• Février 2059, la Forteresse

     

    Moïse Douala n’était pas retourné voir la prisonnière très spéciale de la cellule zéro. Il n’en avait pas besoin, Gertrud le tenait au courant. C’était son boulot à elle, pas le sien. Elle lui faisait scrupuleusement son rapport quotidien sur les problèmes de sa sphère et sur le rebut de la Zéro en particulier. Elle affirmait régulièrement que son état ne cessait de s’aggraver.

    « Elle n’en a plus pour très longtemps, une semaine ou deux tout au plus ! »

    Et il la croyait ! Il n’avait jamais vu créature plus pitoyable que le matricule 1058.01. Malgré le sang froid qu’il s’était efforcé de montrer à la gardienne-chef Baumann, il lui avait fallu quelques jours pour se remettre de sa visite au mitard du quartier des femmes. Son ulcère s’en était réveillé et le titillait depuis ce matin-là, l’obligeant à avoir recours aux cachets pour tenir le coup en attendant sa prochaine perm qui n’était prévue que pour le mois suivant. Lorsqu’il y serait, il en profiterait pour aller faire une petite cure de remise en forme et de régénération assortie d’une séance chez sa thérapsy préférée. Car hélas, sa phobie de la maladie et de la décrépitude physique n’était pas feinte !

    Fort heureusement, en attendant, il avait à portée de mains une médication toute trouvée et autrement plus efficace que les comprimés prescrits par son médecin personnel qu’il avalait cependant consciencieusement. Une médication bien en chair, pulpeuse et appétissante à souhait, qui faisait naître dans son bas-ventre des tiraillements significatifs moins douloureux que ceux occasionnés par ce maudit ulcère mais tout aussi tyranniques.

    Andréa Johnson, la délicieusement perverse et aguichante adjointe de Gertrud, ne lui ressemblait en rien. Baumann grande, forte, bâtie comme une armoire, était un parangon du devoir, une gardienne en chef totalement dévouée à sa fonction. D’après les bruits de couloir, Andréa était d’une autre trempe. De celle qui fait tourner la tête des hommes. Et il ne faisait pas exception à la règle en dépit de sa haute position hiérarchique au sein de la Forteresse. On peut être un directeur compétent et responsable, on n’en est pas moins homme or la mâtine prenait un malin plaisir à balancer outrageusement ses jolies fesses et ses seins plantureux devant son nez chaque fois qu’il la convoquait dans son bureau. Il faut bien avouer à sa charge qu’il ne se privait pas de le faire sous les prétextes les plus variés et les plus futiles, juste pour avoir le plaisir de la contempler.

    Chacune de leurs entrevues le laissait dans un état des plus inconfortables, la tête pleine d’images de fougueuses étreintes avec la belle geôlière. S’il n’était pas encore passé à l’acte c’est qu’elle avait deviné ses tourments et se plaisait à le laisser délibérément mariner dans son jus tout en continuant à s’envoyer allègrement tout ce qui portait pantalon au QHI. Tous les gardiens avaient profité de l’aubaine et en profitaient encore et encore tandis que lui attendait les sens en ébullition de se la faire à son tour. C’était un jeu pervers dont elle avait déterminé les règles auxquelles il était bien obligé de se plier. Il le faisait de mauvaise grâce mais n’en pensait pas moins.

    « Merde alors ! Il était le Directeur, il aurait dû avoir la priorité nom de Dieu ! » Pestait-il intérieurement en imaginant la garce nymphomane dans tous les bras qui voulaient bien s’ouvrir pour elle, y compris ceux de détenus auxquels la lobotomie n’avait pas ôté la totalité de leurs moyens. On disait même qu’elle allait jusqu’à faire attacher les mains de certains d’entre eux la nuit pour les empêcher de se masturber. Lorsqu’ils étaient fous de frustration sexuelle, ils étaient prêts, ne désirant plus qu’une chose : satisfaire à toutes les perversions imaginées par la sulfureuse adjointe de Baumann.

    On disait aussi qu’elle ne dédaignait pas les plaisirs de Lesbos. En gros, elle adorait le sexe de toutes les façons imaginables. De simples rumeurs peut-être mais qu’il rêvait de vérifier personnellement.

    Depuis la mort tragique de sa femme, il n’avait eu que peu d’occasions dignes de ce nom alors cette fantasque créature qu’il paraissait bien être le seul à n’avoir pas possédée, le mettait dans tous ces états. Ah, pétrir à pleines mains les divines rondeurs de cette vénus callipyge ! Dieu, comme il enviait son amant attitré, le rude gardien-chef du quartier des hommes ! Il acceptait de la partager de bonne grâce mais au moins, il la baisait chaque fois qu’il en avait envie, lui !

     

    10 février

     

    Maître absolu de l’aile ouest, Felipe Jiménez y régnait en véritable despote se vengeant sur ses prisonniers des caprices incessants de sa maîtresse. Ce jour-là, elle l’avait fait attendre plus que d’habitude, trahissant une fois de plus leurs tacites conventions. Elle avait été convoquée chez le dirlo pour y prendre ses instructions en vue du repos hebdomadaire de Baumann.

    Douala lui-même serait remplacé par Koslowski durant ces deux jours. Il était plus de 7 h et il attendait toujours Andréa. Il ne paraissait pas pressé de partir en repos Moïse !

    Wladi, elle aussi, attendait pour prendre la relève, depuis 5h30 ! Elle s’impatientait tout comme lui mais pour d’autres raisons. La polonaise détestait que l’on bouscule ses habitudes. Pour elle, l’heure, c’était l’heure ! Elle n’aimait pas d’avantage être dérangée pour des riens pendant son service, ce qui leur convenait parfaitement à Andréa et à lui. En gros, ils auraient les mains libres pendant deux jours ! Encore fallait-il que sa pute préférée se dépêche un peu ! Avant de rejoindre l’étage directorial, Koslowski lui avait dit :

    - Jiménez, je compte sur toi pour que ça tourne rond dans ton coin. Et quand tu verras ta chérie fais-lui la commission. Je ne veux pas de pépins de son côté non plus, compris ?

    - Compris ! Avait-il acquiescé

    Mais il n’avait pas eu besoin de faire la leçon à Andréa, elle l’avait entendue de la bouche même de Wladi en redescendant de chez Douala. Cette dernière avait détaillé sévèrement sa tenue débraillée et son chignon de guingois. Elle l’avait tancée vertement pour cela et pour son retard inadmissible avant d’ajouter :

    - Je ne veux pas d’emmerdes durant ces deux jours, t’as pigé Johnson et ne perds pas ton temps en roucoulades avec Jiménez ou il t’en cuira!

    - Bien patronne ! Avait répondu la garce irrévérencieuse avant de dévaler quatre à quatre les marches qui menaient au deuxième sous-sol.

    Puis elle avait couru rejoindre son amant excédé qui rongeait son frein en tapant du pied dans le sas d’accès. En guise d’excuse pour son retard, elle lui avait raconté comment, pendant une bonne heure, elle s’était amusée à exciter Moïse et, loin de le rendre jaloux, cette évocation l’avait mis en condition.

    Il voulait sa part et il était prêt à la dévorer séance tenante. Sacrée Andréa ! Elle ne ratait jamais une bonne occasion ! Pas pressée de prendre son service, elle avait laissé les rênes de son quartier aux autres matonnes. Un simple coup de Visio interne lui avait suffi. Elle le faisait chaque fois qu’elle avait envie de prendre du bon temps avec lui ou avec d’autres. Ses collègues étaient habituées aux retards épisodiques de la volcanique adjointe de Baumann, surtout quand c’était Wladi qui occupait le siège directorial !

    Son entrevue avec Douala l’avait sacrément émoustillée. Felipe s’en rendit compte quand elle se lova dans ses bras et glissa une main possessive sur son entre-jambes en roucoulant, le regard chaviré et la lippe gourmande :

    - Il en a une vachement grosse Moïse, tu sais ! Presque aussi grosse que la tienne mon minet !

    Et elle entreprit de le caresser rudement à travers la toile kaki de son pantalon d’uniforme. Le sexe en feu, il la coinça contre la froide paroi d’acier du sas de sécurité collant son ventre contre le sien tout en lui malaxant violemment les seins dont les pointes durcirent aussitôt entre ses doigts. Leurs rapports avaient toujours été teinté de cette violence à la limite du sadisme et ils aimaient ça tous les deux.

    - Aussi grosse que la mienne ? On va voir ça tout de suite ma salope !

    - Sois patient trésor ! On verra ça ce soir ! On s’en tient à ce qu’on a prévu !

    Pas d’accord, il la maintint de force contre lui. Elle se frotta sans vergogne à la dure protubérance de son sexe, bien visible et si tentante. Elle lui mordillait l’oreille tout en lui susurrant des propos salaces sur ce qui l’attendait le soir même puis elle se dégagea fermement.

    - Laisse-moi maintenant, le boulot m’attend !

    Après un dernier baiser sur la bouche entr’ouverte de Felipe qui, en proie à la fièvre du désir, exhalait un souffle saccadé, elle s’enfuit en riant à gorge déployée devant son air furieux autant que déconfit.

    Tandis qu’elle disparaissait au détour d’un couloir, il l’entendit encore crier :

    - À ce soir mon chou ! Prépare bien ta baguette magique !

    La baguette en question était déjà plus que prête. C’était d’ailleurs d’avantage un gourdin qu’une baguette à présent ! Il dut même s’isoler quelques minutes dans sa chambre pour y décharger en quelques mouvements rapides, le trop plein de sève accumulée auprès de son explosive maîtresse.

    Cet intermède n’était toutefois qu’un minable avant-goût de ce qui l’attendait à la fin de son service dans la cellule de Max, autrement dit le matricule 0458MX30 dont les lettres MX leur avait inspiré le prénom qu’ils lui donnaient. Lequel Max, un lobo léger dont les pulsions sexuelles n’avaient pas été correctement supprimées, devait être à point pour leurs petits jeux pervers. Un ratage de plus lors de l’opération ! Ça arrivait encore assez souvent ! Depuis une semaine, à la demande d’Andréa, il le préparait pour leur nouba de ce soir. Une semaine que les mains solidement liées chaque nuit, il ne pouvait plus…Lui n’aurait jamais tenu autant sans devenir fou, surtout si une bombe sexuelle était venue chaque soir étaler ses charmes puissants à ses regards exorbités de désir sans lui permettre de les assouvir comme elle le faisait pour 0458MX30.

