• Dimanche 4 mars 2059

     

    Hawk était dans un train. Grimé, méconnaissable, des lentilles marron cachaient ses prunelles azur. Une légère voussure dorsale le faisait paraître plus petit. Un teint plus clair et des cheveux châtains parachevaient la transformation, le rendant commun, presque falot même, comparé à ces géants à la peau cuivrée, à la chevelure d’ébène et aux yeux d’un bleu surnaturel que recherchaient toutes les forces gops de la planète. Il était donc anonyme parmi les autres voyageurs anonymes dont beaucoup étaient de ses semblables qui avaient adopté les mêmes subterfuges que lui afin de passer inaperçus. Jusqu’à leurs cartes d’identité électroniques qui étaient fausses mais parfaitement imitées et dûment validées par de hauts fonctionnaires faisant partie de leurs alliés.

    Ils évitaient le plus souvent les autostrades où la surveillance accrue était de rigueur bien avant que la chasse anti mutants n’ait été déclarée ouverte. Les contrôles s’y étaient multipliés. Ils s’étendaient désormais des grands axes aux routes secondaires Des barrages étaient installés très rapidement, sitôt qu’un véhicule suspect était signalé, le plus souvent sur simple dénonciation. Les interpellations arbitraires faisaient rage. Ceux qui en faisaient généralement les frais étaient des gens innocents. On arrêtait n’importe qui, n’importe quand, sous les prétextes les plus variés. S’ensuivaient, fouille des véhicules, interrogatoires longs et virulents allant jusqu’à des passages à tabac totalement injustifiés.

    Mais la raison essentielle qui leur faisait éviter les routes, c’était qu’obligés de vivre dans l’ombre, les Mus n’avaient pas de véhicules personnels. Ils ne le pouvaient pas ! La loi imposait que chaque voiture soit directement reliée au poste de surveillance du CDC (Center of Driving Control) qui non seulement attribuait les BACI (Brevet d’Aptitude à la Conduite Internationale) mais encore possédait toutes les données concernant chaque conducteur à travers le monde. Une surveillance très pointue, justifiée par les mesures anti pollution qui avait fortement restreint le parc automobile mondial et, par extension, le nombre de permis validés, donc de conducteurs. Ces restrictions servaient à présent fort à propos ceux qui les pourchassaient. Il leur aurait fallu un nombre très élevé de chauffeurs parmi les Élus ou encore parmi leurs amis « normaux » pour ce déplacement en masse, ce qui aurait multiplié d’autant les risques encourus.

    Les gops étaient sur les dents, prêts à tout pour arrêter un mutant ou un complice de ces salauds d’anormaux. Ils étaient même prêts à inventer des preuves pour avoir un beau suspect à présenter à ceux qui s’impatientaient. Il fallait donner du grain à moudre à leurs chefs qui râlaient de n’avoir rien à offrir à leurs supérieurs, eux-mêmes fortement énervés de ne pouvoir satisfaire aux demandes réitérées de pontes encore plus haut placés : arrêter un membre de la secte maudite quel qu’en soit le prix, en utilisant tous les moyens, même les plus coercitifs. Or, Dieu seul sait pourquoi, les contrôles dans les trains étaient assez limités. Savait-on en haut lieu, que les mutants pris séparément ou en petits groupes de deux ou trois, étaient beaucoup moins dangereux ? Que leur véritable pouvoir résidait dans l’union ?

    Un pouvoir encore très méconnu, qui faisait peur, surtout depuis la suicidaire intervention de l’un des leurs lors du procès de Mary-Anne Conroy-Defrance.

    Oui, le train était idéal pour les Mus qui pouvaient y voyager ensemble et en plus grand nombre disposant de cette façon d’un plus grand pouvoir en cas de danger. De surcroît, la toute puissante SNCM n’aurait pas apprécié une armada de gops armés jusqu’aux dents ! Un tel déploiement de force n’aurait pas fait bon effet dans un train.. Voilà pourquoi, entre autres solutions dont le bateau, Hawk et la plupart des membres de la Roue avaient choisi ce moyen de locomotion pour se rendre à leur cinquième Rassemblement. Confortablement installé, le casque audio sur les oreilles et faisant mine d’être absorbé par les images qui défilaient sur le mini télécran incorporé au dos du siège qui était devant lui, le leader tant recherché de la Roue pouvait se laisser aller aux pensées qui le tourmentaient. Pendant ce temps, ses amis eux, concentraient leur attention sur les autres voyageurs, sondant les esprits afin d’y déceler la plus petite ombre de suspicion à leur encontre, ou cherchant à repérer l’éventuelle présence de gops en civil dans le convoi.

    Depuis El Oued, ses enfants l’appelaient presque chaque nuit. Le jour aussi parfois, lorsqu’il permettait à son attention de tous les instants de se relâcher un peu. Un appel, c’était ainsi qu’il ressentait, tripes nouées et cœur battant, les signaux ténus qu’il captait lorsque le silence de la nuit recouvrait toute chose. Même infime, c’était dans ces moments de calme, quand toutes les tensions de la journée se dissolvaient, qu’il entendait le plus clairement cet appel. Un SOS lancé par deux minuscules balises à travers l’espace. Ses enfants ! Grâce à eux, il percevait de nouveau l’aura de Mary, sombre et fragile lueur tenacement entretenue par les jumeaux dans le trou noir qu’était devenu l’esprit de leur mère. C’était comme une flamme vacillante qui menaçait de s’éteindre à chaque instant.

    En comptant sa détention provisoire, voilà presque six mois qu’elle était enfermée. Bientôt sept qu’elle était enceinte ! Il imaginait sans peine son ventre alourdi. Il se souvenait avec une diabolique précision de sa douceur satinée sous ses lèvres et sous ses mains… Qu’en était-il à présent de ses formes généreuses ? Que restait-il de sa radieuse beauté ? On l’avait rasée, dépouillée de sa dignité, de son humanité. Elle devait souffrir du confinement, du manque de soin, de malnutrition et ses petits, parce que la nature le voulait ainsi, pompaient leur quote-part de ce peu qu’on devait lui accorder pour sa subsistance !

    Ô oui, il la revoyait belle, épanouie, pleine de vie ! Mais il n’osait l’imaginer telle que la lobotomie et six mois de régime QHI l’avaient rendue. Il n’osait penser à ce que ses geôliers allaient lui faire lorsqu’elle aurait accouché. S’ils la laissaient accoucher !

    Les noms des jumeaux s’étaient imposés à lui avec force, comme si les bébés eux-mêmes les lui avaient soufflés : Océane pour sa fille, Petit Faucon pour son fils. C’est donc ainsi qu’il les appelait chaque jour, leur lançant chaque fois le même vibrant message, sûr qu’ils le recevaient puisqu’ils étaient capables d’émettre. « Tenez bon mes petits ! » Les suppliait-il car il sentait qu’en dépit de ses constants encouragements, leurs deux petites lumières en même temps que celle plus fragile encore de leur mère, s’atténuaient dangereusement. La preuve, ils émettaient de plus en plus faiblement.

    D’autres pourtant se joignaient à lui aussi régulièrement que le leur permettaient leurs incessants déplacements, pour soutenir ces deux petits êtres qu’un destin cruel allait peut-être empêcher de naître. Félie tout d’abord que l’annonce de leur existence avait décidée à rejoindre son beau fils, faisant fi de son immense lassitude.

    L’absence de Mary la minait terriblement et elle avait envie de partager avec celui qui l’aimait le plus en dehors d’elle, l’espoir tenace qu’elle entretenait de retrouver sa fille et de voir venir au monde ses petits-enfants. Brave Hawk était là lui aussi pour épauler son fils dans l’épreuve qu’il traversait. Blue Moon, elle, était restée dans la tribu de son mari où elle faisait fonction de médecine-woman et d’accoucheuse mais, « je suis avec vous par l’esprit » disait-elle. Il y avait enfin ceux de ses fidèles qui l’accompagnaient partout depuis sa première rencontre avec Mary sur la falaise bretonne : Fleur de Lune sa sœur jumelle, Loup, Jeronimo, Déborah et Vent d’été.

    Fleur de Lune était accompagnée de Lazaro qu’elle avait épousé juste une semaine avant leur départ pour ce cinquième Rassemblement. Quant à Loup il était positivement couvé par Jézabel qui refusait de le quitter d’une semelle. Une Jézabel dont les facultés paranormales s’affirmaient en même temps que son ventre s’arrondissait

    À ce petit groupe fortement soudé par le souvenir de la « Sirène » comme ils l’appelaient entre eux, s’adjoignaient aussi souvent que possible, Brise et Nuage avec leur petit Patrick qui grandissait et ne tarderait pas à avoir une petite sœur ainsi que Jean-Hubert chaque fois que sa profession d’architecte lui en laissait le loisir, comme c’était le cas pour ce voyage. Hawk le comptait désormais pour l’un de ses meilleurs amis.

    Lorsqu’ils se réunissaient, formant le cercle rituel leur pouvoir télépathique se trouvait amplifié par les sentiments très forts qu’ils portaient à l’absente, alors ils émettaient vers cette source indéfinie d’où provenaient les signaux des jumeaux, donnant ainsi à Hawk la possibilité de les capter un peu plus clairement. Mais l’espèce de bip bip qui leur parvenait ne leur permettait encore aucune localisation précise. L’émission était confuse.

    Hawk savait que cette mauvaise perception ne pouvait être que l’effet des antennes de brouillage dont lui avait parlé Adam. Cependant une certitude s’ancrait en lui sans qu’il sache d’où elle lui venait : bientôt, il saurait où était Mary.

    Bientôt ! En attendant, il avait demandé aux membres de la Roue et à ses proches, de feindre la plus totale indifférence lorsqu’était mentionnée Mary-Anne Conroy-Defrance, même en présence de normaux fraîchement ralliés. Nul ne devait se douter qu’elle avait, effectivement pour leur mouvement, l’importance que son procès avait voulu donner à penser au public. Ils ne devaient montrer aucune tristesse, lorsque quelqu’un évoquait sa mort probable, aucune colère si l’on faisait état de l’iniquité flagrante de son procès. Ils ne devaient même pas laisser voir la légitime admiration que son plaidoyer avait suscitée.

    « Bien sûr, elle avait été formidable mais enfin, ils ne comprenaient pas le battage énorme qu’on avait fait autour de cette femme qu’ils ne connaissaient pas ! »

    Ils devaient même s’interdire de prononcer son nom devant quiconque n’avait pas fait la preuve formelle de son profond et durable attachement à la cause des Mutants. Nul traître potentiel ne devait soupçonner qu’ils la recherchaient activement. Nulle oreille indiscrète ne devait apprendre, même par hasard, qu’elle était Devenue Mary-Anne-Bluestone, épouse du leader de leur mouvement. Un leader dont au demeurant ils ne pouvaient dévoiler l’identité qu’à des ralliés fiables à cent pour cent. L’éventualité qu’un espion à la solde du Gouvernement Unique ait pu les infiltrer était plus que faible mais ils ne voulaient pas courir le moindre risque que Solomon Mitchell recommence à s’intéresser de trop près à la recluse à vie. Il fallait que l’âme damnée de la Maison Blanche finisse par croire que Mary-Anne Conroy-Defrance n’intéressait plus personne et que son sort laissait les mutants et leur chef indifférents.

