de son esprit, les images qu’elle a vues sont restées, telles des points d’interrogation. Ou des ponts vers quelque chose d’important qui lui échappe encore.

    Le babillage parfois insupportable de son amie d’enfance, la vraie, lui manque plus qu’elle ne saurait l’avouer.

    Celle qui la précède sous le soleil écrasant, ne parle que très peu si ce n’est pour la houspiller de temps à autre quand elle perd trop de terrain. Cette Chloé là n’a rien gardé du caractère primesautier de son alter ego du XXIe siècle. Ce n’est pas qu’elle soit désagréable ou le contraire au demeurant. Elle est juste d’une redoutable efficacité, à la fois comme guide et comme soutien moral. Comme soutien tout court chaque fois qu’elle trébuche, harassée par la chaleur qui ne désempare pas !

    Elle est pour Élisa une présence amicale certes, mais sans plus. Bob aussi, bien qu’il ait répété mille fois qu’il n’était pas programmé pour ça, était capable de se montrer amical quand il le fallait. En réalité, plus rien ne subsiste de leur incroyable complicité, de leurs bavardages futiles, de leurs incontrôlables fous-rires. La Chloé qui marche devant elle, pourrait se mettre à le faire de la même façon raide et mécanique que Bob, qu’elle n’en serait pas étonnée. Régulièrement, elle se retourne pour vérifier que sa protégée la suit d’assez près mais comme tout le reste de sa personne, même son sourire lui paraît factice !

    Elle n’en démord pas ! Ce n’est pas sa Chloé. Une copie incroyablement conforme, mais une copie. Si c’est cela, ce fac-similé, qu’on lui a envoyé pour l’aider, ça ne fonctionne pas !

    Autant elle s’était prise d’affection pour Bob, au point que sa défection l’a terriblement peinée, autant elle commence à détester la créature qui prétend être son amie. « la titiller », disait-elle ! On est loin de ça ! Elle ne la titille pas, elle la torture ! L’allure rapide qu’elle la force à suivre, est inhumaine !

    - Eh ! Tu pourrais ralentir un peu s’il te plait ! Lance-t-elle en jugulant sa hargne !

    - Impossible Élisa ! On doit atteindre le prochain refuge avant la nuit !

    - Tu en as de bonnes toi ! Tu débarques ici fraîche comme une rose, moi, ça fait un bail que je marche figure-toi !

    - Je sais ! Et toi, est-ce que tu sais depuis combien de jours, de mois, tu essaies de rejoindre la Sphère ?

    - Oui…Non…Je ne sais plus…

    - C’est bien ça le problème. Bon, on va s’arrêter. Juste un peu. Et on va parler ! Je crois que ça s’impose.

    - Et tu me diras enfin qui tu es réellement ?

    - Tu sais qui je suis Élisa ! Ton amie de toujours et pour toujours !

    - Un fantôme d’amie. Une illusion. Un robot sans cœur ! Tu es Terminator et tu veux la peau de Sarah Connor!

    - Ha ha ha ! C’est marrant que tu te rappelles ça ! J’avais réussi à te convaincre de regarder toute la saga avec moi ! C’était pas ta came ! C’est ce que tu m’as dit avant de te laisser embarquer ! Et ça c’est confirmé ! Tu te souviens ?

    - Je… je crois. Quand je suis sortie de ta piaule, j’étais d’une humeur massacrante et j’avais un mal de crâne terrible !

    - C’est ça ! Et ta vengeance a été à la mesure de ce que je t’ai fait endurer !

    - Un repas avec ma mère et avec Patrick de passage à la maison ! Á l’époque, il en pinçait un peu pour toi et du coup, il a été d’un lourd ! Toi, tu ne savais plus où te mettre ! Tu avais déjà des vues sur un pote de l’université ! Qu’est-ce que j’ai pu rigoler de tes dérobades pour résister aux avances maladroites de mon frère !

    - Ce n’était pas très gentil tout de même, ni pour lui, ni pour moi !

    - T’inquiète ! Il était un peu balourd niveau drague mais aussi, assez intelligent pour comprendre rapidement qu’il tombait sur un bec ! Il s’en est vite remis, crois-moi !

    - Et moi alors ? Me faire subir ça, tu n’as pas eu honte ?

    - Pas du tout ! Après trois  ou quatre  Terminator à la suite, je ne sais plus combien exactement, je trouve que la punition a été assez gentille !

    Emportée par leur souvenir commun, elles ont atteint un gros bloc de rochers en surplomb, qui leur offre suffisamment d’ombre pour une la pause dont elle a tant besoin, au contraire de Chloé qui, comme d’habitude, ne montre aucun signe d’épuisement. Son souffle est toujours aussi régulier, pas de trace d’essoufflement. Alors qu’elle-même est fourbue, en nage, la respiration courte et haletante. Son « amie » lui semble aussi fraîche et reposée que si elle sortait d’un bain parfumé ou d’une séance de massage.

    Elle se laisse tomber plus qu’elle ne s’assied, à l’ombre bienfaisante des rochers, épongeant avec le bas de sa tunique, la sueur qui dégouline de sa figure à son cou. Elle sait qu’en faisant ça, elle étale sur son visage la poussière du chemin. Pas besoin d’un miroir pour être sûre qu’elle ressemble à un épouvantail.

    - Comment fais-tu ?

    - Quoi ?

    - Pour rester aussi pimpante après des heures de marche sous cette chaleur étouffante ? Tu ne transpires pas, tes pieds nus ont l’air neufs, et ta robe semble sortir du pressing !

    Pas de réponse pour ne pas changer !

    - Regarde- moi ! Je suis sale à faire peur, fatiguée à mourir. J’avance comme un soldat obéissant, pourtant, je ne sais même plus pourquoi j’avance.

    - Pour ne pas mourir Élisa !

    - C’est sûr que ça ne risque pas de t’arriver, à toi, vu que tu es déjà morte ! Tu ne réponds pas hein !

    - Parce que ça ne servirait à rien Élisa ! Ça ne te servirait à rien !

    - Pourquoi ?

    - Parce que, je te le répète, la seule chose qui importe c’est que tu te souviennes ! Tout a été fait pour ça jusqu’ici. Mais tu résistes !

    - Si tu savais comme j’en ai marre d’entendre ce discours fumeux !

    - Alors fais un effort ! Tiens par exemple. Est-ce que tu te rappelles le jour du cirque ?

    - Attends… Je crois oui ! C’était le jour de mes 20 ans non ?

    - Exact ! Continue !

    - Ma mère et mon frère m’avaient offert une sublime robe rouge, bien trop moulante à mon goût…

    - Merci bien ! La robe, c’était MON cadeau ! Tu m’en as assez voulu d’ailleurs ! Tu disais que j’avais fait exprès de l’avoir choisie aussi rouge, aussi courte, aussi ajustée ! Et tu avais raison sur toute la ligne ! Ta mère et ton frère étaient morts de rire quand ils ont vu ta tête au moment du déballage ! Et quand tu as consenti à l’essayer, j’ai cru qu’ils allaient s’étouffer !

    - Tu as raison, je me souviens maintenant. J’aurais pu t’arracher les yeux tellement je t’en voulais ! Patrick lui, m’a offert les chaussures assorties. Des talons de presque 10 centimètres ! Á moi ! Vous vous étiez donné le mot !

    -  Rien qu’un peu !

    -  Alors la place pour le cirque Marini…

    - Ça, c’était le cadeau de ta mère ! Et c’était deux places. Une pour toi, une pour moi.

    - Quoi.. que…

    - Nous y sommes allées ensemble, avec ma voiture.

    - Mais non… Elle était en panne … Tu…n’étais pas là.

    - J’étais là ! La panne c’était une semaine avant !

    - Tu..Tu n’as pu revenir me chercher. J’ai pris un taxi.. L’accident. Mon coma.