    Ce soir, il la regarderait se livrer, impudique, à sa victime affamée puis ce serait son tour de se la farcir sous les yeux du prisonnier. À moins qu’elle n’ait prévu autre chose… Rien que d’y penser, il en salivait !

    Bien qu’elle soit au secret, tout le personnel pénitentiaire était au courant pour la détenue particulière qui monopolisait le quatrième sous-sol de l’aile est depuis quatre mois et qui allait l’occuper jusqu’à sa mort. Johnson n’arrêtait pas d’en parler. Elle nourrissait à son égard une haine féroce et avait juré de mettre tout en œuvre pour s’occuper personnellement de cette chienne très bientôt.

    Le plan tordu qu’elle mijotait pour se faire ouvrir la cellule zéro, allait aboutir. Elle se faisait fort, disait-elle, de convaincre Moïse ou Wladi - les seuls en l’absence de Baumann à pouvoir le faire - d’actionner pour elle la lourde porte du mitard. Lorsqu’elle y serait parvenue, car il ne faisait aucun doute pour elle qu’elle y parviendrait, elle lui offrirait une fête qu’il n’oublierait pas de sitôt. En attendant la surprise promise, il devait se contenter de ce soir et des aptitudes sexuelles de Max, assez exceptionnelles pour un lobo mal nourri !

    En ce qui concernait celles d’Andréa, il connaissait chaque facette de son goût immodéré pour les expériences sexuelles les plus diverses qu’il partageait presque toutes. Presque car s’il avait de son côté autant de maîtresses qu’elle avait d’amants occasionnels, lui, au contraire d’elle, ne prisait guère les amours homosexuelles ! Non ! Lui, il aimait les femmes, rien que les femmes, toutes les femmes ! Même si, curieusement, il ne s’offusquait pas qu’elle aussi les apprécie. Il savait qu’en le quittant, elle était probablement allée puiser dans son cheptel de détenues un petit encas qui la maintiendrait en appétit jusqu’à leur orgie vespérale. Et peu importe pour elle que la lobotomie les empêche de participer activement ! Elle commandait et les pauvres mutilées obéissaient, ça lui suffisait.

    Il fallait bien profiter du laxisme de Wladi ! En effet, si la directrice adjointe faisait mine de blâmer leurs « roucoulades » comme elle disait et qu’elle se montrait forte en gueule pour affirmer son autorité, en vérité elle fermait obligeamment les yeux sur leurs incartades sexuelles du moment qu’ils la laissent tranquille durant son service !

    Ce n’était pas le peu qu’elle en voyait par l’œilleton qui le lui avait appris mais plutôt un Moïse sous son charme et intelligemment cuisiné ! En tout cas, Andréa savait que 1058.01 était malade. Gravement même d’après le dirlo.

    Alors pourquoi la sale bête tardait-elle tant à clamecer ?

    Non seulement l’étonnante longévité de la lobo l’intriguait mais en plus, ça la mettait dans une rage folle. Le régime dur de dur du QHI était déjà difficilement supportable pour les femmes, or celui du monstre était assorti de quelques mesures encore plus rudes qui auraient dû l’achever si elle était si mal en point ! C’était anormal ! Non, c’était plutôt elle, l’anormale !

    Elle devait en avoir le cœur net avant de péter un câble ! Il fallait à tout prix qu’elle trouve le moyen de contourner les sévères consignes de sécurité instaurées tout exprès pour la mutante et que Baumann faisait appliquer à chacune d’entre elles à la lettre.

    Jusqu’à présent, seule Gertrud l’avait vue de près puisqu’elle était la seule habilitée à l’emmener à sa promenade. Moïse lui avait avoué presque penaud qu’il n’y était allé qu’une fois et qu’il n’était resté que quelques secondes. Il n’était même pas entré dans la cellule. Et puis ça ne faisait pas partie de ses fonctions de visiter de très près les prisonniers, disait-il ! Wladi elle, y allait une fois par jour quand elle était de service mais elle ne s’attardait pas plus que pour les autres détenus. Elle non plus n’entrait pas dans la cellule zéro. Ça ne l’intéressait pas ! Elle faisait seulement son boulot et se foutait pas mal de la détenue au secret du mitard. Pour elle, mis à part le fait qu’elle devait passer le restant de ses jours à la Forteresse, c’était une prisonnière comme les autres et en plus, comme elle était censée mourir incessamment vu son état lamentable, pas de quoi en faire toute une histoire !

    « Ben justement alors, pourquoi elle crève pas ? » Pensait Andréa. Mais elle soupçonnait la réponse : Gertrud ! Cette grosse hommasse la bichonnait en douce. Elle devait lui refiler de la bouffe en plus de son maigre ordinaire. Mais pourquoi ? Quel était son intérêt là dedans ?

    Il y avait quelque chose, elle en était sûre et elle voulait savoir quoi ! Pour cela, il lui fallait circonvenir ceux qui avaient le pouvoir d’approcher 1058 : Douala ou Koslowski. L’un des deux lui ouvrirait bientôt la porte de la cellule zéro, elle se le jurait !

    Elle avait bien cru atteindre son but ce matin, quand Moïse l’avait convoquée dans son bureau sous prétexte de lui donner les consignes du jour. Son plan en montant, était de lui donner ce que chacun de ses regards concupiscents réclamait chaque fois qu’elle y allait : il voulait la baiser ! D’accord ! Mais elle aussi le baiserait en lui soutirant des informations et en lui demandant en cadeau, la permission exceptionnelle de voir la perpète de près.

    Pour la première partie de son plan, elle n’avait eu aucun mal. Il l’attendait, assis derrière son bureau, la braguette ouverte sur une imposante érection. Elle n’avait pas menti à Felipe sur les avantageux attributs du Directeur. Elle avait même intentionnellement été en-dessous de la vérité afin de ménager son ego, démesuré lui, concernant sa virilité et ses prouesses amoureuses. Elle tenait trop à rester dans ses bonnes grâces. Elle avait besoin de lui ! Pour en revenir à Moïse, tandis qu’elle admirait sans ambiguïté le bel objet exposé à ses regards, il lui avait dit sans ambages :

    - Chère Andréa, mettez vous à l’aise et venez donc vous asseoir ici !

    Ce faisant, il lui désignait l’objet en question fièrement dressé. Comment résister à une telle invite, surtout lorsqu’elle émane directement d’un supérieur hiérarchique et que pour couronner le tout ledit supérieur est si bien équipé?

    - À vos ordres patron ! Avait-elle répondu en s’exécutant sans se faire prier d’avantage.

    Éludant les préliminaires, elle l’avait allègrement chevauché, les menant tous deux très rapidement à l’orgasme. Elle allait lui poser les questions qui lui brûlaient les lèvres mais Moïse avait trop attendu pour se contenter de si peu. Il ne lui fallut pas longtemps pour revenir au mieux de sa forme. Pour Andréa, ce fut une vraie fête ! Toute à son plaisir fulgurant, elle en avait oublié le but exact de sa visite. Ce n’était que partie remise et à défaut, il lui restait encore Wladi !

    C’était dans cet état d’esprit, les sens assouvis qu’elle avait rejoint son amant, l’avait excité en ne lui racontant que la moitié de ses exploits avec Moïse et l’avait finalement laissé sur sa faim, trop délicieusement lasse pour avoir envie de faire l’amour une nouvelle fois ! Douala avait épuisé ses réserves pour ce matin-là et, contrairement à ce que croyait Felipe, elle n’avait pas eu besoin de rendre visite à ses détenues favorites. Elle était suffisamment gavée de sexe pour pouvoir réfléchir calmement désormais, au cas qui la préoccupait.

    Quand vint le soir, elle était fraîche et dispose pour sa partouze avec Jiménez et le beau Max, pensionnaire provisoire pour deux semaines encore, de la cellule 27. Ce fut une véritable débauche qui se déroula dans périmètre carcéral de l’aile ouest, ponctuée de gémissements, de cris, de feulements de tigresse en chaleur et de ahanements significatifs qui durèrent pendant plus de trois heures, mettant à vif les nerfs des prisonniers et des gardiens. Et leur libido !

    Pendant ce temps- là, Wladi faisait sa ronde habituelle avant de regagner ses confortables pénates à la surface. Elle avait fait le tour du quartier des femmes, y constatant sans en être étonnée, l’absence d’Andréa. Elle n’avait aucun mal à imaginer où se trouvait la belle garce au lieu d’être à son poste. Elle descendit donc seule au quatrième sous-sol pour vérifier l’état de 1058.01 dont Gertrud lui avait dit qu’elle n’en avait plus pour longtemps. Si elle mourait cette nuit, tout le sale boulot allait lui retomber dessus puisque Johnson lui faisait faux bond. Pour une fois, elle décida de déroger à ses habitudes et d’entrer pour voir ça de plus près. Elle entra, vit et en resta quelques secondes estomaquée ! La prisonnière, entièrement nue en dépit du froid humide et sépulcral qui régnait dans la cellule, était en train de rapetasser pour l’ixième fois la guenille qui lui tenait lieu de vêtement. Andréa avait dû lui en donner l’ordre et elle l’exécutait en dépit de l’heure tardive. Ce ne fut que lorsqu’elle se mit debout sous la lumière falote, les bras levés afin de profiter du faible éclairage pour enfiler une aiguille, qu’elle comprit…

    « Bon sang, elle est enceinte, pas malade ! » S’exclama-t-elle interloquée.

    Baumann était une sacrée cachottière mais pourquoi protégeait-elle la perpète ? Allez savoir avec elle. Ce qui était sûr c’est que ce n’était pas en raison de mœurs particulières où alors elle était encore plus cachottière que ce qu’on pouvait imaginer !

