• 17 juin, Ielo

     

    Lûba avait mal dormi. Son petit village jusque là préservé était en grand danger. Un danger qui se rapprochait très vite. Ils arrivaient. Tous ! Les bons comme les mauvais. Tous ceux dont elle avait prédit la venue à une Gertrud plus que sceptique.

    - Sais-tu que dans mon monde, celui où vivent des êtres civilisés au contraire d’ici, tu serais arrêtée, lobotomisée et enfermée comme l’a été Mary ? Tes soi-disant dons de voyance, c’est anormal et l’anormalité est toujours un délit que je sache. Alors arrête de me faire chier avec ça. Je ne crois pas à tes trucs de sorcière ! Ce sont des fariboles d’un autre âge !

    Lui avait-elle encore dit la veille alors qu’elle s’évertuait une fois de plus à l’avertir de ce péril dont l’ombre menaçante grossissait au-dessus de leur tête.

    - Tu as tort ! Et quand tu t’en rendras compte, ce sera trop tard, crois-moi ! Lui avait elle répondu.

    « Oui, tu as tort hélas ! Si tu savais pauvre incrédule »

    Pensait-elle, les yeux clos sur la vision sombre de l’avenir qui attendait Ielo.

    Bien que la route soit encore longue pour ceux qui devaient venir, ils allaient trouver le chemin du village. C’était une question de temps.

    Le temps ! Une notion très subjective au regard des nombreuses années de paix qu’avait connues la petite communauté ielote oubliée de la civilisation. « Le trou du cul du monde » comme disait en ricanant l’irrespectueuse Gertie !

    Une semaine, un mois, est-ce que cela comptait ? La foudre tomberait bien assez tôt ! Car elle tomberait, quoi qu’en dise l’Allemande. Comme dans les légendes de sa lointaine enfance, le Bien et le Mal allaient s’affronter en un sanglant duel. Tant pis pour les innocents qui se trouveraient au milieu du champ de bataille !

    Cette fois hélas, c’était leur vie que les deux ennemis éternels allaient jouer sur le grand Échiquier du Destin. Sa vie, celle des villageois, celle de l’incrédule Gertrud qui se moquait de ses prédictions, la traitant de « Vieille folle superstitieuse ». Et l’enjeu de ce mortel combat, c’était Mary et les jumeaux.

    Elle avait grandi avec cette vision manichéiste. Une vision malheureusement trop souvent vérifiée depuis la nuit des temps.

    Les forces de la lumière ne sont-elles pas perpétuellement en guerre contre celles de l’obscurité ? C’est toujours le bien contre le mal, le bon contre le mauvais, le beau contre le laid, la sagesse contre la folie, les dieux contre les démons. Toute chose dans l’univers présente cette ambivalence. Toute médaille a son revers. Le feu qui chauffe la maison est le même que celui qui ravage lors des incendie. L’eau qui désaltère les assoiffés, peut aussi noyer. On peut mourir de faim tout comme on peut mourir de trop manger... le soleil qui est la vie, dessèche et brûle. L’amour est douceur mais il engendre trop souvent jalousie, rivalité, haine !

    Les exemples sont si nombreux qu’il faudrait plus d’une vie pour les énumérer tous ! Il en est ainsi de cette dualité des choses que toute bataille même la plus juste aux yeux de qui la mène, a son prix de larmes et de sang. Si ce qu’elle avait vu se confirmait, la facture serait lourde pour Ielo.

    Elle avait parlé de danger à Gertrud sans trop en préciser la nature. Elle voulait la mettre en garde, pas la faire fuir avec ses protégés. Nul ne pouvait se dérober à son destin et le sien était d’être là quand le Faucon viendrait chercher ses petits !

    Lûba le savait bien, elle qui s’était si souvent rebellée contre les diktats de ce puissant souverain et en avait été chaque fois durement punie. À force de mauvais coups de ce sort tout tracé, elle avait fini par écouter la voix de la sagesse qui s’exprimait par la bouche d’Akulina, sa mère. Elle savait de quoi elle parlait, elle qui avait accepté stoïquement la disparition de son mari et celle de son fils ainé au cours d’un des plus rudes hivers qu’ait jamais connu Ielo ! Le thermomètre était descendu bien en dessous de – 70° cette année là. Ils ne l’avaient pas écoutée quand elle leur avait dit que partir chasser par ce temps, c’était courir à la mort. Ils n’étaient jamais revenus et on n’avait pas retrouvé leurs corps. La future guérisseuse n’avait alors que huit ans !

    « Ce qui doit être sera ! Nulle page n’est blanche, tout est écrit pour chacun d’entre nous, dans le grand Livre de la Vie ! Celui qui cherche à fuir son destin ne fait jamais qu’en retarder l’inéluctable marche ou à en dévier provisoirement le cours ! » Rabâchait sans fin mamouchka.

    Oui, Lûba avait appris à ses dépens, combien la brave femme avait raison. Gertrud n’allait plus tarder à apprendre à son tour cette nécessaire leçon. Peut-être alors cesserait-elle de courir après l’impossible et de vouloir ce qu’elle ne pouvait avoir. Elle serait bien obligée de se plier à la loi du destin lorsqu’elle devrait rendre Mary et les jumeaux à celui qui venait les chercher. Mais pour l’heure, elle se rebiffait encore, aussi mutilée que sa protégée décervelée, et bien plus têtue qu’une vieille mule.

    À quoi bon lui apprendre qu’elle allait devoir la quitter ? Sa folle amie ne l’aurait pas crue !

    La mort l’attendait ! Cela aussi elle l’avait vu cette nuit. Mourir pour mourir, elle accueillerait la faucheuse avec la satisfaction du devoir accompli. Mais ce ne serait pas avant d’avoir vu le Faucon magnifique se poser à Ielo, foi de Lûba !

     


    2 commentaires
  • 16 juin. Irkoutsk

     

    En empruntant l’ancienne ligne du Transsibérien qui fonctionnait encore au charbon du Kouzbass et ne servait plus désormais qu’à desservir les contrées les plus reculées de la Grande Nation Russe réunifiée, Hawk et les membres des deux groupes partis de Moscou, avaient mis quatre jour pour rallier la première étape de leur long périple vers la Iakoutie. Ils étaient à présent tous réunis dans la spacieuse datcha des parents d’Alexeï, chez lesquels ce dernier avait déposé sa fille. La grande bâtisse était construite au bord du lac Baïkal, à une centaine de kilomètres d’Irkoutsk où les attendait l’équipe en charge de la logistique. Tout était prêt pour le grand départ.

    Trop lasses pour poursuivre la dangereuse aventure Félie et Jézabel, avaient finalement accepté de rester chez le couple accueillant afin d’y attendre en sécurité le retour de l’expédition. Le péril se précisait !

    Tous sens en alerte, les Mus avaient capté de très alarmantes nouvelles. Les séides de Solomon n’avaient pas fait dans le détail. Krépotz’7 était provisoirement fermé, jusqu’à ce qu’une nouvelle équipe au-dessus de tout soupçon soit recrutée. Aucun doute que chacun de ses membres en serait plus encore scrupuleusement trié sur le volet qu’auparavant !

    En effet, qu’il soit administratif, de surveillance ou de simple intendance, l’ensemble du personnel avait été mis à pied.

    Tous ceux qui étaient présents ce jour-là avaient été jugés également coupables de l’incomparable laxisme qui avait mené au massacre perpétré dans les sanitaires de l’aile Ouest ainsi que de l’impensable évasion de l’unique détenue au secret avec la gardienne en chef de l’aile des femmes.

    Si on ignorait ou feignait d’ignorer ce qui s’était réellement passé dans les douches du quartier des hommes, on savait que Gertrud Baumann était responsable de la tuerie qui avait décimé bon nombres de matons et un bon paquet de détenus masculins. La garce n’avait même pas épargné deux de ses collègues féminines. C’est aussi froidement qu’elle avait abattu les autres victimes, qu’elle avait tué sa propre adjointe, Andréa Johnson et pire encore, la directrice adjointe de la Forteresse, Wladislawa Koslowski avant de prendre la fuite avec la perpète de la Zéro.

