• 20 mars 2060.Pueblo. Le Septième Rassemblement

     

    C’est le premier jour du printemps, symbole de cette ère de renouveau qui s’annonçait pour le Monde, qu’eut lieu le Septième Rassemblement. Le dernier, celui auquel Blue Hawk avait convié tous les humains de bonne volonté, sur place, devant leurs écrans de télé ou encore dans les lieux publics où il serait retransmis sur des écrans tridi géants. Les Mus avaient enfin cessé définitivement d’être en but à l’opprobre. Nul ne les pourchassait plus et s’ils suscitaient encore quelques méfiances chez certains, du moins les acceptait-on pour ce qu’ils étaient : différents, pas monstrueux ! Et surtout, victimes, plus que coupables !

    Tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre avaient été mis à l’index, punis même pour un peu plus d’intuition qu’il n’était permis par exemple, se reconnaissaient en eux. Le nombre de leurs disciples grandissait. Une multitude de gens rêvaient de leur ressembler ne serait-ce que moralement. On se pressait à leur écoute. Hawk Bluestone n’avait-il pas affirmé qu’il était possible que les Mus parviennent à transmettre un peu de leurs extraordinaires facultés aux "normaux" ? Ou, mieux encore, qu'ils puissent leur apprendre à réactiver des zones du cerveau inutilisées depuis des lustres par l’Homo sapiens sapiens qu’on appelait à présent « l’Homo technologicus » ?

    Par habitude, on disait encore Normaux  et  Mutants  mais le terme « d’Anormaux » la notion d’anormalité même, avaient été bannis du vocabulaire courant. La réunification était en cours. Le mixage n’était plus interdit !

    Fin de la discrimination dans un monde où les hauts dirigeants avaient clamé pendant de années, qu’elle n’existait plus, tout en continuant à poursuivre ceux qui ne correspondaient pas à leurs normes. À celles de Solomon qui régnait dans l’ombre du Gouvernement des Sages.

    C’est cette victoire remportée sans verser le sang d’innocents que le Septième Rassemblement proclamait fièrement à la face du Monde. Les clones pouvaient enfin donner un sens à cette idée de haute mission que les Alphas avaient inscrite dans leurs gènes. Ils pouvaient enfin comprendre la finalité des six précédents rassemblements, tous destinés à les amener jusqu’à ce jour glorieux !

    À pueblo où tout avait commencé en 1992, les clones, leurs descendants cloniques, les Élus nés de leur union avec des normaux, accompagnés de leurs nombreux amis qu’ils soient de la première heure ou fraichement ralliés, s’étaient réunis autour des ruines calcinées de la Ferme Alpha débarrassée de la végétation qui l’avait cachée pendant tant d’années. Là, tous capteurs sensoriels déployés, ils finissaient d’apprendre les arcanes de leur destin programmé.

    Les lieux chargés de leur histoire, étaient propices à cette ultime mais nécessaire découverte. Ça faisait aussi mal que cette naissance naturelle dont beaucoup d’entre eux avaient été privés mais c’était le prix de douleur à payer pour leur renaissance. Là, des sorciers armés de leur incomparable génie scientifique, leur avaient fabriqué une vie, une famille, un passé, des ancêtres, un destin, une mission. Ce qui n’avait été initialement qu’artifice était progressivement devenu réalité. Ils avaient aimé leurs parents adoptifs. Ils étaient devenus parents à leur tour. Ils avaient mêlés leur sang de clones à des hommes et à des femmes qui les aimaient malgré leur « tares ». La vie les avait transformés et ils avaient transformé leur vie. Clones des dix Alphas et enfants de clones, ils avaient véritablement muté, Dieu seul sait pourquoi, déjouant sans le savoir les desseins de leurs géniteurs qui les voulaient parfaitement identiques à eux, sans plus ! S’ils restaient des êtres à part bien malgré eux, ils étaient surtout des êtres humains à part entière, doués d’une volonté propre, capables d’infléchir la route qu’on avait tracée pour eux.

    Ils avaient souffert de leur différence, ils en avaient payé le dur prix fixé par Solomon et les Sages à sa solde. Désormais, ils l’assumaient pleinement, prêts à partager ce qui faisait d’eux des êtres d’exception.

    Le slogan de ce septième et dernier rassemblement proclamait :

    « Nous sommes tous frères par-delà nos différences car la Terre qui nous porte est notre mère à tous ! »

    C’était la plus belle, la plus magistrale des conclusions à un plaidoyer que beaucoup en ce jour béni, se rappelaient avec une émotion non dissimulée.

    Le temps était venu pour les Mutants de vivre libres, au grand jour au milieu de l’humanité qui était la leur.

    Le temps était venu pour eux de détruire à jamais, avec les ruines de la Ferme Alpha, les vestiges d’un abominable passé.

    Autour des murs noircis se forma la plus gigantesque des Roues. Ce fut une immense ronde d’hommes, de femmes, d’enfants se tenant par la main. Mutants, Élus, Normaux communièrent dans la fraternité. En silence, liés par l’esprit, ils célébrèrent le rite immuable de la vie contre la mort, de l’amour contre la haine, de la lumière contre l’obscurantisme, de la tolérance contre le rejet.

    Hawk et Mary se tenaient au centre avec leurs très précoces jumeaux. Océane et petit Faucon n’avait pas encore tout à fait un an mais ils marchaient et parlaient couramment. Assis sur des couvertures entre leurs parents, ils étaient très sages. Graves même, ils comprenaient déjà l’importance de ce qu’ils partageaient avec les grands.

    Des milliers de fronts des Mus et des Élus, jaillit le fluide du Pouvoir qui frappa autour d’eux, les enveloppa sans les brûler mais détruisit les derniers vestiges du complexe de reproduction par clonage d’Alexander Zagrozny et de ses complices. Un cri unanime et silencieux, fusa de la Roue quand le puissant rayon fulgurant désintégra les vieux murs oubliés.

    Les neuf Alpha qui avaient survécu et portaient allègement leurs quatre-vingt-treize ans grâce aux énormes progrès médicaux, étaient tous là avec leurs enfants naturels. Ils pleuraient en secret la fin de leur rêve. Eux aussi devraient oublier.

    Soudain, un incroyable faisceau bleu-vert se matérialisa puis, tel une flèche de lumière, il s’éleva et monta très haut vers le ciel d’azur. Sous le regard ébahi de la foule rassemblée en masse compacte autour de la Roue, une immense étoile à cinq branches se dessina à partir de cette flamme surnaturelle. À son tour, elle s’éleva scintillante vers le soleil. Durant sept jours et sept nuits, elle s’inscrivit sur la voûte céleste comme un lumineux message de paix. Elle brilla ainsi tout le temps que le cercle magique formé d’hommes, de femmes et d’enfants silencieux, unis par la pensée, demeura debout autour du Rassembleur de sa femme et de leurs extraordinaires enfants.

    Et la Roue tourna, tourna, tourna sept jours et sept nuits, diffusant dans le Monde le savoir dont les mutants avaient été les seuls détenteurs jusqu’à ce 20 mars 2059.


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  • 5 Août 2059. Washington. Devant la Maison Blanche

     

    S’ils furent accueillis comme des héros dès leur sortie de la Maison Blanche, les quatre rescapés de l’antre de Solomon Mitchell sentirent le désarroi de ceux qui les avaient aidés à vaincre.

    Les Mus étaient des clones, les copies conformes d’une bande de fous mégalomanes ! Leur mère était une cuve amniotique, leur vie, une énorme imposture, fabriquée, programmée ! Même le choix de leurs conjoints était inscrit dans leur programme génétique ! D’ailleurs, ce qu’ils appelaient le Destin avec un grand D, n’était lui aussi qu’un programme génétique ! Quel choc !

    Découvrir que ce qu’ils léguaient à leurs enfants pourtant nés naturellement, faisait partie du plan initial de ces tarés d’Alphas, fut le plus rude ! Ainsi donc, rien de ce qu’ils faisaient, de ce qu’ils ressentaient, ne leur appartenait en propre ? Ce n’était que des manifestations prévisibles du patrimoine génétique de leurs «donneurs sources» ! Ils refusaient d’appeler parents ces cinglés ! Tout cela était douloureux et difficile à admettre !

    Ce fut Hawk, le Rassembleur qu’ils s’étaient instinctivement choisi à la mort de Patrick, qui les guérit en quelque sorte de cette douleur immense.

    - À quoi bon pleurer sur ce qui ne peut être changé ? Leur dit-il. Ce que nous sommes, des clones ou des enfants de clones, nous le resterons. Bien sûr, sans le savoir, nous avons longtemps suivi le programme établi pour chacun d’entre nous, les clones de trente-six années de reproduction par clonage et les enfants nés des rencontres entre clones puis entre enfants de clones.

    Parce que non content de nous avoir fabriqués avec leur patrimoine génétique complet, ils nous en ont implanté un autre qui nous empêchait de savoir la vérité sur eux et sur notre origine. Un programme supplémentaire qui nous conduisait aussi à ne nous accoupler qu’avec une ou un des nôtres pour préserver la pureté de la race des Alphas ! Mais il y a eu plus d’une défaillance dans le processus. Les mariages entre clones et normaux se sont multipliés. Loin d’eux et avec le temps, nous avons évolué en dehors des clous, de leurs clous !

    Vous, les clones « générationnels », directement issus des cuves, vous vous êtes construits et vous avez développé votre propre personnalité au contact de vos parents adoptifs. Cette faculté d’autodétermination, vous nous l’avez transmise, à nous, enfants nés du ventre de nos mères ! Et qu’elles soient clones n’a aucune importance ! Nous aussi nous transmettrons cette liberté de choix à nos enfants et cela, les Alphas ne l’avaient pas prévu.

    Pas plus qu’ils n’avaient prévu que le Pouvoir se renforcerait à chaque génération ou qu’il s’amplifierait lors de nos unions psychiques et de nos rassemblements. Avec le clonage, ils voulaient seulement démultiplier leur génie en se démultipliant. Ils l’ont d’abord fait naturellement, puis ils ont vu plus grand et plus vite ! Croître et multiplier ! Ils se prenaient pour des Dieux et visaient l’éternité sans savoir que nous, leurs créatures, allions faire un pas vers elle. Car, vous ne l’ignorez pas, les Alphas ne pouvaient transmettre que par la reproduction, leurs dons et leur savoir, alors que nous, nous sommes capables de les transmettre aussi lors de notre mort !

    Ils nous ont voulus semblables à eux parce qu’ils souffraient d’être différents. Mais nous sommes différents d’eux parce que la vie nous a forgés au-delà de leurs prévisions. Car deux roses même totalement identiques à l’origine, pousseront différemment selon le terrain où elles seront plantées, et selon les soins qui leur seront apportés.

    Nous ne sommes pas différents du reste de l’humanité parce que nous sommes des clones, des mutants ou quelque autre nom qu’on nous donne ! Non ! Nous sommes différents parce que chaque être humain est unique, quoi que fassent les apprentis sorciers qui se prennent pour Dieu pour qu’il en soit autrement ! La différence est un don du Ciel, pas une calamité ni une maladie. Apprenons à vivre avec. Et ce que nous avons en plus, partageons-le avec tous ceux qui sont prêts à l’accepter ! Je suis sûr que c’est possible. Les Alphas ont inscrit dans nos gènes l’idée d’une haute mission, pourquoi ne serait-ce pas de transmettre aux normaux ces dons que nous sommes les seuls à posséder ?

    Il fut un temps ou l’humanité avait bien plus d’aptitudes psychiques qu’aujourd’hui. Peut-être pourrons-nous aider les « normaux » à le devenir vraiment, en leur apprenant à retrouver leurs capacités perdues et à en faire bon usage ?

    Nous, clones et descendant de clones, ne sommes pas des monstres mais les premiers maillons d’une nouvelle mutation de l’humanité. Nous devons en être fiers, pas en pleurer !

    Une immense acclamation salua ce discours qui clôturait le Sixième Rassemblement qui avait remplacé celui prévu en Russie. Les Mus se redressèrent presque guéris déjà de la honte et de la douleur causées par la révélation. Mary était très fière de son mari dont le rôle de leader était plus que jamais confirmé auprès des siens.

     

    Les semaines suivantes

     

    La presse mondiale se fit l’écho de ce rassemblement devant la Maison Blanche, durant lequel furent dénoncé au grand jour, la duplicité et la tyrannie des Sages ainsi que leur veule asservissement à Solomon Mitchell. Après avoir été pourchassé comme une bête malfaisante, Hawk faisait à présent figure de sauveur de l’humanité ! Les foules sont si versatiles ! Mais elles ont besoin de belles images à quoi se raccrocher quand tout s’écroule ! Et le gouvernement unique s’écroulait ! Cet homme qu’on avait si injustement voué au Gémonies alors qu’il n’était qu’une victime de scientifiques fous, comme l’étaient tous ceux de son mouvement, devenait soudain le porte drapeau de toutes les injustices, de toutes les dérives dont les peuples de la planète s’apercevaient qu’ils avaient été victimes eux aussi ! Et voila qu’on voyait dans l’apôtre des Mutants, le symbole fort du Monde libre. Son futur président s’il voulait bien.

    C’est ce qu’on lui proposa lors d’une conférence de presse alors qu’il séjournait encore à Washington où il avait été sollicité comme conseiller à la Maison Blanche auprès de quelques Sages non pervertis par Solomon, pour essayer de régler les problèmes les plus urgents. Il refusa !

    - Je veux simplement vivre en paix avec ma femme et mes enfants ! Déclara-t-il. Je suis sûr que vous trouverez vite un moyen de rétablir la vraie démocratie sur la Terre. Je ne suis pas la solution à tous les problèmes. Mes amis Mutants et moi n’avons été que des instruments. Ce que nous pouvons encore faire pour vous, nous vous le dirons lors de l’ultime Rassemblement. Venez, écoutez et comprenez ! Vous saurez alors que je ne suis pas le Messie, ni aucun d’entre nous ! Vous saurez que chacun de vous peut devenir son propre sauveur car la clé de votre prison est en vous ! Trouvez-là et vous serez libres !

    Solomon Mitchell est mort. Faites en sorte que sa place reste vide !

    « Tu entends Surprise ! La clé est au fond de toi, libère-toi comme je me suis libérée ! » Murmura Mary du fond de son cœur, comprenant enfin réellement qu’elle était définitivement guérie. Au même moment, à des kilomètres de là, dans sa chambre du centre de Black Mesa où son mari l’avait fait admettre, Surprise Andrevski s’échappa de la prison de folie où elle s’était enfermée. Alexeï qui était présent, la vit se frotter les yeux comme au sortir d’un long sommeil. Puis un sourire de pur bonheur illumina son visage émacié. Transfigurée, elle murmura :

    - Mary, Ô Mary, je t’ai retrouvée !

    À Washington, Mary-Anne frémit et regarda son mari. Elle sourit elle aussi en murmurant :

    - Surprise, mon amie…

    Puis elle éclata d’un rire si heureux que les journalistes présents sursautèrent en se demandant ce qui arrivait à la divine épouse de l’énigmatique Hawk Bluestone. Lequel savait lui à voir son sourire complice !

    Il serra un peu plus fort la main nichée dans la sienne. Divine oui, elle l’était et sa grossesse qui commençait à se voir, la rendait plus merveilleuse encore à ses yeux amoureux.

     

    Sept mois après le suicide de Solomon, tous les Sages encore en poste démissionnèrent. La démocratie reprenait ses droits. L’assainissement politique était en cours.

    Hawk accepta pour un temps de prolonger son rôle de conseiller auprès des femmes et des hommes qui s’étaient attelés à la lourde tâche de réorganisation de la société mondiale. L’année suivante vit se rétablir le droit constitutionnel de chaque pays par le biais délections présidentielles à l’ancienne. Des gouvernements nationaux furent formés. On garda toutefois l’idée d’une Assemblée de Sages représentant toutes les races et tous les courants de pensée. Les nouveaux Sages n’y tiendraient plus le rôle de gouvernants omnipotents mais celui de hauts conseillers, surveillants et garants de la démocratie du Monde. Beaucoup de Mus acceptèrent d’y siéger car leur présence était perçue comme un gage de fiabilité. Eux-seuls pensait-on, seraient capables de déceler et de dénoncer les dérives qui finissent toujours par dénaturer le pouvoir. Les Sages cette fois devraient rester sages !

    Disséminées dans le monde, les bases secrètes où dormaient d’un sommeil glacé les soldats-robots de Solomon, restèrent ignorées du public. Seuls les Mus en connaissaient l’existence et les lieux. Les savants qui géraient la maintenance des immenses dortoirs cryogéniques, furent remplacés par de membres de la Roue. Ils furent chargés de solutionner ce vaste problème sans risquer la mort de l’humain qui cohabitait avec le guerrier implacable dans les cerveaux trafiqués de ces hommes et de ces femmes enlevés à leurs familles pour servir la mégalomanie du Dragon. Au fur et à mesure qu’ils les guérissaient, ils les renvoyaient quelque peu « sonnés » vers les leurs, qui retrouvaient émus le frère, la sœur, le père, l’ami… disparu sans explication. Des êtres chers que l’on croyait morts et qui refaisaient soudain surface, tous souvenirs des cuves cryogéniques effacés et tout instinct meurtrier aboli.