    Wladi appréciait plus que toute autre chose, la paix et la tranquillité. Si le directeur apprenait la vérité, ça ferait des vagues énormes, c’était certain. Et de ce raz de marée là, nul ne sortirait indemne. C’en serait fini du calme de bon aloi qui régnait à la Forteresse. Pourquoi lui parler de ce qu’elle venait de voir ? S’il n’avait pas eu tant les foies, il aurait fait son boulot et se serait rendu compte par lui-même ! Elle allait se taire, voilà tout ! La prisonnière finirait bien par mourir car elle avait effectivement l’air d’être à bout de forces ! Sur ce point au moins, Baumann n’avait pas menti ! Cela pouvait expliquer qu’elle ait décidé de garder secrète cette grossesse inopportune, inconcevable ici !

    Elle ferait pareil tout en gardant l’information comme moyen de pression contre Gertie en cas de besoin. Il restait à espérer que la créature meure en effet le plus vite possible et son bâtard avec elle. Qui se soucierait alors, en la jetant dans la fosse commune qu’elle ait été enceinte ou pas avant de claquer ?

    - 1058.01, rhabille-toi et couche- toi ! Ordonna-t-elle.

    Elle la regarda faire et ne quitta les lieux que lorsque la prisonnière fut allongée sur sa paillasse et recouverte jusqu’au menton.

    « Je n’ai rien vu ! » Se dit elle en refermant la porte sur l’occupante de la cellule zéro et sur son abominable secret. Après quoi elle se dirigea sereinement vers l’aile ouest pour voir un peu ce qu’il s’y passait. Les gémissements qu’elle entendit avant d’y parvenir, lui donnèrent un avant-goût de ce qu’elle allait découvrir. La cellule 27 était grande ouverte sur un spectacle porno qu’elle regarda en silence avant de s’esquiver discrètement. Ce qu’elle avait vu l’avait laissée sans voix mais pas sans émotion. Elle avait beau être mariée et mère de famille, la belle Andréa et ses mœurs dissolues ne la laissait pas de glace ! Au contraire ! Et si elle avait honte du désir qu’elle éprouvait pour une femme, ça ne l’empêchait pas de détester cordialement les deux salauds de mâles qui profitaient ensemble de son corps de déesse !

     


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  • 31 janvier, El Oued, Sahara

     

    Ce jour-là était un temps fort pour les participants du Quatrième Rassemblement. Comme autrefois, la finale du Rallye s’était déroulée sur la longue étendue de sable blond de la plage de Dakar. Comme autrefois, on avait copieusement arrosé les vainqueurs et leur team de quelques couteux magnums d’un champagne renommé.

    La nuit était maintenant tombée sur les derniers bivouacs. Demain, ce serait le retour au pays pour tous, gagnants et perdants. Déjà, les paquebots rembarquaient leurs cargaisons de passagers tandis que sur la plage et aux abords de la capitale sénégalaise, çà et là, on trinquait encore à la victoire ou au simple fait d’être arrivé au bout de l’infernale course à travers l’immense désert truffé de pièges.

    Loin de la liesse générale, les membres de la Roue, eux, s’étaient isolés avec leurs amis pour se réunir à l’abri des regards indiscrets. Pour ce faire, ils avaient rejoint le campement de Blue Hawk, chez les touaregs, à El Oued, en plein cœur du Sahara. Le ciel était pur et clouté de milliards d’étoiles. Il faisait très froid. Un froid mordant mais aucun de ceux qui s’étaient rassemblés là pour accomplir l’immuable rite des Mus, ne le sentait. Ils avaient formé une multitude d’immenses cercles qui se concentraient jusqu’à celui où officiait Hawk et ses plus fidèles amis. Les mêmes qui s’étaient réunis près de la « Pierre levée » en Bretagne, pour y accomplir le rite du savoir destiné à Mary. Comme leur leader, ils s’en souvenaient avec une bouleversante acuité. Il n’y manquait que la vaillante jeune femme, l’épouse emprisonnée du Faucon. Le moyeu de la roue avait dit Hawk cette nuit-là… L’étoile d’émeraude… Comment auraient-ils pu oublier ? Dans ce petit cercle nimbé de bleu comme tous les autres cercles autour de lui, Hawk et sa sœur ne pouvaient s’empêcher de penser que s’ils avaient épargné le rite à Mary... Mais les regrets sont stériles.

    Pour l’heure, il leur fallait canaliser l’immense puissance née de leur union psychique. Celle de plus de dix mille Mutants et Élus, paumes contre paumes et communiant intensément par la pensée. Le Pouvoir de la Roue Universelle se diffusait de l’un à l’autre. Ils le partageaient et plus ils le partageaient, plus il grandissait et se renforçait en chacun d’eux. Il en était ainsi chaque fois, il en avait toujours été ainsi et il en serait ainsi jusqu’à l’ultime Rassemblement qui devait voir l’aboutissement de leur mission sacrée.

    Ce jour là, ils seraient invincibles face à leur ennemi commun, Solomon Mitchell, le Démon déguisé en Sage qui régnait en maître sur les élus de Washington. Celui qu’entre eux, ils avaient baptisé le Dragon noir de la Maison Blanche.

    Une fois encore, dans le calme de la nuit, ils cherchèrent le moindre signe de vie de Mary. Une fois encore, leurs appels demeurèrent vains. Il se passa pourtant quelque chose qu’ils ne purent analyser qu’au petit jour, lorsqu’ils émergèrent après une courte nuit de sommeil, encore épuisés par leurs longues heures de transe rituelle sous les étoiles.

    Ce matin-là, Hawk se réveilla dans un état second, entre désespoir et euphorie, encore incapable de s’expliquer cet assaut d’émotions contradictoires. Dans ses songes, comme trop souvent ces derniers temps, Mary n’était pas là. Il marchait seul dans une nuit si dense et si oppressante que l’angoisse de ne jamais plus revoir le jour l’étreignait. Pourtant, sans savoir où il allait, il avançait droit devant lui. Nul obstacle sous ses pas. Nulle présence rassurante à ses côtés. Nulle vie alentour. Rien que le vide absolu, insondable…

    Le cœur serré dans un étau d’acier, les tempes bourdonnantes, il marchait inlassablement quand soudain, quelque chose de fugace vint frapper sa rétine. Une petite lueur bleue, infime, tremblotante, comme prête à s’éteindre, trouait la nuit opaque.

    Un mirage ? Non ! Deux mirages ! Une autre lueur, verte celle-là, tout aussi faible et vacillante, s’alluma près de la première. Puis elles s’enlacèrent et se fondirent. Loin devant lui, les deux minuscules flammèches réunies semblaient l’appeler, l’invitant à les suivre, lui montrant le chemin. Il se mit à courir comme un fou, les mains tendues vers ces magiques feux-follets mais chaque fois qu’il croyait les atteindre, ils s’éloignaient ou disparaissaient puis réapparaissaient plus loin, hors de sa portée et dans sa tête, lancinant, il entendait comme un doux murmure :

    « Viens… Viens… Viens… »

    Il n’eut pas besoin de raconter son rêve troublant à Fleur de Lune. À quelques variantes près, elle avait fait le même ! Cela n’avait rien étonnant. Le fait qu’ils soient à la fois Mutants et jumeaux les avaient rendus coutumiers de ces similitudes de pensées et de rêves et surtout de leur parfaite simultanéité. Ce qui le stupéfia fut que les cinq autres compagnons qui avaient accompli avec eux le rite sur la falaise bretonne, aient eux aussi vu en songe les deux petites lumières et se soient sentis appelés. Plus incroyable encore, deux normales avaient également fait ce rêve étrange. Jézabel d’abord qui, dès son réveil, avait aussitôt voulu confier à son mari les bribes encore fraîches de son aventure onirique. Elle n’en avait pas eu le temps :

    - Je sais ma chérie ! Je les ai vues moi aussi ! Nous devons en parler à Hawk, je suis persuadé qu’il a fait le même !

    - Et… Loup…

    - Tu es enceinte ! Ça aussi je le sais !

    Elle l’avait pressenti en même temps que lui revenait le souvenir de son rêve. Mais naturellement, il l’avait découvert avant elle. N’avait-elle pas senti sa main chaude et rassurante sur son ventre pendant qu’elle dormait, agitée par ce songe oppressant ?

    - Vous les Mus, vous me surprendrez toujours !

    - C’est pour ça que tu m’as épousé mon amour ! Et à mon contact, tu deviens toi-même chaque jour un peu plus douée. Tu n’en as pas les gènes mais tu seras bientôt une vraie Mutante !

    - Comment ?

    - Grâce à ce petit qui pousse dans ton ventre ! Son sang qui est aussi le mien se mélangera au tien,voilà comment !

    C’était vrai qu’elle avait changé depuis qu’elle vivait parmi eux. Elle ne parvenait pas encore à lire dans les pensées mais son intuition s’était considérablement développée et elle n’avait plus besoin de machine pour analyser les rêves.

    Cependant, le sens de celui-là lui échappait et le fait qu’il soit commun à plusieurs personnes l’emplissait de stupeur et de crainte sans qu’elle sache pourquoi. Lorsqu’elle apprit que huit en tout l’avait fait dont une autre non Mutante, loin d’en être rassurée, son angoisse monta d’un cran. Car Félie, elle aussi avait rêvé des deux petites lumières ! Et Jézabel après avoir entendu le récit de sa version, bien différente de celle de son beau fils, s’expliquait mieux à présent son extraordinaire intuition et la facilité qu’elle avait eue, comparée à elle, pour développer certaines facultés psychiques qui lui étaient encore inaccessibles. Elle était la mère de Mary, la veuve d’un Mutant ! Et quel Mutant à en croire son mari ! Il y avait plus de trente ans qu’un peu de leur sang coulait dans ses veines, mélangé au sien ! Elle était capable depuis longtemps de leur communiquer le fond de sa pensée pour peu qu’elle se focalise sur le destinataire du message. Elle pouvait émettre et recevoir et elle commençait même à savoir « lire ».