    Nul ne semblait s’être interrogé sur la présence de ces deux femmes dans les sanitaires de l’aile réservée aux hommes !

    Comment en était-on arrivé là alors que ce QHI, précisément en raison de la présence exceptionnelle de la fameuse pensionnaire de la cellule zéro du quartier Est, était censé être hyper sécurisé ?

    Il n’était même pas une seconde envisageable que les témoins de la pire et de la plus indigne débâcle qu’ait jamais connu un établissement pénitentiaire de haute sécurité, puisse un jour en parler à quiconque. Pas après ce qu’avait déjà connu le système carcéral avec l’évasion massive des mutants lobos du camp australien !

    Pour les faire taire définitivement, on les avait exécutés sans autre forme de procès. Le « problème » avait été réglé dans le plus grand secret dans l’enceinte même du QHI. Ainsi n’avait-on plus à craindre la moindre rumeur nauséabonde sur ce sujet hyper sensible. « On » avait juste laissé entendre qu’après une juste rétrogradation, l’ensemble du personnel de Krépotz’7 avait été muté. Des mutations disciplinaires vers des prisons ou des camps auprès desquels la Forteresse faisait figure de paradis, disait-on.

    Les familles des « punis », ne les verraient pourtant jamais revenir de leur pseudo exil. Mais qui s’en souciait en haut lieu ? Pas Solomon Mitchell en tout cas !

    Après cette nécessaire épuration, on avait vidé les cellules. Les détenus avaient été embarqués aux aurores dans des camions bâchés. On disait qu’ils avaient été transférés dans un autre QHI, Dieu seul savait où. En fait, la rage meurtrière du Dragon noir ne connaissait plus de bornes et eux aussi avaient été froidement abattus avant d’atteindre leur destination inconnue. Les seuls à avoir réchappés au massacre général étaient ceux qui étaient en repos ce jour-là, à l’instar de Douala et du jeune gardien vantard. Depuis, terrifiés à l’idée du sort qui les attendait un jour ou l’autre, ils se terraient.

    Hawk avait de graves raisons de craindre le pire. Le dernier amant en date d’Andréa n’avait pas eu besoin d’être torturé pour livrer ce qu’il savait.

    - Alors comme ça tu saurais des choses que même le dirlo ignorait mon gars ?

    Lui demanda presque gentiment le meneur de la Meute, spécialiste des interrogatoires musclés, assisté de deux gops un peu trop rigolards. Ce simulacre de gentillesse largement démenti par la mine patibulaire des trois hommes tout de noir vêtus, le neutro négligemment pointé vers lui, aurait suffi à déstabiliser le plus aguerri des matons de la Forteresse, alors ce tendron frais émoulu de l’École Internationale des Gardiens de Prison, ne pouvait faire le poids.

    - Euh….Quelles choses ? Bégaya le fanfaron soudainement décomposé.

    - On s’intéresse surtout à ce que Johnson aurait pu te raconter au sujet du matricule 1058.01. Vaut mieux que tu craches le morceau vite fait parce que celle-là, c’est du lourd ! Si elle était au secret, tu comprends bien que c’était pas pour rien ! Tu imagines sûrement à quel point ce serait grave pour ton matricule si tu t’avisais de nous cacher quoi que ce soit !

    Le ton était lourd de menaces…

    - Euh... ben…

    - Creuse-toi les méninges petit, on a les doigts qui nous démangent !

    - Attendez ! Juste avant le… enfin vous savez, elle a lâché un truc qui m’a vachement étonné.

    - Allez accouche !

    - Ben justement… un soir elle m’a dit que l’occupante de la zéro était rudement grosse pour une affamée!

    - Comment-ça… grosse ?

    - Grosse comme une truie prête à mettre bas qu’elle m’a dit. Enceinte quoi !

    - Enceinte ! Impossible, ça se serait su !

    - Je suis bien d’accord avec vous chef mais Andréa…

    Euh…l’adjointe Johnson avait l’air sûre d’elle. Elle disait qu’une femme ça se trompe pas sur ces choses là. Même que d’après elle, je vous le répète, le matricule 1058.01 n’était plus très loin de son terme.

    Ça c’était une l’info de poids ! Une info précieuse que le jeune gardien avait illico payée de sa vie. Le chef des gops de la première Meute se hâta d’informer son supérieur hiérarchique qui lui-même, s’empressa d’annoncer la stupéfiante nouvelle à Solomon en personne. Lequel fut aussitôt persuadé que cette grossesse ne pouvait être que l’œuvre d’un Mutant. Avec un peu de chance, il s’agissait de l’insaisissable et trop célèbre Hawk ! Maudit gourou ! Il ne savait d’où lui venait cette soudaine certitude mais dorénavant, le petit bâtard qui devait être né à présent, devenait plus important encore que sa mère, à la fois comme sujet d’étude et comme otage de prix pour capturer son père. Diable ! Il fallait que ces salauds l’aient profondément pervertie pour que cette femme ait réussi à cacher sa grossesse à tout le monde ! Il devait à tout prix les récupérer, elle et son immonde rejeton ! Avant Hawk Bluestone de préférence. Pour cela on devait cuisiner Moïse Douala toutes affaires cessantes.

    Le directeur destitué de Krépotz’7 devait en savoir plus long sur Gertrud Baumann que tous les autres réunis. En s’enfuyant, la garce avait détruit tous les dossiers de la Forteresse, y compris le sien et celui de sa protégée, à moins qu’elle ne les ait emportés avec elle. Tout ce qu’on glanerait sur l’Allemande, sur son passé, sa famille, ses habitudes, pourrait s’avérer utile pour retrouver sa piste. Toute information la concernant, même la plus banale, était susceptible de fournir des indices sur le lieu où elle avait emmené sa protégée. Voilà pourquoi les Chiens s’étaient fait salement secouer les puces pour n’avoir pas commencé leurs interrogatoires par Douala. Eux aussi finiraient par payer cher leur négligence. À moins qu’ils ne rattrapent le coup en arrivant les premiers à la cachette du matricule 1058-01 !

    Ce que craignait le Faucon était donc arrivé ! Solomon savait désormais que Mary-Anne-Conroy-Defrance avait été incarcérée enceinte. Le comble pour un système éprouvé !

    Pour des raisons qui paraissaient évidentes à la majorité, les futures captives étaient stérilisées. En effet, la lobotomie légère n’empêchait pas la maternité. Or, pas question de prendre le risque que ne serait-ce qu’une seule d’entre elles soit engrossée en prison ou en camp de travail. Celles qui étaient enceintes étaient avortées tant que le stade de leur grossesse le permettait. Quand c’était trop tard, on les accouchait prématurément.

    L’enfant était alors confié au père quand c’était possible. Sinon, c’était la famille ou encore une nourrice d’État qui en récupérait la charge jusqu’à la libération de la mère indigne. Laquelle était non seulement partiellement lobotomisée comme la majorité des droits communs mais encore définitivement interdite de grossesse par la ligature des trompes. Quand on sait que depuis la Grande Crise, la fécondité était devenue difficile(1) cette privation définitive représentait la pire des punitions.

    Pire que les plus pénibles des camps de travail, l’internement provisoire en QHI ou même la lobotomie qui, bien que légère pour les droits communs, connaissait cependant quelques ratés qui laissaient parfois d’irréversibles séquelles.

    Pourquoi Mary avait-elle échappé à ces mesures drastiques ? L’extrême précipitation qui avait présidé à toute cette affaire était probablement la cause de cette incroyable suite d’omissions. Solomon devait en fulminer de rage ! Voilà pourquoi l’expédition se préparait à repartir en pleine nuit. Le départ prévu exactement à 3h du matin, ne leur laissait à tous que quelques heures d’un sommeil agité, tant l’urgence de la situation leur mettait les nerfs à vif.