    - Hou la ! Tu mélanges tout ! Il y a bien eu un accident cette nuit-là ! Le chauffeur de taxi a été tué sur le coup, c’est vrai ! Quant à sa passagère, une jeune femme de ton âge, elle s’en est sortie mais gravement blessée ! Trauma crânien, les deux jambes brisées, la colonne vertébrale sévèrement touchée… Le lendemain les actus annonçaient qu’elle était dans le coma et risquait de ne jamais se réveiller. Et si elle finissait par émerger, ce serait pour terminer tout le reste de sa vie en fauteuil roulant. Mais ce n’était pas toi !

    - Pourtant…

    - Bon ! Reprenons depuis le début. On part toutes les deux à Sarlat. Tu es très excitée. Moi beaucoup moins mais c’est ton cadeau d’anniv’ alors ! Et puis tu n’as pas de voiture donc... Tu as mis ta robe rouge et tu n’arrêtes pas de tirer dessus parce que tu la trouves trop courte !

    - Attends…Tu vas trop vite.

    Elle ferme les yeux et plonge tête baissée dans ses souvenirs… Sa mère et Patrick sur le seuil de leur maison à Saint-Cirq… Ils crient en agitant les bras tandis que la voiture démarre :

    - Amusez- vous bien les filles et soyez prudentes sur la route

    - Vous inquiétez pas, je vous la ramène ! Leur répond…Chloé.

    Elle se rappelle à présent. La robe trop courte qu’elle tire désespérément sur ses cuisses nues. Les rires moqueurs de son amie…

    - Ah ah ha ! Pour une fois que t’es en nana, J’ai fait très fort là !

    - Te moque pas ! Je ressemble à..

    - Á une jolie fille, enfin, dans une jolie robe qui lui va comme un gant !

    -Trop serré le gant, je te jure ! Et puis ce rouge…

    - Pour une belle brune comme toi, c’est top !

     

    - Elle était vraiment courte et trop moulante cette foutue robe !

    - Je vois que ça te revient ! Bien ! Maintenant, on est au cirque. Continue.

    - On est au premier rang, à l’aplomb de la piste. Comme quand j’étais gosse ! Toi, tu aurais préféré être un peu plus haut dans les gradins, pour mieux voir disais-tu. Moi…

    -Têtue comme une mule, tu y tenais à ta place près de la piste.

    - J’en rêvais ! Ça faisait des années que je n’étais pas retournée au cirque. Après la mort de mon père et de mes deux autres frères, Patrick ma mère et moi, nous avons mis une croix sur tant de choses…

    - Et ensuite ?

    - Il.. Il y a cet homme, pas très loin, à quelques sièges au même niveau. Il n’arrête pas de me mater.

    - Il ne te matait pas ! Trop vulgaire comme expression pour cet homme-là ! Il te dévorait des yeux oui !

    - Fichue robe !

    - Il regardait la fille dans la robe, je t’assure. Un regard… étrange ! C’était comme s’il te reconnaissait. Et toi, tu ne te rappelles pas si tu l’avais déjà rencontré avant ? 

    - Je crois que si ! Je te raconterai après.

    - Non, maintenant ! C’est important que tu racontes dans l’ordre où ça te revient. Continue !

    - Pourquoi ? Tu questionnes alors que tu sais déjà de toute façon !

    - C’est vrai ! Mais c’est à toi de raconter pour que tout te revienne ! Ok ?

    - D’accord. Il me fixe, c’est vrai, comme si nous nous étions déjà vus. Et plus il me fixe, plus ça me fait le même effet. Mais je n’arrive pas encore à mettre le doigt dessus. Et puis le spectacle est beau et très prenant, alors je lâche le type des yeux pour ne rien rater !

    - Et ? Tu te rappelles les numéros ?

    - Pas vraiment. Il y a ces yeux d’une couleur peu ordinaire, d’un vert mordoré, qui me brûlent. Je les sens posés sur moi. Ça me stresse parce que je ne comprends pas pourquoi je n’arrive ni à faire l’impasse sur cet homme, ni à me souvenir où je l’ai déjà vu. Puis l’entracte arrive. Je suis très énervée. Je sors prendre l’air.

    - Pourquoi ?

    - Ce mec qui ne cesse de me regarder, ça me tape sur le système ! Ça me fait flipper même ! Toi tu restes assise pour garder ma place… Je suis dehors. La nuit est tombée. Il y a un banc près d’un réverbère. Je m’assieds. Soudain, je vois l’homme s’approcher. Il s’assied à son tour. Près de moi. Il me parle mais je suis tellement sidérée que je ne comprends pas ce qu’il me dit. J’entends l’annonce de Monsieur Loyal. Le spectacle va reprendre. Alors je me lève comme un automate, pour regagner le chapiteau. Il ne me suit pas. C’est en rejoignant ma place près de toi, que je percute enfin. Il a dit « Bonsoir Élisa »

    - Á ce moment-là, tu ne sais pas encore d’où tu le connais ?

    - Non ! Je regarde le spectacle sans le voir vraiment. Ce « Bonsoir Élisa » me trotte dans le crâne. Jusqu’au clou de la soirée. Le dompteur, la danseuse sur son podium de verre et ce tigre, énorme, majestueux, impressionnant, tous crocs dehors à la demande de son dresseur, pour faire peur juste ce qu’il faut au public médusé ! Un ballet stupéfiant de force, de maîtrise, de beauté et de grâce entre ces trois personnages fantastiques. La belle, la bête et le prince dompteur ! Puis c’est le drame, ou ce que j’ai alors cru être un drame. Un coup de tonnerre dehors, violent, sans préavis, comme il y en a parfois l’été. Face au félin, Le dompteur nous tourne le dos. Le tigre prend peur, il s'agite et se met à feuler. Il tourne et retourne en rond sur la piste. Son maître peine à le calmer Soudain, il se dresse de toute sa hauteur contre les barreaux de la cage, coinçant le dompteur acculé. La bête, est tournée vers nous, vers moi. Pourquoi ai-je l’impression que c’est moi que l’énorme tigre regarde en rugissant férocement? Puis, tous les projecteurs s’éteignent d’un coup et moi, la gourdasse de service, je tombe dans les pommes !

    Quand je reviens à moi, la lumière est revenue sous le grand chapiteau. Le spectacle est terminé. Je suis dans les coulisses, entourée par une partie des artistes, dont le dompteur et sa partenaire. Il y a toi aussi bien sûr, très inquiète. Mais surtout, il y a l’homme aux yeux mordorés, penché vers moi. Si près, bien trop près. Je suis tellement troublée que j’en retombe dans les vapes. La honte quoi !

    - Normal ! Tu as cru que le dompteur allait se faire déchiqueter ! Et après, il se passe quoi ?

    - Je reprends connaissance. Les Circassiens vaquent à leurs occupations. Le démontage du chapiteau a commencé. Curieusement, sans savoir comment j’y suis arrivé, je suis dehors, avec l’inconnu…

    - Qui n’en est pas vraiment un, on est bien d’accord. Il t’y a portée ce beau mâle ! J’en aurais presque été jalouse si je n’avais pas été aussi amoureuse de mon mec !

    - Et toi, tu étais où ? Ah oui, tu m’attendais dans la voiture, pendant que moi, j’étais blottie sur le banc, sous le réverbère, contre le fameux beau mâle, à tenter de reprendre tout à fait mes esprits à l’air frais de la nuit !

    - Et tu les reprenais tes esprits ?

    - C’était difficile. La proximité de Jonathan me troublait tellement que j’avais du mal à respirer.

    -Tu l’avais donc enfin reconnu ! Moi, je ne savais toujours pas qui il était ! Tu ne me l’as dit qu’après. Je ne savais rien de l’épisode chaud bouillant de votre première rencontre ! Qu’est -ce que je t’en ai voulu de m’avoir caché ça !

    - J’étais sûre de ne jamais le revoir alors j’avais tout fait pour l’oublier très vite. Quand notre rencontre a eu lieu, tu n’étais pas là. Tu étais malade. Une saleté de virus intestinal ! Je n’avais pas envie de t’en parler ! Pour quoi faire puisque j’étais persuadée qu’il n’y aurait jamais de suite à notre histoire ! Un coup de foudre, un feu de paille tout de suite éteint. Á quoi bon te raconter ?

    - Pourtant, le soir du cirque, tu as compris que rien n’était fini ! Mais tu es plus entêtée qu’une mule hein ! Tu ne lui as pas dit que tu l’avais reconnu ton beau conférencier. Et tu l’as laissé partir ! Bon sang ! Le hasard le remettait sur ta route et tu n’as rien fait pour le retenir ?

    - J’ai su bien plus tard que le hasard n’avait rien à voir dans cette deuxième rencontre.

    - Que s’est-il passé entre vous sur ce banc ?

    - Rien. Juste des regards. Le sien qui me sondait, le mien qui le fuyait. Une furieuse envie de nous jeter l’un sur l’autre et de nous embrasser, comme la première fois. Mais parce que je n’ai rien dit et que j’avais l’air d’aller mieux, il s’est tu lui aussi et il m’a reconduite jusqu’à ta voiture, où il m’a laissée à tes bons soins, avec ce : « Au revoir Élisa ! Nous nous reverrons. » Si j’avais parlé, notre destin n’en aurait été scellé qu’un peu plus tôt !

    Je l’ai gommé de ma mémoire pendant 5 ans. Jusqu’à ce jour où il est venu frapper à la porte de chez nous.

     

     


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  • -Allez ! Du nerf ! Tu te traînes là !

    Elle n’a plus la force de répondre à son infatigable amie qui la distance allègrement.  Un soleil de plomb, implacable, ralentit ses mouvements. L’été n’en finit pas d’empiéter sur l’automne ! Elle suffoque sous l’effort incommensurable qu’elle doit déployer pour rejoindre Chloé. Ou son avatar créé de toute pièce par les machiavéliques dirigeants de la Sphère, ne peut –elle s’empêcher de se dire pour la millième fois au moins, depuis qu’ensemble elles ont quitté le refuge !

    L’exceptionnelle endurance de la pétulante jeune femme, ne correspond en rien avec les souvenirs qu’elle a de son manque total de dispositions pour le sport en général, pour la marche en particulier.

    Elle croit encore l’entendre :

    - Une randonnée en montagne avec Patrick et toi ? Tu rigoles ! Tu me vois crapahuter dans la caillasse avec mes jolis pieds-nus ? Parce que, regarde-moi bien Élisa, il n’est pas question que j’enfile ces horribles chaussures de rando !

    C’est bizarre tout de même, comme le passé si lointain de cette vie d’avant, remonte à la surface depuis que Chloé est apparue ! Le plus étrange étant que son amie, citadine jusqu’au bout des ongles, se soit si parfaitement acclimatée à ce monde vide et désolé, dans lequel elle a atterri par miracle !

    Elle marche devant elle à une cadence infernale, sans chapeau, vêtue d’une élégante robe d’été à bretelles qui lui arrive tout juste à mi-cuisses. Elle se souvient parfaitement de cette robe outrageusement sexy ! Et, comble de l’incongruité, elle arbore aux pieds les fameux pieds-nus élégants, en cuir rouge, si peu adaptés à la longue marche qu’il leur reste à accomplir. Pour compléter ce tableau aussi improbable qu’il est permis de l’être en la circonstance, elle s’est chargée du lourd sac à dos, qu’elle-même a eu tant de mal à porter depuis la défection de Weena ! Chloé, sa Chloé, qui collectionnait les petits sacs ultra chics et ultra chers, toujours remplis de ce foutoir hétéroclite qui était sa spécialité.

    - Bon, tu veux encore tâter pour vérifier que je suis bien réelle ?

    Tout à ses réflexions et à ses doutes, elle vient de se cogner à une Chloé pas le moins du monde essoufflée.

    Ce n’est pas son cas ! Elle paye plein pot les semaines écoulées depuis sa fuite de Liberté. Elle a bien dû perdre dix kilos en chemin. Et des tonnes d’espoir !

    - Si on s’arrêtait un peu ? Je n’en peux plus !

    - Ok ! Tu vois le bouquet d’arbre là-bas ? On va jusque- là et on fait la pause, ça te va ?

    - D’accord ! Tu en profiteras pour me raconter par quel tour de magie tu es arrivée ici !

    - Je t’ai déjà expliqué Élisa ! Je suis là pour t’aider. Il n’y a rien d’autre à ajouter, crois-moi !

    - Mais c’est impossible ! Je persiste à le croire ! Tu ne peux être là ! J’hallucine, c’est tout !

    - Garde ton souffle pour atteindre les arbres ! On parlera si tu veux, quand tu seras à l’ombre.

    - Quand JE serai à l’ombre ? Parce que toi…

    - Ne t’inquiète pas pour moi ! C’est toi l’important, je t’assure !

    Elles ont atteint l’ombrage bienfaisant de trois arbres immenses au feuillage jaunissant dont elle serait bien incapable de définir l’essence. Ils ne doivent exister qu’ici !

    - Allez, assieds-toi, tu vas boire et manger un morceau ! Elle est où ma ravissante amie aux rondeurs si bien placées ?

    - Je suis fatiguée Chloé. Lasse à mourir ! Á quoi ça sert tout ça ? J’ai l’impression d’être partie depuis des mois et des mois et je ne sais même plus pourquoi.

    - Je sais Élisa !

    - Qu’est-ce que tu sais ? Tu n’es même pas censée être là ! Pour moi, je le répète, tu es morte il y a plus de mille ans. Comme ma mère, comme Patrick…

    Les yeux verts de son amie la scrutent intensément. Elle ne répond pas. Au contraire son silence attentif, paraît l’inviter à en dire plus.

    - Je ne comprends décidément pas comment tu peux être ici ! Ce sont eux qui t’ont envoyée ? Tout le monde m’a abandonnée. Jonathan est parti. Bob est parti. Même ma jument a pris la poudre d’escampette. Et puis voilà que tu débarques de je ne sais où, sans qu’il me soit permis de comprendre ni comment ni pourquoi c’est possible. Et tu voudrais que j’admette ça ! Que j’y crois les yeux fermés !

    - C’est ça ! Et quand je te dis que je sais, c’est parce que c’est vrai. Je sais pourquoi tu erres, pourquoi il est essentiel que tu rejoignes la Sphère et je suis là précisément pour t’y aider. Parce que les autres n’ont pas réussi. Moi, je suis ton dernier espoir et je n’ai pas le droit d’échouer !

    - Quels autres ?

    - Jonathan, Martha, Bob et même ...Weena !

    - C’est du délire ! Jonathan est parti pour une expédition de pêche avec deux de ses amis. Ils n’en sont pas revenus. Martha, c’est moi qui l’ai quittée. Bob m’a été envoyé pour me secourir, il a été rappelé parce qu’il allait m’en dire un peu trop je pense. Weena, n’est qu’une jument et elle a probablement rejoint une horde de chevaux sauvages. C’est aussi simple que ça !

    - Tu crois ? Et moi à ton avis, pourquoi m’a –ton « envoyée » à toi comme tu l’affirmes ?

    - Tu ne démens donc pas !

    - Là n’est pas la question ! Réponds !

    - Je ne sais pas moi ! C’est toi qui sais à ce que tu dis ! Je n’y comprends plus rien !

    - Fais un effort ! N’as-tu rien remarqué depuis que je suis là ?

    - Non… enfin si… Il y a plein de trucs de ma vie d’avant qui me reviennent. De ma vie avec toi, aux Eyzies et à l’université… Je …je n’ai pas rêvé tout ça hein ?

    - Non ! Pourtant, des tas de choses t’échappaient cers derniers temps, pas vrai ?

    - Si… C’est comme si un épais brouillard envahissait mon esprit.

    - Et en ce moment, il se dissipe non ?

    - Un peu…

    - Il va se dissiper totalement ! Tu dois y croire et faire tout ce que tu peux pour ça. Je suis là pour t’y aider.

    - Pourquoi toi ?

    - Parce que j’ai toujours su te titiller, t’obliger à réagir quand tu allais mal. Souviens-toi ! Nous ne sommes pas les deux meilleures amies du monde pour rien.

    - C’est vrai que ta présence, réelle ou pas d’ailleurs, me fait un bien fou ! Mais explique-moi  Veux-tu. Pourquoi Jonathan, qui est l’homme de ma vie depuis toujours semble-t-il, a-t-il été incapable de m’aider ? C’est fou ça quand même !

    - Parce qu’il t’aime justement. Jonathan est ton but mais il est surtout la clé de tout ce qui t’arrive ! Quand il a enfin compris qu’à cause de cet amour qui vous lie, il ne t’était plus d’aucun secours, il a passé le relai.

    - Ce que tu me dis n’a aucun sens. L’homme que j’aime et qui m’aime m’aurait abandonnée de son plein gré ? Je ne comprends pas !

    - C’est très exactement là le problème ! Un double problème à vrai dire ! Tu dois comprendre !

    - Et ?

    - Quand tu comprendras, si tu y parviens, soit ça te sauvera la vie, soit ça te tuera !

    - Tu racontes n’importe quoi !

    - Non, je te jure ! Et le pire vois-tu, c’est si tu ne parviens pas au bout du chemin, tu mourras, de toute façon !

    - Je rêve ! Ou plutôt je cauchemarde !

    Pas de réponse. Et toujours ce regard profond qui la sonde. Qui lui intime l‘ordre de chercher en elle-même les réponses.

    - Je vais me réveiller ! Et tu ne seras plus là !

    Un éclat de rire hystérique la secoue soudain. Elle en hoquète, manquant de s’étouffer avec le morceau de viande boucanée qu’elle s’efforçait de mastiquer.

    Une tape vigoureuse dans le dos la remet d’aplomb et la calme instantanément.

    - Voilà ! C’est malin ! Ta maman ne t’a jamais dit qu’on ne parle pas la bouche pleine ?

    L’évocation de sa mère lui fait monter les larmes. Des sanglots irrépressibles remplacent aussitôt la crise de fou rire. Elle sent deux bras bien réels l’enserrer tandis qu’elle pleure à n’en plus finir.

    - Tout doux ma cocotte ! Ça fait trop pour toi d’un coup tout ça hein ? Tu vas te reposer un peu. Je veille sur toi. Et après on repartira. On a encore un bon pout de route à se taper avant que…

    - Avant que quoi ?

    - Avant qu’on y arrive. Dors. Tu en as besoin !

    Sa dernière réflexion juste avant de sombrer, c'est :

    «Tiens, c'est bien la première fois qu'on m'ordonne de dormir, d'habitude, c'est plutôt : réveille-toi Elisa ! »

     

    …Plongée dans un sommeil catatonique, elle reçoit, éclairs aveuglants et brefs, des tas d’images en désordre.

    Un tigre rugissant aux yeux jaunes…Le regard triste de sa mère tandis qu’une voiture s’éloigne… Jonathan au téléphone avec un interlocuteur énervé…Son corps dur sur le sien dans une chambre anonyme. Un amphi où ils sont seuls, face à face…Des adieux déchirants avec Patrick, puis avec Chloé… La silhouette miroitante d’un immense dôme à l’horizon…Un homme au regard perçant et hostile…La visite guidée d’un complexe aussi étrange qu’extraordinaire…Et puis cette salle qui la terrorise, où on la fait entrer, seule…

    C’est bien la première fois depuis très longtemps, qu’elle a la certitude qu’elle rêve, tandis qu’une voix douce et insistante ne cesse de lui ordonner : « Dors, tu en as besoin ! »


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  • - Élisa grosse paresseuse, tu exagères !

    - Hummmm !

    - Allez, réveille-toi et bouge-ton joli cul ! On va encore être à la bourre à cause de toi !

    - Hummmm !

    -T’arrête de grommeler dans ton oreiller et tu te lèves fissa sinon je file sans toi !

    Cette voix qui la secoue dans ce reste de sommeil où son esprit s’englue, c’est bien celle de…

    - Chloé ! Que fais-tu ici ? C’est impossible !

    - Ben oui, c’est moi quoi ! Qui veux-tu que ce soit ?

    - Tu..tu ne peux pas être ici !

    - Ma pauvre, tu dérailles grave ! Il est vraiment temps que ça se termine !

    - Que…Que quoi se termine ?

    - Eh ! T’arrête là ! Tes pas drôle !

    Elle n’ose ouvrir les yeux ! Chloé ne peut pas être là !  C’est la solitude de ces derniers jours, sans Bob, sans Weena qui la rend dingue !

    -Bon, arrête ton cinéma ! Tu me fais peur là ! T’es vraiment chelou en ce moment !

    Elle se met à trembler violemment, incapable de se résoudre à ouvrir les yeux. Elle est en train de devenir maboule ! Il n’y a pas d’autre explication à cette voix rendue suraigüe par un mélange de panique et de colère, qui la tarabuste, tandis que deux mains agrippées à ses épaules, commencent à la secouer avec l’énergie du désespoir !

    - Bon sang Élisa qu'u’est ce qui t’arrive ? Je l’avais bien dit que tu travaillais trop. Je t’en supplie ma cop’ dis-moi quoi faire pour toi ! J’appelle un médecin si tu veux? 

    - Non… Je Je..suis fatiguée. Tu..n’es pas réellement là hein ! Je rêve !

    - Ho la la ! Ça va vraiment pas toi ! ! Ouvre-les yeux bordel de merde ! Regarde, c’est bien moi, ta meilleure pote ! Allez, ouvre les yeux maintenant ! Je crève de trouille là !

    - Tu ne peux pas mourir tu es déjà morte !

    - My god ! Ma copine a perdu la boule. Ou elle se fout de ma gueule, ce qui est bien pire !

    - Je…Je ne me moque pas Chloé ! Tu n’es plus de ce monde depuis si longtemps !

    - Arrête maintenant !

    Sourde à la terreur qui déforme la voix de son amie, elle continue :

    - Ma mère, mon frère, ne sont plus de ce monde… Sarlat, Les Eyzies, La France…Le Monde entier… Tout a disparu… Je suis seule sur cette terre inhabitée. Tout est vide, vide, vide…

    Un sanglot terrible interrompt sa litanie

    - Pourquoi pleures-tu Chloé ? Les morts ça ne pleure pas !

    Le corps qu’elle sentait confusément assis près d’elle, vient de se lever brusquement. Elle entend une course effrénée, une porte qui claque, des cris entrecoupés de sanglots hystériques. Puis plus rien.

    Alors et alors seulement, elle consent enfin à ouvrir les yeux, histoire de vérifier où elle se trouve.

    Durant quelques secondes, elle est dans sa chambre à l’Université… Á peine un clignement de paupières plus tard, elle se retrouve sur l’étroite couchette du refuge où elle a fait halte après une nouvelle et éprouvante journée de marche.

    Seule !

    Dans un recoin de son esprit, se prolongent les hurlements de son amie :

    - Au secours ! J’ai besoin d’aide, Élisa est devenue folle !

    Elle n’en peut plus ! Il est vraiment temps que ça se termine ! Qui a dit ça ? Quand? Et que quoi se termine ?

    Les larmes coulent sans fin, diluant sur ses joues la poussière de la veille. Elle s’est couchée sans se laver, dans ses vêtements imbibés de sueur. Il faut qu’elle réagisse ! Ça ne peut plus durer ainsi ! Elle va finir par en crever, seule, sur cette terre vide, vide, vide.

    Comme l’a fait le fantôme de son amie, elle se secoue puis se lève pesamment !

    C’est décidé, à partir d’aujourd’hui, elle va reprendre son destin en main. Fini de s’appesantir sur ce qui n’est plus ! Fini d’espérer l’impossible ! Fini de pleurer sur son sort ! Elle est seule, qu’à cela ne tienne ! C’est donc seule qu’elle y arrivera. Á quoi, elle ne sait plus exactement ! Ce qu’elle sait en revanche, c’est que cette maudite Sphère qui la nargue de sa toute puissance et semble s’éloigner un peu plus chaque jour en dépit de ses marches forcées, finira bien par ne plus se dérober à ses pas !

    Elle l’atteindra, coûte que coûte, sans aide puisque on la lui a retirée !

    - Grand bien vous fasse ! Braille-t-elle à la volée dans un sursaut de rage !

    La voilà debout. D’un seul coup, elle a faim ! La colère lui a rendu l’appétit. Ses provisions diminuent mais elle a si peu mangé ces derniers jours qu’elle peut se permettre de piocher dedans sans complexe. De l’eau fraîche, quelques biscuits secs, un peu de viande boucanée, constituent son petit déjeuner. Elle mastique tout consciencieusement pour réhabituer son estomac. Il est essentiel qu’elle reprenne des forces ! Elle a un dernier combat à mener, il n’est pas question qu’elle perde

    « Bien mon amour ! Élisa la guerrière est de retour ! » Croit-elle entendre

    Si la voix de Jonathan reste présente dans sa tête, elle vaincra tous les obstacles. Il en va de sa vie après tout !

    Rapidement repue après des jours à picorer comme un moineau, elle se sent prête à affronter cette nouvelle journée. Elle retire ses vêtements crasseux et sort, nue, revigorée, pour une toilette matinale nécessaire. Ce n’est pas seulement son corps qu’elle va laver mais aussi son esprit. Les deux en ont grandement besoin ! Le fond de l’air est un peu frisquet. Ça lui fait un bien fou !

    Comme la plupart des refuges qui l’ont abritée depuis son départ, celui-ci est érigé sur un promontoire. Il surplombe de quelques mètres une paisible rivière qui coule paresseusement en contrebas. Le cours d’eau serpente dans une large plaine qui s’étend à perte de vue. Il est bordé d’arbres aux branches retombantes - des saules - croit-elle se rappeler. Leur feuillage jaunissant caresse le courant. Ce tableau idyllique, lui met du baume au cœur et lui insuffle un regain de force inespéré. C’est d’un pas assuré, qu’elle descend vers les rives ombragées.

    Là-bas, nimbée de brume sur la ligne d’horizon, la silhouette massive de la Sphère ne la nargue plus. Au contraire, presque…rassurante, elle l’attire, elle l’appelle.

    - Viens Élisa, nous t’attendons !

    - J’arrive, crie-t-elle, déterminée !

    Propre comme un sou neuf - encore une de ces expressions désuètes du passé -  elle est prête à reprendre la route. Pour la première fois depuis ce qui lui semble une éternité, la chance lui a souri. Dans le refuge, elle a trouvé comme par hasard, une paire de solides bottines à sa taille. Ses sandales étaient usées jusqu’à la corde et n’auraient plus tenu très longtemps !

    Elle a également découvert au fond du coffre, une réserve bien emballée de biscuits et de viande séchée ! Une aubaine. Elle a mis tout ce qu’elle pouvait dans son sac, trop heureuse de pouvoir penser à la nourriture sans hauts le cœur ! C’est donc totalement requinquée qu’elle quitte le refuge. Le dernier de son long périple depuis Liberté, espère-t-elle.

    Le chemin qu’elle va emprunter pendant un bon moment, longe la rivière. Encore un point positif qui la conforte dans l’idée qu’elle arrive enfin au bout de ses peines. Le sac bien arrimé à ses épaules, encouragée par les rayons généreux d’un magnifique soleil d’automne, elle entame la descente vers le cours d’eau scintillant.

    Elle se sent joyeuse et pleine de cette énergie positive qui l’a toujours animée, que ce soit dans cette vie ou dans toutes celles que lui montrent ses rêves.

    Alors qu’elle avance d’un pas allègre, elle stoppe net. Quelque chose vient de capter son regard. Une silhouette sur le sentier devant elle, qui marche à sa rencontre. Serait-ce Bob, qu’on aurait renvoyé à sa rescousse ?

    Non, le Robhomme est bien plus grand. Cette silhouette-là est plus petite. Plus menue aussi. Féminine.

    Y a-t-il des robots femmes ? Lui a t’on dépêché une compagne mécanique plus apte à la diriger que Bob ?

    La démarche de ce qui n’est encore qu’une ombre au loin, est légère ! Elle n’a rien de la raideur d’un robot.

    Se pourrait-il que ce soit une femme, une vraie ? Par quel miracle un autre être humain, qui ne viendrait pas de Liberté, aurait-il été envoyé vers elle ? Une habitante libre de la Sphère ? Cela voudrait dire qu’elle n’en est plus très loin !

    Excitée, dévorée d’impatience et de curiosité, sans le moindre soupçon de crainte, elle hâte le pas, pressée elle ne sait pourquoi, de rejoindre celle qui approche.

    Au fur et à mesure que la distance entre elles s’amenuise, l’apparence de la personne se précise. Élisa n’ose en croire ses yeux ! La folie qui décidément, la menace depuis trop longtemps, vient de gagner du terrain !

    « Je touche vraiment le fond cette fois » Se dit-elle

    La femme, jeune, qui s’avance vers elle, ressemble à s’y méprendre à…Chloé

    Impossible lui crie son esprit en déroute ! Pourtant, ses yeux, eux, ne peuvent la tromper à ce point.

    «Ce n’est pas possible,  c’est une hallucination. Elle disparaîtra sitôt que je la toucherai » Ne cesse-t-elle de se répéter !

    « Chloé est morte. Tous les êtres qui m’étaient chers ont péri il y a plus de mille ans lors de la Grande Catastrophe qui a ravagé la Terre. Les habitants de la Sphère ne sont que les descendants de ceux qui furent alors choisis pour assurer la survie de l’espèce humaine. Ce que je crois être ma mémoire, n’est en réalité que celle, ancestrale, de l’Élisa qui est entrée dans la Sphère en ce temps-là ! »

    - Pauvre naïve qui récite bêtement sa leçon ! Lui susurre une petite voix fielleuse. C’est, ce que tu crois, ce que tu veux croire parce que ça t’arrange. Tu continues à refuser la vérité et ça va te tuer !

    Elle a presque couru pour franchir les derniers mètres qui la séparaient de l’apparition. Il ne peut s’agir que d’un fantôme. Ou d’une illusion née de son esprit malade. Se sentait-elle si seule qu’elle en soit venue à créer l’image si parfaite de son amie disparue ? Car c’est bien Chloé qui se tient en face d’elle ! En chair et en os ?

    Impossible !

    - Bonjour Élisa ! Prononce clairement la jolie bouche en cœur de l’apparition.

    - Tu n’es pas réelle !

    - Là n’est pas la question ! Tu as besoin d’aide je crois ! Je suis là pour te l’apporter !

    - Comment pourrais-tu m’aider ? Tu es morte il y a plus de mille ans !

    - Et alors ? L’amitié est immortelle, ne le sais-tu pas ?

    - Pitié ! Je suis en plein délire là ! Où sont les infirmiers qui vont me mettre la camisole de force ?

    - Tu ne délires pas ma cop’ ! Quand vas- tu enfin l’admettre ?

    - Je rêve alors !

    - Je ne peux rien te dire de plus. On y va ! Il faut que tu parviennes fissa à la Sphère, nous n’avons plus beaucoup de temps.

    Ah ! Cette façon bien à elle de dire les choses…

    - Qui ça nous ?

    - Toi, moi, les autres

    - Les autres ?

    - Oui, ils t’attendent ! Et ça urge, crois-moi, pour eux comme pour toi. Allez, on bouge ma cocotte

    Il n’y avait qu’elle pour lui parler comme ça ! C’est bien sa Chloé, son amie si brut de décoffrage !

    - Je..je peux te toucher ? Tu ne vas pas t’évaporer en fumée?