    C’est ce qu’elle avait fait tôt ce matin, de Huelva où elle se trouvait encore, en transmettant télépathiquement à Hawk les images fortes qui avaient marqué sa propre nuit, juste après qu’il lui ait lui-même transmis la teneur de son rêve. Mais pour elle, seule était restée vivace la crainte terrible qu’elle avait éprouvée en se réveillant de ce cauchemar. Mary était en danger ! Elle le sentait par toutes ses fibres maternelles et c’est le cœur broyé d’angoisse qu’elle avait raconté sa version du rêve. Il différait de ceux, déjà bien oppressants, qu’elle faisait depuis que sa fille était en prison. En effet, presque chaque nuit depuis la fin du procès, Félie voyait Mary en songe. Le plus souvent, elle ressentait ces apparitions comme de visites décevantes car elle n’était pas vraiment là en dépit de sa présence physique. En fait, elle était comme absente. Elle marchait devant sa mère, indifférente, sans jamais se retourner vers elle, d’une démarche mécanique d’automate, tandis que Félie, elle, devait courber le dos sous l’effort pour parvenir à la suivre.

    Parfois, elle la voyait très nettement dans un lieu sombre et froid. Elle gisait recroquevillée sur un étroit châlit, les deux mains croisée sur le ventre. Elle l’entendait chanter d’une voix de petite fille la berceuse qu’elle avait composée pour elle alors qu’elle n’était encore qu’un bébé…

    Mais cette nuit, elle n’était pas venue comme les autres fois. Félie l’avait juste entendue crier au secours, elle en était sûre. Effrayée et perdue, elle marchait seule au cœur d’une nuit absolue. Désespérée, elle cherchait Mary, scrutant l’ombre dense autour d’elle. Elle criait son nom entre deux sanglots quand, loin devant elle, apparurent deux faibles lueurs qui semblaient l’appeler. Elles clignotaient, l’une verte, l’autre bleue et continuaient à s’éloigner tandis qu’elle s’essoufflait à vouloir les rattraper.

    Soudain, elles disparurent, happées par une ombre immense, noire et menaçante dont émanait un ricanement affreux, démoniaque. C’est alors qu’elle entendit le pathétique appel au secours de sa fille ! Il résonnait dans sa tête, pressant !

    Elle se réveilla en sursaut, les larmes aux yeux frappée au cœur par une terrifiante évidence : Mary était en danger de mort ! C’est ce message qu’elle avait aussitôt lancé à Hawk, certaine qu’il en saisirait toute l’urgence en dépit de la distance. Il le fit.

    Après en avoir fait part à ses amis, il quitta l’Afrique avec eux dès le lendemain. Il rejoignit sa belle-mère en Espagne, avant de regagner en sa compagnie sa retraite cachée en Bretagne. Il devenait impérieux d’établir des plans pour retrouver sa femme. Mais il n’avait pas encore le plus petit indice sur le lieu de sa captivité. Seul son instinct hyper développé lui soufflait qu’elle n’était dans aucun des QHI officiellement répertoriés. Il en avait même la certitude. Si ce qu’il pensait était vrai ça réduisait le champ des recherches mais ça les compliquait aussi car où était-elle alors ?

    À peine eut-il quitté le sol africain qu’il apprit télépathiquement qu’une force impressionnante de gops avait débarqué sur la plage de Dakar, questionnant sans ménagement les derniers fêtards du Rallye. On leur avait signalé la présence d’un grand nombre de mutants. L’ennemi se rapprochait !

     

    Février 2059, Bretagne

     

    La nuit de son retour dans sa cache secrète, Hawk refit le rêve qui l’avait troublé autant qu’inquiété à El Oued et cette fois, la vérité lui fut révélée. Une vérité douce amère !

    …La même nuit d’encre recouvrait toutes choses. Il y marchait solitaire comme la première fois. Une espèce de fébrile attente le portait en avant mais cette fois de nombreux obstacles ralentissaient sa progression vers un but qu’il ignorait. Il lui semblait entendre l’écho faible et lointain d’un double appel et, en contrepoint, les paroles de la berceuse composée par Félie pour sa fille :

    « Petite Mary,

    Lorsque vient la nuit… nuit… nuit… »

    Les tripes nouées d’angoisse, il cria : « J’arrive mon amour, attends moi ! » Mais la berceuse continuait à s’égrener, lancinante :

    « Ferme tes beaux yeux

    Sur tes rêves bleus…bleus…bleus… »

    Il se mit à courir vers la source de cette voix juvénile dont les doux accents mélancoliques lui étreignaient le cœur. Des ronces géantes et acérées se dressèrent soudain devant lui, l’agrippèrent comme douées d’une vie propre. Elles le stoppèrent dans son élan, lui griffant sauvagement le visage, lacérant cruellement son corps et ses membres à travers les vêtements. Il sentait le sang jaillir de mille plaies. Il coulait de son front à ses yeux et se mêlait à ses larmes, lui brouillant la vue.

    Il se dégagea, arrachant sa chemise poissée de sang qui resta accrochée au roncier et il poursuivit sa course folle, indifférent à la douleur. Il trébuchait sur d’énormes et monstrueuses racines qui surgissaient brusquement sous ses pas. Une pluie acide se mit à tomber. Crevant la nuit, elle se déversait sur lui en flots rageurs et le brûlait à travers les lambeaux de jean qui lui couvrait encore les jambes. Son torse nu et son visage égratignés furent bientôt si boursouflés de cloques suintantes qu’il tituba sous l’intensité de la douleur mais il continua à avancer en hurlant :

    « Mary ! Où es-tu ? Réponds- moi mon amour ! »

    Seul un horrible ricanement lui répondit tandis qu’une gigantesque ombre noire s’élevait devant lui, surgie de la nuit même. Elle le dominait comme décidée à l’engloutir. Déjà, il sentait sa consistance visqueuse et froide le pénétrer jusqu’aux os quand, légèrement en retrait, apparut une autre ombre, blanche celle-là. L’ombre noire se détourna de lui en sifflant de rage et de dépit. Elle affronta sa blanche ennemie. Car ces deux là se haïssaient à mort, il le sentait. L’ombre claire tenait entre ce qui paraissait être d’évanescentes mains, les deux petites flammes, la bleue et la verte, talismans protecteurs et trésors protégés. C’était de ces lumières à la fois vives et fragiles, identiques hormis la couleur, qu’émanaient les paroles de la berceuse de Mary :

    « Demain le soleil

    Verra ton réveil

    Mais en attendant,

    Dors bien belle enfant… enfant … enfant… »

    L’ombre maléfique battit en retraite et reflua, se fondant à la nuit environnante…

    Ce fut au cœur même de son rêve que la vérité le frappa de plein fouet. Ce fut un coup terriblement douloureux pour lui. Il comprit enfin pourquoi Mary s’était si obstinément fermée à lui.

    Convaincue d’agir pour son bien et pour celui de sa Mission, elle avait tout fait pour l’empêcher de découvrir son secret, au risque de sa vie et de celles de ses enfants. Les lumières jumelles avaient délivré leur message puisque leur mère ne le pouvait plus.

    « Fais-moi un enfant ! » Avait-elle supplié lors de leur dernière et folle étreinte en Provence, la nuit qui avait précédé ce qu’ils croyaient alors devoir n’être qu’une courte séparation. Ils en avaient conçu deux et son merveilleux pouvoir de Mutant ne l’en avait pas averti. Pourquoi ?

    C’étaient eux qui, du ventre de leur mère, appelaient au secours ! Ne réussissant pas à nouer avec elle dont le cerveau mutilé interdisait toute communication, ce lien si naturel qui existe entre une maman et son bébé, les petits Mus cherchaient d’instinct à en établir un avec leurs semblables. Minuscules balises, ils émettaient de leur lointaine prison. Mais le pouvoir encore embryonnaire dont il disposait et qui était génétiquement le leur, ne permettait néanmoins pas qu’on les localise.

    « Pas encore ! » Pensa Hawk dès qu’il émergea ce songe à la fois pétrifié de crainte et rempli d’espoir.

    Mary avait subi l’humiliante opération depuis plus de quatre mois maintenant. Il craignait autant pour elle que pour ses enfants. Si elle mourait, ils mourraient eux aussi, sans avoir eu la moindre chance de voir le soleil ou de connaître leur père.

    Ce père qu’ils appelaient désespérément du ventre de leur mère ! Et c’est en cela que résidait l’espoir car tant qu’ils parviendraient à émettre, il y avait une chance de les retrouver et par là même de retrouver Mary !

     


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  • Janvier 2059. Continent africain

     

    Le temps du Quatrième Rassemblement était venu. Depuis plusieurs mois déjà, des milliers de membres de la Roue, Mus, Élus et ralliés à la cause étaient arrivés sur place pour préparer l'événement. Cette fois, c’était la cinquième édition du célèbre Rallye des sables qui avait lieu tous les trois ans à la même époque qui servait de prétexte à cette exceptionnelle réunion puisque c'était la Roue qui l'organisait secrètement. Émule de l'ancien Paris-Dakar dont la Grande Crise avait interrompu le traditionnel et annuel déroulement, le Rallye des sables avait repris le relais en 2047.

    C’était une course plus fabuleuse encore que le Dakar, ouverte à tous les inventeurs de véhicules « propres » auxquels elle servait de banc d'essai. Elle attirait chaque fois des milliers de passionnés venus des quatre coins de la planète. Sa rareté - tous les trois ans seulement - en faisant l'une des manifestations les plus sensationnelles du Monde. On y découvrait les plus extraordinaires prototypes, des merveilles d'ingéniosité, à la pointe de la recherche en matière de nouveaux modes de propulsion. La bioénergie, l’hélio énergie, l’électro énergie, transformaient autos, motos, camions, bus, en véhicules du futur.

    Un futur pas si éloigné que chacun rêvait de voir devenir accessible à tous !

    Ces bijoux rutilants sous le soleil saharien étaient pilotés par des professionnels chevronnés, aidés du copilote électronique qui équipait tous les véhicules en plus du copilote humain pour les quatre roues.