    La veille ils s’étaient réunis une dernière fois, communiant pas le rite de la Roue pour recharger leurs batteries. Ils savaient que la route était encore longue et qu’elle risquait d’être doublement dangereuse. Déjà confrontés à la première Meute sur les traces des fuyardes, ils savaient qu’il leur faudrait en plus garder leur avance encore substantielle sur la deuxième équipe que Solomon venait de lancer à leur trousse. Le Dragon noir ne pouvait en effet ignorer que son ennemi juré était en chemin pour porter secours aux évadées. De surcroit, la donne avait considérablement changé puisqu’il savait à présent que la vie d’un petit mutant était devenue l’enjeu majeur. Les mânes des Mus en soient remerciées, il ignorait toujours qu’il y en avait deux !

    Il leur restait près de 3000 kilomètres à parcourir dans des conditions exécrables. Des routes boueuses, cahoteuses, des changements constants d’itinéraire, histoire de brouiller les pistes, de courtes nuits de halte…Voilà ce qui attendait les membres de l’Opération Sirène s’ils voulaient conserver leur avance sur la deuxième Meute et se donner toutes les chances de rattraper la première, voire de la devancer afin d’éviter une sanglante confrontation.

    Les Chiens, disposaient d’armes meurtrières dont ils n’hésiteraient pas à se servir ainsi que l’avaient démontré les derniers évènements. Bien sûr, les Mus pouvaient leur opposer l’inestimable Pouvoir de la Roue Universelle mais il leur interdisait de donner la mort. Ce n’est pas de gaité de cœur que Blue Hawk avait pris la décision de contrevenir à cette loi restrictive si ceux d’en face l’y obligeaient.

    - C’est contraire aux règles sacrées que nous enseigne la Roue depuis toujours, je le sais ! Nous sommes et resterons profondément pacifistes mais sauver Mary et les jumeaux exige des sacrifices. Donner la mort s’il le faut sera le plus cruel que nous ayons à affronter. Et nous l’affronterons, car nous ne pouvons nous permettre de mourir si près du but !

    Scandait-il chaque fois qu’il lisait le doute et la réticence chez l’un ou l’autre de ses compagnons. Et chaque fois, ils acquiesçaient le regard fermé, prêts à assumer la honte, prêts à exercer cet exceptionnel « permis de tuer », se jurant, ainsi qu’ils en avaient tous prêté serment, de n’en user qu’en tout dernier recours si les autres subterfuges du Pouvoir venaient à échouer. Et tous, dans le secret de leur cœur, espéraient qu’ils arriveraient les premiers à Ielo guidés par ces deux puissants radars qu’étaient les jumeaux. Des radars inespérés dont ne disposaient pas les Chiens. Pas plus qu’ils n’étaient dotés de l’extraordinaire résistance physique et psychique des Mus encore augmentée par leur union télépathique.

    C’était heureux car leurs adversaires, outre leurs neutros réglés à charge létale, l’entrainement de choc type commando qu’ils avaient subi en tant que gops d’élite et une propension naturelle à l’obéissance aveugle aux ordres, possédaient de puissantes motivations. L’appât du gain que constituait la récompense faramineuse promise pour la capture de Mary-Anne Conroy Defrance et de son enfant bâtard, était la première de ces motivations. La deuxième était la garantie d’une promotion exceptionnelle. La dernière mais pas la moindre à laquelle aucun n’aurait songé à résister, était l’indicible crainte de la terrible punition qui les attendait s’ils rataient leur mission.

    Les deux camps n’avaient donc qu’un seul choix : réussir. Et ce choix se résumait hélas on ne peut plus simplement : tuer ou être tué !

    Pour Hawk plus encore que pour les autres membres de l’expédition, c’était le prix à payer pour sauver Mary, pour avoir une chance même mince de la guérir. Que lui importait d’avoir à tuer tous ceux qui se mettraient entre lui et l’amour de sa vie. Entre lui et ces deux enfants qui l’appelaient désespérément au secours. Ses enfants, sa femme que son devoir était de protéger. Il n’avait qu’une hâte, les retrouver, les serrer enfin entre ses bras de père et de mari, les embrasser à en perdre le souffle ! Voila ce qui le poussait en avant, lui donnait des ailes, le chargeait d’énergie combattive après ces longs mois de souffrance et de vide.

    Mary…presque un an sans la voir, la toucher, l’aimer. Il avait gravé ses traits adorés dans sa mémoire. Il avait gardé sous ses doigts le souvenir de sa peau si douce ; sur sa chair, la chaleur langoureuse de ses baisers, de ses caresses. Il croyait encore respirer le parfum subtil et envoûtant de son corps pendant l’amour. Désormais, il ne la touchait plus que par les mains d’Océane et de Petit Faucon. Il ne goûtait plus au fruit mûr de ses seins exquis que par leur petite bouche vorace lorsqu’elle les allaitait tour à tour. Encore lui fallait-il une extrême concentration pour accéder à ce plaisir tellement fugace et frustrant. Une concentration que trop de préoccupations l’empêchaient d’atteindre ces derniers temps. Mais qu’avait-il à se plaindre après tout ? Seule ses gènes de Mutant, d’« anormal », lui conférait cette miraculeuse faculté d’« habiter », même si c’était trop brièvement à son goût, le corps et l’esprit de ses enfants. Ces mêmes gènes hors normes qu’il partageait avec les nourrissons, les reliaient si fort que cela lui avait permis de les retrouver.

    Il avait énormément de mal à résister à ce bonheur inespéré qui non seulement le laissait immanquablement sur sa faim mais encore menaçait sa santé mentale tant il devait s’imposer de maîtrise pour ne pas faire souffrir sa fille et son fils. Lorsque sa bouche par celle d’un de ses petits se refermait goulument sur un sein gonflé de lait de Mary, le plaisir l’emportait très loin, dans des sphères trop brûlantes pour l’esprit d’un bébé. Alors il rompait brusquement le contact, honteux, le ventre en feu, avec l’horrible sensation d’avoir souillé son propre enfant. La rage au cœur, il retenait ses larmes en percevant les pleurs déchirants du petit être innocent auquel il s’était substitué l’espace d’un court instant. Il savait que le nourrisson ainsi habité ressentait son retrait comme un abandon. Mais le plus souvent, il ne maîtrisait rien, parce que ses transes visionnaires survenaient généralement lors de l’endormissement, juste entre sommeil léger et sommeil profond, bien avant le cycle naturel du sommeil paradoxal au cours duquel naissent les rêves.

    Il se réveilla soudain à 2h. Il n’en avait dormi que trois d’un demi-sommeil hanté de cauchemars. Il avait rêvé de Mary. Elle l’appelait de la même lancinante façon que lui l’avait fait pour qu’elle le rejoigne.

    « Viens…Viens…Viens… » Chuchotait sa voix sensuelle à son oreille. Cet appel paraissait si proche et réel qu’il crut presque sentir son souffle tiède contre sa joue. Puis elle lui apparut soudain, ensorcelante sirène, belle comme au premier jour de leur rencontre. Revêtue de la tunique émeraude qu’elle portait lors de leur mariage, elle ondulait telle une fleur sous la brise. Son corps aux courbes voluptueuses se profilait dans la pâle lumière d’une aube naissante. Elle dansait pour lui, lascive, mettant le feu à ses sens exacerbés par une trop longue abstinence. Ses cheveux dénoués, opulents, plus blonds que les blés de l’Ukraine, flottaient dans le vent. Le soleil qui se levait y allumait des flammèches d’or. Quand il s’approcha pour l’enlacer, elle se détourna et s’enfuit, échappant à ses bras tendus. Puis elle s’arrêta net pour lui faire face de nouveau. Sa longue chevelure retombant sur son visage faisait comme un rideau qui le masquait à ses yeux.

    - Laisse-moi te regarder ! Implora-t-il

    Elle ne répondit pas mais obéissant à son injonction, elle releva ses cheveux des deux mains puis les laissa aussitôt retomber. Cette fraction de seconde lui suffit néanmoins pour entrevoir l’inimaginable vérité. Elle n’avait plus de visage ! Là où aurait dû briller ses magnifiques prunelles vertes, sourire sa bouche pulpeuse faite pour les baisers, pointer son nez mutin et son menton orgueilleux, il n’y avait plus qu’une surface plane et vide. Terriblement vide. Un vide qui le figea d’horreur, de désespoir et d’incrédulité, gelant le sang dans ses veines. Ce fut son propre hurlement qui le réveilla, un goût de cendre dans la bouche et un sentiment atroce d’échec fiché en plein cœur.