    Il fallait qu’il se dise qu’en somme, il avait fait un mauvais calcul en la faisant arrêter et interner. Jusqu’à présent et selon les informations fournies par Adam, ce stratagème semblait fonctionner.

    Si dans les premiers temps qui avaient suivi son arrestation puis son procès et son incarcération, Solomon avait bien pensé à se servir de la jeune infirmière comme appât au vu des aveux-même de sa meilleure amie concernant ses relations avec les mutants, il avait rapidement abandonné cette idée. Un seul avait tenté de la sauver et s’était suicidé avant qu’on ait pu l’interroger sur ses amis.

    Son amant sans doute. Un fou qui ne pouvait être le meneur de cette bande de dégénérés !

    Son autopsie n’avait rien révélé sur le poison qu’il avait utilisé et son cerveau en bouillie n’avait hélas pas pu être analysé ! Il faisait toujours surveiller Surprise Andrevski, la femme qui s’était rétractée après avoir dénoncé sa meilleure amie. Il surveillait également le mari et son copain architecte qui avaient élevé la voix pendant le procès. Ce dernier bougeait tout le temps et on ne savait jamais ni quand ni où il allait partir ni quand il allait réapparaître. En dehors de ses chantiers, il menait une vie de patachon : alcool, sexe et même drogue selon ses informateurs mais à l’évidence, aucun lien avec les mutants. Et s’il avait toujours défendu la femme c’était uniquement parce qu’il avait failli se marier avec elle. Il en avait été follement épris avant d’apprendre ce qu’elle était réellement ! Un fiancé bafoué, voilà ce qu’il était affirmait-il et il paraissait être de bonne foi. Donc rien à attendre de ce côté.

    Rien de suspect non plus pour l’instant dans le comportement irréprochable des époux Andrevski. Lui, continuait à exercer avec un talent reconnu bien au-delà des frontières françaises, sa profession de chirurgien, partagé entre son service à Hippocrate et ses nombreuses conférences dans le monde. Elle, avait cessé de travailler à la naissance de sa fille dont la fragilité nécessitait sa présence constante.

    La thérapsy et la mère de la criminelle avaient toutes deux disparu de la circulation sans laisser la moindre trace, ce qui en faisait des coupables présumées activement recherchées au même titre que les mutants.

    Faute de résultats probants avec sa « chèvre », il avait fini par oublier jusqu’à ce numéro de matricule qu’on lui avait tatoué sur le front. Même jusqu’à son dossier dont il possédait la carte à puce originale dans le coffre personnel de son bunker. Quelle pourrisse dans son trou ! Elle était au moins coupable d’anormalité et à ce titre méritait amplement le sort que la justice lui avait réservé. Il se consacrait donc pleinement à sa marotte première : réussir par tous les moyens à capturer ne serait-ce qu’un mutant. L’analyse de son précieux cerveau lui donnerait toutes les informations dont il avait besoin pour mettre enfin la main sur le chef de la secte maudite. En le tenant lui, il les détruirait tous !

    Selon Adam, telles étaient les visées actuelles de Solomon.

    Tout à ses réflexions, Hawk avait fini par s’endormir, bercé par le staccato des roues sur les rails. Sur le coup de 6h, il se réveilla soudain, plié en deux par une douleur intense à l’abdomen. Il avait l’impression qu’on lui arrachait les tripes. Tenaillé par la souffrance, il en avait le souffle coupé. Sa voisine qui n’était autre que Félie, elle aussi grimée et méconnaissable, sortit brutalement de sa somnolence agitée. Elle le regarda, inquiète de sa pâleur :

    - Ça ne va pas mon petit ?

    - On dirait que je viens d’être roué de coups de pieds dans le ventre et…

    Il ne put terminer. Une nouvelle vague de douleur le submergeait tandis que l’intolérable vérité s’imposait à lui, rendant la souffrance qui l’assaillait plus intense encore.

    - C’est Mary… C’est ma femme qu’on frappe… Hoqueta-t-il en vomissant un flot de bile.

    - Oh mon Dieu ! Gémit Félie devenue aussi blanche que de la craie.

    Hawk s’était rabattu contre le dossier. Il n’entendait plus sa compagne. Il ne la sentit pas lui essuyer la bouche. Perdu dans une espèce de transe, les yeux vitreux, il voyait sa femme, son amour et son cœur saignait.

    Il la voyait prostrée, gémissante sur le sol humide d’un lieu sombre et glacial. Il la voyait tentant de protéger ses petits de ses deux mains croisées sur son ventre nu tandis qu’on la tabassait en s’esclaffant. Il entendait les ricanements lubriques de ceux qui la violaient à tour de rôle…

    Il entrevit un bref instant la monstrueuse araignée au visage de femme, au centre de sa toile gluante, qui riait plus fort que les autres en regardant le spectacle de Mary, torturée et violée…Il ne put retenir un cri de rage et de désespoir qui fit se retourner sur lui des voyageurs assoupis.

    - Calme toi mon petit ! Lui murmura Félie en l’entourant de ses bras. Puis plus haut à l’adresse de ceux qui regardaient vers eux :

    - Il a fait un cauchemar, il vient de perdre sa femme. Un stupide accident de montagne. Excusez- nous !

    Les quelques curieux que le cri de Hawk avait réveillés, marmonnèrent un vague « condoléances ! » avant de replonger dans leur douce quiétude. Hawk ne se rendait pas compte que les larmes coulaient sur ses joues.

    - Dis-moi mon petit ! Je t’en prie, dis-moi ! Qui frappe Mary ? Supplia Félie à mi-voix.

    - Je ne peux pas Mum’… Je ne peux pas…

    - Elle n’est pas….

    - Non ! Oh non ! Mais…

    - Quoi ? Parle bon sang !

    - Ils… Ils… Je les tuerai, tous !

    Il pleurait. Lui, l’homme grand, fort, inébranlable, il pleurait sur sa femme. Sur sa déchéance. Il pleurait pour ce qu’on lui infligeait et qu’il n’osait avouer à sa belle-mère.

    Elle en mourrait si elle apprenait ce qu’il avait vu : Mary dénudée, avilie, couvertes de bleus et de plaies, maigre à faire peur, violée par deux monstres à la fois. Mary, sa femme, si belle et pure, réduite à l’état de poupée de chiffon, molle et soumise aux outrages, dont le seul réflexe encore humain était de protéger ses petits comme le font les femelles chez les animaux. Mary, sa sirène aux yeux d’émeraudes et aux cheveux d’or à jamais souillée par ces ignobles brutes sous le regard concupiscent d’une autre femme… Mary qu’il aimait toujours et plus que jamais… Mary qu’il allait retrouver, grâce aux jumeaux, si du moins elle survivait, avec les bébés qu’elle attendait, à ce qu’on lui faisait subir.

    Il sut d’instinct que la sadique femelle qui se repaissait de la souffrance de son épouse ne faisait qu’un avec l’ombre maléfique de ses derniers cauchemars et que c’était à l’imagination de quelqu’un d’autre, qu’il devait l’apparition de cette femme sous la forme hideuse d’une araignée à visage humain. Il ferma les yeux espérant la visualiser de nouveau. Il voulait graver à jamais ses traits obscènes dans sa mémoire… La retrouver… La tuer… Mais ce ne fut pas elle qu’il vit. Une ombre surgissait, emplissait le lieu sombre et humide de sa présence…protectrice ! Elle était blanche, animée d’une froide colère. Elle prit consistance et forme. C’était une autre femme, grande, massive qui pointait une arme meurtrière. C’est elle qui avait imaginé l’autre en araignée hideuse et velue.

    Elle tira…Dans l’esprit Hawk, tout devint noir…

    Il sortit de cette nouvelle et brève transe visionnaire envahi d’une profonde certitude. Mary allait quitter sa prison. Aujourd’hui même. Et elle n’allait pas mourir ! C’était la première fois qu’il « rêvait » éveillé. La première fois qu’il faisait plus qu’entrevoir comme cela lui était déjà arrivé mais qu’il voyait, réellement et que sa vision était si claire, si cruellement précise, à la fois chargée d’horreur et d’espoir insensé !

    - Nous allons la retrouver Félie !

    - Quoi… Que… Quand ? S’exclama-t-elle.

    Et ce fut à lui de la calmer car déjà les regards se tournaient de nouveau vers eux curieux et quelque peu agacés qu’on trouble ainsi leur tranquillité. Il la serra contre lui et raconta… Elle s’effondra, inconsolable. Il la réconforta :

    - Félie ! Félie ! Elle sera libre ! Aujourd’hui !

    - Comment sais-tu ?

    - Je sais, j’en suis sûr !

    - Où est-elle ?

    - Je ne sais pas encore !

    - Mais alors…

    - Je saurai très bientôt ! Aujourd’hui même peut-être !

    - Quand irons-nous…

    - Dès la fin de ce rassemblement, nous irons la chercher.

    - Promis ?

    - Promis !

    La douleur refluait. Il se sentait vidé. Il s’adossa, referma les yeux et sombra d’un seul coup dans une espèce de semi inconscience au creux de laquelle il percevait par instant des gémissements… Les siens ou ceux de Mary ? Il en sortit vers le soir, pas vraiment mieux mais du moins un peu reposé et l’esprit plus clair. Le long voyage se poursuivait. Félie, les yeux encore gonflés, dormait contre son épaule. Car c’était en effet un long voyage qui les emportait sur les lieux de ce nouveau rassemblement où l’attendaient déjà bon nombre de Mus, d’Élus et d’alliés de leur cause. Cela lui donnait largement le temps de repenser aux évènements récents qui avaient marqué la progression du mouvement.

    Comme il se l’était fixé, fin janvier ils avaient pris le contrôle de TV7, principale chaîne de télé mondiale jusqu’alors à la botte du Gouvernement Unique. Déjà bien infiltrée, elle était désormais aux mains de la Roue, gérée par un staff composé pour moitié de Mus et d’Élus. Les reporters, journalistes et autres envoyés spéciaux, étaient tous soit des Élus, soit des normaux « retournés ».

    Le PDG quant à lui, était un rallié pur et dur à la cause des Mutants, totalement insoupçonnable aux yeux des autorités, tant les propos qu’il tenait en public étaient conformes à ce que l’on attendait d’un dirigeant de chaine étatique. TV7 continuait par conséquent à donner le change. La passation de pouvoir entre l’ancien et le nouveau président s’était d’ailleurs faite avec l’aval des Sages.

    Hawk espérait avoir trompé Solomon Mitchell aussi bien qu’il y était parvenu avec les autres membres du gouvernement.

    La prise de contrôle médiatique ne s’était pas arrêtée à TV7 mais s’était étendue à quelques autres médias influents.