    Bien des gens économisaient pendant des années pour faire le voyage jusqu'en Afrique. Autrefois, on aurait affrété de volumineux charters. Mais les transports par air étaient extrêmement limités, réservés même au transfert exceptionnel des bataillons des forces spéciales vers les sites où elles pouvaient être utiles. Même les membres du gouvernement qui y avaient pourtant droit, n’en profitaient que très rarement, afin de respecter au mieux la loi antipollution. À présent, les grands déplacements terrestres se faisaient en train pour la plupart et pour traverser les océans, on utilisait le bateau. En l’occurrence, pour cette expédition vers l’Afrique, les aficionados avaient embarqué sur des voiliers gigantesques et d’immenses hélio-boats. Ces impressionnants paquebots transportaient également les hélio-bus qui serviraient sur place, à convoyer les voyageurs dans le désert où se déroulait l’évènement. Des voyageurs ravis de faire peut-être la seule croisière de leur vie pour assister à la plus mythique des courses. C'était cher, long, on avait parfois le mal de mer mais le Rallye des sables en valait la peine !

    Cette fois, Félie n'avait pas suivi Hawk. Amoindrie par la disparition de sa fille unique, usée par la perpétuelle errance que la chasse aux Mutants leur imposait, elle avait été mise en sécurité chez des amis du mouvement à Huelva, dans le sud de l'Espagne. C'est donc sans sa maternelle et affectueuse présence qu'accompagné de Fleur, Lazaro, Jézabel et Loup, Hawk avait discrètement embarqué sur un bateau de pêche en partance du petit port d'Algésiras, à l'extrême sud de la péninsule ibérique. Sa belle-mère lui manquait bien sûr mais en même temps, il était soulagé de ne plus l'avoir continuellement sous les yeux, vivant reproche de l’absence de Mary.

    C'est du moins ainsi qu'il ressentait les regards toujours tristes qu'elle posait sur lui depuis plusieurs semaines. Des regards éperdus de douleur qui faisaient écho à sa propre peine et qui semblaient lui dire :

    « Il y a maintenant presque quatre mois que ma fille est en prison, diminuée, aux portes de la mort peut-être et que faisons nous ? Où en est son pauvre cerveau mutilé à présent ? C'est ma faute, c'est ta faute ! » Croyait-il lire dans les prunelles dont l’émeraude s’était peu à peu terni sous l’effet du chagrin. Il se trompait bien sûr ! Félie n'était pas du genre à le culpabiliser ni à se culpabiliser elle-même. Elle souffrait seulement du même manque que lui et ne parvenait plus à lui cacher sa détresse. Mais elle au moins avait des tas de souvenirs de sa fille, des photos d’elle enfant et adolescente, des objets qui lui avaient appartenu et qu’elle conservait pieusement dans le grand sac qui la suivait partout depuis qu’elle avait quitté sa maison provençale. Elle avait aussi les longues années qu’elles avaient vécues ensemble…

    Lui, n’avait eu qu’un petit mois de bonheur. Les souvenirs qu’il avait de Mary avant leur rencontre, il les lui avait volés à son insu. Certes, il avait vécu des années avec elle, mais de loin, sans jamais la toucher. Sans recevoir d’elle comme Félie, le rayonnement de sa chaleur, de sa tendresse et de son amour. Il ne lui restait plus que ses rêves pour la lui restituer intacte. Car il rêvait d’elle chaque nuit et dans ces songes, elle était encore plus belle que lorsqu’il l’avait quittée, là-bas, dans le petit hameau où le mas fleuri de sa mère abritait de nouveaux propriétaires.

    Mary…Il revoyait ses opulents cheveux blonds et parfumés. Plus longs que dans ses souvenirs cependant. Dans ses rêves, ils lui arrivaient maintenant à la taille. Et ses étonnants yeux verts brillaient de plaisir tandis qu’elle livrait à sa bouche affamée, à ses mains fiévreuses, les rondeurs frémissantes de ses seins et la douceur crémeuse de sa peau…

    Il revivait à l’infini chaque instant de leurs tumultueuses étreintes. Chaque fois, il se réveillait, trempé de sueur, le cœur battant à grands coups frénétiques, le sexe dur et douloureux. Les sanglots restaient bloqués au fond de sa gorge serrée. Il avait beau se dire que ce n’était qu’un rêve, que Mary ne ressemblait plus à la femme merveilleuse qu’il avait connue, que ses cheveux avaient été rasés comme le sont ceux de tous les détenus, que ses yeux de lobo étaient désormais sans vie, c’était pourtant bien la sensation des lèvres douces et amoureuses de sa sirène sur son corps, de sa moiteur de femme autour de lui, qui persistaient bien après son réveil et le laissait pantelant de frustration. Vaincu, il ne pouvait empêcher ses doigts de se refermer sur ce désir douloureusement tendu qui réclamait l’assouvissement. Il pleurait alors et ses cris de rage et de désespoir se répercutaient entre les murs de sa chambre et dans le silence de l’aube naissante tandis que jaillissait sa semence inutile.

    Cependant, ces derniers jours ses songes avaient pris une inquiétante tournure. Mary l’appelait mais il ne la voyait plus. Sa voix plaintive lui parvenait déformée, faible et lointaine. C’était une voix flûtée de petite fille dans laquelle il reconnaissait néanmoins les intonations de sa femme. Elle égrenait les paroles d’une berceuse semblait-il :

    « Petite Mary, lorsque vient la nuit, ferme tes beaux yeux sur tes rêves bleus… »

    Puis elle répétait inlassablement, sur un ton monocorde et mécanique les mêmes mots : « Viens…Viens… Viens… »

    Invariablement, à ce moment du rêve, il se réveillait, comme poussé par le besoin irrépressible de répondre à cet appel lancinant. Il se retrouvait debout, déboussolé, le cœur en capilotade.

    Où qu’il se trouve, quelle que soit l’heure et quelque temps qu’il fasse, il se rendait alors compte qu’il se trouvait dehors sans savoir comment il y était arrivé, les yeux levés vers le ciel. Vers les étoiles, même lorsqu’elles étaient cachées par les nuages ! Même lorsque le jour commençait à poindre ! Puis, le cœur lourd, résigné, il se recouchait. Et juste avant que le sommeil ne le reprenne dans ses rets, il avait l’impression d’entendre encore la voix enfantine et mécanique qui disait :

    « Étoiles… Étoiles… »

    Chaque fois, immanquablement, il retombait dans les rêves d’avant. Ceux où elle apparaissait ! Mais la déception était à la mesure de son attente car ce n’était plus vraiment elle. Elle ressemblait plutôt à un zombie. Effrayante de maigreur, le crâne affreusement rasé et le regard totalement inexpressif, elle marchait près de lui sans le toucher. Les yeux profondément enfoncés dans les orbites, dénués de toute vie qu’elle posait sur lui ne semblaient ni le reconnaître ni même le voir.

    Il était persuadé que ces horribles songes, des cauchemars plutôt, la lui montraient telle qu’elle était devenue dans la cruelle réalité de son univers concentrationnaire et une peur sournoise le tenaillait.


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  • Washington

     

    Adam siégeait donc avec les autres chaque mois et si le reste du monde ignorait le jour du conseil des Sages, la Roue elle, grâce à lui, le connaissait.

    Au cours de ces réunions très sérieuses, les membres du gouvernement débattaient des problèmes de la planète et péroraient inlassablement sur les moyens idéaux à mettre en œuvre pour régler chacun d'entre eux en respectant les lois qu'ils avaient eux-mêmes édictées.

    Dotés des mêmes pouvoirs que les Mus, l'Élu, lui, n'avait aucun mal à déceler le mensonge derrières ces discussions sages en apparence. Il décryptait aisément les noires pensées qui en agitaient plus d'un. Peur, haine, ambition…Il percevait sans peine mais avec une inquiétude grandissante, leur crainte irraisonnée des mutants savamment entretenue par Solomon Mitchell.

    Le Monde, ignorant leurs manigances pour maintenir les peuples sous leur coupe, obéissait à leurs préceptes. Mais les mutants eux, ces anormaux notoires selon une opinion sous influence, avaient le pouvoir de lire dans leurs esprits donc de savoir ce que les normaux ignoraient. Voilà pourquoi il devenait de plus en plus urgent de s'en débarrasser. Les Sages trompaient le peuple et ils craignaient plus que tout d'être découverts. Ils étaient de plus en plus nombreux à avoir été cooptés par les anciens demeurés en place ! Lui-même ne l'avait-il pas été par le plus dangereux d'entre tous, Mitchell en personne ?

    Dès qu'il avait été pressenti par Blue Hawk pour cette opération d'infiltration, il avait commencé à graviter dans les cercles très fermés de l'élite mondiale où, écrivain et philosophe renommé, il avait sa place et ses entrées. Il espérait y rencontrer un jour ou l'autre, celui que tous avaient baptisé « le Révérend » sans jamais prononcer son véritable nom. Or celui-ci, pour avoir les mains plus libres, préférait l'ombre à l’éclairage trop vif des sunlights. On ne le voyait donc que très rarement dans les raouts organisés par la Haute Société.

    Ainsi évitait-il autant qu’il lui était possible, galas de bienfaisance, bals des débutantes et autres soirées mondaines toujours prisées par ceux que leur position privilégiée politique ou sociale obligeait plus ou moins à ce genre de mondanités.Il n'était pas de ceux qui aiment à se montrer lors des salons, congrès, festivals ou grands meetings nationaux et internationaux. Il laissait à d'autres les honneurs liés au plaisir d'être vu, filmé, photographié, interviewé.

    S'il se rendait à l’un de ces rassemblements de foule qu'il détestait, c'était incognito. Si on le connaissait pour l'avoir lu sur la liste des Sages désignés, le véritable nom du « Révérend » était vite oublié. Solomon Mitchell était donc une ombre pratiquement anonyme et tenait à le rester.

    À force de persévérance, Adam avait cependant fini par le rencontrer, tout à fait par hasard avait alors cru Solomon, lors d'une de ces rarissimes fois où il avait consenti à se rendre au vernissage organisé pour l’ixième exposition « géniale » d'un peintre célébrissime.