    Avant de partir, il alla voir Félie qu’il trouva pâle et défaite autant que lui. Avant même qu’elle n’ait prononcé le moindre mot, il sut ce qu’elle allait lui raconter.

    Rongée d’inquiétude elle lui parla du rêve qui l’avait secouée. À peu de choses près identique au sien, Mary, déshumanisée, sans visage, tournée vers elle. Il ne fut pas étonné d’apprendre que tous ceux qui avaient été proches de sa femme, normaux compris, avaient fait le même cauchemar. Tous y voyaient un mauvais présage. C’est donc profondément inquiets que les membres de l’expédition se mirent en route.


    2 commentaires
  • Juin 2059. Beverly Hills, Californie

     

    Dans sa superbe et vaste résidence privée sur l’ancienne colline des stars, Solomon Mitchell goûtait à un repos bien mérité. Il avait mené les choses plutôt rondement pour reprendre en main tout son petit monde. Du moins ce qu’il en restait après qu’il y ait mis bon ordre. En effet, ne demeuraient plus à son entier dévouement que ceux qui ne se prenaient plus pour des Sages. Gavés des plaisirs qu’il leur octroyait, accrochés à ce qu’ils croyaient encore être le pouvoir, ils passaient leur temps à braire comme des ânes pour obtenir de lui la carotte qui les faisait vivre. Il était las de ces bouffons mais il avait besoin d’eux pour quelques mois encore.

    Un an. Une toute petite année à regarder ces misérables vers de terre ramper à ses pieds pour obtenir ses faveurs, alors qu’en fait, ils le haïssaient et rêvaient de le supplanter à la Maison Blanche. Dans un an il atteindrait enfin le but qu’il s’était fixé depuis qu’il avait intégré les rangs des Sages. Bien avant même. Le Pouvoir absolu ! Voilà ce qu’il gagnerait au terme de cette si longue attente. C’était presque à sa portée maintenant ! D’ici là, il serait venu à bout du dernier obstacle qui se dressait encore entre lui et le trône sans partage qu’il briguait.

    Cet homme là pourtant, le subjuguait aussi fort qu’il l’emplissait de haine. Il lui ressemblait ! Son habileté à manipuler les foules n’avait d‘égale que la sienne. Il ne parvenait pas à croire que Blue Hawk ne désirait pas le pouvoir autant que lui. Il ne croyait pas un seul instant à ce désintéressement qui semblait faire sa force. Pas plus qu’il ne gobait que son ennemi était un incurable pacifiste ! Tout cela n’était que façade, poudre aux yeux des crédules qui l’écoutaient fascinés. Comme lui, celui que désormais tout le monde baptisait « le Rassembleur », n’était en fait qu’un manipulateur hors du commun.

    Il se devait d’abattre ce fanfaron avant qu’il ne lui vienne l’idée de venir revendiquer sa place à Washington. S’il ne pouvait le tuer, il le corromprait. Personne ne résistait très longtemps à l’appât du gain. Encore moins à celui du pouvoir suprême ! Et s’il réussissait à capturer sa catin – car il était convaincu que cette garce d’évadée était sa maîtresse – elle serait un argument de poids pour contraindre ce maudit gourou à se rendre à ses raisons.

    Solomon avait confiance. Ses troupes d’élite étaient prêtes. Ses futurs gouvernants téléguidés aussi. Tous ce beau monde fabriqué de toutes pièces, était bien caché, bien rangé à vrai dire !

    Dans leurs cuves amniotiques, nourris comme des fœtus dans le ventre de leur mère, ils attendaient d’être activés. Au cœur souterrain des immenses nurseries-laboratoires secrètes, profondément enfouies dans les sous-sols d’anciennes bases militaires désaffectées disséminées à travers le Monde, ronronnant doucement, les « matrices » fonctionnaient à merveille ! Dans moins d’un mois, sans bouger de son bunker, il réveillerait les androïdes des deux sexes, destinés à gouverner et les lancerait progressivement dans la vie politique. Ils étaient programmés pour ça. La pénurie de Sages allait bientôt se faire sentir. Les idées nouvelles seraient les bienvenues.

    La sagesse des prétendants aux sièges vacants, fabriquée de toutes pièces par Solomon, en ferait des phares pour l’opinion mondiale en pleine déroute. Une opinion certes très partagée mais tout de même assez fortement conditionnée par les évènements pour demander au gouvernement actuel, le renouvellement rapide de ses membres démissionnaires ou décédés.

    Ses limiers allaient retrouver la piste de la femelle de Blue Hawk. Le temps de la victoire finale était proche…

     

    11 juin 2059. Moscou.

     

    Dans le petit hôtel sans prétention de la grande banlieue moscovite qui les hébergeait, Hawk et son groupe d’intervention passaient inaperçus, touristes parmi les touristes. « On » ne savait pas encore qu’ils s’étaient mis en route !

    Pour l’instant, les Gops ne recherchaient toujours que Gertrud et Mary. Ils étaient partis de Krépotz’7, bien loin de la capitale, après quoi, sans comprendre comment c’était possible, ils avaient rapidement perdu la piste que leur indiquait le brouilleur-psy de la gardienne-chef. Hawk devinait aisément pourquoi, lui ! Ces hommes et ces femmes, si fins limiers qu’ils soient, ignoraient que l’évadée avait mis au monde deux petits surdoués ! Et pour cause, leur patron, l’infâme Solomon, ne détenait pas cette information capitale. Il venait bien de dépêcher une deuxième meute de chiens de chasse en Russie, certain que les Mutants allaient enfin remuer ciel et terre pour récupérer l’évadée mais Hawk et les siens avaient de l’avance ainsi que l’avantage de savoir où se diriger, eux !

    Cela leur laissait donc un peu de temps pour peaufiner les différentes phases de « L’Opération Sirène » dont le commando était au complet depuis l’arrivée d’Hubert le matin-même.

    À bord de la version moderne de l’Orient Express, ils avaient voyagé sans être inquiétés. Tout avait été prévu. Les gops qui effectuaient les contrôles à Paris-Euro gare, étaient des ralliés à la cause. Les papiers des Mus étaient de toute façon des faux parfaits. Afin de limiter encore un peu plus les risques, ils s’étaient répartis d’un bout à l’autre du train. Tous pouvoirs déployés ils pouvaient communiquer télépathiquement et surtout surveiller leurs arrières sans éveiller les soupçons de quiconque. Moscou n’était que la première étape de leur long périple. Il était heureux qu’elle ait été la plus facile car le pire les attendait. Alexeï pour sa part, avait comme prétexte tout trouvé, de se rendre chez ses parents pour leur confier Marie-Rêve jusqu’à la guérison de sa femme. Le véritable but était en fait de mettre la petite fille en sécurité, pour le cas où « l’Opération Sirène » tournerait mal.

    Hubert quant à lui, continuait à se déplacer sans soucis. En l’occurrence, pour cette fois, il était censé venir très officiellement en Russie pour superviser les travaux de la nouvelle gare de Vladivostok, terminus du Transsibérien qui, dès qu’il serait mu à l’énergie solaire, deviendrait le Transsibhélio. C’était prévu pour 2065.

    L’hôtel moscovite abritait donc vingt personnes déterminées à sortir Mary, ses enfants ainsi que leur protectrice des griffes de la Meute de Solomon et du piège de la taïga sibérienne. Après moult discussions, l’ensemble des participants venaient de prendre l’unanime décision de scinder l’expédition en trois groupes.

    Celui de Hawk serait composé de Fleur, Hubert, Alexeï, Jézabel, Loup, Brise, Nuage et le fameux Léo qui s’était mis en tête de séduire la belle veuve de Lazaro. Le nouveau rival de Jean-Hubert du Mercy- de Combarant. Et puis il y aurait Félie bien sûr, que nul n’avait pu convaincre de renoncer à ce pénible et périlleux voyage. Pas plus que Jézabel d’ailleurs, que sa grossesse fatiguait.