    Décelées par les clones, les marionnettes programmées pour gouverner, furent elles aussi guéries sans même s’en rendre compte. Privées de leur manipulateur fou, elles retombèrent dans l’anonymat aussi soudainement qu’elles en étaient sorties.

    Comprenant qu’ils avaient été manipulés au même titre que ceux qu’ils étaient censés soigner, les médecins cessèrent d’administrer les médicaments dont certains composants détruisaient le libre arbitre. La vraie conscience revenait aux peuples de la Terre.

    Le Monde était en bonne voie de guérison.


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  • Il tira poussant le faisceau meurtrier de son laser à pleine puissance mais le rayon destructeur se heurtait au champ de force qui entourait ses ennemis. Fou de rage il jeta larme inutile et se lança toutes griffes dehors contre l’invisible mur. Il gesticulait en vomissant des flots d’injures. Son visage déformé par la fureur et par la haine ne ressemblait plus en rien à celui de Patrick.

    À l’abri de la bulle, blottie dans les bras de Blue Hawk, Mary n’entendait pas les imprécations terribles du Dragon mais elle en devinait le venin et le désespoir. Elle en souffrait pour lui. Les larmes coulaient malgré elle sur ses joues. Elle implora :

    - Fais quelque chose Hawk !

    Comme en réponse à sa prière, les paroles de Solomon brisèrent le silence de l’aura protectrice.

    - Lâche ! Tu te caches derrière ta femme et tes parents! Tu avais pourtant promis de venir seul ! C’est notre combat Hawk ! Viens te battre contre moi !

    Il se libéra de ses bras et sortit. Elle ne put l’en empêcher.

    Déjà, Solomon était sur lui. Il avait bondi tel un fauve assoiffé de sang. Aussi grand que son adversaire mais plus massif, il le déséquilibra, roulant avec lui sur le dallage de marbre noir. Hawk demeurait étonnamment passif. Sous le regard inquiet de Mary, il se contentait d’esquiver les coups violents que Solomon tentait de lui porter, ou de les encaisser sans ciller chaque fois qu’ils atteignaient leur but.

    - Il veut forcer notre fils à se défendre. Il sait que Hawk est plus fort que lui et qu’il pourrait le vaincre sans effort. Expliqua Blue Moon.

    - C’est vrai ! Mais il sait aussi que son ennemi répugne à donner la mort, alors il va tout faire pour réveiller en lui l’instinct meurtrier qui sommeille en tout être humain. Ajouta Brave Hawk.

    - Mais pourquoi ? Que cherche-t-il à faire ?

    - Tu ne devines pas mon enfant ? Demanda Blue Moon en la regardant dans les yeux.

    Elle comprit tout à coup les desseins du clone raté. Il avait déjà tout perdu. Jamais il ne réaliserait les hautes ambitions qui l’avaient aidé à vivre sans le Pouvoir des clones. Il ne voulait pas perdre la face ni être floué de sa mort comme il l’avait été de sa vie. Il voulait à tout prix gagner la dernière manche et mourir en combattant. En forçant Hawk à le tuer, il sortirait vainqueur de l’ultime combat.

    Solomon voulait mourir et Hawk le savait ! Cloué au sol par le poids du Dragon, il demeurait impassible, ne réagissant ni aux coups qui pleuvaient ni aux insultes les plus viles.

    Soudain, elle le vit tressaillir en même temps qu’elle lisait dans l’esprit retors de Solomon ce qu’il s’apprêtait à dire. Déjà, le faucon bouillait de colère. Une colère dévastatrice qui allait faire voler en éclats toutes ses bonnes résolutions et lui faire trahir ses convictions les plus ancrées. À l’égal de son ennemi et comme il l’avait été à Ielo, il allait se muer en un fauve acharné à tuer.

    - Allez mutant, défends-toi ! Sois un homme pour une fois ! Un vrai !

    Hawk bandait ses muscles et concentrait le Pouvoir…

    « Résiste mon amour ! Résiste ! »

    - Elle est bonne à baiser ta pute ? Quand j’aurai eu ta sale peau, je me ferai une joie de le vérifier. Je sauterai ta chienne de mère aussi !

    La colère de Blue Hawk enflait. Elle allait jaillir. Mary, sa Sirène, son amour dans les pattes de ce dégénéré ! Et sa mère si courageuse !

    « Ne fais pas ça chéri ! »

    - Alors fils de clones, ça fait quoi de n’être qu’un fac simile ? Et ta chérie, as-tu pensé qu’elle est peut -être un peu ta sœur ? Sais-tu de quel clone ton père est né hein ? Alexander peut-être ? Tu as peut-être baisé ta propre sœur, ce serait drôle, non ? Moi en tous cas, ça ne me gênera pas de me faire ma nièce !

    Son rire dément résonna lugubrement dans le bunker. Les jointures de Hawk blanchissaient. Ses poings serrés allaient frapper à mort. Supprimer ce monstre qui le dominait encore s’imposait à lui comme une évidence. Il allait le massacrer.

    « Résiste Hawk ! Résiste je t’en conjure ! Je t’aime ! Ne le laisse pas gagner maintenant ! Tu veux le tuer et c’est exactement ce qu’il espère ! »

    Sourd à la prière de sa femme, il repoussa brutalement son assaillant et se ramassa, prêt à bondir à son tour. Le regard horrifié, Mary vit l’homme qu’elle aimait se transformer en prédateur impitoyable. Elle vit sa proie soumise se détendre. Solomon allait accueillir la mort comme une délivrance. Ce serait son ultime victoire, la plus parfaite, celle qui détruirait son pire ennemi en même temps que lui. Il exultait. La partie engagée depuis longtemps était sur le point de s’achever ! Une partie qui avait débuté 41 ans plus tôt, juste après l’accident qui avait failli lui coûter la vie en lui rendant pour un très court instant ses facultés de clone. Par ce coup génial, il allait mettre échec et mat les deux rois en même temps, le noir et le blanc !

    Les yeux injectés de sang, Hawk n’était plus qu’une machine à tuer à l’égal des robots qu’il avait mis au point. Il avait au moins hérité du génie scientifique d’Alexander ! Il y avait de quoi hurler de rire non ? Son père fabriquait des doubles idéaux et lui bousillait des cerveaux pour se fabriquer un monde à son image ! Lequel était le plus taré des deux ? Les chiens décidément, ne font pas des chats, seulement d’autres chiens ! Où était-il écrit qu’ils devaient être tous parfaits ?

    « Allez, tue-moi clone ! Qu’on en finisse ! Je ne suis qu’un bâtard malformé ! » Pensait-il.

    Du fond de son cerveau embrumé par la rage, Hawk entendit rouler le rire tonitruant de Solomon. Mais ce qui le secoua, ce fut la pensée qu’il intercepta. Solomon voulait qu’il le tue ! Ces mots lancés silencieusement, nettoyèrent sa conscience. Ses muscles tendus se relâchèrent, sa colère retomba, rendant calme et sérénité à ses traits crispés de haine. Il se détourna de son ennemi et réintégra le halo-bleu-vert. Il prit Mary dans ses bras. Soulagée, elle l’embrassa de toutes ses forces. Il se perdit dans ce baiser purificateur, indifférent désormais au sort de Solomon vaincu et pitoyable.

    - Tue-moi ! Tu me le dois ! Vous m’avez tout pris ! Ne me vole pas aussi ma mort ! Tue-moi clone ! Implorait-il à genoux, les mains tendues en un geste de supplication vers la bulle protectrice.

    Voir cet homme, ce monstre de cruauté et de mégalomanie, qui leur avait fait tant de mal, à elle, aux Mus et à tant d’autres innocents, réduit à l’état de loque larmoyante, aurait dû réjouir Mary. Mais il ressemblait tant à son père, que c’était plus qu’elle ne pouvait supporter. À son tour et avant que son mari n’ait pu la retenir, elle sortit de l’aura protectrice. Elle se dirigea vers l’arme du Dragon abandonnée près de l’ordinateur détruit. Les trois autres la suivaient du regard tandis que Solomon se redressait, tournant vers elle un regard empli d’espoir.

    - Eh petite, tu n’as pas besoin de ça pour me tuer ! Un petit coup de fluide magique et adieu le salaud qui t’a fait lobotomiser et enfermer. Allez, vas-y, tue-moi ! Tu peux le faire toi, après tout le mal que je t’ai fait ! Gémit-il.

    Elle avança vers lui. Entre ses mains, le laser était lourd, tentateur…Réglé au maximum, il donnerait au Dragon la mort qu’il appelait de tous ses vœux. Une mort bien humaine qui ne trahirait pas les convictions de Hawk et des Mus. Elle n’était pas vraiment une des leurs. Elle ne serait peut-être plus jamais digne d’eux après la souillure qu’elle avait subie à cause de cet homme, cette larve qui se traînait à ses pieds. Un geste, un tout petit geste presque anodin, si facile ! Elle l’accomplirait sans y penser. Une légère pression et tout serait fini, enfin ! Pour Lûba, pour les habitants d’Ielo, Pour Océane et Petit Faucon que cette ordure avait voulu tuer, pour tous ceux qui avaient souffert ou étaient morts parce qu’il avait décrété une loi sur l’anormalité…

    Dans ses yeux dont le vert s’obscurcissait, Solomon lisait sa victoire. Elle allait le tuer…

    - Oui ! C’est ça, vas-y ! Tue-moi Mary ! Venge-toi ! Tu peux le faire, tu le dois !

    - Non, pas moi ! Répondit-elle enfin !

    Puis elle se baissa, posa l’arme près de l’assassin et rejoignit le chaud et doux abri des bras de son mari qui poussa un profond soupir de soulagement.

    Ils avaient vaincu sans faillir !

    - Pourquoi m’as-tu laissée faire mon amour, demanda-t-elle à Hawk

    - Parce, c’était une épreuve que tu devais traverser pour être définitivement guérie. Une épreuve nécessaire que moi aussi j’ai dû transcender pour effacer la haine meurtrière que cet homme a réussi à faire naître en moi. Nous avons gagné ma chérie ! Allons-nous-en !

    - Il ne va pas…

    - Non mon enfant, répondit Blue-Moon. Il sait qu’il a perdu. Les nôtres sont nombreux dehors et le Pouvoir l’empêcherait de retourner son arme contre nous, ça aussi il le sait.

    - Hawk a raison ma fille, ajouta Brave Hawk, allons-nous en maintenant ! Nous n’avons plus rien à faire ici. Ils nous attendent !

    Le champ de force se dilua autour d’eux. Main dans la main, les deux couples quittèrent l’antre de perdition sans jeter un regard en arrière. Ils allaient vers le soleil et la liberté reconquise.

    Un bruit sourd leur parvint. Pas besoin de voir pour savoir. Solomon avait mis lui-même fin à son calvaire de clone raté en détruisant la source de tous ses maux : son cerveau imparfait. Une seule décharge de son laser avait suffi.

    Tout était fini. Dans le coffre secret où il les avait cachées, les preuves des expériences d’Alexander Zagrozny et de ses neuf acolytes avaient disparu. Elles étaient entre les mains de Hawk. Il comptait s’en servir pour réhabiliter les siens aux yeux du monde. Oui, les Mus étaient des clones et des descendants de clones. C’était leur seul crime ! Ils allaient devoir apprendre à vivre avec ce douloureux savoir. Mais du moins, vivraient-ils à présent au grand jour !


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  • 5 Août, L’antre du Dragon

     

    Mary avait totalement recouvré la mémoire. Celle de sa petite enfance dont elle comprenait à présent toutes les arcanes, et celle plus récente de Krépotz’7.

    Tout lui était revenu !

    Le fil de sa vie s’était déroulé en accéléré. Elle en avait revécu le meilleur, sa rencontre avec l’homme de sa vie, leur mariage….Mais aussi le pire, son arrestation, le procès, son incarcération ses derniers moments de conscience juste avant qu’on ne lui mutile le cerveau, son internement à Krépotz’7 au QHI, dans l’horrible cellule zéro, le mitard des femmes ! Le froid, l’humidité, la faim, les coups, l’humiliation et le viol ! La terrible, l’indélébile souillure !

    Elle ne regardait plus Solomon, oubliant progressivement tout ce qu’elle venait d’apprendre dans sa tête et qui éclairait les recoins sombres de son enfance perdue. Elle ne pensait plus qu’à l’horreur de Krépotz’7. Elle avait peur et mal. Elle se sentait sale, si sale ! Elle n’était plus qu’une bête livrée au sadisme des hôtes de la Forteresse, une larve immonde, sans conscience…

    « Hawk, mes enfants ! Je suis indigne de vous ! » Hurlait son esprit révolté

    Anéantie, vaincue, à genoux devant son dernier bourreau, elle n’avait plus qu’une seule envie, celle de mourir pour effacer la honte. La tête dans les mains, elle pleurait à gros sanglots.

    « Résiste mon amour, tu es plus forte qu’eux ! Ils n’ont atteint que ton corps, pas ton esprit ! Lui vient de gagner la dernière bataille en retrouvant son intégrité ! Ne les laisse pas te vaincre maintenant ! Résiste pour moi, pour nos enfants ! Ils t’aiment ! Je t’aime ! »

    Il l’aimait ! Malgré ce qu’on lui avait fait, il l’aimait ! Et il avait besoin d’elle, de sa force pour terrasser le Dragon. Elle se redressa.

    Solomon ne comprenait pas sa réaction. Il se frottait les mains, se riant de ses larmes qu’il croyait être celles du désespoir de l’instant. D’elle il ne savait rien à part qu’elle était la prisonnière évadée de Krépotz’7 et la femme de son ennemi enchainé. Il ne savait pas que le choc qu’elle avait reçu en le reconnaissant, avait libéré sa mémoire en même temps que ses facultés. Elle sentait le Pouvoir que son père lui avait légué, affluer dans ses veines et dans son psychisme régénéré.

    Solomon Mitchell, clone raté, ne savait pas qu’il avait à ses pieds la fille unique de son «frère». Lui n’avait hérité que du génie intellectuel et de la mégalomanie de son géniteur. Floué des dons qui auraient dû être les siens, il avait mis toute son intelligence, toute son énergie à pourchasser et à détruire ceux qui possédaient ce dont lui seul avait été privé. Il se sentait proche de la victoire finale et jubilait. N’avait-il pas réduit à merci le leader des clones ainsi que sa mère et sa femme ?

    Quand il les aurait tués, il serait le seul à détenir l’incroyable secret de leurs origines. Ce serait entre ses mains la plus redoutable des armes. S’il ne pouvait les détruire physiquement tous, il instillerait en leur esprit ce mortel poison. Privés de leur chef charismatique, les mutants ne seraient bientôt plus bons à rien.

    - Alors les tourtereaux, on n’a rien à se dire ? Vous devriez profiter de mes bonnes grâces et vous faire vos adieux pendant qu’il en est encore temps ! Car aucun de vous ne sortira d’ici vivant, vous le savez ! Madame mère a déjà un pied dans la tombe. Allons, dépêchez-vous, je n’ai pas que ça à faire !

    En elle, la colère montait en même temps que le Pouvoir finissait de l’envahir tel un flot de lave.

    « Libère-moi ma douce, vite ! Tu le peux maintenant ! Il va agir ! Dis-lui qui tu es, la surprise va le déstabiliser quelques secondes, ce sera suffisant pour que nous unissions nos forces ! »

    Le Dragon ne les regardait pas, tourné vers Blue Moon dont la prostration persistante inquiétait vivement Hawk, il pointait déjà son laser sur elle. En une fraction de seconde, galvanisée par une fureur meurtrière, Mary fut debout. D’une décharge mentale précise, elle faisait sauter les cadenas des lourds anneaux qui encerclaient les poignets les chevilles et le cou de son mari. Le bruit qu’ils firent en cédant alerta Solomon qui se retourna. Il vit Hawk près de sa femme. Ils se tenaient par la main, face à la gueule menaçante de son arme.

    La fureur déformait ses traits. Ses yeux bleu-acier lançaient des éclairs. En cet instant, il ne ressemblait plus en rien à Patrick Defrance.

    - Vous pensiez m’échapper peut-être ? Vos tours de passe-passe ne vous sauveront pas !

    Ils allaient mourir ! S’il ne les avait pas encore tués c’est qu’il ne voulait en aucun cas être lésé de sa vengeance pour un mouvement de colère incontrôlé. Il avait d’autres projets pour eux avant de les exécuter. Toujours affaibli par ses blessures et par la drogue paralysante, Hawk se savait incapable d’agir utilement. Quant à Mary, outre le fait qu’elle sortait à peine du gouffre de son amnésie, elle se remettait doucement du choc de la révélation et de l’effort intense qu’elle venait de fournir pour le libérer. De leurs mains unies, ils se régénéraient mutuellement. Ils devaient gagner du temps pour rassembler leurs forces défaillantes.

    - Savez-vous qui je suis monsieur Mitchell ? Lança Mary tout à trac.

    - Évidemment ! À quel jeu jouer vous madame Bluestone ?

    Il repassait dans sa tête tout ce qu’il savait de cette femme impudente qui avait eu la bêtise de venir à la Maison Blanche. Pas grand-chose en fait et ça l’agaçait fortement ! Il ne comprenait pas pourquoi il avait de tels trous en ce qui la concernait ! Il la dévisageait en fouillant vainement sa mémoire qui lui jouait de vilains tours depuis quelque temps ! Son désir de vengeance, l’imminence de sa victoire, paraissaient oblitérer tout le reste ! Ce devait être ça. Il chercha encore…

    Pendant qu’il tentait de se rappeler, le couple en profitait pour se recharger en énergie. En eux, le Pouvoir enflait renforcé par leur amour.

    « Tu es complètement guérie ma chérie et tu m’as guéri du même coup ! » Confirma Hawk.

    Elle put constater que ses plaies étaient refermées et que la main dans la sienne était chaude sous l’afflux du fluide. Cependant, l’arme pointée sur eux à charge mortelle et surtout le doigt hyper nerveux de Solomon sur la détente très sensible, les dissuadaient d’agir inconsidérément. Hawk ne se sentait pas encore tout à fait au mieux de ses possibilités.

    «Gagnons encore un peu de temps afin d’être au maximum quand il le faudra. Vas y mon cœur, titille le encore un peu et assène-lui la vérité ! » Ajouta-t-il.

    - Vous ne savez vraiment pas grand-chose sur moi Solomon !

    Il fut aussi choqué par cette soudaine familiarité que par le fait qu’elle soit télépathe. Elle avait donc récupéré ses maudits pouvoirs ! Même elle, possédait ce qui lui manquait ! Son doigt se crispa sur la détente. Il était si occupé par le couple qu’il n’entendit pas le léger chuintement que fit la porte du bunker en s’ouvrant. Hawk retint son souffle. Son léger tressaillement alerta Mary. Brave Hawk venait d’entrer et se glissait à pas de loup vers sa femme.

    - À qui crois-tu parler putain ? Accouche ! Ma patience a des limites ! Éructa Mitchell au comble de la fureur.

    - Regarde-moi bien Solomon, je ne te rappelle personne ?

    Elle n’eut pas besoin de regarder pour savoir qu’en silence, Brave Hawk lui aussi guérissait sa femme. Totalement occupé par elle, Solomon ne s’était encore aperçu de rien.

    - Allez, cherche un peu ! Tu devrais trouver ! Insista-t-elle, consciente qu’elle allait peut-être trop loin !

    Elle sentait littéralement la rage dans l’esprit en fusion de Solomon.

    - Arrête de me mener en bateau, parle salope ! Vociféra-t-il.

    - Tu ne vois vraiment pas Solomon ? As-tu oublié Patrick Defrance ce…frère jumeau un peu mieux réussi que toi ?

    - Quoi….Que….Comment sais-tu ?

    - J’étais là le 8 juillet 2029 lorsqu’il t’a refusé son aide la première fois. J’étais là aussi la veille de sa mort quand tu es venu le relancer à l’hôpital.

    - Qui es-tu ?

    - Je suis celle qui sait Solomon ! Souviens-toi ce qu’il t’a prédit sur son lit de mort ! Je suis sa fille ! Si tu nous tues, ce que nous savons désormais Hawk, sa mère et moi, sera immédiatement transmis à ceux qui nous attendent dehors !

    - Ce…C’est impossible ! Tu n’étais qu’un bébé en 2029 !

    - Pas n’importe quel bébé Solomon ! Un enfant de clone. Et quel clone ! J’ai en partage les gènes de Patrick et ceux d’Alexander mon illustre « grand-père ».

    - Tais-toi !

    - Non, je ne me tairai pas ! J’ai tout enregistré ce jour-là ! C’est vrai, je n’étais qu’un bébé. J’ai pataugé jusqu’à l’écœurement dans le tas d’immondices qui encombrait ton cerveau malade, « oncle » Solomon. Je ne comprenais pas tout ce que je « lisais » en toi mais ça m’a fait peur et tellement mal ! Tout s’est inscrit dans ma mémoire et bien que mon père ait tenté l’impossible pour effacer ce savoir délétère de mon esprit, aujourd’hui il m’est revenu. Totalement !

    - Où étais-tu petite garce ? Je ne t’ai pas vue et ton père non plus !

    - Sous le guéridon. Je m’étais un peu…oubliée ! Dit-elle en éclatant de rire à ce souvenir en dépit de la gravité de l’instant. Je suis bien ta « nièce » Solomon !

    - Tu mens diablesse ! Je ne sais pas comment tu as appris tout ça mais je suis sûr que tu mens ! C’est ce… sorcier qui t’a pervertie ! Hurla-t-il en désignant Hawk d’un doigt accusateur.

    - Pourquoi nies-tu l’évidence, cher oncle ?

    - Tu ne ressembles pas à Patrick ! Nous étions physiquement parfaitement semblables ! Toi, tu...tu...

    Il perdait pied. Autant dire qu’il allait devenir encore plus dangereux.

    - Ma mère Ophélia Conroy, est une normale Solomon ! Ça aussi tu l’as oublié ? Dit-elle doucement, comme pour l’apaiser.

    - Et elle est où ta garce de mère ? Elle aussi a été pervertie par un de ces démons ! Je dois vous tuer tous ! Vous n’êtes pas comme moi ! Il faut que le monde entier soit comme moi. C’est mon devoir, d’éliminer tous ceux qui ne me ressemblent pas. Supprimer les ratés, les anormaux, voila la mission que Dieu m’a confiée !

    La bave aux lèvres, il écumait. En lui la folie prenait le pas sur le génie. Il confondait le présent et le passé, s’identifiant à son père génétique. Comme lui, il voulait détruire tous ceux qui ne correspondaient pas à son programme. Il avait juste inversé le processus en se jurant d’éliminer tous les clones réussis.

    Son cerveau probablement altéré depuis sa conception, achevait de se désagréger sous leurs yeux. Le mal déjà présent lors de sa sortie de la cuve-matrice en 1993, n’avait fait que progresser en sourdine durant toutes ces années, amplifié par le désespoir et la frustration.

    Solomon n’était somme toute que l’innocente victime d’un génie encore plus mégalomane que lui, Hawk et Mary devaient bien l’admettre. Il n’en était pas moins leur pire ennemi dans son acharnement à vouloir se venger sur eux du sort inique qui avait été le sien. N’était-il pas sur le point de « réveiller » son armée de l’ombre programmée pour tuer les Mutants ? Et il allait les abattre tous les quatre s’ils ne faisaient rien pour l’en empêcher.

    Abasourdis, Blue Moon et Brave Hawk n’avaient pas encore digéré la révélation. Ils étaient des clones. De simples copies conformes d’une bande de mégalos ! Comme Patrick, comme Solomon. Ils s’étaient toujours demandé d’où leur venaient ces pouvoirs qui avaient fait d’eux des anormaux pourchassés dans le monde entier. Aujourd’hui, ils en savaient un peu plus mais si peu puisque leurs parents génétiques n’avaient jamais su non plus pourquoi ils étaient si différents !

    Étaient-ils le résultat d’une manipulation génétique antérieure à 1967 ? Étaient-ils les premiers fruits d’une nouvelle mutation de l’espèce humaine ? Ou les rejetons d’une race extraterrestre, dont les graines avaient fécondé des femmes de la Terre en vue d’une future invasion de la planète ? En 2011, on avait découvert une sœur jumelle de la Terre. Très loin certes mais sait-on jamais…Il y avait de quoi se perdre en conjectures des plus plausibles aux plus farfelues.

    Faute de réponse et parce qu’il fallait vivre malgré tout avec ces pouvoir qui représentaient la tare suprême aux yeux des «normaux», les Mus avaient renoncé à chercher, en apparence du moins. Ils étaient devenus fatalistes. Survivre à l’ostracisme mondial suffisait à leur peine ! À présent, ils allaient devoir vivre avec cette terrible vérité !

    Avant, ils devaient sortir d’ici pensa le père du Faucon en se secouant intérieurement. Guérie, dessanglée mais toujours assise dans son fauteuil roulant, Blue Moon reprenait ses esprits. Brave Hawk se glissa en silence vers le trio composé de son fils, de sa belle-fille et de Solomon dont toute l’attitude indiquait qu’il allait tirer sur le couple en face de lui. Une diversion s’imposait ! Son esprit accrocha celui de son fils qui l’approuvait en silence.

    - Salut Solomon ! Je ne te connais pas mais Patrick était mon ami !

    Totalement déstabilisé par cette intrusion imprévue, Mitchell se retourna d’un bloc vers la voix inconnue qui l’interpellait. Cela suffit à Hawk et à Mary pour prendre l’avantage. La double décharge de Pouvoir qu’ils émirent simultanément, se concentra en une seule d’une puissance inouïe qui désarma Solomon. Le laser s’envola hors de sa portée. D’une autre décharge, Brave Hawk le paralysa. Ce fut Blue Moon qui, de son fauteuil, se vengea de ce qu’il lui avait fait endurer pendant sa captivité, en le renvoyant à sa propre image, comme l’avaient fait les membres de l’expédition contre les Chiens qu’il leur avait envoyés. Emprisonné dans son esprit en pleine déliquescence, il y découvrit le monstre hideux et bestial que sa haine avait fait de lui.

    C’était terrifiant. Confronté à son moi profond, il hurlait hystérique, battant l’air de ses mains pour repousser la bête dans laquelle il se reconnaissait et qu’il était le seul à voir.

    Glacée, figée d’effroi, Mary ne pouvait détacher son regard de cet homme en proie à ses propres démons. Il ressemblait tellement à son père ! Soudain, elle n’y tint plus. Avant que son mari ne puisse l’en empêcher, elle libéra Solomon de l’hypnose dans laquelle l’avait plongé Blue Moon, lui rendant ainsi une providentielle liberté de mouvement. Plié en deux comme par un violent coup de poing dans l’estomac, il se pencha en avant, vomissant un flot de bile noirâtre. Puis, saisi d’une rage démentielle, il se remit debout.

    Il n’eut pas le temps d’esquisser le moindre geste. Hawk avait instantanément deviné ce qu’il voulait faire. Un éclair bleu fusa de son front et de ses doigts, détruisant dans une formidable gerbe d’étincelles toutes les installations sophistiquées de l’antre du Dragon. Ses parents parachevèrent son œuvre destructrice. Solomon n’avait plus aucun moyen de lancer ses hordes de tueurs préfabriqués sur les clones et leurs familles.

    Projeté en arrière par le choc de l’attaque et par l’explosion de ses joujoux, Solomon s’étala lourdement sur le sol, à quelques centimètres de son arme dont il se saisit aussitôt puis il appela sa garde noire à la rescousse. Aucun ne vint. Ils avaient été neutralisés par Brave Hawk tandis que dehors, des milliers de Mutants et leurs amis s’étaient rassemblés devant la Maison Blanche, empêchant les gops d’approcher.

    Sans cris, sans fureur ni gestes hostiles, impassibles et sereins face à la curiosité et aux rumeurs inquiètes qu’ils suscitaient dans la foule accourue de toute part, ils tenaient en respect les forces de l’ordre dont les armes n’étaient plus que d’inoffensifs tas de poussière métallique sur le sol. Et tout cela malgré ce qu’ils venaient d’apprendre sur leur nature véritable !

    La population tranquille et résignée n’avait jamais vu un tel rassemblement à Washington, qui plus est devant le palais des Sages ! Depuis des années, dans la capitale bien plus encore qu’ailleurs dans le monde, tout rassemblement de masse spontané, même aussi pacifique que celui-là, était formellement interdit. Et tous ces gens que la curiosité avait attirés là, se sentaient …délicieusement hors la loi ! Il faut dire que ces milliers de « Mus », comme ils s’appelaient, tous tellement semblables, entourés d’autant de leurs sympathisants de toutes races et de tous sexes, aussi différents d’eux que le jour l’est de la nuit, valaient le déplacement ! Ils avaient de quoi impressionner même les plus braves. S’ils avaient désarmé les gops, ils l’avaient fait avec une incroyable facilité, en quelques secondes, posément, sans colère ni menaces, presque avec le sourire. Cependant, ils n’avaient tué personne ! À lui seul, ce fait était désarmant !

    À présent, silencieux et calmes, debout, ils étaient tournés comme un seul homme vers la Maison Blanche. Formidable barrière humaine, ils étaient alignés devant le grand bâtiment dont la blanche coupole se détachait dans le ciel bleu. Les membres de chaque rang d’hommes et de femmes, se tenaient, paumes à paumes, les bras légèrement levés, communiant en un rite étrange. Entité compacte et déterminée, ils paraissaient diffuser un champ de force. De loin, on avait l’impression que l’air crépitait autour d’eux. Une lumière bleue, surnaturelle, jaillissait de leurs fronts formant autour d’eux une espèce de voile de brume qui s’élevait puis se concentrait et fusait soudain vers la Maison Blanche.

    On croyait rêver ! Ils avaient déjà montré certains leurs dons incroyables. On les avait vus à TV7 lors de meetings tout aussi interdits que celui-ci mais ils ne le faisaient que séparément. Or, là, c’était une action commune et gigantesque !

    Plus personne ne parlait de Science-fiction mais il fallait avouer que ces fameux Mutants, avaient tout d’extraterrestres !

    Tout était pourtant bien réel. Dans le Bunker secret de Solomon, le Pouvoir venu de l’extérieur renforçait celui de Hawk, de ses parents et de Mary, les rendant invincibles. Contre le fluide bleu des Mus, le laser que Solomon pointait de nouveau sur eux, était devenu un jouet dérisoire. Mais il ne le savait pas !

    C’était bien là le drame de son injuste destinée !

    Il tira !


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  • 1987, USA. La genèse des clones

    Quand ils se rencontrèrent pour la première fois, les couples se formèrent très vite ? Ce fut pour tous comme une évidence. Alexander choisit la belle Juliana qui avait échappé à la misère des favelas pour emprunter le même chemin que lui, la génétique.

    Yvan qui avait choisi la physique nucléaire, s’éprit aussitôt de son alter ego, la plantureuse Elisabethe.

    Federico, talentueux biologiste, trouva l’âme sœur en la ravissante personne d’Anna la bretonne.

    Helena succomba au machisme exacerbé de Constantin, le grec charmeur qui était neurologue comme elle.

    Ginny elle, dut se faire un peu prier pour tomber enfin dans les bras de Dennis, son homologue biochimiste

    Ils étaient tous doués pour l’électronique. En cette matière comme en celles qu’ils avaient plus précisément étudiées, ils étaient très en avance sur leur époque

    D’un commun accord, ils décidèrent que chacun des couples ainsi formé, se devait de faire un enfant dans les plus brefs délais, histoire de vérifier si leurs dons étaient transmissibles. Ce furent les prémices du Projet Alpha. Ils choisirent ensemble le jour propice à l’accomplissement de cette œuvre commune de procréation. Lorsque ce jour fut venu, ils s’accouplèrent en un rite sacré qu’ils baptisèrent solennellement le « Rite de la Roue ». Neuf mois plus tard, les cinq femmes accouchèrent chacune d’un enfant. Puis d’un autre l’année suivante. Ainsi entre 1988 et 1989, naquirent cinq filles et cinq garçons qui montrèrent rapidement des signes concluants de réussite. Les enfants des Alphas héritaient bien des facultés hors norme de leurs deux parents.

    Cependant, Alexander trouvait trop long ce processus naturel. Il avait tant et si longtemps souffert du rejet et de l’isolement moral que son fantasme inavoué d’un monde rempli de ses semblables, s’était amplifié. Il était désormais plus puissant que jamais. Il voulait plus, plus vite !

    Généticien de génie plus qu’en avance sur son temps, il s’était penché très jeune sur la reproduction par clonage. D’abord sur les végétaux puis sur des souris. À 18 ans, dans le plus grand secret, il procédait à la réplication réussie d’un chien in utero. L’année suivante, il réalisait avec le même succès, le premier clonage du même chien in vitro. On était en 1985. Cette expérience sans précédent n’était pas même concevable à l’époque. Totalement contraire à l’éthique même ! Il s’en moquait. Elle lui ouvrait un champ illimité de possibilités qu’il brûlait d’exploiter. Il avait réussi seul à reproduire le liquide amniotique d’une chienne, pourquoi ne réussirait-il pas à en faire autant avec celui d’une femme ? Il avait largement dépassé le stade de l’exploration. Ce qu’il désirait plus que tout, c’était d’atteindre celui de l’application en passant au clonage humain. Mais pas avec un sujet quelconque. Sa découverte ne devait profiter qu’à des êtres d’exception tels que lui. Ses semblables en tous points. Ce n’est qu’ainsi qu’il pourrait briser son insupportable solitude. En 1987, il les avait donc trouvés. Neuf autres qui pouvaient prétendre l’égaler. Il y en avait peut-être plus mais il n’avait pas le temps de les chercher. Il était pressé !

    En 1997, quand le monde stupéfait apprendrait la naissance de Dolly la brebis, premier mammifère issu du clonage par transfert de noyaux, il serait déjà tellement plus loin dans l’application humaine des techniques de clonage reproductif que cet évènement lui semblerait ridicule !

    Dès 1989, il leur exposa son rêve secret. Comme lui, ils avaient souffert à divers degrés de la solitude et du rejet. Ils se laissèrent aisément convaincre, allant jusqu’à lui avouer qu’eux-mêmes avaient souvent caressé ce rêve insensé. Ils le trouvaient soudain beaucoup moins fou. Et surtout, ce que leur dévoila Alexander leur prouva qu’il était réalisable.

    Ils mirent leurs deniers en commun pour acheter à crédit une vaste propriété dans le Colorado, près de Pueblo. Un vieux ranch abandonné et ses annexes qu’ils retapèrent et rebaptisèrent « La ferme Alpha ». Il allait leur servir d’habitation commune durant des années.

    Il fallut moins d’un an aux gens du cru grassement rétribués sans savoir sur quoi ils travaillaient, pour creuser les immenses bunkers où les Alphas installèrent eux-mêmes au fur et à mesure, d’abord leur laboratoire, ensuite la première «maternité» où s’alignèrent les  «cuves-matrices» qu’ils fabriquaient sur place, puis la première «nurserie» où de la même façon, ils fabriquèrent les « couveuses ».

    Leurs employés discrets avaient battu tous les records. Eux aussi avaient fait vite ! Le centre secret de clonage reproductif de la ferme Alpha était opérationnel dès 1991.

    De 1992 jusqu’en 2028, des milliers d’enfants clones, copies génétiques des dix Alphas, furent conçus à partir des cellules qu’ils prélevaient sur eux sans distinction de sexe et par la suite, sur les embryons des clones de la deuxième génération. Ils en extrayaient le noyau contenant leur patrimoine génétique complet, auquel ils adjoignaient un patrimoine supplémentaire spécifique à chaque futur enfant. Puis ils le fusionnaient par impulsion électrique à un ovocyte énucléé d’une des leurs. La parthénogénèse s’effectuait en tube. Après quoi l’embryon était placé en cuve amniotique stérile thermo régulée, relié à un cordon ombilical artificiel qui le nourrissait comme un fœtus l’est dans le ventre de sa mère. Le liquide amniotique avait également été obtenu par clonage à partir de celui des cinq femmes, prélevé lors de leurs deux grossesses naturelles.

    Dés la naissance que l’on provoquait au bout de dix mois par mesure de sécurité, on retirait le clone de la cuve. Cette phase remplaçait l’accouchement traditionnel. Le bébé était alors mis en couveuse à la « nurserie » jusqu’à un mois puis en pouponnière jusqu’à son adoption. Pendant les deux premiers mois de leur vie, ils étaient nourris au lait maternisé puis progressivement sevrés jusqu’à la fin du troisième mois où ils perçaient leur premières dents. Dès qu’ils pouvaient passer à une alimentation solide, ils étaient confiés à leur famille adoptive.

    Les enfants devaient tout ignorer de leurs origines. Rien ne devait interférer dans leur développement naturel. Ils ne devaient pas savoir non plus que leurs vrais géniteurs allaient observer à la loupe toutes les phases de ce développement.

    Les Alphas voulaient vérifier comment ils s’en sortiraient avec cette différence, cette anormalité qui les avait tant fait souffrir. Pour que l’expérience du clonage humain à grande échelle soit validée  à leurs yeux exigeants, il fallait que leurs copies conformes puis les clones issus de ces copies, accroissent leurs facultés comme eux l’avaient fait, cherchent à se fédérer puis arrivent enfin à la même conclusion qu’eux : la nécessité de se reproduire pour être plus forts contre ceux qui les rejetteraient immanquablement! Et tout cela, ils devaient le faire seuls, sans savoir qu’ils étaient des clones ni qui étaient leurs géniteurs. Afin de les stimuler, Alexander avait cependant décidé d’inscrire dans leurs gènes l’idée d’une haute destinée, celle d’une Mission sacrée qui les aiderait à supporter leur différence. C’est ce qu’il aurait aimé pour lui. C’est ce pourquoi il avait lutté jusqu’à ce qu’il découvre qu’il n’était pas seul au monde.

    Avant même leur conception et durant toute leur gestation puis jusqu’à trois mois, étaient implantés dans leur mémoire génétique, les messages essentiels de leur destin programmé. C’est aussi pourquoi tous les clones fœtus qui présentaient la moindre tare ou la plus petite erreur de programmation étaient impitoyablement éliminés.

    Chaque clone était inscrit dans un registre informatisé sous un nom de code numéroté Le code se décomposait ainsi. D’abord, la date de la mise en matrice et celle de la sortie de la cuve, puis les deux premières lettres du prénom du donneur cellulaire. AL pour Alexander, AN pour Anne, CO pour Constantin, DE pour Dennis, EL pour Elisabethe, FE pour Federico, GI pour Ginny, HE pour Helena, IV pour Ivan et JU pour Juliana. Venait ensuite le numéro d’ordre exact de la mise en cuve suivi de celui de la génération placé après la lettre G. Ainsi, 01-03-92.01-01-93.AL1-G1, était le premier clone d’Alexander à avoir été placé en cuve le 1er mars 1992 et né le 1er janvier 1993. Il faisait partie de la première génération. Ce sont les adoptants qui avaient le privilège de leur choisir un prénom.

    La codification des clones se modifia avec l’évolution du processus de clonage lorsque pour accélérer la réplication, les Alphas fabriquèrent dès la deuxième génération, des copies à partir de cellules prélevés sur les clones embryonnaires.

    À maturation, un peu avant le quatrième mois, les bébés clones étaient adoptés par des couples demandeurs soigneusement répertoriés par les Alphas dans toutes les couches sociales et dans le monde entier. Ils avaient tous un point commun, la stérilité d’un des deux membres du couple. Certains payaient des sommes folles pour avoir un enfant et aucun ne posait de question pour connaître la provenance des bébés ! Cet argent était une manne supplémentaire pour les Alphas. L’entretien des installations souterraines coutaient cher. La «Maternité» avec ses cuves, avait une capacité de deux cents enfants par génération. Autant pour les couveuses de la « Nurserie » et pour les lits de la « Pouponnière ». Sans compter le labo strictement réservé aux Alphas, l’ensemble des installations nécessitaient la présence constante d’un personnel qualifié autant que discret qui résidait en permanence à la Ferme Alpha et qu’il fallait royalement rétribuer pour prix de son silence et de sa totale disponibilité.

    En trente-six années de « couvées » successives, il n’y eut qu’un faible pourcentage de ratages. Sur un peu plus de 7200 clones fabriqués, 800 seulement furent éliminés et 200 furent massacrés par Solomon lorsqu’il brûla la ferme en janvier 2029. Une sélection rigoureuse avant la mise en cuve expliquait le nombre limité de pertes.

    Pour accentuer la réplication, les Alphas calquaient la naissance de chacune des générations qu’ils engendraient sur leur propre date de naissance. C’est ainsi que furent conçus in vitro, puis placés en cuve le 1er mars 1992, Solomon et Patrick ainsi que les dix -huit autres clones sans tare du même géniteur. Les neuf autres en firent autant pour leur première génération respective de copies conformes. Comme leurs dix- huit «frères», Solomon et Patrick sortirent de leur cuve-matrice le 1er janvier 1993. Le premier fut adopté en mai 1993 par le pasteur Devon Mitchell et sa pieuse épouse Carolyn, établis à Austin. Dieu bénissait enfin leur union stérile avec cet enfant miraculeux. Le deuxième émigra en France le même mois, chez Stéphane et Barbara Defrance, un couple de petits bourgeois du Havre. Les deux bébés n’étaient pas d’aussi parfaites copies conformes que leurs frères clones mais Alexander, leur géniteur, ne s’en était pas aperçu.