    - Parce que, lui avoua-t-il par la suite, il faut bien sacrifier quelquefois un peu de sa tranquillité et se montrer, juste pour que ceux qui visent votre place sachent que vous êtes toujours vivant ! »

    - Je suis bien d'accord avec vous ! Avait acquiescé Adam

    Ils furent heureux de se découvrir déjà ce point commun. Puis un autre quand ils s'avouèrent avoir voulu échapper au bruit et à la foule clinquante qui se pressait autour du génie de la palette pour le congratuler.

    C'est dans un petit salon attenant à la galerie où Solomon s'était réfugié, qu'Adam l’avait psychiquement repéré. Les effluves de son aura particulière et sombre avaient dirigé ses pas. Un parfum nauséabond que diffusaient les pensées grouillantes et malfaisantes de l'homme. Un malaise profond l'avait envahi qui avait failli le faire renoncer à sa mission. C'est les tripes nouées d'une funeste appréhension qu'il avait néanmoins poussé la porte. Tout de noir vêtu, « le Révérend » était assis au fond d'un confortable fauteuil club de cuir fauve. Il fumait nonchalamment un gros havane dont il savourait les riches senteurs les yeux mi-clos. Un luxe et un délit ! Le tabac était interdit !

    - Oh ! Veuillez m'excuser, je ne vous avais pas vu ! S'était-il exclamé en faisant mine de découvrir sa présence.

    - Cet endroit est à tout le monde ! Avait rétorqué l'autre d'un ton peu amène sans bouger d'un pouce.

    - Cette foule caquetante m'étourdit ! Avait invoqué Adam en guise d'excuse pour son intrusion.

    - Ah ! Vous aussi ! Comme je vous comprends ! Asseyez-vous donc !

    - Merci ! Avait répondu Adam en s'installant avec un soupir heureux dans le fauteuil jumeau qui faisait face à celui de Solomon.

    Il avait fermé les yeux mais entre ses cils, il avait minutieusement observé son adversaire Durant deux ou trois minutes, ils n'avaient pipé mot ni l'un ni l'autre.

    C'est le « Révérend » qui avait le premier brisé le silence feutré de la pièce.

    - La fumée ne vous gêne pas j'espère ?

    - Pas du tout ! C'est même un délice après tous ces remugles de parfum et d'after-shave !

    - Ah ! Vous fumez peut-être ? Avait demandé Solomon en lui tendant un cigare.

    - Volontiers, merci ! Avait-il accepté

    Puis, sous le regard appréciateur de l'autre, il avait savamment préparé le coûteux cigare de contrebande, se préparant mentalement à en respirer la fumée délétère autant que délictueuse.

    - Hum ! Connaisseur à ce que je vois ! Avait fait le Sage, un sourire naissant sur son visage austère. .

    Ils avaient savouré en silence le tabac épicé et le moment béni, isolés du reste du monde par les murs tendus de toile pourpre du petit salon. Adam avait ainsi pu l'observer à loisir. L'homme était grand en dépit de la légère voussure dorsale qu’Adam découvrit lorsqu'il se leva pour leur servir un doigt de whisky à tous deux. Une voussure qu’il semblait accentuer à dessein. Ses cheveux poivre et sel qu’il portait courts et coiffés en arrière, dégageaient un front haut et large dénotant une vive intelligence. Une courte barbe en collier du même ton encadrait un visage carré, comme taillé à la serpe.

    Les yeux aux prunelles acérées - grises ou bleues, il ne savait- se cachaient derrière de grosses lunettes à verres fumés et à monture d'écaille. À n’en pas douter, c’était de propos délibéré qu’il en portait car en cette époque où l'on guérissait sans peine tous les dysfonctionnements de la vue, les lunettes n’avaient d’autre utilité que celle de se donner un genre ou de changer d'apparence. Plus pratiques et moins onéreuses que la microchirurgie optique, les lentilles suffisaient pour varier à volonté la couleur des yeux.

    L'énergie indomptable et la sévérité des traits étaient encore accusées par un nez légèrement aquilin et par une lippe dédaigneuse. Une carrure impressionnante et des mains comme des battoirs complétaient l'impression de puissance dominatrice, dangereuse qui se dégageait du personnage qui de son côté, le scrutait lui aussi très minutieusement. Ce ne fut qu'après de longues minutes de ce silence partagé qu'ils se décidèrent à se présenter l'un à l'autre, comme mus par le même besoin primaire de faire connaissance.

    - Phil Adams, écrivain et philosophe. Commença Adam d'un ton faussement pompeux destiné à démontrer à son vis-à vis qu'il se foutait pas mal des honneurs liés à son statut.

    - Solomon Mitchell, Sage parmi les Sages poursuivit l'autre sur le même ton.

    Adam put presque entendre le ricanement sardonique qui s'éleva dans le cerveau de Mitchell lorsqu'il prononça le mot sage.

    Ainsi débuta leur étrange amitié. Ils échangèrent leurs coordonnées, se contentant tout d'abord de longues conversations à distance. Puis ils commencèrent à se rencontrer régulièrement, pour un dîner impromptu ou pour l'une ou l'autre de ces soirées obligatoires pendant lesquelles, ainsi qu'ils l'avaient fait lors de leur première rencontre, ils s'isolaient de la foule bruyante pour discuter et confronter leurs opinions sur tout et sur rien, ravis chaque fois de se découvrir de nouvelles affinités.

    En présence d'Adam, Solomon perdait un peu de sa coutumière froideur, apparemment heureux d'avoir trouvé en ce jeune homme ambitieux une espèce d'alter ego. Un être qui, comme lui, ne s'embarrassait ni de préjugés ni de morale et ne s'offusquait pas, au contraire de tant d'autres, de sa mégalomanie galopante. Mieux, derrière le masque sympathique et rassurant du penseur, son nouvel ami semblait la partager. Leur différence d'âge : 60 ans pour Solomon, 38 pour Phil, ne fut pas un obstacle à cette amitié, au contraire. Le « Révérend » jouait avec délice le rôle du mentor auprès de ce jeune philosophe aux idées larges. Bientôt, les rares fois où il consentit à paraître en public, on ne le vit plus sans son protégé. Aussi, lorsqu’il lui demanda de faire partie du futur Gouvernement des Sages, Adam, jubilatoire, sut parfaitement jouer de l'étonnement et de la joie que suscitait en lui cette alléchante proposition. Il avait atteint son objectif et le grand manipulateur de la Maison Blanche ne se rendait pas compte qu'il avait été lui-même manipulé

    - C'est un immense honneur que tu me fais là mon ami mais je ne suis pas sûr de le mériter.

    - À d'autres mon cher ! Tu me ressembles comme un frère et nul autre que toi ne mérite autant cette place. En ce lieu où je me méfie de chacun, tu seras le seul en qui je puisse avoir confiance. Tu seras mon bras droit Phil.

    Son bras droit, rien que ça ! Le plus fidèle serviteur du Deus ex machina trônant au -dessus des Sages, son plus fervent soutien, son plus aveuglément admirateur aux yeux de tous ! En fait, son pire ennemi dans la place ! En acceptant, il avait croisé les doigts dans le dos afin de conjurer le mauvais sort. Si Solomon découvrait un jour son rôle réel auprès de lui, il ne donnait pas cher de sa propre peau !

    Comme les autres Sages mais en apparence seulement lui, Adam buvait la moindre parole du « Révérend ». Le sobriquet lui allait bien !

    Ses propos lors de leurs réunions officielles, généralement teinté de mysticisme et prononcés sur un ton sentencieux de prédicateur, tenaient plus du sermon que du discours politique. Ils dénonçaient en Solomon le fils de pasteur qu'il était. Destiné à succéder à son père, il avait choisi une autre voie. Brillant diplômé de John Hopkins, il était devenu un jeune neurologue de génie avant de se reconvertir à la politique par goût immodéré du pouvoir. Doté d'un extraordinaire charisme et possédant à fond l'art de convaincre en douceur, il avait su, sous ses dehors faussement modestes, se faire remarquer du groupe d'hommes et de femmes qui s'étaient fédérés pour rechercher les membres idéaux du premier Gouvernement mondial. Solomon Mitchell faisait figure de Sage par excellence. Qui aurait pu se douter alors, à quel point déjà il savait cacher son jeu et ses véritables motivations ?

    Depuis et à force de magouilles, de pots de vin et de chantages divers, il n'avait jamais quitté les rangs des élus mondiaux qui, année après année, continuaient à voir en lui dès qu'ils le rencontraient, un chef puissant, redoutable et de ce fait, incontesté.

    Ils passaient insensiblement de l'admiration dévote pour le grand homme, à la peur qu'il finissait toujours par faire naître en eux tant sa soif de domination se révélait insatiable. Il semblait connaître les ambitions secrètes, les désirs les mieux cachés de chacun d'entre eux et il savait les satisfaire. Il leur procurait à volonté, pouvoir, honneurs, argent, sexe attendant d'eux en contrepartie une adhésion tacite à ses idées.

    Il fustigeait les faibles et les timorés qui se réfugiaient derrière leur rassurante image de Sage pour refuser de sacrifier un pouce de leurs « idéaux à la petite semaine. » ainsi qu’il les qualifiait.

    « Si vous n’êtes pas capables de comprendre que ce n’est pas avec un idéal - si noble soit-il - que l’on fait tourner le Monde, vous n’avez rien à faire avec nous ! Car, n’en doutez pas, nous avons la charge de la planète, une charge lourde et rude qui ne peut souffrir aucun faux-fuyant et qui en aucun cas ne peut incomber à une bande d’enfants de chœur. Pour mener à bien cette tâche immense, il nous faut être nous-mêmes, rudes et sans pitié envers les faibles et les mous qui voudraient entrer dans nos rangs ! » Clamait-il

    Ce faisant, il isolait du reste du troupeau qui mangeait dans sa main, la poignée d’irréductibles idéalistes qui résistait encore à ses manigances, rendant très vite la position de ces véritables Sages au sein du gouvernement tellement intenable qu’ainsi pressurés, soudoyés, menacés, ils finissaient immanquablement par démissionner ou le plus souvent, par tomber sous sa coupe même si c'était à contrecœur. Surtout quand ils apprenaient, tout à fait fortuitement, comme par hasard, que les rares démissionnaires ne profitaient pas longtemps de leur liberté d’expression, ni de leur liberté tout court ! Étrangement, peu après leur départ du gouvernement, ils disparaissaient tragiquement : noyade, accident de ski, incendie de leur maison, chute mortelle lors d’une partie d’escalade…

    La peur, toujours la peur pour asservir lorsque la flatterie ne marchait pas, voilà comment fonctionnait Solomon. D'une façon comme de l'autre, la majorité des Sages devenaient tous, à plus ou moins brève échéance, des pantins serviles entre ses mains habiles, entérinant de bon ou de mauvais gré ses thèses les plus insensées.

    C'est lui qui, jouant des peurs intrinsèquement humaines, avait su petit à petit ancrer chez les membres des gouvernements successifs, la crainte toujours présente - à l'état latent chez certains - de l'anormalité et du retour des sectes apocalyptiques si bien représentée par les mutants.

    Une crainte si parfaitement entretenue qu'elle en était devenue démesurée au point de faire de la lutte contre l'anormalité et les sectes une priorité incontournable du programme gouvernemental mondial. Les mutants, monstrueuse et démoniaque entité, étaient ainsi devenus au fil du temps, l'Ennemi public numéro un. Celui que l'on doit détruire à tout prix afin qu'il ne puisse pervertir le Monde ou pire, le détruire en en souillant irrémédiablement la pureté mentale.

    « Ce n'est pas à nos corps qu'ils en veulent mais, ce qui est pis, à nos esprits et à nos âmes ! Ils sont un fléau bien plus mortel que ceux qui frappèrent notre Terre lors de la Grande Crise. Ces maux terribles, après des années d'efforts soutenus, armés de persévérance et d'espoir, nous les avons éradiqués. C'est notre sagesse retrouvée qui nous les a fait vaincre ! C'est cette même sagesse qui nous fera vaincre le dernier Grand Mal qui risque de détruire notre Monde dans ce qu'il a de plus précieux, sa pureté et sa normalité. Il est de notre devoir de supprimer les mutants qui portent en eux le germe de ce mal destructeur ! » Prêchait le Révérend dont les sermons étaient repris et répétés inlassablement par les dirigeants du GUT depuis des années, sous forme de discours venimeux et vitupérant destinés à secouer les foules, à les faire trembler d'une terreur quasi religieuse devant la gravité terrifiante de la menace mutante.

    Et la voix des Sages n'avait jamais été aussi forte ni aussi impérieuse. Les nouvelles que Phil Adams faisait parvenir à Blue Hawk étaient alarmantes !

    À l'abri de son bunker secret, creusé à six niveaux au-dessous de la Maison Blanche, bien en dessous de l’officiel abri blindé, secondé par les éminents experts à sa solde qui avaient inventé les brouilleurs-psy, Solomon avait mis au point un analyseur de pensée conçu pour percer les mystères des seuls cerveaux mutants.

    Il l'avait en effet tout d’abord essayé sur un normal de ses ennemis. Le pauvre cobaye l'avait payé de sa vie. Son cerveau malmené par les puissants capteurs d’ondes mentales, n'avait pas résisté. Il avait explosé comme une pastèque trop mûre sans avoir rien livré des secrets de son trop ordinaire fonctionnement. Il lui fallait donc maintenant et à tout prix un cerveau d'anormal pour vérifier à la fois le fonctionnement de l’appareil et l’exactitude de ses thèses concernant l’origine de l’exceptionnelle résistance et du diabolique pouvoir du cerveau des mutants ! Voilà pourquoi il en avait encore intensifié la chasse, augmentant de quelques milliers de dryes la récompense déjà rondelette offerte pour la capture d'un membre de la secte abhorrée. Sa machine infernale attendait un rat de labo à sa mesure !

    Depuis qu'il savait que l'analyseur-psy était fonctionnel, Adam ne se sentait plus en sécurité à Washington. Aucun de ceux qu'il avait embauchés à son service de Sage ne l'était d'avantage. Ses deux conseillers, dont l'un était sa propre femme et ses trois secrétaires, étaient tous des Élus. Son chauffeur particulier et l'un de ses gardes du corps étaient des Mus qui avaient transformé leur apparence pour passer inaperçus. Même le deuxième garde du corps, un grand noir de ses amis, bâti comme un coffre-fort, courait de grands risques à faire partie de son entourage si lui, Phil Adams, nom de code Adam, venait à être découvert.

    Mais il y avait encore pire ! Lors de leur dernière rencontres privée un mois auparavant, en le sondant discrètement ainsi qu’il il le faisait chaque fois par précaution, il avait pu capter brièvement dans ce cerveau bouillonnant en permanence, l'un de ses secrets les mieux gardés : Mitchell préparait le prochain Gouvernement mondial, celui qui allait présider aux destinées de toute la planète en 2065.

    Afin de s'en annexer à l'avance la plus totale et parfaite loyauté, il n'avait rien trouvé de mieux que de se le fabriquer de toutes pièces et sur mesure !

    Cet homme-là ne reculait devant rien pour satisfaire sa soif de pouvoir !

    C'était une opération de grande envergure qu'il préparait depuis des années. Des centaines d'hommes et de femmes - il fallait compter sur un certain pourcentage de déchets pour cause de mort prématurée par exemple - qu'il avait choisis méticuleusement au gré de rencontres apparemment fortuites et sur lesquels, après les avoir proprement et discrètement enlevés, il avait fait pratiquer un radical lavage de cerveau suivi d'un conditionnement rigoureux par hypnose avant de les remettre en circulation. Par la suite, lorsque la technique en avait été parfaitement au point, il les avait fait revenir dans ses labos secrets pour leur faire subir une lobotomie personnalisée tout à fait spécifique et à effet retard. Lorsqu'ils sortaient de la salle d'opération, ils étaient prêts, par activation d'un stimulus vocal et visuel, à répondre à son appel. Programmés pour devenir de sages dirigeants du Monde, à sa solde naturellement, il les ferait sortir de l'ombre lorsque le moment serait venu. Un simple coup de visiophone suffirait.

    De la même façon et à plus grande échelle encore, il façonnait la première armée de parfaits androïdes, spécialisée dans le repérage et l'élimination des mutants. Ces soldats « dormeurs » constituaient la plus formidable force paramilitaire n’ayant jamais existé. Et le gouvernement l’ignorait. La terre entière l’ignorait. L'armée de l'ombre de Solomon attendait d'être complétée. Alors elle aussi serait activée. C'était l'affaire de deux ou trois ans tout au plus !

    Solomon Mitchell voulait un Monde à son image, normal, pur et sans taches. Parce qu'il se croyait le garant idéal de la pensée unique et de la normalité, comme cet autre dictateur, bien longtemps avant lui avait été persuadé de l’être de la pureté raciale, il était prêt à toutes les compromissions pour parvenir à ses fins. À toutes les bassesses, à tous les crimes…Et ce qui le rendait encore plus éminemment dangereux, c'est qu'en dépit de la proximité qui le rendait un peu plus lisible aux télépathes, même les plus habiles sondeurs se heurtaient toujours à une espèce de noyau très dur, très noir et totalement impénétrable. Seul Adam jusqu'alors avait réussi à s'en approcher et lorsqu'il avait tenté de le faire éclater pour voir ce qu'il protégeait, il avait ressenti une douleur si intense qu'il avait aussitôt battu en retraite, non sans avoir senti sur lui le regard scrutateur du « Révérend »

    Danger !

    Bien qu'il soit trop loin mais parce qu'il était l'un des plus affûtés en la matière, Hawk avait essayé lui aussi de percer ce noir mystère. Comme Adam, il avait dû renoncer. Lui, c'était une peur abjecte prenant naissance aux tréfonds de ses entrailles qui l'avait fait reculer. Une peur déjà ressentie auparavant et qu'il ne s'expliquait toujours pas…


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  • Janvier 2059

     

    Les unités surentraînées des Forces Spéciales Gops et les espions à la solde du Gouvernement Mondial étaient en effervescence. La chasse contre les mutants et leurs alliés s'intensifiait. Les membres de la Roue, plus que jamais assimilés à des adeptes forcenés d'une secte extrêmement dangereuse, faisaient l'objet de fortes mises à prix pour leur capture. La prime était même très attractive pour tout gop qui parviendrait à en attraper ne serait-ce qu'un seul : un demi million de dryes, une grosse somme justifiée par le fait que les mutants paraissaient avoir disparu de la surface de la terre depuis le suicide de l'un des leurs lors du procès de Mary-Anne Conroy-Defrance.

    En revanche, les dénonciations anonymes faisaient rage et les pauvres innocents qui en pâtissaient, disparaissaient à jamais de la circulation, tout comme leurs délateurs lorsque les forces de l'ordre mettaient la main sur eux Mais ces choses là se faisaient dans la plus totale discrétion. Nul n'entendait jamais parler de ces milliers de bavures et nul ne les soupçonnait avant d'en être soi-même victime. C'était alors trop tard.

    Ce climat de délation sauvage obligeait Hawk et ses amis à rester dans l'ombre et les forçait en outre à d'incessants déplacements. Désormais, plus une seule cache n’était sûre bien longtemps.

    Cette fuite en avant perpétuelle pesait à Hawk et l'empêchait de se concentrer sur les opérations de recherche de sa femme. Pourtant, il ne désespérait pas. Avec son état-major habituel, il préparait activement le quatrième Rassemblement qui devait se dérouler incessamment sur le sol africain, en plein désert saharien.

    Toujours miné par l'absence de Mary, il suivait néanmoins de près les développements de la politique mondiale. Ça bougeait pas mal depuis la formation du quatrième gouvernement des Sages que la Roue avait infiltré à l'insu de tous.

    Oui, depuis mars 2058, le ver était dans le fruit. Il s'agissait d'un Élu, insoupçonnable parce que notable parmi les notables de la planète depuis longtemps. Il avait été choisi de longue date par Hawk lui-même pour cette mission délicate et périlleuse et avait, pour la remplir, mené une vie publique qui le mettait bien en vue. C'est donc le plus naturellement du monde qu'à l'instar des autres, il avait été désigné par ses pairs pour siéger dans ce nouveau gouvernement. Son nom de code était Adam, en référence à la pomme dans laquelle il était le ver. Depuis, il jouait le sale rôle de pourri parmi les pourris tout en informant secrètement les siens des manigances des hôtes de la Maison Blanche.

    Si l'originel Gouvernement Unique de la Terre - le GUT comme disait la populace - avait été à sa création, véritablement composé de femmes et d'hommes sincères, décidés à sauver un monde en perdition, il n'en était plus de même à présent. On aurait pu penser qu'après l'horreur de la Grande Crise, cette sagesse retrouvée et si chèrement acquise, durerait. Mais hélas, les Hommes n'apprennent rien !

    Ils finissent toujours par retomber dans leurs erreurs et oublient qu'on ne donne pas impunément le pouvoir suprême. Pas plus qu'on ne le reçoit sans risquer de se perdre. Même les plus saines des démocraties l'ont démontré : le pouvoir pervertit. Les plus idéalistes finissent par s'y brûler les ailes, oubliant que les rênes qu'ils tiennent en mains ne leur appartiennent pas en propre, qu'ils leur ont été confiés par le peuple. Ils finissent par oublier qu'au-delà de leurs ambitions personnelles, c'est le peuple qu'ils représentent, le peuple pour lequel ils travaillent. Ils oublient qu'à l'origine, pouvoir, est un verbe d'action, pas un verbe d'État. Ils oublient qu'ils n'ont la possibilité d'agir que parce que d'autres, confiants en leur compétences, leur ont donné le mandat pour le faire à leur place, tout en gardant le droit de leur demander des comptes pour ces actions. Insensiblement, ils détournent à leur profit cet octroi du peuple. C'est ainsi qu'au fil du temps le verbe pouvoir est devenu le vocable Pouvoir et que les hommes et les femmes à qui il est confié, ont la fâcheuse tendance à finir par s'identifier au vocable. Ils deviennent le Pouvoir.

    Voilà pourquoi il leur est si difficile de renoncer à ce qu’ils sont !

    Les hôtes provisoires de la Maison Blanche ne faisaient pas exception à cette triste règle. Le rôle privilégié de Sage, qui plus est dans un gouvernement planétaire, c’est à dire bien plus gratifiant que celui de simple président élu à la tête de son pays, possédait un redoutable attrait : placés là par les pairs de tous les peuples de la planète, les désignés devenaient en quelque sorte, les maîtres du Monde. Il y avait là de quoi finir par faire tourner la tête aux plus sages d'entre les Sages. De quoi leur donner très vite l'envie de garder le plus longtemps possible cette bien trop provisoire suprématie.

    Si en 2037 ils avaient unanimement fixé la durée maximum de leur mandat et par extension celui de ce premier GUT et des suivants à cinq ans, dès la formation du quatrième, en 2052 ils avaient fait passer leur mandat à six ans « Afin de se donner un peu plus de temps pour finaliser leurs actions.» Arguèrent-ils.

    En ce qui concernait les Sages installés en mars 2058, ils s'empressèrent, eux, de voter en chœur le septennat comme limite à la durée de leur propre mandat.

    « Sept ans, dirent-ils, c'est tout juste le temps qu'il faut pour assurer la pérennité des grands projets »

    Mais il semblait que même sept ans, ce soit trop peu aux yeux de certains !

    Grâce à Adam, la Roue put vérifier ce qu'elle soupçonnait déjà. Un petit groupe de Sages plus dévorés d'ambition que les autres, avait réussi à se maintenir en place lors de la formation du deuxième GUT. Quinze d'entre eux, issus du premier, avaient brigué un deuxième mandat et nul ne leur avait dénié ce droit. Pendant ces cinq années, la tâche avait été rude pour remettre à flot une économie mondiale exsangue et pour commencer à réparer les blessures infligées à la Terre. L'ampleur de ce qu'il restait encore à faire, en rebutait plus d'un et les candidats ne se bousculaient pas aux portes de la fastueuse Maison Blanche, miraculeusement épargnée par les multiples attentats terroristes qui avaient frappé tous les grands édifices gouvernementaux durant les années noires de la Grande Crise.

    Dieu sait comment - corruption, chantage et autres magouilles - ce noyau dur parvint à survivre au deuxième puis au troisième gouvernement, asseyant chaque fois un peu plus sa domination sur les nouveaux, les amenant à force de pots de vin, de menaces voilées ou de mensonges éhontés, à adhérer à ses thèses de moins en moins démocratiques.

    Les Sages ainsi manipulés finirent même par penser qu'ils agissaient pour la bonne cause. Ils cautionnèrent les yeux fermés, toutes les actions visant à atteindre l’objectif mis en place avant leur arrivée. Quant à ceux qui n’étaient toujours pas prêts à se plier de bonne grâce, ou ils cédèrent face à la puissance de coercition de ce noyau implacable, ou ils disparurent opportunément de la scène gouvernementale et furent remplacés par de malléables « moutons ».

    « On » leur fit comprendre - et ils comprirent vite - que cet objectif essentiel consistait à éviter l'anarchie afin de maintenir la paix et la sécurité de la planète. Pour ce faire, un seul moyen : continuer à entretenir la peur dans les populations. Cela allait du soutien actif de l'OMS, au contrôle de la presse et du Net, en passant par des actions de répression sévères. Le tout justifiant un lourd budget pour développer les forces de l'ordre et mettre en place un service de renseignement véritablement efficace…

    Ensuite, il leur fallut évidemment des boucs émissaires pour renforcer cette emprise de la peur. Les jeunes impatients de la Roue et les imprudents qui avaient voulu croire que le Monde était prêt à les accueillir en son sein maternel, arrivèrent à point nommé pour endosser ce rôle taillé sur mesure.

    La présence à la Maison Blanche de ces anciens Sages d'année en année, passait inaperçue. Une bonne partie des médias étant à la botte de l'État, tout ce qui pouvait filtrer sur ce sujet épineux et controversé passait invariablement pour fausses rumeurs et désinformation. Quel pouvoir n'a pas subi la malveillance de petits journalistes véreux en mal de notoriété et pour lesquels un reportage à sensation représente le tremplin idéal pour la gloire, pour le Pulitzer même, pourquoi pas ?

    En outre, à part quelques célébrités notoires mises à dessein en avant pour capter l’intérêt du public, les Sages restaient étonnamment discrets et se montraient peu en dehors des grosses manifestations officielles. Ils formaient à eux tous une espèce de « Præsidium suprême » sans identité définie, sans leader désigné

    C'était même ce qui rendait ce gouvernement quasiment inattaquable. En effet, si l'on peut assassiner un homme, l'enlever, le compromettre, le faire chanter, on ne peut le faire d'une entité anonyme composée d'une centaine d'hommes et de femmes qui ne se rencontrent en chair et en os qu'une fois par mois pour le traditionnel Conseil des Sages. Pas d'information à la presse pour ce rendez-vous mensuel, un jour et une heure différents chaque fois et chaque fois, une garde redoublée mais si discrète qu'elle en devenait invisible. Le reste des réunions informelles ne se faisait que par vidéo conférence.

    S’il n'y avait pas de président reconnu à la tête du Gouvernement Unique, les Sages de la Maison Blanche avaient pourtant un maître. Celui-là même qui en avait poussé d'autres à se maintenir en place, tout comme lui, au-delà des cinq premières années. C'était également lui l'instigateur de la chasse aux mutants. Adam venait tout juste de confirmer et de compléter les informations encore imprécises glanées à Munich sur ce « On » funeste qui paraissait régner à Washington. Il s’appelait Solomon Mitchell. C'était lui que la taupe de la Roue avait pour mission impérative de surveiller.

    Quant à la Mission de Hawk, à chaque Rassemblement, elle se dessinait pour lui un peu plus clairement : éradiquer la dernière des grandes maladies, la plus profondément implantée dans l'esprit de l'humanité à grand renfort de bourrage de crâne et de médications redoutables : la Peur avec un grand P dont lui et les siens représentaient les vivants symboles, les microbes et les virus à éliminer à tous prix. Ce lavage de cerveau quotidien d’une population mondiale malléabilisée, s’était encore intensifié depuis le procès de Mary. Le rôle de pourfendeur du mal et de la haine dont les anciens l'avaient chargé, lui pesait chaque jour d'avantage.

    Il tenait bon cependant, puisant en la foule immense et puissante des Mutants rassemblés, la force dont il avait besoin pour poursuivre son pénible combat contre la douleur. Il retrouverait sa femme. Cet espoir le faisait vivre et aller de l'avant. Autre chose aussi, une infime lueur dans la nuit profonde de sa peine, qu'il ne pouvait encore expliquer.

    Avec ses fidèles, il peaufinait les trois objectifs qu'il s'était fixés après ce quatrième Rassemblement qui décuplerait le Pouvoir de la Roue : continuer à chercher Mary, prendre le contrôle de TV7 info, la principale chaîne télévisée de propagande gouvernementale déjà bien infiltrée par son mouvement et enfin, organiser un raid astral punitif sur la Maison Blanche lors du prochain conseil des Sages.

    Le but de ce troisième objectif était d'instiller la peur chez les semeurs de peur patentés. Ce serait également pour Hawk, l'occasion de se montrer enfin à son pire ennemi sans pour autant se mettre en danger. Ses amis l'en dissuadaient mais il était déterminé. Il sentait qu'il était temps pour lui de se faire connaître, de prouver à ceux qui le pensaient, que le leader des Mutants n'était pas un couard. Il espérait que son apparition inspirerait au si discret maître de Washington une peur au moins égale à celle qu'il avait lui-même éprouvée en entrapercevant le visage de son ennemi lors de sa fugitive vision. Peut-être qu'alors, Solomon Mitchell se dévoilerait d'avantage aux yeux du Monde et qu'il étalerait un peu plus son jeu à ceux des Mus…


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