    Le deuxième, dirigé par Brave Hawk, le grand-père des jumeaux, ne serait composé que de Mutants. Il y aurait Jeronimo, Vent d’été, Deborah, des fidèles de la première heure. Mais aussi, parce que leur présence avait aux yeux de Blue Hawk comme aux leurs, valeur de symbole puissant, pour renforcer cette deuxième équipe il faudrait compter avec la fervente volonté de Salomeh, Génésio, Mériadec, Vlad, Genghis et Robinson, six compagnons de captivité du regretté Antonio, rescapés du camp de Lobos d’Australie grâce à la courageuse intervention de Mary-Anne.

    Bien que frustrée, Blue Moon, la mère de Hawk, avait laissé son mari s’en aller, non sans un pincement au cœur à l’idée des dangers qu’allait devoir affronter sa famille. Elle ne pouvait quitter son poste à la tête du centre hospitalier secret de Black Mesa où ses incomparables talents de médecine-woman étaient jugés indispensables.

    Le troisième groupe de six personnes attendait à Irkoutsk Composé de trois Élus et de trois Mutants originaires de Russie, il avait assuré sur place toute la logistique de la phase finale de l’Opération Sirène. Cette équipe de choc s’était chargée de trouver des véhicules tout terrain robuste et dotés de grands coffres, que leurs propriétaires et amis normaux avaient prêtés munis des cartes à puce qui en autorisaient officiellement la conduite. Soit, par précaution, six voitures au total dans la mesure où Hawk comptait bien ramener à la fois Mary, ses enfants et la gardienne de la Forteresse mais aussi tous les membres de l’expédition ! Il avait également fallu étudier plusieurs itinéraires possibles afin d’éviter un convoi qui ne pouvait qu’attirer l’attention. Prévoir les étapes communes n’était donc pas simple ! Les six s’occupaient également des vivres, du carburant ainsi que de tout l’équipement de survie. Un travail de titan dont ils s’étaient acquittés avec les honneurs !

    Ils étaient en outre les oreilles de Blue Hawk en Russie. Leurs dons de télépathes n’avaient pas été nécessaires pour apprendre ce qu’ils voulaient savoir. Les évènements qui avaient ébranlé Krépotz’7 étaient encore très frais quoique passablement déformé par la rumeur publique. Heureusement, ils étaient capables de démêler le vrai du faux grâce à ce qu’ils savaient déjà. Les langues se déliaient facilement dès qu’on évoquait l’impensable évasion d’un des QHI parmi les plus durs au monde.

    On parlait de l’étrange prisonnière à vie bien sûr, dont le secret avait finalement été éventé ! Mais c’est surtout de la honteuse complicité de Gertrud Baumann dont on glosait à n’en plus finir. Aux yeux de presque tous, c’était une garce qui avait trahi sa haute fonction si bien rémunérée de gardienne-chef d’une prison d’État. Non seulement elle avait organisé la seule évasion jamais répertoriée dans ce type d’établissement pourtant réputé inexpugnable, mais encore elle avait perpétré un horrible massacre pour parvenir à ses fins. Bon nombre de gardiens et de gardiennes avaient payé de leur vie le simple fait de s’être trouvés sur le chemin de la Baumann, disait-on. Or, c’était faux puisque seules Andréa Johnson et Wladislawa Koslowski avaient été tuées dans les rangs du personnel féminin.

    On disait aussi que Moïse Douala n’avait dû son salut qu’à son providentiel congé hebdomadaire. Ce que les gens ne disaient pas, vu qu’on le leur avait sciemment caché, c’est que parmi les victimes, il y avait aussi des prisonniers masculins. Rien n’avait filtré non plus, du lieu où avaient été retrouvés les cadavres, ni de la tenue débraillée, pour ne pas dire indécente, dans laquelle ils avaient trouvé la mort, fauchés par les impitoyables rafales du Neutro de l’allemande ! L’orgie de sexe et d’alcool à laquelle, hormis la directrice adjointe et Angelo Battistini, tout ce triste monde s’était manifestement adonné, devait rester le honteux secret de Krépotz’7 !

    Et bien sûr, pas plus qu’on ne parlait du viol de l’évadée, on ne pouvait évoquer sa grossesse. Ce secret là, comme les autres, était mort avec ses tortionnaires.

    Douala n’avait pas approché la prisonnière très spéciale de la cellule zéro d’assez près, pour avoir pu remarquer qu’elle était enceinte ! Taxé d’incompétence, il avait été promptement relevé de ses fonctions directoriales. En fait, il l’avait été dès qu’il avait eu lui-même avisé les Hautes autorités carcérales des évènements qui venaient de foutre en l’air l’ordre parfait de sa chère prison ! Depuis, piteux, apeuré même, il rongeait son frein dans sa jolie datcha de Iakoutsk en attendant desdites autorités la permission de regagner son Afrique natale. Si on la lui donnait jamais !

    Hawk savait que Solomon ne ferait pas de quartier en ce qui concernait Gertrud. Si ses chiens la retrouvaient, c’était la mort sans sommation pour elle. Elle avait trahi ! De plus, elle ne lui servait à rien ! Non, ce qui importait au Dragon noir, c’était la capture de Mary vivante. Et gare à ceux qui se mettraient entre sa Meute et la proie qu’il convoitait ! Le suicide d’Adam et de ses complices mutants l’avait rendu fou de rage. Ce cerveau délectable d’une hybride de Mu et de normale, il le lui fallait à tout prix ! Dieu merci, il ignorait encore que le matricule 1058.01, avait mis au monde deux bébés au cerveau encore plus intéressant que celui de leur mère. Pour combien de temps ?

    D’après ce qu’en savaient Hawk et ses amis, la Meute du Dragon ne sachant plus où chercher, avait décidé de recueillir des informations là où elle pensait pouvoir en trouver, à Iakoutsk. Les gops avaient reçu l’ordre d’interroger Moïse Douala de façon plus poussée puis de l’abattre. Ainsi doivent être punis les incapables.

    Un autre gardien qui avait réchappé à la tuerie pour la même raison que l’ancien directeur déchu, était lui aussi sur la sellette. Il s’était vanté d’avoir été l’un des amants attitrés d’Andréa Johnson laquelle d’après lui, savait des choses que même le directeur ignorait.

    Toute information était bonne à prendre. Si le jeune gardien avait su le sort qui l’attendait, sans aucun doute se serait-il tu !


    2 commentaires
  • 25 mai 2059. Rio de Janeiro.

     

    Hubert rêvait à un passé encore très proche pour lui et pourtant révolu.

    Les jumeaux d’Anne avaient déjà un mois. Anne… Il était le seul à l’appeler ainsi. Si elle avait tenu sa promesse de l’épouser, c’est de lui qu’elle aurait eu un enfant, garçon ou fille, qu’importe ! Un seul petit d’elle aurait fait son bonheur. Mais elle lui avait préféré Hawk ! Quel gâchis !

    Depuis qu’elle l’avait abandonné, il ne l’avait jamais remplacée. Si d’autres femmes avaient partagé son lit, il n’avait pu donner son cœur à aucune. Il s’était contenté d’assouvir ses désirs jusqu’à ce jour où, très récemment, l’une d’entre elles qu’il n’avait pourtant pas possédée, l’avait ému plus qu’il n’aurait voulu l’admettre. C’était avant la naissance des jumeaux, au cours du Cinquième Rassemblement, en Chine où il s’était rendu pour soutenir Hawk et l’assurer de son aide pour toute opération de sauvetage de Mary. Ses chantiers l’emmenaient toujours trop loin de ses amis à son goût, aussi était-il heureux de les retrouver chaque fois que l’occasion s’en présentait. Il n’avait pu résister à celle-là. Avec Félie, il pouvait désormais évoquer Mary-Anne sans le moindre ressentiment et c’était bien car parler de la jeune femme avec Hawk lui était encore difficile, voire impossible selon l’humeur du Faucon ! En effet, quand ce dernier lisait en lui la moindre rancœur ou un peu trop de chagrin, le sujet devenait carrément tabou. Ce qui voulait dire dans la plupart des cas, tant le bougre avait de facilité à lire en lui ce qu’il s’évertuait à cacher.