    - Fais toi plaise ma chérie, et après, on y go ! Le temps presse !

    Elle touche. Timidement. Les bras, les joues, les cheveux flamboyants… C’est à la fois doux et ferme, chaud, aussi vivant qu’il est possible de l'être. Inquiète de ne rien sentir, elle pose sa main juste sous la poitrine, au niveau du cœur…Ça pulse régulièrement. Poum, papoum ! Poum, papoum…

    Elle en pleurerait. Pourtant elle a encore le plus grand mal à croire à ce qu’elle voit, à ce qu’elle touche…

    - Bon, ça va, tu es satisfaite ? On peut y aller maintenant ? Ou on va être à la bourre ! TU vas être à la bourre !

     

     


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  • Sans Bob, les journées paraissent plus longues.

    Le temps ne s’écoule plus, il s’étire. Quand vient le soir, elle a la pesante sensation d’avoir enduré une double peine. Et ce monde désespérément vide l’angoisse au plus haut point. Elle irait même jusqu’à penser que depuis que le robot l’a lui aussi lâchement abandonnée, il est encore plus désert qu’avant. Mais peut-être n’est-ce qu’une illusion née de son extrême fatigue. Elle ne s’est pas vraiment remise de son intoxication alimentaire. Du coup, elle ne mange pas comme elle le devrait ! D’autant plus qu’elle n’a pas recouvré assez de force ni d’envie, pour chasser du petit gibier comme le faisait Bob. Pas d’avantage qu’elle n’a le courage de pêcher. Quant aux multiples sortes de baies qui garnissent les buissons, depuis qu’elle a été malade, elles ne l’attirent plus du tout. Et il y a trop de fruits qu’elle ne connaît pas ! Alors c’est du bout des dents, l’appétit ne revenant pas, qu’elle picore, piochant avec parcimonie dans ses rations de survie qui s’épuisent autant qu’elle.

    Indifférente à tout ce qui n’est pas le sentier devant elle, elle marche d’une façon presque aussi mécanique que le robot. Á cela près que lui au moins, de son pas égal et infatigable de machine, avançait vite et régulièrement.

    Elle traîne !

    Chaque refuge lui semble plus loin que le précédent.

    La Sphère également, paraît s’éloigner au fur et à mesure qu’elle progresse au sein de ce paysage uniformément morne et vide. Il arrive même qu’elle la perde totalement de vue des heures durant !

    Comble de malchance, elle pourrait tout aussi bien marcher les yeux fermés à présent, vu qu’elle a perdu sa précieuse carte, elle ne sait plus où.

    Qu’importe ! Elle continue à mettre un pied devant l’autre, accrochée à la longe de Weena qui la tire patiemment, ne s’arrêtant que pour brouter l‘herbe au bord du chemin.

    Élisa profite des pauses de la jument, pour croquer un morceau de viande séchée, ou une des pilules nutritives que Bob lui a laissées, boire quelques gorgées d’eau, masser ses membres endoloris. C’est au cours de ces instants de repos, que les derniers mots du robot, lui martèlent le crâne : « C’est pourtant là que tu retournes ! C’est là que tu dois absolument revenir ! C’est de là dont tu… »

    Qu’allait-il ajouter avant d’être stoppé net par elle ne sait quelle volonté puissante  émanant de la Sphère. Parce qu’à ce moment précis, elle en a la ferme conviction, « On » l’a empêché d’en dire plus. Puis on l’a rappelé et on l’a probablement puni d’avoir failli désobéir aux ordres, de la seule façon que connaissent ces gens-là. Á  l’heure qu’il est, elle en est sûre, le pauvre Bob doté de bien trop d’humanité, est désactivé !

    «…C’est de là dont tu… » Quoi ?

    Elle a beau chercher, aucune suite logique ne vient combler la phrase inachevée.

    Depuis que le robot l’a laissée seule sans préavis, elle marche jusqu’à épuisement total.

    Trois jours qu’il a disparu. Trois jours qu’elle aligne les kilomètres en évitant de s’arrêter, ne fût-ce qu’une seconde sur les innombrables questions qui se bousculent dans sa tête dès qu’elle n’y prend pas garde. Elle se contente de suivre les sentiers balisés par … Par qui ? Tout lui échappe !

    Lorsqu’elle arrive au refuge, elle s’occupe de la jument, fait une toilette sommaire, grignote juste ce qu’il faut pour subsister, puis elle s’écroule sur la première couchette à sa portée et s’enfonce aussitôt dans un sommeil lourd, profond, sans le moindre rêve.

     

    Aujourd’hui, c’est son quatrième jour de solitude. Elle a marché plus encore que d’habitude. Il faisait déjà nuit lorsqu’elle a atteint la cabane blottie entre les arbres en haut d’un promontoire rocheux.

    C’est de loin la pire journée qu’elle ait eu à endurer depuis qu’elle a fui Liberté. Non seulement il n’a cessé de pleuvoir depuis l’aube, mais en plus, Weena elle aussi l’a abandonnée.

    C’était pendant la courte pause qu’elle s’était octroyée pour enfiler le long manteau à capuche censé la protéger de la pluie, avant de prendre son léger repas de midi. Elle avait donc détaché la jument afin qu’elle puisse brouter librement et boire tout son soûl à la rivière qui longeait le sentier. Elle était si fatiguée qu’elle s’était assoupie à l’abri du haut rocher saillant où elle s’était assise pour manger. Lorsqu’elle s’était réveillée en sursaut, comme mue par un affreux pressentiment, Weena avait disparu !

    Elle avait eu beau l’appeler et la siffler comme le lui avait appris Jonathan, la jument n’avait pas répondu !

    La chercher ? Mais où la chercher par ce temps ? C’était inutile, elle le savait ! Les jours raccourcissaient, elle l’avait bien remarqué. L’automne était proche ! Elle ne pouvait se permettre de ralentir.

    Quelques minutes…Juste quelques minutes pour verser toutes les larmes de son corps. Evacuer ainsi, le désespoir qui menaçait de l’engloutir définitivement. C’est ce qu’elle s’était accordé sous le maigre abri du rocher. Puis, tandis que la pluie redoublait, comme pour la narguer, elle avait bourré son sac à dos de tout ce dont elle pensait avoir besoin pour la fin de son périple et avait repris la route d’un pas aussi lourd que l’était son cœur.

    Elle ne devait plus être très loin de la Sphère à présent. L’immense et haute masse du dôme terni par les siècles ne disparaissait plus de son champ de vision.

    Trempée jusqu’aux os, transie de froid, plus seule et désespérée que jamais, elle n’a même plus la force de pleurer. Ni de manger d’ailleurs ! Elle n’a qu’une envie, s’allonger sur la première couchette venue et dormir.

    Dormir, dormir, dormir… Ne plus se réveiller. Ne plus lutter pour atteindre le but qu’elle s’est fixé.

    Quel but ? Pourquoi se donne-t-elle tant de mal ?

    Elle ne sait plus ! Tout se dilue dans sa tête lasse. Les rêves, la réalité, le passé, le présent, le futur, ses souvenirs…

    Au loin, l’orage gronde. L’air est si lourd, si poisseux qu’elle se déshabille avant de s’allonger, nue sur l’étroite couchette près de la porte qu’elle a laissée grand ouverte. Qu’importe ! Elle ne risque rien après tout ! N’est-elle pas l’unique être humain errant sur cette terre de désolation ? Le seul être vivant même !

    Weena est partie ! Elle en vient à se demander si la jument n’est pas que le fruit de son imagination, comme tout le reste. Un rêve de plus qui s’est dissout dans les brumes de son cerveau, où si faiblement désormais, ne s’agitent plus que des ombres informes, indéfinies… Mourantes !

     

    … Réveille-toi ma chérie ! Il est l’heure »

    « Allez, bouge tes jolies fesses grosse paresseuse, tu vas être en retard. »

    « Ouvre les yeux mon amour, Jacob a faim ! Je peux le bercer, pas le nourrir à ta place ma douce ! »

    « Élisa7 ! Élisa7 ! Rendez-vous immédiatement au Centre de Contrôle »

    « Nous sommes en train de la perdre !   II faut faire quelque chose ! »

    « Nous sommes impuissants ! Ils interfèrent ! »

    « Réveille-toi petite Ehi-Shah, ton chasseur est revenu ! »

    « Tu ne crains plus rien Ehi Shah, je suis là ! »

    « Tu perds ton temps avec elle Jon’, elle ne sortira jamais du coma ! »

    « Elle rêve Khaled ! Elle finira par se réveiller ! »

    « C’est toi qui rêve mon ami ! Nous ne pouvons plus attendre, nous devons partir ! »

    « Pas sans elle »

    « Ben alors sœurette ! Tu vas encore longtemps faire ta marmotte ? Allez hop, debout ! »

    « Réveillez-vous damoiselle Élisa ! Vous ne pouvez mourir maintenant ! Je vous en prie, ouvrez les yeux ! Mon cœur vous appartient, je ne puis vous perdre après vous avoir sauvée ! »

    « Maman ? Chloé ? Martha ? Patrick ? Jonathan ? Où êtes-vous ? Ne me laissez pas seule, je vous en prie ! »

    « Ils-Ne-Peuvent-Plus-Rien-Pour-Toi »

    « Bob ? Où es-tu ? Pourquoi m’as-tu abandonnée toi aussi ? »

    « Je-Ne-Peux-Plus-Rien-Pour-Toi »

    « POURQUOI ? »

    « RÉVEILLE-TOI ÉLISA ! »

    Toutes ces voix dans sa tête, qui hurlent des mots qu’elle ne comprend pas. Toutes ces voix perdues qui lui déchirent le cœur et les tympans… Elle ne veut plus les entendre.

    « Nous allons la perdre ! »

    « N’y a-t-il vraiment rien à faire ?

    « Rien ! Hélas ! Résigne-toi Jonathan ! »

    « NON ! Élisa mon amour, je t’en conjure, RÉVEILLE-TOI! »

     

    Nauséeuse, les tempes serrées dans un étau de migraine, frigorifiée par l’espèce de sueur aigre qui la baigne des pieds à la tête, elle se réveille et sort en tremblant de ce rêve étrange où elle était seule, enveloppée, emprisonnée plutôt, dans une espèce de cocon cotonneux au cœur duquel elle dormait profondément.

    Elle dormait et pourtant, elle entendait des voix, plein de voix. Trop de voix !

    La dernière qu’elle ait perçue juste avant de s’enfuir de cet horrible cauchemar, répétait résignée : « Nous allons la perdre ! » Puis quelqu’un hurlait un  « NON ! » désespéré.

    Elle ne rêvait plus depuis le départ de Bob et ça lui manquait terriblement en fait ! Mais si tous ses songes à venir doivent être aussi angoissants que celui-ci, elle préfère largement ne plus y être confrontée !

    Les mots que prononçait la voix inconnue juste avant son réveil tournent sans fin dans son crâne douloureux : « Nous allons la perdre »

    Mais ce qui la fait le plus souffrir, c’est ce NON tellement empreint de désespoir qu’elle en pleure malgré elle. Parce que c’est la voix de Jonathan qui le criait !

    D’un seul coup, tout lui revient de lui ! Tout ce qu’elle a oublié depuis quelque temps. Ou plutôt, elle le comprend à présent, tout ce qu’elle a volontairement chassé de sa mémoire. Á moins que là encore, elle ne se trompe totalement et que ce soit Jonathan lui-même qui ait décidé de fuir ses rêves et ses souvenirs !

    Mais pourquoi ?

    - Je suis réveillée Jonathan ! J’arrive ! Hurle-t-elle à travers les rafales de vent chargées de pluie qui pénètrent dans le refuge par la porte béante !

    « Cesse de te mentir Élisa » Semble lui répondre la voix tant aimée de l’absent.

     

     


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  • -Tu te souviens. Articule la voix posée et métallique de Bob.

    Ce n’est pas une question.

    Elle se sent encore si faible et nauséeuse qu’elle n’a pas la force de lui répondre.

    Elle est désespérée. Ce n’était qu’un rêve, une fois encore ! Mais tout n’est-il pas qu’un rêve permanent dans sa vie ?

    Oui, elle se souvient de Jonathan. Le Jonathan de tous ses songes qui l’a abandonnée lâchement dans celui-ci. L’homme mystérieux à plus d’un titre pour lequel elle a entrepris ce long et périlleux voyage à seule fin de le retrouver.

    Comment a-t-elle pu l’oublier ?

    - Pourquoi avais-je oublié Jonathan, Bob ?

    - Parce que c’était nécessaire au processus.

    - Quel processus ?

    - Le retour de tes souvenirs. L’oublier t’oblige à aller le chercher dans les méandres de ta mémoire et avec lui, tout ce qu’elle a oblitéré.

    Oublier pour se souvenir ! Quel drôle de paradoxe ! Elle en accepte pourtant l’idée sans sourciller.

    Elle sait que Bob a raison. Quelque part dans les tréfonds de cette foutue mémoire rétive où tout s’embrouille, un voile commence à peine à se déchirer.

    - C’est encore tellement flou dans ma tête, avoue-t-elle.

    - Raconte-moi ton rêve.

    Obéissante et sage comme l’élève qu’elle a peut-être été dans une autre vie, elle raconte. Il l’écoute un long moment sans l’interrompre, jusqu’au moment où elle s’apprête à quitter St-Cirq avec Jonathan.

    - Tu es donc partie avec lui.

    - Oui, sans bagages, comme il me l’a demandé. « Tout ce dont tu auras besoin, te sera fourni sur place. »  m’a-t-il précisé.

    - Comment s’est passé la séparation avec ta mère ?

    - Plutôt bien vu les circonstances ! Je partais du jour au lendemain avec un inconnu et elle n’avait pas l’air surprise.

    - Explique.

    - On aurait dit qu’elle savait !

    - Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

    - Elle m’annonce un inconnu, se demande pourquoi il vient et la semaine qui suit, elle me laisse partir avec lui sans demander la moindre explication sur ce départ précipité, ni sur le temps que durera mon absence. Pas plus que sur le lieu où il m’emmène. Étrange non ?

    - On peut dire ça. Continue.

    - Elle m’a serrée très fort dans ses bras. Elle m’a dit qu’elle m’aimait. Elle m’a aussi demandé de ne pas les oublier, elle et mon frère. J’ai promis bien sûr. Tout… tout ça sonnait comme un adieu… J’avais envie de pleurer. Je le lui ai dit. Je m’entends encore la rassurer : « Eh je ne pars pas pour toujours maman ! »

    - Et…

    - Elle n’a pas répondu. Elle m’a juste serrée une fois encore dans ses bras, m’a redit qu’elle m’aimait et qu’elle serait toujours là pour moi. Puis elle m’a lâchée. «  Il faut y aller maintenant ma fille chérie ! » Ont été ses derniers mots pour moi.

    Jonathan a dit qu’effectivement, il était temps de partir. Il a ajouté à l’intention de ma mère un « Merci madame ! D’un ton grave. « Prenez soin d’elle ! » A-t-elle dit. Elle semblait triste. Je ne comprenais pas pourquoi…J’ai senti les larmes monter malgré moi. Je n’ai pas eu le temps de lui répondre qu’elle ne devait pas s’en faire, que je reviendrais et que nous fêterions ensemble mon retour. Déjà la voiture s’éloignait… Ce qui m’a le plus frappée, c’est que maman n’est pas restée pour me faire un dernier signe. Quand je me suis retournée pour lui en faire un de mon côté, elle n’était plus là.

    Á cette évocation, son cœur se serre

    - Que s’est-il passé ensuite, questionne Bob en apparence imperméable à ses états d’âme. De quoi te rappelles-tu ?

    - C’est bien là le problème ! Après ça tout est flou ! Le voyage, le lieu où nous nous rendions, l’arrivée. Je ne me rappelle que des bribes sans queue ni tête !

    - Essaie tout de même !

    - Euh… L’hôtel où nous nous sommes arrêtés pour la nuit et où…

    - J’ai compris. Abrège !

    - Les heures de route sans un mot… Ça, je me rappelle ! Après ce qu’on avait vécu ensemble, c’était bizarre ! Comme s’il avait regretté ce qui s’était passé entre nous

    - C’était probablement le cas.

    - Et pourquoi donc ?

    - Il n’était pas censé entamer la moindre relation avec un sujet de l’expérience.

    - Qu’est-ce que tu en sais toi ?

    - Le règlement Élisa !

    - C’était  déjà trop tard de toute façon ! Le coup de foudre, tu ne connais pas toi, évidemment !

    - Je sais que ça existe entre les humains mais ça n’aurait jamais dû arriver entre vous ! Et ensuite ?

    - Au cours d’une étape, je ne sais plus où, il a reçu un coup de fil. Il avait l’air en colère, très énervé.

    - Sais-tu pourquoi ?

    - Il s’agissait de moi, je crois !

    - Qu’est-ce qui te donne à penser que son interlocuteur et lui parlaient de toi ?

    - Jonathan n’arrêtait pas de regarder vers moi et le ton montait, montait….Il s’est éloigné … Sûrement pour que je n’entende pas ce qu’il disait à l’autre. Il tournait en rond comme un lion dans sa cage. Au bout d’un moment, il a quand même fini par se calmer. Je l’ai alors entendu clairement répondre à son correspondant…

    - Que lui a-t-il dit ?

    -Je me souviens très bien de ça. Il a dit : « Je la ramène chez elle illico, si tu veux ! » Et il avait l’air tellement triste et désespéré en prononçant ces mots ! Puis il a ajouté : « Ok ! On règlera le problème à notre arrivée ! » Le problème, c’était moi et les sentiments qu’il éprouvait pour moi, ça, je l’ai très bien compris ! Tout comme j’ai parfaitement compris que la façon dont il allait devoir régler le problème, ne le rendait manifestement pas heureux. Nous sommes repartis sans qu’il daigne me donner la plus petite explication.

    - Et après ça ?

    - Je me suis endormie. Puis c’est le trou noir

    - Tu résistes encore !

    - Comment ça je résiste ! Je n’y peux rien moi, si mon rêve s’arrête net après ça !

    - Je t’assure que tout vient de toi ! Tu bloques tes souvenirs avec une incroyable détermination ! Il faut impérativement que tu trouves ce qui t’empêche d’aller au bout Élisa !

    - Pourquoi ?

    - Si tu ne le fais pas, tu mourras !

    - Tu y vas un peu fort là !

    - Je ne sais pas ce que veut dire « Y aller fort ». J’énonce uniquement un fait irréfutable Élisa ! Tu dois me croire et plonger plus loin ! C’est seulement de cette façon que tu pourras revenir. Ta vie en dépend. Vraiment.

    - Revenir ? Plonger plus loin ? Revenir d’où, plonger où ? ! Je ne comprends rien. Tu ne fais que parler par énigmes ! Tu ne pourrais pas t’expliquer clairement pour une fois ?

    - Je n’en ai pas le droit !

    - C’est facile ça ! Je suis fatiguée, fichu robot de malheur ! Si tu ne peux m’en dire plus, tu ne me sers à rien ! Laisse-moi ! J’ai besoin de dormir !

    - Je n’ai pas le droit !

    - De quoi ? De parler ? De partir ?

    - Les deux.

    - Sors au moins d’ici ! Va t’occuper de Weena ! Ou n’importe quoi d’autre du moment que tu me laisses tranquille.

    - Une dernière question Élisa. Sais-tu où Jonathan te conduisait ?

    - Là où était censé se dérouler l’expérience.

    - Où était-ce ?

    -Je…Il ne m’a pas dit.

    - Il te l’a dit Élisa. Il te l’a même décrit ce lieu en détail. Tu sais où se trouve l’Arche !

    - Non ! Vas-t-en !

    - C’est pourtant là que tu retournes ! C’est là que tu dois absolument revenir ! C’est de là dont tu…

    Il se bloque soudain, comme pétrifié sur place. Puis il se remet en marche et d’un pas saccadé qu’elle ne lui connaissait pas, il sort de la cabane.

    Épuisée par des restes de nausée et de crampes d’estomac, tout autant que par le fait d’avoir dû revivre son rêve par le menu, en le racontant à Bob, elle finit par se rendormir d’un sommeil lourd et totalement vide, sans avoir revu le robot.

    Ce sont les piaffements d’impatience de sa jument qui finissent par l’extirper de l’épaisse torpeur dans laquelle elle a sombré. Le soleil est levé depuis longtemps. Elle a beaucoup dormi. Aucune trace de Bob dans la cabane. Il est vrai qu’il n’a pas besoin de dormir, lui ! Il doit être en train de se recharger dehors. Il avait l’air considérablement à plat lorsqu’il est sorti la veille.

    Ou l’a-t-il prise au mot, l’abandonnant à son sort ? Impossible ! « Je n’ai pas le droit ! » l’entend-elle encore prononcer.

    Pourtant, les hennissements de plus en plus désespérés de la jument prouvent qu’elle n’a pas reçu les soins habituels que le « robhomme » à tout faire, lui prodigue chaque jour depuis qu’il fait route avec elle.

    Bon sang ! S’il n’est plus là pour la guider et titiller sa mémoire, elle va se perdre parce qu’elle peine à se souvenir où elle va ! La seule chose qui lui soit revenue depuis le fameux rêve qu’elle lui a raconté, c’est qu’elle est censée rejoindre Jonathan. Ce qui risque de ne jamais arriver si Bob est parti pour de bon !

    Elle secoue son corps endolori et sa tête cotonneuse. Il faut qu’elle se lève pour en avoir le cœur net. Elle pose les pieds par terre puis se redresse à grand peine. Son estomac proteste. Ses jambes flageolent mais elle parvient à se mettre debout. Des vêtements propres sont posés sur la chaise près de son lit. Elle s’habille lentement, guettant le moindre bruit venant de l’extérieur. Seule Weena continue à manifester son impatience avec force renâclements et coups de sabots furieux sur le sol.

    « Bob ! Où es-tu sacré robot ? » Peste-t-elle intérieurement.

    Elle sort enfin. Le soleil déjà haut l’éblouit ! Combien de temps a-t-elle dormi ? Elle regarde autour d’elle, terriblement inquiète. Pas de Bob à l’horizon ! Elle se dirige vers le petit appentis où la jument à l’attache, hennit à qui mieux mieux !

    Pas besoin d’appeler Bob ! Elle sait qu’il est parti.

    Le lâche ! Il a fui !

    Mais non ! Ce n’est qu’une machine aux ordres ! S’il n’est plus là c’est qu’Ils l’ont rappelé.

    «Mais pourquoi ? » Se demande-t-elle en caressant machinalement l’encolure de Weena qui s’est instantanément calmée à son approche.

    Elle va bien. Bob s’est aussi parfaitement occupé de la monture que de sa maîtresse. La brave bête est en pleine forme en fait ! Mais habituée au robot, elle ne faisait que montrer son inquiétude en son absence.

    Pourquoi l’a-t-on privée de son guide et de son protecteur, se demande-t-elle une fois de plus. Que va-t-elle devenir ?

    La carte ! Avec la carte qu’elle a dessinée et qu’il a complétée, elle retrouvera son chemin vers ce lieu où l’attend Jonathan. « Ils » ne gagneront pas ! Avec ou sans Bob, elle y parviendra !

    « C’est ça ! Bats-toi Élisa ! Tu vas y arriver ! » Croit-elle entendre dans sa tête. Et elle ne sait si c’est la voix de Bob, ou celle de Jonathan.

     

     


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