    Toute l’opération s’était déroulée sans coup férir grâce à l’hypnose profonde à laquelle avaient été soumises pendant plusieurs semaines et sans même s’en rendre compte, toutes les personnes qui travaillaient dans ce milieu : techniciens, journalistes, rédacteurs en chef, présentateurs, animateurs, annonceurs, producteurs…

    De la même façon, la Roue s’était assuré la main mise sur une bonne partie du réseau Internet mondial.

    En définitive, l’opération baptisée « Media net » s’était avérée être la première victoire d’importance dans la guerre larvée qui opposait Les Mutants à Solomon Mitchell et ce dernier ne le savait même pas. Mais contrairement à lui, fidèles à leur éthique de non violence, eux n’avaient pas eu recours au meurtre pour s’imposer.


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  • Tout d’abord, 1058.01 bénéficia d’un sursis. Ayant deviné les réticences de certains, Andréa préférait les mettre en condition et quoi de mieux que l’alcool et une bonne dose de sexe pour cela. Pendant que ses invités buvaient, elle leur offrit un strip-tease digne d’une pro puis elle et Jiménez firent l’amour sous leurs yeux envieux. Lorsqu’elle les sentit tous mûrs pour la véritable fête, elle leur permit de s’occuper de la prisonnière.

    Au comble de l’excitation et suffisamment imbibés d’alcool pour avoir laissé tomber toute inhibition, gardiens et prisonniers osèrent enfin s’approcher du monstre que l’adjointe de Baumann avait amenée pour leur plaisir. Les uns donnant des ordres aux autres, ils lui arrachèrent sa mince tunique, exposant son ventre rebondi et ses seins alourdis par la grossesse puis ils la traînèrent sous la douche.

    - Il faut la décrasser avant de la baiser les gars ! Elle pue et elle doit être infestée de vermine ! La ménagez- pas hein ! Leur avait dit Andréa.

    Ce n’était pas vrai. Elle n’était pas réellement sale, juste un peu mal lavée mais Johnson ne lui avait pas vraiment laissé le temps de faire toilette. Elle ne puait pas non plus, pas plus que les autres détenus en tous cas ! Et pas plus qu’eux, elle n’était l’hôte de petites bestioles indésirables. Au QHI, l’hygiène était extrêmement stricte sur ce point. Elle portait seulement sur elle l’odeur caractéristique de moisi propre aux mitards. Une odeur due à l’humidité et au manque d’aération de la cellule zéro dans laquelle, au contraire des autres qui n’y restaient que deux ou trois jours elle, était confinée depuis quatre mois ! Mais on leur avait dit de la laver, alors ils la lavèrent. Ce fut le déclenchement de leurs instincts sadiques refoulés par l’isolement pour les détenus et par l’interdiction de molester les prisonniers, particulièrement rigoureuse à la Forteresse pour les gardiens. Ce fut un bon prétexte pour la faire souffrir. Ils lui trituraient méchamment les seins, s’acharnant à plaisir sur les pointes sensibles qu’ils tordaient en riant de ses couinements de douleur. Ils la tripotaient sans vergogne. Insinuant leurs mains entre ses cuisses, ils la pinçaient cruellement là où ça faisait le plus mal. Ils la frappaient au ventre. Pas fort, non ! Juste assez pour la faire crier un peu. Il ne fallait pas la tuer, enfin, pas tout de suite ! Pas avant d’en avoir profité par tous les bouts !

    Tour à tour ou à plusieurs, ils rivalisaient d’inventivité. Bientôt, ils trouvèrent un nouveau jeu, plus excitant. Ils faisaient couler sur elle, à jets violents, l’eau glacée de la douche, riant de l’entendre brailler tandis que sa peau devenait bleue de froid et plus elle braillait, plus ils rigolaient. Ensuite, sous prétexte de la sécher, ils la faisaient valdinguer entre eux, de bras en bras, écroulés de rire chaque fois qu’elle glissait et s’étalait rudement sur le sol mouillé, les mains croisées sur son gros ventre pour protéger son bâtard. Ils la relevaient sans ménagement et la frappaient encore pour la punir de sa maladresse. Les coups de pieds et de poings pleuvaient sur le corps maigre et sur le ventre rond. Lorsqu’elle s’évanouissait, ils la réveillaient sous le jet glacé de la douche et le manège recommençait : séchage, chute, coups…

    Elle fut très vite couverte d’ecchymoses et d’estafilades car lors des séances de séchage, les gardiens munis de couteaux, se délectaient à chaque passage de lui « caresser » la peau du tranchant effilé de leurs lames.

    Et les uns et les autres de s’étonner, tout en s’en réjouissant ouvertement, qu’elle soit si résistante pour une quasi moribonde !

    Lorsqu’ils furent fatigués de les voir s’attarder à ces jeux stupides, Andréa et Felipe - qui en avaient profité pour se caresser, se frotter et s’embrasser à bouche que veux tu tout en ne perdant pas une miette de ce qui se déroulait à côté d’eux - leur ordonnèrent de passer à des choses plus attrayantes.

    - Arrêtez de faire joujou et baisez moi cette chienne ! Éructa Johnson entre deux râles de plaisir.

    Ce fut le signal de l’orgie. Ils la violèrent les uns après les autres, plusieurs fois de suite, dans toutes les positions et par tous les orifices dont elle disposait, sous le regard concupiscent de ceux qui attendaient leur tour.

    Pendant ce temps-là, à quatre pattes, la croupe offerte aux fougueux assauts d’un jeune gardien et les ongles enfoncés dans les fesses de son amant attitré, Andréa se livrait sur lui à une gourmande fellation qu’il subissait les yeux clos tandis qu’entre deux savants coups de langue elle regardait le merveilleux spectacle dont elle était le génial metteur en scène. À sa façon, Jiménez avait choisi de ne pas voir ce qui se passait tant l’idée qu’on puisse s’accoupler à cette femme qui n’en était plus une le révulsait. Qu’on la frappe et la martyrise ne l’avait pas dérangé mais le reste ! C’était obscène !

    Le trio jouissait à grands cris quand Andréa entendit un bruit insolite dans ce concert de gémissements et d’ahanements. Un petit bruit suivi tout aussitôt d’autres bruits également dissonants. Jiménez aussi avait entendu car il s’enfonça brutalement si profond dans sa bouche qu’elle faillit s’en étrangler.

    Encore dans la béatitude brumeuse de l’orgasme, elle s’avisa que le premier bruit était celui d’une rafale de neutrolaser et les autres, des cris de peur suivis juste après du choc sourd de corps qui tombaient sur le sol dallé…

    Quelqu’un venait de péter un câble ! Elle abandonna le sexe qui ramollissait dans sa bouche, repoussa le jeune gardien encore accolé à elle et se releva.

    Jiménez avait rouvert les yeux. Ce qu’il regardait tétanisé, le cou tordu vers la porte sans même avoir pris le temps de remonter son pantalon, c’était Gertrud en personne, encadrée par un Battistini en train de gerber et par une Wladi à peine dessoulée ! Gertrud qui venait de faire irruption au beau milieu de leur partouze, le neutro à présent pointé sur eux, pâle de fureur, les traits déformés par une rage froide, les yeux emplis de haine et luisant d’une meurtrière détermination ! En d’autres circonstances et si elle avait joui de toutes ses facultés, Andréa aurait deviné ce qui l’attendait mais elle avait pas mal bu et elle était aussi ivre d’alcool et de sexe que les autres.

    En fait, Gertrud Baumann ne laissa à aucun des participants à l’odieuse « fête » la moindre chance de réaliser ce qui se passait réellement Pas plus que ne le réalisèrent Wladi, décomposée par ce qu’elle découvrait ou Battistini qui finissait de vomir tripes et boyaux.

    Tout se joua en quelques secondes. À coups rapides de neutro poussé à pleine puissance mortelle, la probe et vertueuse gardienne-chef de l’aile est, toujours si calme et pondérée, régla froidement leur compte à toutes ces ordures : Andréa, Jiménez et le jeune gardien d’abord, qui tombèrent morts les uns sur les autres sans avoir eu le temps de réagir. Puis Wladi hébétée et Battistini qui se redressait à peine. Bien qu’ils l’aient avertie, elle ne pouvait leur faire grâce et pour cause ils étaient tous deux armés et l’auraient tuée sans hésiter en voyant ce qu’elle venait de faire.

    Elle balaya enfin d’une rafale rageuse et sans discrimination tous ceux que sa première giclée de neutro n’avait pas fauchés lors de son arrivée : gardiens et prisonniers avinés qui, l’œil glauque et la braguette ouverte sur leur sexe érigé, étaient encore en file indienne pour prendre leur tour de viol, à peine conscients du drame qui se jouait.

    À leur tour, ils s’écroulèrent près des cadavres de leurs comparses qui gisaient pêle-mêle tels que la mort les avait pris lorsqu’elle avait déboulé, arme à la main, dans les sanitaires des hommes. Plusieurs d’entre eux avaient une main refermée sur la chose flasque qui leur avait servi de virilité. Elle garda pour la fin les deux salopards qui étaient en train de violer Mary lorsqu’elle était entrée. Elle les arracha brutalement à leur victime, les força du bout de son canon à ramper plus loin puis, posément, le cerveau obscurci par la haine, elle tira à bout portant sur ces deux larves abjectes.

    En tuant tous les protagonistes de l’orgie elle s’était libérée de la fureur qui s’était déchaînée en elle lorsque Wladi l’avait appelée pour lui dire de « rappliquer au plus vite ! ». Sa diction était hésitante comme si elle avait bu mais elle avait compris l’essentiel : son pire cauchemar se réalisait, Mary était entre les mains de cette sadique nymphomane de Johnson.

    Elle n’avait pas écouté le mea culpa larmoyant de Koslowski, elle avait trop à faire en un temps record. Consciente que chaque minute qui s’écoulait, non seulement augmentait le supplice de Mary, mais encore la mettait en danger de mort, elle s’était néanmoins exhortée au calme, sachant qu’elle ne pourrait plus revenir en arrière une fois que les choses seraient enclenchées.

    Elle avait préparé des vivres, de l’eau, des couvertures, vidé le contenu de son armoire à pharmacie dans un grand sac, rempli deux grandes valises de tout ce qu’elle pouvait emporter en privilégiant les vêtements chauds.

    Elle avait récupéré toutes ses économies en numéraire, trois-cents dryes en tout. C’était pas mal pour une célibataire n’ayant pas beaucoup de besoins. Le plus souvent, d’ailleurs elle se servait de sa carte de crédit. Mais c’était peu pour quelqu’un qui allait devoir prendre la fuite afin d’échapper aux autorités. Et lorsqu’on est recherché, une carte qu’on utilise, c’est une piste trop facile à suivre.

    Elle avait refusé de s’attarder à ce détail, elle aviserait en temps voulu.