    Ce jour-là, qui était le troisième du double rassemblement entre la Chine et l’Australie, il était au pied de la scène, sur la place Tienanmen, au milieu des proches et des fidèles, à écouter le discours fédérateur du Rassembleur. Un discours qui allait marquer les foules autant qu’il le marqua lui-même, quand il aperçut Fleur de Lune. Elle se tenait à quelques mètres de lui. Il ne l’avait pas revue depuis son mariage et avait appris avec tristesse son trop récent veuvage. En l’observant du coin de l’œil, si belle et stoïque, il eut l’impression de la voir pour la première fois. Son cœur s’emballa soudain. Il en fut pétrifié. Il voulut s’approcher d’elle pour lui adresser quelques paroles de condoléances et de réconfort mais il était subitement incapable de mettre un pied devant l’autre. Elle lui paraissait tellement merveilleuse, tellement inaccessible dans son chagrin empreint de dignité qu’il en resta sur place, étourdi, ridicule, à la regarder sans oser s’avancer.

    Pas plus qu’il ne pouvait marcher, il ne put aligner deux mots cohérents quand un mouvement de l’assemblée les rapprocha, trop empêtré qu’il était dans l’écheveau embrouillé de ses sentiments. Il venait d’être frappé par la foudre et s’en voulait à mort de cette trahison envers le souvenir de Mary. Il avait peur aussi et se sentait devant cette divine créature tel le ver de terre amoureux d’une étoile.

    Muet, stupide, il contemplait la sublime sœur de son rival.

    C’était inconcevable, pourtant il ne pouvait s’empêcher de la dévorer des yeux, empli du désir violent de la prendre dans ses bras pour la consoler de sa terrible peine. Un autre désir, plus gênant celui-là, lui tiraillait douloureusement l’aine. Elle se tourna vers lui comme si elle avait senti son regard brûlant posé sur elle. Ce qui était le cas, à coup sûr. C’était une Mu et pas n’importe laquelle ! Elle eut un sourire très doux qui mit un comble à son embarras. Et ce fut pire quand elle se rapprocha encore un peu plus de lui. Il n’avait pas besoin d’exprimer ses coupables sentiments tant il était manifeste qu’elle les lisait en lui aussi parfaitement que l’avait fait Mary il y avait si longtemps !

    - Merci mon ami, merci ! Ta…tendresse me touche et me réchauffe le cœur ! Dit-elle.

    Puis, avant qu’il n’ait eu le temps de prévoir son geste, elle l’enserrait entre ses bras et l’embrassait amicalement sur les deux joues, semant en son cœur et en son corps la plus totale confusion. Après quoi, comme si de rien n’était, elle s’éloigna, majestueuse, le laissant en plan, hébété, avec cette turgescence qui ne voulait pas diminuer et qu’elle n’avait pu que sentir.

    Sa honte atteignit son paroxysme quand un bref message télépathique de Hawk l’atteignit de plein fouet en réponse à ses pensées les plus pessimistes.

    « Comment la radieuse Fleur, Mutante, veuve d’un Mutant, sœur de l’éminent Hawk, Mutant et grand rassembleur de la Roue, pourrait-elle s’intéresser à un personnage aussi insignifiant que moi ? » S’était-il dit résigné en la regardant partir.

    « Tu n’es pas insignifiant mon ami ! Sois patient, ton heure viendra ! » Avait-il entendu tandis que, mine de rien, Hawk continuait à magnétiser le public bouche bée.

    Mais il ne voulait plus croire au coup de foudre. Un fois déjà il s’était brûlé les ailes au feu de l’amour fou. On ne l’y reprendrait plus !

    À partir de ce jour il avait tout fait pour oublier à la fois Mary et Fleur de Lune. Il avait délibérément saboté ce nouvel espoir en s’adonnant au sexe facile et sans lendemain, avec une frénésie tenant de la boulimie. Il en était même venu à oublier ce qu’il cherchait à oublier, jusqu’à l’annonce de la naissance d’Océane et de Petit Faucon, les enfants de Blue Hawk et de Mary dont la jolie Fleur était la tante. Alors quand Hawk lui avait appris la nouvelle, tout était remonté à la surface, sa tendresse toujours vivace pour Mary-Anne Bluestone et le souvenir ému de sa superbe belle-sœur.

    Oui, en quelque sorte, Hawk avait raison, il aimait toujours celle que dans son cœur il continuait à appeler Anne. Et savoir qu’il allait participer à son sauvetage et à celui de ses enfants, le bouleversait. Cependant, son amour pour elle était devenu pur et platonique car désormais, ce qui le mettait dans tous es états, c’était la simple idée de revoir la sœur de son ex- rival qui serait du voyage. Faire le long trajet en sa compagnie, la voir chaque jour ne lui donnerait-il pas cette chance dont Hawk lui avait assuré qu’elle viendrait à son heure pour peu qu’il sache attendre ? Et qu’il sache la saisir aussi car en guise d’avertissement, le Faucon lui avait laissé entendre qu’un certain Léo, Mutant notoire bâti comme un Dieu, tournait autour de sa sœur et que de surcroît, lui aussi faisait partie de l’expédition vers Ielo.

    Foi de Jean-Hubert du Mercy de Combarant, descendant d’un preux chevalier, il ne renoncerait pas sans se battre ! Pas question de laisser par deux fois une proie convoitée lui échapper.

    - Nous partirons début juin. Ce qui nous permettra d’arriver aux prémices de l’été. Le rendez-vous de toute l’équipe se fera à Moscou Je sais que ça ne te laisse pas beaucoup de temps pour t’organiser vu que tu te trouves à Rio mais es-tu toujours prêt à nous suivre ?

    - C’est une évidence pour moi. Je me doutais bien que tu n’attendrais plus très longtemps pour partir alors J’ai anticipé et pris toutes mes dispositions pour laisser le chantier aux mains d’un de mes collègues. Je vous rejoindrai là bas.

    - Merci Hubert ! Tu sais combien je serai heureux de te compter parmi les membres de « l’Opération Sirène ». Ce sera aussi l’occasion idéale pour le Sixième Rassemblement. Le plus porteur d’espoir pour nous tous puisqu’il coïncidera avec la réunion tant espérée de ma famille. Le retour de ma femme parmi nous et la naissance de nos enfants, seront dignement célébrés, crois-moi ! Un évènement auquel tu es bien entendu convié mon ami ! Lui avait dit Hawk.


    2 commentaires
  • Kerhostin, Bretagne.

     

    Le 25 avril vers 4h du matin, Hawk s’était brutalement réveillé dans la peau de sa femme au ventre distendu. Le travail avait commencé. Là-bas, dans la cabane de rondins nichée au cœur de la forêt, les jumeaux allaient naître. Mary souffrait des premières douleurs de l’accouchement. Elle criait…Puis la douleur vive s’était apaisée. Une odeur d’herbes médicinales lui montait aux narines en même temps que des mains douces le massaient. Il était étendu sur une surface dure. La chaleur d’un poêle le pénétrait jusqu’aux os. Il se sentait presque bien et se serait endormi si les enfants n’avaient pas eu tellement envie de voir le jour. Ils étaient un peu en avance les petits diablotins ! Quelque part tout au fond de lui, pour les encourager, une voix oubliée répétait sans cesse : « Mes petits…mes petits…mes amours… »

    Oui, c’était bien la voix douce de Mary qui sourdait de l’abîme glauque de son esprit, tandis que ses entrailles livraient la bataille de l’accouchement.

    Aussi soudainement qu’il avait été sa femme, il fut les jumeaux. Comme s’il s’était agi de lui-même, il vécut une à une toutes les étapes de leur naissance, avec l’étonnante et enivrante sensation de se rappeler la sienne.