    Les clones première génération de Constantin, des exemplaires réussis, dont le père de Blue Hawk faisait partie, naquirent le 1er mars 1993. Conçue à partir d’une cellule deuxième génération d’Anne Yvonnic, Blue Moon elle, vit la lumière artificielle du bunker de la ferme Alpha le 1er février de l’année suivante. Brave Hawk fut accueilli comme un don des Dieux par Black Hawk Bluestone, descendant d’un authentique chef Navajo. Gwénaëlle, qui ne deviendrait Blue Moon qu’en épousant Brave Hawk, fit la joie d’une humble famille de pêcheurs du Morbihan, Pierre et Marie le Crouhennec. Elle vécut à Kerhostin jusqu’à ses dix-huit ans puis elle quitta ce qu’elle croyait être sa Bretagne natale pour rejoindre celui qui l’appelait chaque nuit par-delà l’océan qui les séparait. Elle ne sut que bien plus tard que son destin, qui n’était qu’un bout de son programme génétique, était précisément de répondre à cet appel et à aucun autre. Tout comme celui de Brave Hawk était de ne le lancer qu’à elle et à aucune autre.

    Pour éviter les tares consanguines, les clones étaient tous programmés pour ne rencontrer que les conjoints qu’il leur fallait afin d’assurer une postérité saine au Alphas. Quelques erreurs se glissèrent dans ces programmes. Des clones épousèrent des normaux. Toutefois, les Alphas s’en réjouirent quand ils constatèrent que leurs facultés se transmettaient aux enfants hybrides, même s’il leur fallait un peu plus de temps pour les développer. Ils concédèrent à ces  «imparfaits», un statut particulier dans leur arbre généalogique, décidant qu’ils n’entachaient pas la race Alpha.

    Ce qui n’était pas le cas de Solomon ! Hélas, Alexander ne le décela pas assez vite ! Et pour cause !

    Parvenu à maturation, le petit 01-03-92.01-01-93.AL1-G1, premier des 20 à avoir été placé en cuve, ne présentait aucune anomalie. Les Mitchell ne pouvaient que se réjouir de sa venue ! Baptisé Solomon, il était aussi éveillé que les autres, aussi doué. Jusqu’à cinq ans, sans les montrer à ses parents, il bénéficia des facultés des Alphas avec cependant un petit plus que seul un de ses frères-clones partageait. Deux grains de sable dans les rouages des Alphas ! En effet, sans comprendre le sens exact de ce mot, il savait qu’il était un clone, tout comme le savait 01-03-92.01-01-93.AL2-G1 devenu Patrick.

    Puis Solomon perdit soudain ses dons extraordinaires sans raison explicable. Ce fut comme si son programme génétique s’était brutalement auto effacé. C’est quand Alexander perdit le contact avec son esprit, qu’il comprit que quelque chose déraillait. Il se rendit aussitôt à Austin pour éliminer au plus vite ce rejeton raté devenu indésirable, voire dangereux en raison même de ce qu’il pouvait lui être resté de savoir inopportun. Il dut en effet se rendre à l’évidence que ce petit bonhomme qui ressemblait trait pour trait à celui qu’il était au même âge, savait du haut de ses cinq ans qu’il était un clone et que lui, était son vrai « père ».

    Prétextant une visite médicale de routine, il injecta dans le cervelet du gamin une substance toxique qui ne devait agir que quelques jours plus tard afin qu’il ne soit pas soupçonné. Une semaine après sa visite, Solomon tomba dans le coma à la suite d’une mauvaise chute- crut-on alors - qui lui occasionna un traumatisme crânien sévère. Nul ne s’en étonna. Le bambin était particulièrement intrépide.

    Le pasteur Mitchell et sa femme prièrent le Très-Haut d’épargner leur unique enfant et le miracle survint. Solomon en réchappa. Durant des années, il ne se rappela rien des évènements qui avaient précédé son long coma de six mois. Ce ne fut qu’à l’âge de quinze ans que tout lui revint avec précision, après un accident de voiture qui faillit lui coûter la vie ainsi que celle de ses parents adoptifs. Pendant quelques minutes, il récupéra ses facultés paranormales, juste le temps de réapprendre qui il était, ce qu’il était plutôt, et ce qu’il devait à son géniteur. L’instant d’après, il les reperdait de façon définitive mais lui restaient la conscience cruelle de son sort de clone raté et le nom de celui qui en était responsable.

    C’est précisément à cette époque qu’il comprit de quoi il était lésé et que germèrent en son esprit torturé des projets de vengeance contre celui qi avait voulu le tuer, son propre père génétique, Alexander Zagrozny.

    À dix-huit ans, il commença à rechercher les autres clones car il avait pensé fort justement qu’un fou aussi génial qu’Alexander, ne s’était pas arrêté à un seul fac-simile, raté de surcroît ! À deux plutôt, d’après ce qu’il avait eu le temps d’apprendre durant les minutes où le pouvoir l’avait de nouveau envahi. Un autre enfant clone d’Alexander connaissait la vérité sur sa naissance. Un certain Patrick, adopté par des français. Il se mit en chasse pour le retrouver en priorité.

    Patrick Defrance, c’est vrai, connaissait la triste vérité et le vivait très mal. Il aimait infiniment ses parents qui croyaient légitimement avoir adopté un enfant normal seulement un peu plus doué que les autres. Ils n’avaient que lui et se montraient fiers d’avoir un fils surdoué. Il leur cachait ses facultés paranormales de crainte de les effrayer ? Car lui au contraire de Solomon, les possédait toutes. Elles l’effrayaient aussi, car elles s’étaient développées et amplifiées sans qu’il ait besoin de les exercer. S’il n’avait eu cette tare de connaître sa nature, ou peut-être justement parce qu’il l’avait, il était le clone le plus réussi d’Alexander ! Le plus fort, le plus affuté, à cela près que lui savait que toute sa vie était programmée et qu’il avait bien l’intention de ne pas suivre ce programme tout fait !

    Quand il fut en âge de se marier, il refusa la compagne que sa codification personnelle lui enjoignait de rejoindre. En revanche, il accepta la mission de premier rassembleur que lui confièrent les clones qui, ignorants de leur véritable condition, s’étaient fédérés pour se sentir moins seul comme en avait décidé les Alphas. Cela faisait partie du programme commun à tous les clones, de même que le nom qu’ils choisirent pour leur mouvement : la Roue Universelle. Il ne leur dit pas ce qu’il savait. ! Lui avait si mal de savoir !

    Plus tard, la Roue rassembla également autour d’elle, comme au sein d’une grande famille, beaucoup de ceux qui par le monde, possédaient des dons étranges qui les effrayaient et faisaient d’eux des parias.

    Patrick joua consciencieusement son rôle au sein du mouvement, jusqu’à ce qu’il croise la route d’Ophélia Conroy. Il s’en éprit aussitôt. Ce fut à cette époque qu’il rencontra pour la première fois celui qui le recherchait. L’un de ses jumeaux en clonage, Solomon Mitchell. La haine et la soif de vengeance qu’il lut dans son esprit, le poussa à prendre le large. Il quitta la Roue, renonça à ces pouvoirs dont son frère était si cruellement dépourvu. Il ferma son esprit aux clones. Avec Ophélia puis avec sa fille, il voulait vivre heureux et caché.

    Ce qu’Alexander et ses complices n’avaient ni prévu ni pressenti pour ne l’avoir jamais expérimenté, c’est que les dons et les connaissances dont ils étaient les détenteurs privilégiés, ne se transmettaient pas que par le clonage ou la reproduction naturelle, mais également par la mort.

    C’est cette transformation imprévue qui fit des clones et surtout de leurs enfants, des mutants génétiques. Ces mêmes Mutants que l’on pourchassait encore des années plus tard en raison de cette différence qui faisait tellement peur.

    Solomon qui était l’instigateur de cette chasse aux sorciers, avait presque accompli sa vengeance. Une terrible vengeance qui avait débuté avant la deuxième année de Mary-Anne Conroy-Defrance, le 7 janvier 2029. Ce jour-là, il tuait Alexander Zagrozny qui se trouvait seul au ranch. Après avoir dérobé les preuves des trente-six années de clonage des Alphas contenus dans les fichiers informatiques, il brûla le ranch et ses annexes. Puis il fit exploser les bunkers souterrains où dormait la dernière génération de clones, tuant du même coup les dizaines de personnes chargées des soins et de la surveillance de cette incroyable « maternité ».

    Nul ne revit les neuf autres Alphas ni leur naturelle progéniture. Ils se réfugièrent tout simplement au cœur de la Roue Universelle qui ne sut jamais qui ils étaient vraiment. Ils savaient comment se préserver de toute intrusion mentale indésirable et ne laissaient lire en eux que ce qui ne les mettait pas en danger. Ainsi échappèrent-ils aux recherches et à la vengeance de Solomon. Tout comme en réchappèrent les autres clones dont il avait retrouvé la trace. Après sa visite à Patrick, il avait compris qu’il n’hériterait pas des pouvoirs de ses semblables en les tuant.


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