    Elle s’était ensuite habillée chaudement puis elle avait enfilé son manteau le plus épais, saisi ses armes de service : le neutro, le revolver plus un poignard à double tranchant. Dans son garage, elle avait retrouvé une vieille tente dont la toile aluminisée avait maintes fois fait ses preuves par tous les temps, deux duvets conçus pour les froids extrêmes, deux couvertures de survie, un réchaud se branchant sur la voiture, deux ou trois récipients de cuisson ; un bon vieux briquet pour faire du feu en cas de besoin et quatre grands jerrycans de gasoil de synthèse de 50 litres chacun, sa réserve personnelle de carburant en cas de pénurie aux pompes, ce qui arrivait très souvent dans cette contrée reculée du globe. Elle avait chargé le tout dans son gros land-cruiser avec les provisions et les bagages. Elle avait regardé sa maisonnette une dernière fois puis elle avait démarré en trombe et roulé à tombeau ouvert, avalant littéralement les vingt kilomètres qui la séparaient de la Forteresse.

    Jamais elle n’avait été saisie par un tel sentiment de désespoir et d’urgence. Emplie de frayeur en pensant à ce qui l’attendait, elle invectivait le mauvais sort qui avait décidé pour elle, la forçant à agir plus tôt que prévu ! Elle avait roulé si vite, au mépris du danger que la route glissante lui faisait courir, qu’elle n‘avait mis que quinze minutes pour parvenir à la prison. Là, elle avait encore pris le temps de passer au poste central de vidéo surveillance dont elle avait neutralisé les deux gardes de service pris par surprise. Elle ne les avait pas tués, seulement paralysés mais ils étaient au tapis pour deux ou trois jours au moins car elle avait mis toute la gomme de son neutro. Puis elle avait désactivé tout le système de vidéo surveillance. Un système déjà en partie inactif. Que leur avait donné Andréa pour qu’ils ne surveillent pas la cellule de Mary ni le trajet allant du quartier des femmes aux sanitaires des hommes ?

    En courant vers l’aile ouest où l’attendaient Wladi et Angelo, elle n’avait rencontré personne, et pour cause ! Le dimanche, on relâchait bigrement la vigilance.

    De plus, Douala était absent, son adjointe à moitié dans le coltard, ceux des gardiens qui n’étaient pas de la fête, pionçaient encore et les prisonniers, drogués aux anti-D, enfermés dans leurs cellules étaient plongés dans un sommeil de brutes ! Quant au reste du personnel, en nombre restreint le dimanche, il vaquait tranquillement à ses occupations, chacun dans son domaine, inconscient du drame qui se déroulait dans les douches des hommes…

    À présent, devant le carnage qu’elle avait provoqué elle avait envie de pleurer et de hurler mais elle avait mieux à faire. Elle se pencha vers Mary qui gisait, inconsciente. Son corps dénudé était couvert de bleus et de plaies sanguinolentes mais elle vivait ! C’était un miracle vu son état. Elle vivait ! Pour combien de temps encore ? En voyant ce que lui avaient fait endurer ses bourreaux, elle regretta de n’avoir plus personne à tuer. Son pouls était faible, son souffle imperceptible. L’enfant était-il mort des supplices qu’elle avait subis ? Même si cela était, elle ne pouvait se permettre de s’apitoyer sur lui, aussi injuste que ce soit. Cependant, quelque chose lui disait qu’elle avait tort de s’inquiéter pour le bébé. Lui aussi s’accrochait à la vie, comme sa maman !

    Peut-être que l’afflux d’adrénaline la faisait délirer mais elle avait l’étrange sensation que c’était ce tout petit, dans le ventre de Mary, qui lui murmurait de ne pas s’en faire pour lui et de se dépêcher de sauver sa mère !

    Obéissant à ce murmure probablement imaginaire, elle se hâta de relever la pauvre femme qui revenait à elle en geignant comme un chiot blessé. Ses forces décuplées par la haine et par la peur la lui firent paraître plus légère. Comme s’il s’était agi d’un enfant, elle la porta tout le long des couloirs et des escaliers interminables qui menaient à l’air libre. Elle était presque au bout de ses forces quand elle y parvint pourtant elle ne se permit aucune pause et courut, son fardeau toujours dans les bras, jusqu’au poste central.

    Là, enfin, elle posa Mary sur le sol, prit le temps de la couvrir de son manteau et de souffler quelques brèves secondes. Après avoir un peu récupéré, elle composa le code d’ouverture des portes du sas d’entrée, puis elle entreprit de bloquer dans leurs quartiers tous les résidents de la Forteresse encore en vie. Pas compliqué ! Il lui suffisait de codifier une simulation sectorielle d’incendie ce qui provoquait le verrouillage instantané des ascenseurs, des portes et des sas. En l’occurrence pour ce qui l’intéressait, tout ce qui permettait la circulation entre le premier et le deuxième sous-sol, chambres des matons et cellules comprises. Elle connaissait la procédure pour l’avoir pratiquée maintes fois en dix ans au cours des exercices d’alerte incendie obligatoires.

    L’opération blocage des portes accomplie, elle composa le code d’ouverture de la porte extérieure de la coupole qui protégeait les quartiers directoriaux. Elle reprit Mary dans ses bras et fonça vers le bureau de Douala dont elle n’eut aucun mal à forcer l’entrée. Une seule giclée dans le codivox la déverrouilla.

    Le QHI portait bien son nom et il méritait également bien celui de QHS, tant la sécurité y était à son top niveau ! Cependant, rien n’avait été prévu pour un tel cas de figure. Jamais au grand jamais, personne en haut lieu n’aurait pu imaginer ce qui venait de se produire entre ces murailles.

    Tout y était tellement hautement sécurisé qu’aucune mutinerie n’y était possible. Ceci d’autant que les prisonniers étaient privés d’une bonne partie de leur libre arbitre par la lobotomie même partielle, qu’ils subissaient avant leur incarcération. Sans compter que le personnel carcéral, de l’administration pénitentiaire au staff de surveillance, en passant par l’intendance, il était choisi pour son goût de l’ordre, de la discipline et de l’obéissance aveugle au règlement des prisons d’État, ce qui rendait parfaitement inutile toute surprotection des locaux directoriaux et même du poste central. Ce dont on se protégeait à la Forteresse, c’était en priorité des dangers extérieurs. Voilà pourquoi Gertrud pouvait aussi facilement réduire à néant tous les systèmes de sécurité internes. Des systèmes qui n’étaient pas étudiés pour être protégés d’une Gardienne-chef qui de surcroît, les connaissait sur le bout des doigts.

    Elle déposa Mary sur le canapé. La pauvre gémissait à fendre l’âme mais l’heure n’était pas encore à l’attendrissement. C’est toujours à coups rageurs de neutrolaser qu’elle fractura le coffre contenant les dossiers des prisonniers. Seul celui classé top secret de sa protégée l’intéressait. Elle s’empara de la précieuse et minuscule carte à puce qu’elle fourra dans la poche de son manteau. Elle en prendrait connaissance sitôt qu’elle aurait eu le temps de sécuriser les codes d’accès de son ordi portable. Puis elle détruisit consciencieusement les autres ainsi que l’ordinateur dont la mémoire conservait les fichiers de tous les détenus internés au QHI depuis dix ans. Une dernière fois, elle se saisit de Mary, sortit du bureau puis de la coupole et rejoignit au pas de course le sas d’entrée dont les deux lourdes portes blindées étaient ouvertes sur la liberté.

    Dehors, sa voiture l’attendait. Elle allongea la jeune femme tremblant de froid autant que de douleur sur la banquette arrière et la couvrit chaudement. Elle activa le code du sas dont elle regarda les deux lourdes portes se refermer sur les survivants du QHI. Enfin, d’une ultime décharge, elle bousilla le minuscule boîtier fixé à la dernière des portes et qui contenait le circuit de fermeture relié au poste central.

    Elle savait par l’un des gardes affecté à la vidéo surveillance que la destruction de la carte à puce qu’il renfermait suffisait à brouiller durablement tout le système de commande des portes extérieures et intérieures de la Forteresse. Elle se donnait ainsi quelques heures supplémentaires d’un temps dont elle était convaincue qu’il allait devenir pour elle et pour Mary, aussi précieux que vital.

    Satisfaite, elle monta dans le land cruiser, démarra et s’éloigna sans l’ombre d’un regret, de ce qui avait été sa vie pendant plus de dix ans, sans le moindre remord pour les cadavres qu’elle laissait au troisième sous-sol. Cette ordure d’Andréa était morte, morte, morte ! Et tant pis pour ceux qu’elle avait entraînés dans sa folie ! Le temps des regrets et des remords viendrait plus tard ! Peut-être. Mary était libre, voilà ce qui lui importait pour le moment ! Même si elle devait mourir, elle mourrait libre. Et elle, le modèle de discipline, l’ex taulière en chef qui venait de trahir tout ce en quoi elle avait cru, tout ce fatras d’idées toutes faites sur le respect de l’ordre établi qui en réalité l’avait retenue prisonnière pendant tellement d’années, elle, Gertrud Baumann, était libre aussi quel que soit le prix à payer pour cette liberté !

    Reverrait-elle un jour ses enfants et ses petits-enfants ? C’était fort peu probable. Bien que son cœur saigne à cette idée, elle savait que sauver Mary et l’enfant à venir, était la meilleure chose qu’elle ait accomplie de toute son existence.

     

     

     

     

     

     

     


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  • Jeudi 1er mars 2059

     

    Le plan d’Andréa prenait forme et consistance et elle se régalait à l’avance de sa phase exécutoire. Les rouages bien huilés de son machiavélique cerveau tournaient à plein régime tandis qu’elle chevauchait allègrement l’un de ses nombreux amants d’une nuit.

    - Je réfléchis toujours mieux en baisant avec quelqu’un d’autre que toi mon chou ! Avait-elle donné comme fallacieux prétexte à Felipe pour ne pas le rejoindre dans son lit cette nuit -là.

    En fait, elle avait repéré ce jeune gardien à peine débarqué à la Forteresse trois jours plus tôt. Il était très beau, très frais surtout. Une denrée rare en ces lieux où la jeunesse se périmait très rapidement ! Elle s’était donc promis de se le faire au plus vite avant qu’il ne tombe dans les filets d’une autre matonne. C’était comme d’habitude, sans conséquence sur sa relation suivie avec Jiménez même si elle lui avait menti en affirmant mieux cogiter loin de lui. Le sexe, que ce soit avec lui ou avec d’autres, avait toujours eu le pouvoir d’augmenter considérablement sa capacité de réflexion.

    Tout en se livrant à une gymnastique des plus satisfaisantes pour ses sens, elle repensait intensément à la petite séance orgiaque organisée dans la cellule 27. Elle seule avait remarqué la présence - discrète pourtant - de la belle Wladi. Elle avait noté la rougeur significative et le regard envieux que la polonaise avait jeté sur les deux hommes qui lui faisaient l’amour en même temps. Mais elle avait tout de suite compris que ce n’était pas eux que Koslowski voulait ! C’était elle, Andréa et elle seule qui la faisait rougir et défaillir de désir ! Cette évidence l’avait frappée comme la foudre : l’autoritaire, la hautaine directrice adjointe, bonne mère et épouse modèle, aimait les femmes !

    Le lendemain, la Baumann et Moïse étaient en repos pour trois jours. À 6h30 ce vendredi-là, juste après le départ du grand chef et de la Walkyrie, elle entra dans le bureau de Wladislawa pour y prendre ses ordres en se déhanchant outrageusement, bien décidée à utiliser ce qu’elle avait deviné des penchants lesbiens de l’adjointe directoriale et à jouer de ses charmes pour la séduire à seule fin de la soudoyer. Les deux premiers boutons de sa chemise négligemment défaits, laissaient entrevoir des seins ronds, haut placés que rien n’entravait.

    Elle capta aussitôt le regard de l’autre femme sur sa poitrine ainsi offerte alors qu’elle se baissait pour poser sur le bureau deux bouteilles de vodka polonaise, exposant un peu plus encore ses deux rondeurs généreuses devant les yeux de Wladi que ce spectacle faisait rougir et transpirer.

    Entre autres informations glanées sur l’adjointe de Douala, Andréa avait appris que la vodka - polonaise bien sûr- était l’un de ses péchés mignons. Elle se marrait en douce de voir les yeux de Wladi, luisants de convoitise autant pour les dives bouteilles que pour ses nichons.

    - Vous m’inviterez bien à en boire un verre après le service, chef ! Lui lança-t-elle en lui servant une de ces œillades assassines dont elle avait le secret et qui faisaient tomber à ses pieds hommes et femmes.

    - Euh…Bien sûr. Balbutia l’interpellée en rougissant de plus belle, oubliant momentanément sa position hiérarchique.

    - Ce soir 18h alors ?

    - Euh… non ! Viens plutôt vers 19h30… Pas ici…Chez moi ! Et... Johnson… Hum… Sois discrète s’il te plaît !

    - Bien m’dame !

    La belle avait mordu à l’hameçon. Elle avait même avalé l’appât et toute la ligne avec !

    À 19h30 plus quelques minutes pour faire bonne mesure et rendre sa proie plus impatiente encore, Andréa se pointa à la surface. Elle s’annonça à l’interphone du coquet logement de Wladi qui lui ouvrit aussitôt et la fit entrer, s’effaçant devant elle. Elle avait troqué sa tenue administrative - veste bleu-marine galonnée, jupe droite juste au-dessous du genou, chemise blanche boutonnée jusqu’en haut et cravatée serré, talons plats, chignon réglementaire - contre une large jupe dansante en soie rouge vif assortie d’un chemisier noir en soie lui aussi dont la légère transparence laissait deviner deux jolis seins aux rondeurs prometteuses, libérés de l’habituelle entrave du soutien-gorge. Elle s’était parfumée, maquillée avec soin et ses cheveux libérés, blonds comme les blés, lui tombaient jusqu’aux reins en vagues opulentes.

    « Fichtre la belle plante que voilà ! Elle cache bien son jeu Wladi ! » Pensait Andréa en la détaillant avec gourmandise.

    Ladite Wladi rosit d’émoi sous le regard de braise de son invitée. À la voir ainsi, tremblante et timide comme une collégienne à son premier rendez-vous, aussi rougissante et romantique qu’une midinette énamourée, nul n’aurait pu croire que c’était-là une femme d’âge mûr, mariée depuis plus de vingt ans et mère de deux grands enfants. Sous ses cils joliment recourbés, elle couvait littéralement Andréa de ses yeux bleus. Elle les baissa soudain, honteuse d’être incapable de cacher son admiration.

    - Viens donc t’asseoir et goûtons cette excellente vodka ! Lui dit- elle pour masquer son trouble en l’entraînant vers le petit salon décoré avec goût.

    Elles s’assirent côte à côte sur le moelleux canapé garni de coussins multicolores. Wladi ouvrit la première bouteille et les servit toutes deux. Après deux ou trois verres, la polonaise avait perdu tous ses complexes. Elle parla d’elle et de sa vie. Elle était intarissable. Trois autres verres plus tard, elle se mit à rire bêtement et à évoquer ses déboires conjugaux, étalant sans complaisance son inexpérience des choses du sexe due au manque d’imagination de son mari au lit. Un désert sexuel qui l’avait conduite ici, sa profession ayant au moins le mérite de ne pas la faire périr d’ennui comme elle y périssait entre les bras de son trop fade époux ! Soudain elle demanda tout à trac :

    - Dis-moi, c’est vrai que tu aimes faire l’amour avec tes détenues ?

    - Ben oui ! Et alors, ça te dérange ?

    - Euh… Pas… pas du tout mais…

    - Mais ça t’intéresse hein coquine !

    - Andréa ! Je ne te permets pas…

    - Oh que si tu me permets ! Et même que tu voudrais bien en savoir plus, pas vrai ?

    - Non… Mais je…

    - Tu es curieuse, c’est normal ! Je vais te dire ma jolie, les hommes c’est super quand on sait les mener et les femmes, c’est pas mal non plus ! Elles ont des mains sacrément plus douces que celles des mecs ! Et la langue ! Je te dis pas ! T’as jamais essayé ?

    - Non, non ! Jamais ! S’écria-t-elle offusquée.

    - Oh la la ! Te braque pas ma poule ! Y a pas de mal à essayer ! Tu sais, moi je suis hétéro et je prends mon plaisir là où je le trouve. Hommes, femmes c’est du pareil au même pour moi du moment qu’ils savent me satisfaire. Tu devrais en faire autant au lieu de te plaindre de ta petite bite de mari !

    - T’exagères Johnson !

    - Oh que non ! J’exagère pas !

    - Quand même …

    - Allons ! Laisse-moi rire ma poulette ! D’abord tu cries au manque d’imagination de ton homme au lit et après, tu joues les effarouchées parce que je te parle d’essayer une chatte à la place d’une queue !

    - D’accord, d’accord ! Te fâche pas, tu as raison Andréa ! Dans un sens, c’est vrai que j’aimerais bien essayer mais dans l’autre, j’aurais peur qu’après ça se sache et qu’on dise que je suis…

    - Une lesbienne ? Tu rigoles chérie ! Il te faudrait une partenaire qui n’en soit pas une justement ! Une partenaire de confiance ! Comme ça, tu ne risquerais pas d’être pervertie ou trahie. Et ce serait juste histoire de comparer ma vieille, c’est tout ! Ça ferait pas de toi une gouine pour autant ! Qu’est-ce que tu crois !

    - Mais qui…

    - Voyons Wladi ! Tu ne vois vraiment pas ?

    - Tu… Tu accepterais de…

    - T’initier ? Ma chérie, j’en meurs d’envie depuis que je suis entrée. Tu es si belle ! Si excitante !

    - Tu… Tu me trouves belle ? Et excitante ?

    - Hyper bandante poupée ! Ton mec est un pauvre con ! Mais je suis pas lui et je crois que je pourrais te satisfaire mieux que lui ! Tu veux vérifier ?

    - J’ai… J’ai peur Andréa… J’ai jamais fait ça avec une femme… Tu seras…

    - Très gentille ! On va commencer doucement. Tu aimes mes seins je crois. Donne ta main !

    Puis, joignant le geste à l’injonction, elle saisit la main tremblante de Wladi et la posa sur sa poitrine tendue à faire craquer les boutons de sa chemise.

    - Vas-y, caresse ma beauté, ça mord pas !

    Pétrifiée, le rouge au front, les yeux clos, Wladi se mordait la lèvre inférieure jusqu’au sang. Elle n’osait esquisser le moindre geste mais elle ne retira pas sa main.

    Ce fut Andréa, qui la reprenant dans la sienne, la força à amorcer un doux mouvement circulaire autour de l’une puis de l’autre de ses larges aréoles brunes dont les pointes se dressèrent aussitôt, leur tirant à toutes deux un soupir de plaisir.

    - Hum… Tu as les mains si douces ma chérie ! Murmura Johnson. Je veux les sentir su ma peau nue…

    Elle repoussa gentiment la main de Wladi puis déboutonna fébrilement sa chemise, dévoilant ses plantureux appas. Elle se prenait au jeu. Les bourgeons incarnats étaient érigés et douloureux, alors, comme sa partenaire, pudique et intimidée ne réagissait toujours pas, elle entreprit de les caresser et de les triturer entre ses doigts impatients.

    Wladi rouvrit grand les yeux et regarda. La chaleur irradiait entre ses cuisses mais elle n’osait rien faire. La honte l’envahissait en même temps que l’envie ravageuse de remplacer la main d’Andréa par la sienne…

    - Hum… C’est bon… Exhalait l’aguicheuse d’un ton rauque en faisant rouler ses tétons entre le pouce et l’index C’est comme ça que je veux que tu me caresses ! Allez, essaie !

    Et elle reprit les deux mains de Wladi cette fois, les reposa d’autorité sur sa poitrine et recommença à les guider, jusqu’à ce qu’elles s’enhardissent et se décident à agir seules. Enfin ! Ensuite, tout alla très vite. La polonaise s’embrasa soudain, perdant toute retenue.

    Les vêtements des deux femmes volèrent aux quatre coins du salon et le canapé devint le théâtre d’un furieux corps à corps où bouches et mains exploraient avidement la moindre parcelle de la peau de l’autre. Les murmures enflammés fusèrent, se transformèrent en gémissements de plaisir puis en cris de jouissance.

    Ce fut un véritable feu d’artifice sexuel et une passionnante découverte pour la respectable épouse de Stanislas Koslowski !

    - Salope ! Hurla-t-elle folle de plaisir, lorsqu’un orgasme cosmique, tel qu’elle n’en avait jamais connu la fit chavirer.

    À demi pâmée, le corps arqué et secoué de spasmes incoercibles, elle hurlait et hurlait encore :

    - Salope ! Putain !

    Elle ne se rendait pas compte que c’était elle-même qu’elle insultait de la sorte, non pas son initiatrice. Elle en redemanda cependant et elles refirent l’amour jusqu’à épuisement. Elle ne cria grâce qu’après avoir exploré toutes les ressources de ce jeu si nouveau pour elle. Lorsque Andréa la quitta, repue elle aussi, elle avait la promesse de la directrice adjointe de se faire ouvrir la cellule zéro dès qu’elle le voudrait. Une promesse extorquée autant dans l’ivresse des sens que dans celle de l’alcool et qu’elle se promettait de faire respecter le plus rapidement possible. Elle la tenait désormais ! Wladi avait goûté aux plaisirs de Lesbos, elle en redemanderait !

    Le samedi soir, après son service, elle était retournée chez Wladislawa sur l’invitation on ne peut plus claire de cette dernière que leurs prouesses de la veille - ainsi qu’elle l’avait prévu - avait mise en appétit. Elle voulait vérifier si elle était capable de faire l’amour avec une femme sans avoir recours à la vodka. Elle put. Et elle en éprouva un plaisir plus enivrant encore que la première fois.

    Enfin rassasiée, la directrice adjointe que sa cuite monumentale du vendredi soir, suivie d’une gueule de bois de première, n’avait pas pour autant rendue amnésique demanda :

    - Dis-moi Andréa ! Pourquoi tiens-tu tant à voir la détenue du mitard de près ? Tu sais pourtant que c’est interdit !

    « Et si tu crois que je vais t’en dire plus sur elle, tu te goures ma petite ! Baiser avec toi, c’est une chose, foutre ma carrière en l’air, c’en est une autre ! » Pensait- elle en épiant la réaction de Johnson.

    Et elle se demandait ce que l’autre pouvait bien savoir pour avoir ainsi joué son va-tout afin de la circonvenir. Car elle se doutait bien que c’était uniquement pour cela qu’elle l’avait soûlée et entraînée dans ses délires érotiques.

    - Je sais bien qu’elle est au secret mais je me demande bien pourquoi et je suis pas la seule, crois-moi ! Tu ne te poses pas de question toi ?

    - Si mais c’est comme ça ! Les ordres sont les ordres ! Moi je suis là pour les faire respecter. Point !

    - Tu es déjà entrée la voir ?

    - Bien sûr ! Quelle question ! Et Douala aussi, une seule fois. Et puis Baumann évidemment puisqu’ en dehors de nous deux, c’est elle sa gardienne attitrée.

    Andréa ne lui avoua pas que ce trouillard de dirlo n’était pas entré dans la cellule zéro. Mais si la polonaise elle, l’avait fait, elle saurait bien lui tirer les vers du nez.

    - Et alors ? Insista-t-elle

    - Et alors rien ! J’ai pas le droit d’en parler et eux non plus !

    - T’as lu son vrai dossier ?

    - Non ! Ça j’ai pas le droit, sauf si Douala venait à mourir et que je doive le remplacer. Lui seul peut le lire et je pense pas qu’il l’ait fait. Il se fout pas mal de 1058.01. La seule chose qui l’intéresse, c’est qu’elle crève rapidement ! Sa mort libérera le mitard. Il espère bien - et moi aussi - qu’on ne nous enverra aucun autre détenu au secret après celle-là ! Faudrait pas que ça devienne une habitude !

    - Ben justement, parlons-en de sa mort à cette sale bête ! Il paraît qu’elle est foutrement malade et qu’elle en a plus pour longtemps ! C’est le bruit qui court depuis pas mal de jours en tous cas ! Alors pourquoi elle a pas encore clamecé hein ?

    - Tu m’emmerdes avec tes questions ! J’en sais rien moi ! Et même si je savais, je pourrais rien te dire, pigé ? En plus, je m’en balance figure-toi de la détenue du mitard !

    - Si tout le monde s’en fout, qu’est-ce qui t’empêche de me la montrer ? Ou qui plutôt ?

    - Qu’est-ce que tu veux dire ?

    - Je me comprends ! C’est pas croyable ! Elle te tient comment Baumann ?

    - T’es folle ou quoi ? Personne me tient ! Tu m’entends ? Personne !

    - Prouve-le alors et laisse-moi la voir ! Ça te coûte quoi de me faire ce petit plaisir ?

    - Fais chier Andréa ! Pourquoi tu veux la voir ? Qu’est ce que tu lui veux à cette pauvre loque ?

    - Mais rien ! Rien du tout, je t’assure ! Juste la voir de près, rien qu’une fois et après, je t’emmerderai plus avec ça ! Juré !

    - Et tu n’en parlerais à personne ? Ça aussi tu es prête à me le jurer ?

    - À personne, même pas à Felipe ! Promis ! Quel serait mon intérêt d’en parler hein ? Tu veux bien me le dire ? Crois-moi mon petit cœur, je me tairai ! Je tiens à ma place moi !

    - Bon, c’est d’accord ! Je te fais confiance chérie ! On verra ça demain. Oui, c’est ça, demain matin de bonne heure, vers 5h tiens, ce sera plus discret ! T’auras qu’à entrer, ce sera ouvert. Au fait, amène une autre bouteille de vodka. Je te préparerai un petit-déjeuner polonais dont tu me diras des nouvelles. Après, on baisera et je t’emmènerai la voir puisque tu y tiens tellement !

    - Top là beauté ! T’es un amour ! Ce sera un vrai plaisir !

    Et là-dessus, elle ne mentait pas. Wladi la changeait agréablement des détenues. Il faut dire qu’elle était nettement plus participative !

    C’était presque gagné ! En fin de compte, ça avait été plus facile et plus rapide que prévu. Demain, elle mettrait son plan à exécution. Elle en éprouvait par avance une joie sadique.

    Le lendemain matin aux alentours de 5h, alors que la Forteresse dormait encore, sa bouteille de vodka à la main, fourmillant d’une délicieuse impatience, Andréa Johnson était devant la porte de Wladi, ouverte comme elle le lui avait dit. Elle entra donc. Complètement nue, adossée à son bureau, offerte, la directrice adjointe l’attendait. L’invite était on ne peut plus évidente.

    - Baise-moi ! Vite ! J’ai envie ! Ordonna la polonaise d’une voix mourante.

    Andréa obtempéra avec ardeur. Elle était pressée. Après quoi elles débouchèrent la bouteille de vodka qu’elles éclusèrent en guise de petit-déjeuner typiquement polonais entre deux folles étreintes. Wladi se révélait insatiable ! Tellement insatiable qu’elle ne se rendit pas compte qu’en fait, Andréa ne vidait jamais son verre et qu’elle elle était donc la seule à boire vraiment. Et même si elle tenait pas mal l’alcool, elle en avait bu au moins les trois quarts à elle seule !

    Ce fut donc plus qu’à moitié ivre qu’au terme de leurs fougueux ébats, elle emmena sa maîtresse jusqu’au quatrième sous-sol, devant la lourde porte à ouverture électronique codée de la cellule zéro qu’elle lui ouvrit. La prisonnière était encore couchée, entièrement cachée par la fine couverture, le nez contre le mûr. Il était un peu plus de 6h. Personne n’était venue la réveiller ni lui apporter son premier repas. Et pour cause, la responsable était occupée ailleurs !

    « Pas grave, elle bouffera demain et si elle crève de faim ce sera pas plus mal ! » Pensait Andréa qui touchait au but. Elle était là, dans la Zéro et non plus derrière un œilleton. Elle était tout près du monstre ! Enfin ! Si près qu’elle pouvait sentir l’odeur infecte, pestilentielle qui se dégageait d’elle !

    « Normal qu’elle pue cette chienne ! Une douche tous les quinze jours c’est pas assez pour la décrasser… » Pensait-elle encore en scrutant avidement la forme recroquevillée de froid sur l’étroite paillasse.

    Et la petite fête qu’elle avait promis d’offrir à Jiménez quand elle aurait atteint son but, se dessina soudain très précisément. Elle n’avait plus rien à voir avec ce qu’elle avait envisagé au départ. C’était vrai qu’elle avait prévu de s’occuper d’abord de la mutante en lui faisant subir quelques petites tortures de son cru, Indécelables mais bougrement douloureuses ! Après quoi elle serait allée rejoindre son amant et aurait déployé à son seul profit, toute la gamme, très étendue de ses talent sexuels. Passer un prisonnier à tabac l’avait toujours mise dans une forme éblouissante et le festival érotique qui s’ensuivait généralement n’était jamais pour déplaire à ceux de ses amants qui en bénéficiaient. Le sadisme exacerbait ses sens, la rendant plus inventive encore que d’habitude. Mais l’idée géniale qui venait de la traverser puis de s’imposer à elle avec une merveilleuse netteté, nécessitait un plus grand nombre de participants pour la parfaite réussite de leur nouba … Galvanisée par ce qu’elle venait de concocter, elle ordonna :

    - Debout raclure!

    Comme la loque sous la couverture ne réagissait pas, elle la secoua. C’était la première fois qu’elle la touchait. Un frisson de répulsion la parcourut. Elle aurait voulu la tuer à coups de poings, là, sur place. En même temps que le dégoût, l’envie de massacrer l’ordure qui tardait à obéir faisait naître une autre sensation, trouble, violente. Une sensation qui la submergeait, lui embrasait le ventre, durcissait les pointes de ses seins, l’amenant presque à l’orgasme. Elle en oubliait la présence de Wladi près d’elle.

    - J’ai dit lève toi salope ! Éructa-t-elle en la secouant plus fort.

    - Hi hi hi ! T’…T’as oublié… s… son… M…Matricule ! Pouffa une Wladi hilare.

    - Ah oui ! Son putain de matricule ! Je l’oublie toujours ! 1058.01, lève-toi espèce de fiente puante ! Vociféra-t-elle.

    Ce qu’elle découvrit dès que la mutante se fut dégagée de la couverture et levée, la mit en rage et décupla sa haine et ses envies de meurtre.

    « Pas tout de suite, retiens-toi Andréa ! Faut d’abord qu’on s’amuse un peu avec elle ! » Se morigéna-t-elle. Mais, putain de merde ! Il y avait bien de quoi perdre son sang froid. La sale bête était grosse. Elle portait un petit monstre comme elle dans son ventre ! Un bâtard immonde ! Quand on la voyait de tout près et chaque jour en plus, il fallait être aveugle pour ne pas se rendre compte que cette pourriture était enceinte. C’était donc ça que cette salope de Baumann protégeait !

    - T… T’as vu ? Elle est m…mal en p… point hein ? Bredouilla Wladi, la voix pâteuse.

    « Merde ! Elle est encore là celle-là ! »

    - Mal en point ! Tu veux rire ? Elle pleine comme une grosse truie sur le point de mettre bas ! C’est quoi ce bordel ? T’étais au courant ?

    - Oui… Non… Et puis M… Merde ! J… Je m…m’en f… f… fous moi! Elle v… va c…crever de t… t…toute f… façon ! Rétorqua laborieusement Wladi.

    Andréa se força à se calmer. Pas besoin de braquer la polonaise ! Elle était soûle et ça l’arrangeait.

    - T’as raison ma poule ! On s’en fout après tout ! Fit-elle semblant d’acquiescer. Puis, mielleuse, elle poursuivit mine de rien :

    - Tu as tenu parole, je t’adore ! Et je te promets que ça restera entre nous, comme le reste ma chérie !

    Et ce « reste » était une allusion à peine voilée à cet autre secret - très embarrassant pour Wladi - qu’elles partageaient désormais et qui pouvait lui servir de moyen de pression sur la directrice adjointe lorsqu’elle aurait recouvré ses esprits ! Pour peu qu’elle ait des remords, on ne sait jamais !

    - Maintenant que… Que tu as eu ce que… Tu… Tu voulais, Tu …re… rev…Reviendras me … Voir ?

    - Mais bien sûr ma beauté ! Je te plais, tu me plais, y a pas de raison de s’en priver pas vrai ? Bon ! Tu dois être fatiguée ma chatte ! T’as pas l’habitude comme moi mais t’inquiète, ça viendra ! Va donc te reposer, je te retrouve ce soir dans ton bureau ! Je te ferai des trucs, je te dis que ça ! En attendant, faut que je bosse ! Je suis pas l’adjointe du dirlo moi !

    - Tu. Tu viendras ? Tu le jures ?

    - Promis juré, mon petit sucre d’amour ! Va !

    La promesse de nouveaux plaisirs fit vaciller Wladi mais elle obéit et partit en titubant sans même se rendre compte qu’elle n’avait pas refermé la cellule. À peine eut-elle disparu au détour du couloir, qu’Andréa appela Jiménez pour lui faire part de son idée pour la « petite fête promise » et lui donner ses instructions sans toutefois lui dire ce qu’elle amènerait.

    - T’as réussi à voir la détenue de ton mitard alors ? demanda-t-il

    - Ouais chéri et ça m’a mise très, très très en forme ! Prépare toi à une sacrée surprise, tu vas pas être déçu mon chou !

    Puis elle revint à l’infâme créature qui, debout, les mains croisées sur son gros ventre et sur la vermine qu’il contenait, attendait ses ordres avec ce regard abruti qu’elle avait déjà vu chez tous ces salauds de mutants lobotomisés du camp australien. Un regard bien plus idiot et vide que celui des lobos de droit commun !

    - 1058.01 ! Douche ! Aboya-t-elle.

    Elle n’attendit pas que la proie tant convoitée se mette en mouvement pour l’empoigner brutalement et la traîner manu militari vers l’escalier qui menait à l’étage sanitaire des femmes. Personne en vue ! Normal, c’était dimanche, Baumann était absente et Wladi ivre morte devait être en train de cuver sa vodka en plus de son trop plein de baise. Les détenues n’iraient pas à la douche aujourd’hui, les matonnes faisaient la grasse matinée !

    Elle ne s’attarda dans les sanitaires des femmes que le temps de tondre la garce. Il y avait tellement longtemps qu’elle en avait envie qu’elle le fit avec rage jusqu’à en écorcher le crâne de la protégée de Baumann. Piètre vengeance mais ce n’était que le début ! La Walkyrie n’aurait pas intérêt à l’ouvrir. Elle était en tort sur ce coup-là. Tous les détenus étaient tondus à ras, c’était le règlement !

    Elle emprunta ensuite les longs couloirs qui menaient au bloc sanitaire des hommes.

    - Avance chienne, direction les douches ! Hurla-t-elle à sa victime qui flageolait sur ses jambes maigres.

    Et pour qu’elle aille plus vite, elle lui asséna dans le dos de violents coups de crosse de son arme de service. Elle avait abandonné l’usage obligatoire du numéro matricule. Elle n’en avait plus besoin puisque la chienne en question devrait avancer de toute façon, de gré ou de force. Elle aurait même trouvé le jeu encore plus amusant si elle avait résisté, ça lui aurait donné une excuse pour la punir cruellement. Mais ces bêtes là étaient programmées pour obéir et elle n’avait pas besoin d’un putain de prétexte pour frapper cette pourriture de mutante.

    Celle-là allait payer pour tous les autres. Elle allait en baver et souffrir. Car ils souffraient ces salauds. Elle était bien placée pour le savoir. Là-bas, en Australie, ils couinaient comme des porcs qu’on égorge quand on les tabassait !

    Au bloc des douches de l’aile ouest, son comité d’accueil l’attendait. Outre Felipe, presque tous les gardiens mâles en service ce jour-là étaient au rendez-vous qu’elle leur avait fixé par l’intermédiaire du gardien-chef mais en plus, il y avait une dizaine de détenus triés sur le volet par Jiménez selon les critères qu’elle lui avait imposés. Ils faisaient partie des fortes têtes, habitués du trou. Comme pour beaucoup de lobotomisés légers, leurs mauvais penchants n’avaient pas été suffisamment gommés. C’était même la raison de leur présence au QHI.

    Pour faire bonne mesure, ils étaient sexuellement frustrés. Une frustration régulière entretenue par leur proximité avec la cellule de Max. En tout donc, une petite vingtaine de mâles en rut, le regard veule et la langue pendante de convoitise pour la plupart. Être conviés à une partouze d’Andréa Johnson - c’est ce que Felipe leur avait dit faute d’en savoir d’avantage lui-même - suffisait à expliquer leur degré déjà bien avancé d’excitation sexuelle. Son apparition avec le zombie qui vacillait devant elle, prêt à s’écrouler, fit baisser d’un cran ce même degré chez plus d’un !

    Comparée à Andréa, véritable bombe incendiaire, bien en chair, plantureuse, dont les yeux marrons luisant de satisfaction perverse vous aguichaient à force d’œillades assassines et dont les formes généreuses constituaient à elles seules un irrésistible appel à la luxure, au viol même, la créature qui l’accompagnait, ou plutôt que Johnson poussait devant eux, n’était pas belle à voir. Grise, décharnée, elle n’avait plus rien de très humain. Elle avait dû être ravissante autrefois ! Elle avait des yeux étonnants qui, bien qu’éteints, étaient d’un vert saisissant ! Creusés par la pénombre permanente de sa cellule autant que par les privations, ils lui mangeaient le visage. Un visage tellement émacié que les pommettes en saillaient horriblement. Aucun détenu de la Forteresse n’avait jamais eu le temps d’atteindre un tel stade de dégradation !

    À en juger par l’état de son crâne couvert d’écorchures sanguinolentes, elle venait d’être rasée sans douceur. Andréa bien sûr ! La guenille informe qui la recouvrait pendait lamentablement autour d’elle. Elle était si élimée, si ravaudée de toutes parts qu’on se demandait par quel miracle elle tenait encore accrochée aux maigres épaules de la créature. De plus, elle devait crever de froid car elle était visiblement nue là-dessous ! L’hiver était particulièrement glacial cette année et les sanitaires n’étaient jamais beaucoup chauffés ! Pas plus que les mitards au demeurant !

    On ne pouvait qu’être saisi d’horreur à la vue de ce cadavre ambulant pourtant, aucun des « invités » d’Andréa ne fit mine de se désister. Ils étaient venus pour s’amuser et ils attendaient, l’œil torve, que leur hôtesse leur explique les règles du jeu dans lequel la morte-vivante avait son rôle, ils n’en doutaient pas. Hormis les détenus, ils avaient tous entendu parler d’elle mais évidemment, aucun ne l’avait vue et, du dégoût vite surmonté, ils étaient passés à la curiosité : comment cette garce d’Andréa s’y était-elle prise pour faire lever l’interdit ? Jiménez fut le premier à réagir. Il aimait les femmes en général et ne répugnait pas à s’en faire une moche de temps à autre mais celle-là !

    - C’est bon Andréa, tu as réussi ton coup et tu nous as fait partager, bravo ! Mais ramène-la dans son trou maintenant et passons aux choses sérieuses ! Elle est pas baisable ta moribonde ! Va plutôt nous chercher quelques belles donzelles dans ton quartier si tu veux qu’on s’amuse !

    - Pas question ! Elle est là, elle y reste et c’est avec elle qu’on va rigoler un peu si tu permets. Je me suis pas donné autant de mal pour pas en profiter maintenant que je l’ai sous la main !

    - T’es folle ! Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse de ce détritus ? Si Douala l’apprend, on va tous en baver !

    - Il a pas besoin de savoir ! T’irais pas lui dire tout de même ?

    - J’ai jamais balancé personne ! Et Koslowski ?

    - Elle a sifflé une bouteille de vodka, alors ou elle est en plein coma éthylique ou elle est en train de ronfler dans sa piaule à l’heure qu’il est !

    - T’es sûre ?

    - Écoute mon chou, t’es pas obligé de rester si ça te débecte tellement ou si t’as les foies ! Tu te casses, t’emmènes avec toi ceux que ça intéresse pas et vous la bouclez ! Mais tu laisses s’amuser ceux qui en crèvent d’envie bordel !

    - T’es vraiment cinglée Johnson ! OK, je reste, et tout le monde reste avec moi ! Si y en a qui veulent se défiler, je leur colle une décharge paralysante dans la gueule, compris ! Et si par la suite y en a un seul qui l’ouvre, croyez-moi, il le paiera très cher !

    Les détenus s’en foutaient et les matons n’avaient plus qu’à obéir, Jiménez ne faisait jamais de promesses en l’air ! Même si c’était à contrecœur pour certains, aucun ne bougea ni ne pipa mot. D’ailleurs, l’alcool qu’ils avaient amené avec eux aurait tôt fait de noyer leurs scrupules !

    - Ça, c’est parlé en homme ! Alors tu restes ?

    - Je reste, mais à deux conditions !

    - Accouche !

    - Primo, moi je touche pas à cette…chose dégueulasse ! Deuzio, toi tu t’occupes que de moi comme promis, OK ?

    - OK ! Bon les mecs, que la fête commence !

    - Encore une chose Andréa, Qu’est-ce qu’on fait si elle crève ?

    - Si elle crève, tout le monde sera content ! Le dirlo va jamais la voir, il en a la frousse. Wladi, elle s’en branle. Personne la regrettera ici, à part cette grosse vache de Baumann qui les protège elle et son bâtard depuis trop longtemps ! Et tu crois qu’elle s’en vanterait la vieille pute ? Elle se taira, comme nous ! Parce que si elle parle, elle sera la première à déguster, je t’en fiche mon billet ! Regarde-là, elle va crever de toute façon !

    - Son bâtard ? Qu’est ce que tu racontes ?

    - Regarde-bien mon mignon ! Tu remarques rien ?

    Il s’approcha, regarda. Souleva le haillon rapiécé et en demeura bouche bée. La lobo était enceinte. Cinq ou six mois, il n’aurait su dire vu son pitoyable état.

    Elle était si squelettique que nue, on ne devait voir que son gros ventre. Les mains croisées sur son abominable progéniture, prostrée, elle attendait, qu’on lui donne des ordres. C’était encore moins qu’un animal alors pourquoi s’en faire ?

    Pour s’en convaincre, il repoussa l’infâme créature qui s’affala de tout son long sur le sol sans rien faire pour tenter de se relever.

    « Moins qu’une bête, vraiment ! » Pensa-t-il rassuré. Il éclata de rire, libéré et se tourna vers Andréa.

    - Bon ! Tu nous as bien promis une fête non ? Alors allons-y ! Lui dit-il.

    Ravie, elle se coula dans ses bras et l’embrassa à pleine bouche sous les cris de joie des autres. Lorsqu’ils se séparèrent, elle constata que le groupe d’hommes surexcité s’était rassemblé autour d’eux. Attentifs, ils écoutèrent ce qu’elle attendait d’eux. Puis, pour se mettre en train, ils débouchèrent les bouteilles de whisky et de vodka généreusement offertes par l’organisatrice de la fête.

    Nul ne vit Angelo Battistini s’esquiver. Pendant la discussion entre son chef et sa maîtresse, il s’était discrètement reculé vers la porte, attendant le moment propice pour prendre la fuite. En dépit de son prénom, il n’était pas un ange cependant la tournure que prenaient les évènements lui faisait craindre le pire et il ne voulait pas participer à la mise à mort de l’espèce de débris humain que leur avait amené cette roulure d’Andréa. Il la détestait depuis qu’elle l’avait ridiculisé devant Jiménez, le lendemain de leur unique nuit, bafouant son honneur de mâle et d’italien. « Grande gueule mais petite bite le napolitain ! » avait-elle commenté sans s’apercevoir qu’il était là, derrière la porte entr’ouverte du bureau du gardien-chef. Depuis il rêvait de se venger. Le moment était venu. Il n’entendit pas la fin des instructions et ne vit pas le début de la beuverie qui précéda la curée.

     


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  • 12 février

     

    Gertrud reprit son service pas totalement reposée. Elle faisait des rêves vraiment bizarres ces temps-ci. Elle y voyait sa protégée cernée par une ombre noire malfaisante. Cela ressemblait à une immense toile d’araignée au centre de laquelle guettait, immonde et velue, Andréa Johnson en personne dotée du corps monstrueux d’une de ces sales bestioles qu’elle abhorrait. Elle se refusait à donner la moindre interprétation prémonitoire à ce funeste cauchemar.

    Dès son arrivée, elle se rendit immédiatement au quatrième sous-sol. Il était 6 h10. Mary était déjà au travail. Salope d’Andréa ! Elle lui en avait fait passer pour deux jours au moins ! Elle cousait le regard vide et son ventre gargouillait. L’ordure avait diminué sa ration comme elle le faisait chaque fois en son absence.

    Une des matonnes le lui avait dit mais elle n’avait pas besoin qu’on lui raconte de quelle façon ignoble Johnson outrepassait ses droits lorsqu’elle la remplaçait. Heureusement qu’elle n’avait pas d’autres moyens pour exercer son sadisme que ceux de la sous-nourrir ou de la surcharger de travail !

    De sous son large blouson elle sortit deux épaisses parts de brioche fabriquées maison et une petite thermos de café au lait chaud très sucré. Elle aimait cuisiner à l’ancienne. Ça tombait bien car peu de logements dans cette région reculée, était dotés de nutri distributeurs ! Elle entra et fit comprendre à sa prisonnière qu’elle devait tout avaler. Mary dévora la manne providentielle. Pendant qu’elle mangeait, Gertrud l’observa. Sa grossesse commençait à se voir en dépit de l’extrême maigreur du reste de son corps. On aurait même pu croire que le bébé poussait au détriment de sa mère ! Quand elle regagna ses quartiers pour relever Andréa, ce fut Wladi qu’elle trouva à sa place. Une Wladi qui la regardait d’un air curieux …

    - Salut Koslowski ! Où est Johnson ? Questionna-t-elle.

    - Partie ! Je lui ai donné la permission, elle a eu une nuit… chargée !

    À voir son sourire en biais, Gertrud se doutait de quel genre de nuit… chargée parlait sa supérieure.

    - Ah ! Et toi, quel bon vent t’amène dans mon modeste bureau à cette heure matinale ?

    Wladi ne répondit pas et continua à la regarder, un sourire mi-figue mi-raisin aux lèvres. Son attitude fit frémir Gertrud d’appréhension. Le silence crispant s’éternisait lorsque la directrice adjointe se décida à parler :

    - Tu es allée voir ta pensionnaire, comment elle va ce matin ? Demanda-t-elle et Gertrud sentit pointer l’ironie sous la question d’apparence anodine.

    - Pas très fort ! Je doute qu’elle survive encore longtemps !

    - Ah bon ? Rétorqua Wladi et cette fois, l’ironie faisait plus que pointer.

    - Tu l’as vue hier ? Ne put-elle se retenir de questionner, l’air le plus dégagé possible.

    - Oui, en effet, je suis entrée la voir…

    - Tu… Tu es entrée…Et tu l’as trouvée…

    - Grosse ma fois pour une quasi mourante ! Mais t’inquiète ma vieille, motus et bouche cousue !

    Et elle partit sans rien ajouter. Gertrud se mit à trembler comme une feuille. Pourquoi Koslowski s’était-elle attardée au quatrième sous-sol ? Elle ne le faisait pas d’habitude. En général, elle se contentait de l’œilleton pour vérifier si la prisonnière était toujours en vie. 1058.01 n’était qu’un matricule pour la directrice adjointe et elle ne s’y était jamais beaucoup intéressée jusqu’à ce matin. À part pour un œil averti, sous l’ample tunique rapiécée, nul ne pouvait encore s’apercevoir de la grossesse de Mary. Qu’avait-il pu se passer qui lui ait mis la puce à l’oreille et qui l’ait incitée à y regarder de plus près ? Et surtout, pourquoi avait-elle décidé de se taire tout en lui faisant comprendre à demi-mot qu’elle savait ? Le cœur étreint d’angoisse, elle redescendit au quatrième sous-sol. Bien sûr, Mary ne pourrait rien lui dire de ce qui s’était passé mais en la regardant, peut-être comprendrait-elle ce que Wladi avait réellement vu.

    La pauvre fille était toujours au travail. Elle rapetassait méthodiquement une pièce de linge après l’autre, tel un robot. Elle ne leva pas les yeux ni ne s’interrompit quand sa gardienne entra dans la cellule et se mit à l’observer. Elle se leva pour se préparer une nouvelle aiguillée. Pour ce faire, elle se plaça directement sous la lampe et leva les bras. D’accord, son ventre pointait légèrement sous l’informe vêtement qui la recouvrait jusqu’aux chevilles mais ce qu’on remarquait surtout, c’était son effrayante maigreur.

    Il semblait bien qu’elle se soit encore étiolée. Elle n’avait plus que la peau sur les os. Le supplément de nourriture dont elle la gratifiait aussi régulièrement qu’il lui était possible de le faire sans attirer l’attention, ne lui profitait manifestement pas. Elle semblait réellement tout donner au bébé ! Son ventre rond aurait tout aussi bien pu ressembler à ceux des enfants rachitiques dont elle avait vu les photos dans d’anciennes revues ; alors pourquoi Wladi l’avait-elle assimilé à celui d’une femme enceinte ? Agacée de ne pouvoir répondre aux questions qui la taraudaient, plus énervée encore de constater que son état grandissant de nervosité n’affectait pas sa prisonnière, elle ordonna :

    - Mary, arrête !

    La jeune femme continua à coudre.

    - 1058.01, j’ai dit arrête ! Tu vas obéir nom de Dieu ! Explosa-t-elle excédée.

    La pauvre décervelée frotta machinalement ses yeux fatigués. Elle posa par terre le vêtement grossier sur lequel elle travaillait puis croisa sagement les mains sur son ventre en attendant de nouveaux ordres. Soudain, Gertrud eut la sensation que quelque chose avait changé chez elle ! Ce n’était pas que physique mais elle ne parvenait pas à mettre le doigt dessus.

    Bien sûr elle dépérissait, c’était normal ici ! Elle était confinée vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans son trou sans air, sans espace, sa nourriture réduite à la portion congrue, surchargée de travail et phagocytée de l’intérieur par un rejeton qui voulait vivre et réclamait sa part sur ce peu qu’on accordait à sa mère ! À ce train -là, elle ne tarderait plus à être atteinte de ce terrible syndrome de glissement que l’on observait autrefois chez les vieillards et les grands malades qui décidaient, on ne savait pourquoi, de lâcher la rampe et de se laisser mourir.

    C’était ça ! Mary protégeait son petit !

    Elle le protégeait parce qu’elle savait qu’elle était enceinte. Pas seulement son instinct animal, non ! Ce qui subsistait de la Mary d’avant, belle, intelligente, aimée, était sauvegardé quelque part, tout au fond de sa mémoire morte, comme un petit bout de fichier !

    En fait, Mary n’avait pas changé ! C’était elle, Gertrud Baumann, parangon de l’ordre et du devoir qui avait changé. Sa vision des choses avait changé. Le regard qu’elle posait sur Mary ! Elle aimait cette femme comme une mère aime son enfant. Comme Mary, du fond de sa décrépitude physique et mentale, aimait son petit !

    Émue et inquiète, elle la regarda. Elle se balançait doucement d’avant en arrière et, à travers son ventre, de ses deux mains nouées, elle cajolait son enfant en lui chantant, de sa voix douce et mécanique de petite fille, les paroles de la berceuse qu’elle lui avait déjà entendu chanter plusieurs fois pendant son sommeil.

    Alors elle qui avait tout fait pour devenir dure et indifférente, elle qui n’avait plus prié aucun dieu depuis longtemps, en appela à toutes les forces protectrices. Elle pria de toute son âme, le cœur empli d’amour et d’une indicible frayeur. Elle pria pour que Mary survive et pour que Wladi tienne parole. Elle pria pour que plus personne ne découvre le secret de la cellule zéro…

    Il lui fallait du temps. Elle eut le soudain pressentiment qu’il lui était parcimonieusement compté. Les terribles implications du choix qu’elle avait fait de protéger Mary, se dessinaient de plus en plus clairement. Elle avait agi sur un coup de tête, sans mesurer l’exacte portée de ses actes. À présent, elle se rendait compte qu’elle courait au désastre. Pourtant, elle était désormais trop engagée pour reculer !

    Le mot évasion fulgura dans sa tête, la brûla. Ça voulait dire la sienne en même temps que celle de Mary. Ça signifiait également la fin de sa carrière, le reniement de tous les idéaux qui l’avaient guidée depuis son enfance.

    Si elle décidait d’obéir à cette soudaine impulsion, elle devrait jeter au feu tout ce en quoi elle avait toujours cru : l’ordre, la discipline, la morale, la normalité… Tout ça pour sauver la peau d’une anormale irrécupérable, une lobo profonde dominée par son seul instinct animal, dressée à obéir et capable de rien d’autre. Et pourquoi ? Pour donner une petite chance de survie à un avorton aussi anormal que sa mère !

    Elle regimbait intérieurement mais elle avait déjà fait son choix


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  • Bonjour !

    Le temps de tout transférer comme il faut, vous retrouverez tout ce qui concerne la photo,  les créations en image et photos-créations , les photos de mes réalisation en tricot pour Barbie et Titine,  mais aussi :

    toutes mes créations et participations au défi  créatif de Fée Capucine,

    dans un blog qui leur est exclusivement consacré : 

    An'Maï-Créations

    Ceci dans le but de réserver  uniquement à l'écriture, mes deux autres blogs  :"An'Maï et compagnie" et "Mots et rêves d'An'Maï, et du même coup de les alléger

    Ce qui implique que les rubriques  concernant ces sujets, vont évidemment  disparaître dans ces deux blogs.

    Vous verrez, ce nouvel espace est très joli , très joyeux et c'est toujours  moi là-bas aussi

    Je vous embrasse toutes et tous très fort

    An'Maï


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