    Il vécut la laborieuse progression de petit Faucon dans le col qui s’élargissait à son passage, son premier cri, la première goulée d’air qui envahit et gonfla ses poumons. Il vécut son premier regard déjà perspicace de Mutant sur le visage tanné et ridé de Lûba. Il connut enfin le merveilleux contact de son petit corps nu, encore gluant de sang et de graisse, sur la poitrine de sa mère. Puis il fut Océane, jaillissant à son tour entre les mains de la vieille sage-femme. À son tour il poussa un cri de délivrance et de soulagement en respirant pour la première fois. Comme son jumeau, il fut déposé sur le doux giron maternel, tout près de lui, enserrés dans les bras de maman…

    Quand il reprit conscience, Hawk pleurait sans honte. De joie ! Par l’intermédiaire des doigts minuscules de ses enfants, il avait senti la peau douce de Mary et sa tête, par les leurs, s’était nichée entre ses seins épanouis déjà gonflés de lait.

    Là-bas, au fin fond de la Sibérie, en terre iakoute, le miracle de la vie s’était accompli grâce à Gertrud et à une vieille guérisseuse qui avait su garder intact l’héritage de ses ancêtres. Des dons innés que la majorité des humains de ce siècle et des précédents, rejetaient par peur, par paresse ou par indifférence. Bien qu’elle ne soit pas Mutante, Lûba voyait plus loin que les autres, comprenait plus vite. Elle savait écouter et interpréter ce que seul un esprit hors du commun peut percevoir. Elle était capable de guérir les maux du cœur autant que ceux de la chair. Elle connaissait des vérités interdites aux simples mortels. Si elle avait appris les prénoms des jumeaux, c’est parce qu’elle avait perçu la double émanation de leur pensée à travers le ventre de Mary. Parce qu’ils vivaient au plus près de la nature, les gens de son village étaient naturellement intuitifs mais elle l’était plus encore qu’aucun d’entre eux ! Avant même que Gertrud et Mary n’arrivent à Ielo, elle avait vu leur venue imminente. Et sitôt qu’elle avait perçu la double vie dans la matrice de sa femme, elle avait appris son existence à lui, le père des jumeaux ! Lûba, vénérable représentante du vieux peuple Sakha était extraordinaire ! Elle aurait largement eu sa place dans la grande famille des Mus !

    Quant à lui, dans son repaire de Bretagne où il était venu se reposer et préparer avec ses amis le long voyage vers sa femme et ses enfants, il percevait les pensées de la guérisseuse, comme si leurs esprits avaient été reliés malgré la distance par un mince fil tendu entre eux par les jumeaux et qui se consolidait depuis leur naissance. Lûba pressentait le danger qui se rapprochait. Elle l’enjoignait lui, le Faucon, de venir au plus vite. Il n’était pas surpris qu’elle le surnomme le Faucon ou qu’elle appelle le Dragon noir, celui dont elle captait l’aura malfaisante. N’était-ce pas ainsi que lui-même et ses amis surnommait Solomon Mitchell l’ennemi juré des Mutants ?

    Dans l’esprit inquiet de Lûba dont le visage lui apparaissait de plus en plus clairement, il voyait trop souvent se former l’image d’une meute de chiens féroces, lancée sur les traces de sa femme. Il entendait aussi les appels au secours de ses enfants qui, hors de l’abri du sein maternel, se sentaient plus que jamais effrayés.

    Ce qui plus que tout le faisait souffrir et l’emplissait d’une sourde angoisse, c’était d’avoir de nouveau perdu le contact avec Mary. Ce lien unique qui s’était tissé entre elle et lui par l’intermédiaire des bébés, venait d’être soudainement rompu par leur naissance. Dès qu’ils avaient commencés à émettre vers lui, petites consciences en gestation terriblement volontaires, faute de communiquer avec elle, il avait pu le faire avec eux, hôtes de son corps. Ainsi avait-il pu découvrir petit à petit, grâce à eux, dans quel état elle se trouvait. Comme ses petits, il s’était heurté à ce noyau dur qui avait subsisté au fond de son psychisme détruit par la lobotomie. Là survivait peut-être l’étincelle de l’ancienne Mary. Celle qui, en dépit de sa déchéance chantait à ses fœtus la berceuse de sa propre enfance. Celle qui savait encore s’extasier à la vue des étoiles ou du soleil, même si elle paraissait le faire de façon instinctive. Animale pensait Gertrud !

    Les jumeaux semblaient en outre avoir retardé sinon stoppé la progression de la sournoise dégénérescence qui finissait le plus souvent par tuer les Mutants lobotomisés. Ou quand elle ne les tuait pas, les laissait à l’état de loque humaine le reste de leur vie ! Qu’en serait-il de Mary maintenant que ses petits « protecteurs » n’habitaient plus ses entrailles ? Il se raccrochait désespérément à l’idée qu’elle résisterait jusqu’à son arrivée. Elle tiendrait la promesse de s’aimer même au-delà de la mort, qu’ils s’étaient mutuellement faite lorsqu’ils avaient dû se séparer, ne sachant pas encore que c’était pour bien plus longtemps que ce qu’ils avaient prévu.

    « Quoiqu’il arrive, le lien entre nous est plus fort que tout. Il ne peut être rompu » S’étaient ils dits.

    Galvanisé par cet espoir, il pouvait réfléchir un peu plus sereinement à l’organisation de l’expédition vers la lointaine Iakoutie. On le pressait de toutes parts pour cela. Quand il avait annoncé à tous la naissance de Petit Faucon et d’Océane, en commençant par Félie qui s’était effondrée en larmes dans ses bras, une immense clameur d’allégresse avait résonné dans ses pensées, suivie tout aussitôt par la question qu’il attendait :

    « Quand partons-nous les chercher ? »

    À contrecœur, il avait dû freiner leur enthousiasme. Les exhortant à la patience, il leur avait expliqué que le lieu où se cachaient Mary et sa protectrice, ainsi que la saison humide, rendaient tout voyage périlleux, voire impossible pour les nouveau-nés. En Sibérie, le printemps est particulièrement long à venir. Très pluvieux, il rend bien des petites routes bourbeuses et impraticables, or, c’était de telles routes que l’expédition allait devoir emprunter. S’il prêchait ainsi la sagesse et l’attente, c’est qu’un soir où lui-même rongeait son frein, dévoré par l’envie d’agir, il s’était soudain retrouvé en transe, traversé par une vision si puissante qu’il avait eu la sensation de se dédoubler. Lûba lui était apparue, à la fois si proche et si loin, là-bas, dans son petit village perdu au bord de la Léna, en plein cœur de la taïga sibérienne.

    Le regardant droit dans les yeux, elle lui parla :

    « Je sais que je t’ai demandé de venir rapidement Faucon mais aujourd’hui, je te recommande la plus grande prudence, car tu auras trois trésors inestimables à protéger du danger. Tout devra être préparé avec une extrême minutie. Ne laisse rien au hasard, le parcours sera long et semé d’embûches ! Tu n’ignores pas que désormais, le Dragon noir sait que tu recherches Mary. Que les dieux soient remerciés, il ignore encore qu’elle est ta femme et qu’elle a eu des enfants. Je tremble à l’idée de ce qu’il ferait s’il l’apprenait !

    Heureusement, les gops lancés à la poursuite de l’évadée de Krepotz’7, sont pour le moment retardés eux aussi par les mauvaises conditions météorologiques. Sans compter qu’ils paraissaient tourner en rond depuis plusieurs jours, comme si le brouilleur psy implanté dans le cerveau de Gertrud avait cessé d’émettre ! C’est une chance ! Cela donnera à ta femme le temps de se remettre de l’accouchement et aux jumeaux d’être assez vigoureux pour entreprendre un aussi long voyage ! Prépare-toi bien Faucon et emmène avec toi ceux dont tu tires ta force ! Plus nombreux vous serez, plus grand sera votre Pouvoir, je le sais ! Prépare-toi et viens, tes petits t’attendent ! »

    Cette vision et les conseils avisés de cette femme tellement sage le confortèrent dans sa décision de temporiser encore un peu avant de monter ce qu’il avait baptisé « l’Opération Sirène ». Une mission de sauvetage que ses amis appelaient de tous leurs vœux. Félie elle-même piaffait d’impatience, le moral un peu plus au beau fixe depuis qu’elle était devenue grand-mère.

    - Quand tu iras chercher Mary et mes petits-enfants, je partirai avec toi fils !

    Elle ne demandait pas, elle affirmait, péremptoire et décidée. Pour elle aucun doute n’était permis, elle retrouverait sa fille intacte ! Elle voulait y croire.

    Hawk n’avait pas le cœur à lui faire comprendre qu’il fallait peut-être envisager une autre éventualité. La pire de toute étant que sa fille chérie soit devenue irrécupérable. C’était ce que beaucoup de ses amis pensaient, tant chez les Mus et les Élus que chez les normaux. Dans les jours qui avaient suivi la naissance des jumeaux, bien des avis partagés lui étaient parvenus. Le plus pessimiste venait d’Alexeï que la folie de sa femme poussait à voir tout en noir. Ça et ce qu’il avait pu constater au centre d’accueil de Black Mesa.

    - Il vaudrait mieux pour elle qu’elle meure très vite ! Maintenant que tes enfants sont nés, le rôle de barrière qu’ils assuraient est caduc. La dégénérescence va reprendre son inéluctable progression et tu ne pourras malheureusement plus rien pour elle quand tu la retrouveras. Tu as bien vu ce que deviennent les Mus lobotomisés quand ils survivent au-delà des six mois fatidiques ! Je suis sûr que tu ne voudrais pas ça pour ta femme mon vieux !

    Lui avait-il dit lorsqu’il avait appris la naissance des enfants. Hawk s’était contraint au calme afin de lui répondre sans colère.

    - Il est heureux que tu ne sois pas à côté de moi mon ami, sinon je t’aurais mis mon poing sur la gueule !

    Quelques Anciens de la Roue faillirent subir ce doux sort quand ils s’avisèrent de faire ce même type de réflexion à leur irascible Rassembleur.

    Heureusement pour sa santé morale, il avait autour de lui, avec Ophélia qui se montrait la plus entêtée de tous, une bande d’optimismes inconditionnels et indéfectibles. Il savait pouvoir compter en particulier sur Brise et Nuage, Jézabel et Loup, ainsi que sur Hubert qui avait promis de quitter illico son chantier à Rio dès que Blue Hawk aurait décidé de partir en Russie.

    - Je veux être du voyage ! Ne pars pas sans moi ou il t’en cuira Hawk Bluestone ! Avait-il menacé, brisé d’émotion, le ton rogue de sanglots contenus.

    Celui-là aimait toujours Mary, Hawk en était convaincu. Même au vidéophone il avait pu lire le cheminement de sa pensée.

    « Si c’était moi qu’elle avait épousé, nous aurions peut-être aussi des enfants aujourd’hui et elle serait en sécurité avec eux, auprès de moi, au lieu d’être obligée de se cacher dans ce trou perdu au bout du monde… »

    Il avait failli lui répondre :

    - Dieu sait que tu as raison mon ami ! Comme je regrette parfois qu’elle soit ma femme et non la tienne !

    Mais il s’était retenu. Penser ainsi, c’était retourner le couteau dans la plaie. Plus encore, c’était commettre la pire des trahison envers sa bien-aimée qui, il le comprenait mieux que jamais, avait tout sacrifié pour le préserver et lui permettre d’accomplir la Mission.

    Même Fleur de Lune que le chagrin minait, brûlait presque autant que lui de partir chercher Mary. Elle surmontait tant bien que mal la perte de Lazaro et désirait plus que tout trouver dans l’action un exutoire à sa douleur. Mieux que les autres, elle devinait sans mal les doutes qui l’assaillaient et lui rongeaient le cœur.

    - Aies confiance mon frère, je suis sûre que tu parviendras à la guérir, même s’il te faut du temps pour cela ! Ton amour pour elle t’y aidera. Et puis nous serons là pour joindre notre Pouvoir au tien, alors ne laisse pas le doute t’entraver !

    Du temps avait elle dit ! Or il avait une conscience aiguë que c’était justement cela qui risquait de lui manquer, bien plus que de confiance ! Voilà pourquoi il lui était si pénible de prêcher la patience à ses amis. Et bien d’avantage encore de mettre un frein à sa propre impatience !

    Parce qu’il partageait les visions et les perceptions de Lûba, plus que les autres Mus, il pouvait sentir les relents délétères de la Meute que Solomon avait lancée aux trousses de Mary. La haine du Dragon avait décuplé en même temps que sa soif de vengeance après le Cinquième Rassemblement. Il voulait avoir Hawk. Depuis qu’il avait acquis la certitude que la prisonnière évadée pouvait devenir le ferment de la capture du chef des mutants, il avait mis tout en œuvre pour être le premier à mettre la main sur elle. Même si les espions dépêchés à Pékin lui avaient rapportés des tas d’indices le confortant dans son intuition, c’est son machiavélique cerveau qui bien avant cela, avait tiré du silence des membres de la Roue - de leur leader surtout - concernant cette femme, des conclusions totalement contraire à celles qu’ils escomptaient le voir adopter.

    Hawk aurait dû se douter que cet esprit tortueux entre tous, bâtirait des hypothèses que nul autre que lui ne pouvait échafauder. Alors que tant de monde s’était soudain remis à parler de Mary-Anne Conroy-Defrance, pourquoi seule la secte à laquelle elle était censée appartenir, se taisait-elle aussi opiniâtrement à son sujet ? Ce fait lui semblait d’autant plus étrange que ladite secte se montrait désormais au grand jour, comme pour narguer les autorités. Comme pour le narguer lui tout particulièrement ! C’était lui qui avait mis dans la tête des membres du gouvernement que le silence des Mutants au sujet de la condamnée de l’historique procès de Lille, était voulu !

    Il lui fallait absolument reprendre des rênes devenues lâches entre ses mains ! Son pouvoir auprès des sages qui lui était encore acquis, s’amoindrissait dangereusement ! Quoi de mieux pour le récupérer que de capturer le gourou des mutants ?

    Il avait terminé l’épuration entreprise au sein du Gouvernement Unique. La trahison de Phil Adams lui avait servi de prétexte pour se mettre à soupçonner tout le monde. Tous ceux qui avaient peu ou prou montré un jour de la réprobation ou une once de rébellion envers ses directives, disparurent comme par hasard de la scène publique. Ils prirent leur retraite anticipée ou donnèrent leur démission. Après quoi ils succombèrent fort à propos à de foudroyantes crises cardiaques, ce qui était devenu très rare mais qui arrivait encore parfois à ceux qui omettaient de se soumettre aux contrôles de santé obligatoires. Ou alors ils périrent dans de stupides accidents. Très curieusement leurs familles quittèrent le pays du jour au lendemain sans crier gare et sans laisser de traces. Seuls les Mus surent que tous ces gens avaient été éliminés de l’unique façon que connaisse Solomon : l’assassinat. Même ceux qui, sentant le vent tourner, tentèrent une fuite précipitée, furent abattus avant d’avoir eu le temps d’aller très loin.

    Les Sages qui en réchappèrent, ne durent leur salut qu’à une veulerie de bon aloi envers le Maître tout puissant de la Maison Blanche. Ceux-là s’étaient opportunément rangés derrière lui, bien décidés à conserver à n’importe quel prix, les miettes de pouvoir qu’il leur avait laissées en aumône. Ils ignoraient bien sûr que s’il les gardait encore à son service, c’est parce qu’il avait besoin d’eux jusqu’à ce que les marionnettes lobotomisées, véritables androïdes perfectionnés qu’il mettait au point pour les remplacer, soient parfaitement fonctionnelles. Il voulait un gouvernement de Sages qui lui soient dévoués sans qu’il ait besoin de recourir au chantage ou à la corruption. La folie meurtrière et la soif de pouvoir absolu avaient totalement obscurci le cerveau du Dragon noir. Dévoré par l’ambition d’atteindre le plus haut sommet, il voulait devenir le seul maître du Monde.

    Rien ni personne ne paraissait capable de l’arrêter, sinon celui qu’il pourchassait sans relâche : Hawk Bluestone.


    2 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique