• Cachée à l’abri d’un gros rocher à quelques mètres du refuge, Élisa observe la discussion très animée qui est en train de se dérouler entre Jonathan, Martha et leur prisonnier. Elle ne comprend pas pourquoi ils la tiennent à l’écart de ce qui, de loin, ressemble fort à un interrogatoire assez musclé. Jonathan n’a rien d’un tendre ! D’autant moins qu’il se sent terriblement trahi par son meilleur ami !

    Il a fallu trois jours à Khaled pour sortir de la torpeur béate dans laquelle le plongeait la potion secrète de la Guérisseuse. Trois jours pour comprendre, la rage au ventre, qu’il avait été enlevé ! Depuis, il ne décolère pas ! Heureusement qu’il était solidement attaché lors de son réveil !

    Et maintenant, l’heure des comptes a sonné !

    -Va faire un tour avec Jacob ! Lui a gentiment mais fermement ordonné Jonathan !

    - Pourquoi ? J’ai le droit de savoir moi aussi !

    -Je sais ma chérie mais ça risque d’être violent et notre fils est trop jeune pour assister à ce genre de chose !

    -Vous n’allez pas…

    -Bien sûr que non ! Mais il faudra peut-être user d’un peu plus que de simple persuasion pour obliger Khaled à parler !

    Elle a donc obéi et son fils accroché contre sa poitrine, elle est partie en maugréant, certaine qu’en fait Martha et Jonathan l’éloignaient à dessein, juste pour qu’elle n’entende pas ce que ces trois-là avaient à se dire. Eux trois sont  des éminents pontes à l’origine de l’Arche, alors qu’elle-même n’est qu’un simple sujet d'expérience.

    « Quel est votre secret ? Qu’avez-vous de si grave à vous dire que ma présence ne soit pas souhaitée ? » Ne pouvait-elle s’empêcher de penser en cheminant à contre cœur vers la rivière en contrebas.

    C’est cette réflexion qui l’a soudain poussée à revenir discrètement sur ses pas et à se tapir à l’ombre du rocher, pour tenter de capter ce que Jonathan ne veut pas qu’elle entende.

    Contre elle, Jacob est profondément endormi ! Une chance ! Décidément, ce petit bonhomme ne cesse de la surprendre ! C’est exactement comme s’il était doté d’un sixième sens qui lui ferait comprendre quand il est nécessaire qu’il soit silencieux ! Exactement comme lors de leur périlleuse traversée nocturne sur l’océan agité !

    Pour ce qui est de l’agitation, aujourd’hui c’est dans l’appentis attenant au refuge que ça se passe ! Il est heureux que Khaled soit attaché au solide montant de bois parce que de l’agitation, on passerait au pugilat ! Le moins que l’on puisse dire c’est que son ennemi de toujours rue dans les brancards comme un forcené en hurlant qu’il ne dira rien tant qu’il sera ligoté comme un malfaiteur !

    - Mais tu es un malfaiteur ! Et de la pire espèce mon ami ! Celle des traîtres ! Lui répond Jonathan sans une once de colère !

    Ce calme olympien exacerbe d’autant la rage de Khaled qui crache !

    - Tu parles de traîtrise toi ! Alors que tu t’es retourné contre nous pour ta cinglée de bonne femme ! Je ne donne pas cher de ta peau quand ils te retrouveront !

    - Tu l’ignores peut-être mais pour eux, nous sommes morts Khaled ! Nos cadavres sont mangés par les poissons à l’heure qu’il est ! Ils ne nous cherchent plus ! Je pense même que notre disparition les arrange ! Les morts, ça ne parle pas ! Toi en revanche, tu vas parler !

    - N’y compte pas !

    - Détrompe-toi ! Nous avons des moyens de persuasion très efficaces ! Tu cracheras le morceau de gré ou de force ! Tu dis que je me suis retourné contre vous, mais il semblerait que vous ayez sciemment gardé pour vous certains de vos projets non ?

    - Nous n’aurions pas eu besoin de le faire si tu ne t’étais pas exclu de toi-même en rompant notre accord initial. Aucun d’entre nous n’avait le droit de se choisir une génitrice avant le grand réveil. Le hasard seul devait présider à ces rencontres.

    - Génitrice ! Quel vilain mot !

    - C’est pourtant de ça qu’il s’agit, tu le sais parfaitement ! Des génitrices et des géniteurs choisis pour repeupler le Monde, voilà ce que nous sommes ! Rien d’autre !

    - Comme tu y vas ! Et que fais-tu des sentiments ? Ce sont eux qui nous confèrent notre humanité !

    - Qui dit sentiment, dit rivalité, jalousie, querelles sans fin… Pire encore ! Tu connais bien la facilité avec laquelle les hommes en particulier, se battent pour un oui ou pour un non ! Un bout de terre, une maison, une femme…Nous ne pouvions laisser ce paramètre instable interférer dans notre projet vital!

    - D’où l’implant « Procréa » mais pas que ça je suppose hein ! Pour faire un enfant, il faut tout de même un peu d’amour !

    - Pas d’amour non ! Seulement l’illusion de l’amour Jonathan ! Pour maintenir la paix et la sécurité dans la communauté !

    - Un autre implant donc, si j’ai bien compris, que vous avez programmé dans mon dos !

    - Il était prêt Jon’ et nous t’en aurions parlé si tu n’étais pas parti chercher cette satanée Élisa !

    - C’est ma femme Khaled, tu ferais bien de t’en souvenir !

    - C’est ça le hic justement, cette relation exclusive non prévue et totalement contre-nature dans le cadre strict du processus que nous avions codifié.

    - Je commence à comprendre ! Tout était programmé, Même les futures rencontres prétendument fortuites entre les «Élus»  Vous aviez déjà formé les couples reproducteurs quoi ! Accouche !

    Toujours à l’abri de son rocher, anxieuse, Élisa attend la réponse de Khaled ! La seule idée que le couple uni qu'elle forme avec Jonathan, ait été décidé bien avant leur rencontre, la terrifie. Se peut-il que l'amour profond qu'ils éprouvent l'un pour l'autre, ne soit qu'une illusion ?

    Non ! Elle a bien entendu de la bouche de ce traître, qu'elle et Jonathan sont l'exception à la règle, parce qu'il a désobéi en allant à sa rencontre. Mais pourquoi l'a-t-il fait ? L'a-t-il choisie dans le lot des « Élus », comme ils disent. Tout se brouille à nouveau dans sa mémoire où les souvenirs se diluent, se mêlant aux rêves qu'elle a vécus comme des faits réels pendant si longtemps! Mais une question plus importante que tout reste posée: pourquoi cette série de disparitions à Liberté, et que sont devenus les disparus ?

    Obstinément, Khaled se mure dans le silence, laissant Jonathan tirer seul les conclusions qui s'imposent à lui.

    Rageur, celui-ci se tourne vers Martha qui semble faire profil bas depuis le début de l’interrogatoire.

    -Et toi, que peux-tu me dire puisque cet enfoiré refuse de passer aux aveux ? Que sais-tu que tu me cacherais depuis si longtemps ?

    -Ce n’est pas ce que tu crois Jonathan ! Comme toi, j’ai approuvé l’implant Procréa, parce qu’il me semblait indispensable que tout s’enclenche rapidement dès le réveil. Toutes les « Arches » étaient d’accord là-dessus ! Puis tu es allé finaliser ta propre opération de sélection ! Tu y as rencontré Élisa et tu t’en es épris, ce qui allait à l'encontre du programme.

    -En quoi notre rencontre dérangeait-elle le programme ?

    -Pourquoi t'obstines-tu à nier si farouchement ce pourquoi tu as signé Jonathan ? Parce que tu l'as signé, le Pacte des Arches ! As-tu oublié ce qu'il nous en a coûté de l'écrire ? As-tu oublié les sacrifices auxquels nous avons dû consentir ? Nous ne pouvions nous permettre aucune dérogation. Il semblerait que le réveil n'ait pas été total pour toi !

    Crache Khaled venimeux et totalement réveillé lui !

    -Toi ta gueule ! Je parle à Martha. Que m'avez vous caché ? Et que sais-tu des disparitions ? je te croyais mon amie toi aussi ! Es-tu complice de cette machination ?

    -Pas du tout ! J'ai été mise à l'écart, comme toi. Comme toi j'ai été droguée pour ne pas voir ce qui se tramait. Si Élisa ne m'avait pas convaincue, j'aurais continué à la prendre pour une folle puisqu'elle seule, va savoir pourquoi, est restée insensible aux effets de cette drogue. Aujourd'hui j'imagine son angoisse quand elle a constaté ces disparitions sans être crue ! Je ne sais pas ce que sont devenus les disparus Jonathan, je te le jure.

    - Je te crois mais il y a quelque chose que tu sais et que moi j'ignore, qui pourrait expliquer pourquoi on les a fait disparaître. Si tu veux garder ma confiance, dis moi ce que ces salauds m'ont caché. Ce que tu m'as caché toi aussi Martha !

    - Dans l'implant Procréa, nous avons...

    -Tais-toi vieille folle ! Tu ne vas pas nous trahir pour ce pleutre ! L'interrompt brutalement Khaled pâle de fureur.

    -Je ne trahis personne Khaled ! Il a le droit de savoir ! C'est Serena, Septime, Andrew et toi qui êtes responsables de ces disparitions ! J'en suis sûre et je veux savoir pourquoi et où sont toutes ces personnes. Tout cela a un rapport avec ce que nous avons ajouté à la Procréa n'est-ce pas ?

    -Ferme-la ! Tu ne sais pas ce que tu fais !

    -Toi ferme-là ou je t'assomme de nouveau ! Jette froidement Jonathan ! Continue Martha.

    Masquée à leurs regards, Jacob endormi dans son giron, Élisa attend la réponse de sa vieille amie.


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  • Ecrit pour l'atelier N°192 de Ghislaine, dans le respect strict des règles imposées

    Il est où l'bonheur ?

     

    Il est dans notre cœur une région discrète

    Qui abrite l'attente, l'espoir, le désir

    Tous ces besoins urgents, ce bonheur que l'on guette

    Car il n'est pas facile ce bougre à saisir.

     

    On, l' attend le bonheur et surtout on le cherche

    Mais pour l'atteindre il faut, c'est le plus important

    Être là quand il passe et lui tendre la perche

    Puis, dès qu'il l'a saisie, l'attraper doucement.

     

    Première règle alors, établir la confiance

    En lui donnant accès à nos espoirs secrets

    Car c'est un don précieux que cette connivence

    Il est donc judicieux de bien la dorloter.

     

    Le bonheur c'est certain, n'est pas insubmersible

    On peut l'avoir un jour et le perdre d'un coup

    Alors protégeons le autant qu'il est possible,

    Tout comme il nous protège, vaillant garde-fou.

     

    Je me dis très souvent, toute réflexion faite

    Que l'avoir en mon cœur, fût-ce un peu seulement

    Peut régler au chagrin, le solde de mes dettes !

    Le bonheur c'est cela, pour moi, assurément.

    11/07/2022

     


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  • Et voilà !

    Avec ce chapitre 9, je vais laisser sur leur faim les personnes qui, fidèles, passent lire. Poster ces chapitres aura eu l'effet escompté, je me suis remise  à l'écriture et petit à petit, la suite se dessine enfin .

    Patience donc pour les chapitres à venir...

    Bisous

    Anne-Marie

    *

    Jacob dort comme un bienheureux dans les bras cajoleurs de Martha qui ne cache pas sa joie d’avoir retrouvé son petit loupiot comme elle dit. Á vrai dire elle est complètement gaga avec le petit garçon qu’elle considère comme son petit-fils. Elle lui voue un amour sans borne et le bambin le lui rend bien !

    Il y a maintenant huit jours qu’ils l’ont rejointe dans le refuge où elle se rongeait les sangs en se demandant ce qu’ils devenaient.

    Ils ont quitté Liberté par la mer dans une barcasse qui tenait plus de la coquille de noix que du bateau de pêche auquel est habitué Jonathan !

    Élisa ne lui a pas posé de question quand il lui a annoncé que ça valait mieux que de prendre les sentiers habituels où on risquait de les poursuivre ! Si naviguer de nuit ne l’enchantait pas, elle a néanmoins admis qu’en effet, c’était la meilleure solution, surtout quand Jonathan lui a fait part de son plan, même si elle a rechigné en l’écoutant l’exposer :

    -Nous allons leur faire croire que nous avons péri en mer au cours de notre fuite !

    -Ils ne seront pas dupes !

    -Mais si, crois-moi ! Quand ils verront qu’aucun des bateaux de pêche ne manque, ils comprendront que nous sommes partis avec cette embarcation peu fiable dont plus personne n’ose se servir. Il va y avoir de la houle cette nuit, c’est prévu.

    - Il faut être fou en effet ! Que nous prenions des risques, je peux le concevoir mais tu as pensé à Jacob ?

    - Bien sûr que j’y pense ! Pour le sauver, nous devons les prendre ces risques ! Si Martha n’avait pas mesuré l’ampleur du danger qui vous menaçait Jacob et toi, elle n’aurait pas quitté Liberté. Elle a compris qu’en s’échappant, elle allait déstabiliser Andrew et ses acolytes, les obligeant à réviser leurs plans ! Tu peux être sûre que sinon, ils t’auraient fait disparaître toi aussi, sans attendre mon retour. Mon absence les arrangeait bien et tant qu’ils avaient Martha dans leur jeu, ils pouvaient tout se permettre !

    - Tu as sans doute raison !

    -J’ai raison ! Pense à Soraya et aux jumeaux ! Alors que chaque enfant de Liberté est si précieux pour notre avenir, ils n’ont pas hésité à les faire disparaître ! Ils en auraient fait autant pour toi et notre fils, avec d’autant plus de détermination que tu devenais une menace pour eux ! S’ils n’ont rien tenté avant, c’est probablement parce qu’ils voulaient d’abord découvrir pourquoi leur drogue ne fonctionne pas sur toi ! Tu es un cas unique ma douce! Même moi je n’y ai pas résisté au début !

    -Tu parles d’une drogue, mais quelle drogue ? Comment peuvent-ils l’administrer à toute la population en même temps ? Droguent-ils les enfants aussi ? Ont-ils une raison précise pour avoir fait disparaître les personnes cochées sur ma liste, ou les choisissent-ils au hasard ? Et pourquoi ont-il fait disparaître tous les "mal réveillés " d'un seul coup avec la garde du jour en prime ? 51 personnes , tu te rends compte ! Quel est le but de tout cela ?

    -Je ne sais pas mon amour, c’est ce que nous devons découvrir ! Voilà aussi pourquoi nous devons partir, vite !

    -Une dernière question Jonathan ! Deux plutôt. Tu parles d’une partie engagée entre nous et Andrew et sa bande, peux-tu me dire si elle est bientôt terminée cette partie ?

    - Je ne peux répondre à cette question ! Si j’en étais capable, nous ne serions pas obligés de fuir pour avoir une chance de trouver ces réponses ! L’autre question ?

    -Que fais-tu de Khaled ? Il te connaît mieux que personne ! En constatant ta fuite, il comprendra que tu l’as berné et il ne te lâchera plus !

    - Ça ma chérie, c’est un problème réglé ! L’as-tu vu depuis notre retour ?

    - Non, en effet ! Je pensais qu’il avait rejoint Shana !

    -Tu ne t’es pas dit qu’il aurait dû être avec ses comparses ?

    -Oui.. Non… je ne sais plus ! J’étais tellement heureuse de te voir que je n’ai pas vraiment fait attention !

    --Eh bien ma douce, ce cher Khaled nous attend !

    -Comment ça il nous attend ?

    - Oui, il part avec nous ! Bon, il est un peu sonné, d’accord ! C’est que Martha m’a appris quelques trucs si tu vois ce que je veux dire, alors il dort comme un bébé et il va dormir pendant un bon bout de temps ! Ligoté bien sûr !

    -Pourquoi l’emmener avec nous ?

    -C’est une carte dans notre jeu ! Un atout maître !

    -Il est dangereux !

    -Il le serait bien d’avantage en restant avec ses complices !

    -Les habitants de Liberté vont s’apercevoir de sa disparition ! Et de la nôtre !

    -Même pas ! Ont-ils fait la moindre remarque sur celle de Martha ? La drogue annihile leur perception. Ils n’auront pas à nous oublier parce qu’au même titre que les autres disparus, nous n’aurons jamais existé pour eux !

    -Mais Andrew, Septime et Serena…

    - Eux sauront bien sûr ! Ils comprendront que nous avons pris Khaled en otage et que ce traître aura péri en même temps que nous !

    -Comment ?

    -Quand ils verront les débris de notre piteuse embarcation !

    Et le plan de Jonathan a fonctionné à merveille. Un plan qu’il avait minutieusement préparé, avant son départ pour la chasse, après avoir surpris tout à fait par hasard, une conversation édifiante entre celui qu’il croyait être son ami depuis toujours et la bande des trois « maîtres » de l’Arche, quelques jours après qu’elle ait lancé sa bombe lors de la fameuse réunion du Conseil de la Communauté.

    Bien qu’il soit encore sous l’influence de la drogue, il n’avait retenu qu’une chose : on voulait faire du mal à l’amour de sa vie !

    -Ça ne marche pas avec Élisa ! Avait jeté cette garce de Serena

    -Il va peut-être falloir s’en débarrasser ! Avait suggéré Septime d’un ton froid !

    -Comme pour les autres ? Avait demandé Andrew.

    - Avec Jonathan dans les parages, ça risque d’être difficile ! On a beau le tenir comme les autres, il est plus résistant et il est très épris d’elle ! Avait argué Septime.

    -De toute façon avant d’agir, il faut qu’on essaye de comprendre pourquoi ça ne fonctionne pas sur elle. Et pour ça, il vaudrait mieux qu’il ne soit pas présent. Avait ajouté Serena.

    -J’ai une idée, avait proposé Khaled. Je l’emmène à la chasse avec Rafaël. Il ne refusera pas ! Il faut profiter du fait qu’il avait l’air assez décontenancé et énervé contre elle quand elle a parlé des disparitions ! Je pense même qu’il sera soulagé de s’éloigner d’elle un moment !

    C’est cette trahison qui l’avait « dessoûlé » en quelque sorte. Alors il avait joué leur jeu, tout en préparant ses propres coups, comme un joueur d’échec !

    Non, il ne savait pas quand allait finir la partie, mais il était prêt à tout pour qu’elle se termine à son avantage

    Dans le petit bateau, ils n’ont embarqué que le strict nécessaire pour un voyage somme toute assez court par la mer, plus quelques bagages qui seraient sacrifiés pour duper leurs adversaires. Et bien sûr, un Khaled profondément endormi, saucissonné dans une couverture. Comme s’il avait compris, Jacob a été sage comme une image. Á la lueur de la lune, ils ont navigué sur le flot houleux, jusqu’à un îlot connu d’un seul équipage de pêcheurs, celui que formaient habituellement Jonathan, Rafaël et Khaled, sur le Liberté .

    Une cabane au confort rudimentaire les attendait et une autre embarcation bien plus solide pour les amener à bon port. Après avoir installé sa femme, son fils et leur prisonnier à l’abri, Jonathan est reparti à l’assaut des vagues, traînant derrière lui la barcasse contenant les bagages leurres.

    Á bonne distance de l’îlot, il a percé le fond d’un coup de hache, fracassé la coque, puis il l’a détachée et laissée partir à la dérive. L’océan et quelques écueils ont fait le reste.

    Jonathan savait que les courants à cet endroit précis, allaient ramener les débris de l’épave vers le rivage de Liberté.

    Après une journée de repos, ils ont repris la mer. Il ne leur a fallu que quelques heures pour rejoindre la côte, au plus près du refuge de Martha. Et seulement une demi-journée de marche pour l’atteindre enfin, avec un Khaled tenu fermement en laisse par Jonathan, et qui avançait l’air hébété, tel un zombie, sans comprendre encore ce qui lui arrivait.

    Quant à Jacob qui n’avait jamais quitté Liberté, du haut de ses 2 ans, il semblait s’émerveiller de tout.

     

     

     

     


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  • La réaction du Doyen ne se fait pas attendre. S’il a paru totalement décontenancé devant Jonathan, il reprend très vite du poil de la bête. !

    N’est-elle pas allée trop loin avec sa petite comédie ?

    - Martha, espèce de folle ! Tu sais très bien de qui je parle ! Elle vivait chez toi depuis plus d’une semaine !

    Au point où elle en est et à voir l’expression fermée de Jonathan, elle peut tout aussi bien continuer le jeu qu’elle a commencé. Après tout, elle ne sait pas encore s’il est toujours sous influence.

    -Je ne connais aucune Martha ! Je suis seule chez moi avec notre fils depuis le départ de Jonathan ! Tu es bien placé pour le savoir Andrew ! Après la réunion que j’ai si inconsidérément convoquée, j’en conviens, plus personne ne m’adresse la parole ! On m’évite comme la peste ! Et on ne me laisse plus participer aux activités de la Communauté !

    - Á quoi t’amuses-tu petite écervelée ? Tu vois disparaître des gens qui n’existent pas et tu ne te serais pas aperçue de celle de Martha, qui est bien réelle, elle ! Á qui voudrais-tu faire croire ça ?

    - Je ne cherche pas à vous faire croire quoi que ce soit ! En quoi cette…Martha serait elle plus réelle que mes « disparus » ? Vous êtes peut-être tous devenus aussi fous que moi !

    -Et Jonathan qui vient tout juste de rentrer après une absence de presque un mois, tu penses qu’il est fou lui aussi ? Tu l’as bien entendu demander des nouvelles de Martha ! Argumente une Serena qui reprend pied à son tour !

    -Pas du tout ! Je remontais tranquillement de la plage quand j’ai entendu sa voix de loin. Ses cris ont même réveillé notre fils. J’étais si heureuse qu’il soit enfin rentré ! En m’approchant, je vous ai vus tous les quatre. Vous sembliez vous disputer et vous parliez d’une disparition Vous pensez bien que vu les circonstances, cela a fait plus que m’intriguer !

    -Tu mens ! Hurle Septime qui de pâle est passé à rouge de fureur !

    Elle se moque qu’ils croient ou non à sa version. Ce qui l’inquiète, c’est l’absence de réaction de Jonathan. En apparence du moins, car ses poings serrés et les veines gonflées de son cou démentent ce calme de surface. Il va exploser d’un instant à l’autre. Sera-ce contre elle ou contre ceux qui accusent sa femme de mensonge et de folie ? Elle préférerait ne pas le savoir tout de suite.

    - Jonathan, nous devons te parler ! Il y a urgence ! Intervient Andrew.

    Sent-il que la situation leur échappe et qu’ils n’ont plus le contrôle sur l’esprit de son compagnon ?

    Il y a urgence en effet ! Á l’éloigner des trois comploteurs ! Il faut qu’elle puisse très vite et le plus calmement possible, lui expliquer les choses de son point de vue, partagé par Martha désormais. Elle se doit aussi de le rassurer sur le sort de leur vieille amie. Il faut qu’elle parvienne à le convaincre qu’elle n’a pas disparu mais qu’elle est partie de son plein gré, persuadée que c’était la seule façon de se protéger et de les protéger, elle et leur petit Jacob.

    - On y va maintenant ! Insiste Septime.

    La peur qu’elle avait réussi à juguler en entendant la voix de son homme, remonte en flèche ! Désespérée, elle lui jette un regard de muette supplique. Tout son être tendu vers lui, crie «Viens !»

    Comme s’il l’avait entendue, il pose enfin sur elle l’émeraude de ses prunelles acérées.

    -Dites-moi, c’est grave ou pas, si je préfère passer un peu de temps avec ma famille avant les discussions sérieuses ? Parce que s’il y a une urgence pour moi, c’est bien de serrer ma femme et mon fils dans mes bras ! La vôtre attendra ! Assène-t-il d’un ton dédaigneux aux trois comparses estomaqués.

    - Mais...Martha… Bégaie Andrew décomposé.

    -Vous n’avez rien fait depuis huit jours ! Cela aussi peut donc attendre, au point où on en est à cause de votre négligence !

    Et là-dessus il s’approche d’elle et passant un bras ferme autant que possessif autour de ses épaules, il l’entraîne sur la route qui mène à leur foyer !

    -Jonathan… il faut que je te dise…

    -Plus tard ma chérie ! Quand nous serons chez nous, à l’abri des oreilles indiscrètes. L’interrompt-il.

    - Tu.. Tu ne m’en veux plus ?

    - Plus tard je te dis ! Fais-moi confiance.

    Puis, sans se soucier de ceux qui les épient, avec précaution pour ne pas étouffer leur fils, il la prend dans ses bras et l’embrase avec une passion qui n’a rien de feint.

    Á peine sont-ils rentrés chez eux, que toute la tension accumulée depuis le départ de Jonathan, se relâche d’un seul coup. Elle se serait effondrée s’il ne l’avait pas retenue fermement contre lui.

    -Là… Là.. Tout va bien aller à présent mon amour ! Lui murmure-t-il apaisant

    Accroché aux longues jambes musclées de son père, Jacob gazouille :

    -Papa, papa. Zacob veut bisou…

    - Bien sûr mon bonhomme ! Papa va te manger de bisous ! Lui répond-il envahi de tendresse.

    -Il a retrouvé le sourire ! Si tu savais comme il a pleuré en ton absence ! C’est son tour de câlins maintenant ! Dit-elle en se détachant de lui.

    Puis, encore tremblante, elle va s’asseoir dans le rocking-chair qu’il a fait pour elle à la naissance de Jacob.

    - Je me doute ma chérie ! Pardonne-moi ! Nous allons rattraper un peu du temps perdu avec mon petit pirate, puis nous discuterons ! Je crois que nous avons des choses importantes à nous dire !

    -D’accord mon amour !

    Les retrouvailles entre le père et le fils sont si émouvantes qu’elle a bien du mal à retenir ses larmes.

    Le reste de la journée s’est déroulé sans anicroche Personne n’a osé venir relancer Jonathan chez lui. Mais Élisa sait que ses ennemis ne renonceront pas si facilement. Ils ont probablement compris avant elle, qu’ils n’avaient plus aucun pouvoir sur Jonathan ! La seule chose qu’ils ignorent et qu’elle, sait à présent, c’est, en utilisant leur propre terme, qu’ils ne l’ont pas « tenu » autant qu’ils le pensaient.

    Quand il est parti avec Khaled et Rafaël, il ne subissait déjà plus leur funeste emprise.

    -Pourquoi es tu parti alors ?

    -Pour donner le change ! Pour qu’ils croient que j’étais toujours sous influence. Au même titre que Rafaël.

    - Parce que Khaled…

    - Khaled fait partie de leur complot. Si j’avais refusé de partir, ils auraient compris que leur truc ne fonctionnait plus sur moi. Khaled était en quelque sorte, mon sauf-conduit. J’ai joué consciencieusement le zombie que j’étais censé être. Il n’y a vu que du feu ce traître !

    - Comment nous tiennent-ils et pourquoi cela ne marche-t-il pas avec moi ?

    -C’est là tout le nœud de l’histoire mon amour : Il faudra que je t’explique mais là, nous allons d’abord devoir agir, vite, très vite.

    -De quelle façon ?

    - En partant rejoindre Martha

    - Quand ?

    -Cette nuit-même. Alors, comme elle te l’a dit, nous aviserons. Les dés changent de main ! Nous reprenons la partie Élisa !


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  • Voilà bientôt une semaine que Martha a quitté Liberté pour son refuge. Elle doit maintenant y être installée, à l’abri, loin du danger que représentent à la fois le village et les trois personnages qui le dirigent en sous-main. Andrew, Septime et Serena. Parce qu’ils le dirigent, Élisa n’en doute plus à présent ! Dans le plus grand secret, ils s’en sont instaurés les maîtres, contrevenant ainsi à la Loi admise par tous lors de la création de cet espace de vie hors de l’Arche : pas de chef. Tout ce qui s’y décide est discuté et mis par écrit à l’issue des Conseils de Communauté. L’unique prérogative reconnue est celle d’Andrew, qui en tant que doyen d’âge, 51 ans, soit tout juste un an de plus que Martha, préside et anime les débats.

    Une semaine qu’Élisa est seule face aux regards de plus en plus noirs des habitants du village. Plus rejetée que jamais par ces gens qui se sont auparavant toujours montrés amicaux avec elle, elle se sent pire qu’une pestiférée ! Et Jonathan qui ne revient pas !

    « S’il lui était arrivé quelque chose ! » Ne peut-elle s’empêcher de se demander.

    Rongée par l’inquiétude, elle attend son retour en guettant les réactions de ses trois ennemis concernant l’absence de Martha. Le fait qu’ils ne l’aient pas encore interrogée à son sujet, ajoute à cette angoisse permanente ! Ils doivent pourtant s’être aperçus que leur « espionne » n’est plus à son poste de garde !

    Elle s’attend à chaque instant à les voir débarquer chez elle or curieusement, ils restent à distance. Cette « disparition » qu’elle n’a pas criée sur les toits, doit les interroger ! Surtout s’ils sont responsables des autres !

    Elle n’a plus rien à faire. On ne veut plus d’elle pour les travaux communautaires ! Croient-ils donc, tous autant qu’ils sont, qu’elle peut les contaminer avec ce qu’ils appellent sa folie ?

    Elle entend bien ce qui se murmure sur son passage : « Elle a perdu l’esprit ! Jonathan ne s’y est pas trompé ! Il y a fort à parier qu’il se choisira une autre compagne à son retour ! »

    S’ils avaient raison, elle en mourrait !

    Mais le pire, c’est la conversation qu’elle a surprise entre Mélodie, son ex meilleure amie et Shana, la compagne de Khaled, alors qu’elle se rendait à la plage avec Jacob :

    -Tu crois qu’on devrait laisser le fils de Jon’ avec elle ? ! C’est malsain non pour ce pauvre petit ! Demandait Shana.

    -Tu as sans doute raison ! On soumettra la question au prochain Conseil, acquiesçait Mélodie.

    - Je pourrais m’en occuper moi, reprenait Shana. En tout cas en attendant le retour de Jon’ !

    Cette chère Shana, si serviable ! D’autant plus prête à se dévouer qu’elle ne parvient pas à avoir un enfant avec son cher et tendre Khaled !

    Depuis, Élisa ne fait plus rien sans son fils. Elle l’emmène partout avec elle et le surveille jalousement. Quand vient le soir, elle se barricade chez elle, paniquée à l’idée qu’on vienne le lui enlever. Il est plus grognon que d’ordinaire depuis que son père est parti. Souvent, il s’accroche à elle en bredouillant « Veux papa...Veux papa » entre deux crises de larmes. Il a beau n’avoir que deux ans, il subit de plein fouet l’ambiance délétère dans laquelle elle l’oblige à vivre.

    «Les enfants ressentent plus de choses que nous ne pouvons l’imaginer » Lui a expliqué Martha un jour.

    Elle avait tellement raison ! La mielleuse Shana aussi, avec son « pauvre petit ». Jacob est malheureux ! Á part le bercer entre ses bras en lui susurrant des mots consolateurs, elle ne peut pas faire grand-chose. Et surtout pas lui rendre son papa !

    Un nouveau matin se lève sur Liberté. Le huitième depuis le départ de Martha. Le vingtième depuis celui de Jonathan. Elle étouffe dans la maisonnette où elle vit en recluse et sur le qui-vive les trois-quarts du temps. Elle a besoin de sortir. Jacob aussi ! La journée va être belle ! L’air est déjà très doux. Ça sent l’été. Après une toilette et un petit-déjeuner rapides pour elle et pour son fils, elle l’attache dans le porte bébé et sors de la maison, bien décidée à ne laisser personne leur gâcher cette matinée.

    C’est donc d’un bon pas et sans se préoccuper des regards peu amènes que les rares villageois déjà sortis de chez eux pour vaquer à leurs occupations, lui jettent au passage, qu'elle se dirige vers le chemin qui mène à la plage. Elle arrive devant la maison d’Éléonore, une autre très bonne amie de Mélodie. Habituellement, à cette heure et en cette saison, elle est assise dehors sur la petite terrasse en bois, à tresser les jolis paniers qui font sa renommée à Liberté. Or, elle n’y est pas. Et aucun bruit ne  lui parvient de la maison. Sur la route, Mélodie se dirige vers elle. Elle va bien voir qu’Éléonore n’est pas là. Presque à l’arrêt, elle retient son souffle. Parvenue à sa hauteur, Mélodie fait un écart et passe sans s’arrêter. Pas un regard pour elle, pas un signe de tête. Et, plus étrange, pas un regard sur la maison de la vannière !

    Ce qu’elle craignait depuis le départ de Martha s’est produit ! Éléonore s’est volatilisée. Pour Mélodie, pour les habitants de Liberté, elle n’a jamais existé. Ses paniers ne manqueront à personne.

    Le cœur d’Élisa bat la chamade. Se taire… Faire comme si… Suivre les conseils de Martha. Elle poursuit son chemin.

    Sa matinée à la plage avec Jacob se déroulera comme les autres, en apparence. Elle y sera seule jusqu’à ce qu’elle décide de rentrer. Pour une fois, sa solitude forcée aura du bon, parce qu’elle aurait eu bien du mal à masquer son désarroi.

    Il est presque midi au soleil lorsqu'elle quitte la plage à regret.

    Ces quelques heures lui ont fait du bien en dépit de cette nouvelle disparition inopinée.

    Elle refait le compte de ceux qui ne sont même pas des fantômes : Annaëlle, Djibril, Mélissa, Kumba, Lukas, Soraya et ses deux enfants, Leila et Léo, les adorables jumeaux, les cinquante "mal réveillés", Esperanza. Et maintenant, Éléonore !

    Pourquoi ces personnes ? Qu’ont-elles en commun qui expliquerait leur disparition ? Qui aurait voulu les faire disparaître ? Et enfin, comment est-il possible d’escamoter ainsi des gens, aussi rapidement, sans qu’ils laissent la moindre trace, que ce soit matériellement ou dans la mémoire de ceux qui les côtoyaient encore la veille ?

    Tandis que perdue dans ses pensées, elle remonte le sentier sablonneux qui mène au village, Jacob qui s’était endormi dans son giron, se réveille soudain et se met à babiller :

    -Papa.. papa !

    Il a entendu la voix chérie avant elle.

    Elle tonne aux abords de la Maison Commune où trois personnes se tiennent l’air pas très rassuré, devant un Jonathan en colère :

    -Comment ça, Martha a disparu ? Ça fait longtemps qu’elle ne vous donne plus de ses nouvelles ?

    -Pas très longtemps non ! Á peu près une semaine ! Bredouille piteusement Andrew.

    Le cœur d’Élisa fait un double bond dans sa poitrine. Jonathan est de retour et les trois larrons qui ont curieusement omis de la questionner sur l’absence de Martha, viennent d’avouer à son compagnon bien aimé, l’étrange disparition de la guérisseuse.

    - Une semaine ! Et vous n’avez envoyé personne à sa recherche ?

    - C’est-à-dire que.. Euh.. Nous l’avions commise à la surveillance d’Élisa... Bafouille à son tour Serena.

    - Á la surveillance de ma femme ? Et pour quelle raison s’il vous plaît ?

    - Enfin, tu sais bien Jonathan ! Ses histoires hautement fantaisistes de disparitions…Tente d’expliquer Septime qui n’en mène pas plus large que les autres devant cet homme qu’ils disent tenir.

    Où sont passés les trois comploteurs arrogants qui décidaient de son sort sans état d’âme ? Où est passée leur morgue coutumière ? Elle sent qu’elle a une carte à jouer, là, maintenant. Elle s’est rapprochée subrepticement. Personne ne s’est encore aperçu de sa présence..

    -Oh ! Mon amour, te voilà rentré, enfin ! Lance-t-elle à la cantonade, Faisant sursauter les trois comparses qui ne l’ont pas entendue arriver.

    Puis, avant que Jonathan, surpris, n’ait eu le temps de réagir, elle demande innocemment :

    - Qui a disparu ?

    Andrew, Serena et Septime, se regardent interloqués.

    - Martha ! Tu devrais le savoir jette Andrew d’un ton hargneux !

    - Martha ? Quelle Martha ? Je ne connais personne de ce nom. Questionne –t-elle, jouant à la perfection l’étonnement le plus total.

    Contre son cœur, caché au chaud par le corps potelé de Jacob, il y a la liste dûment complétée des habitants de Liberté, où elle a coché le nom d’Éléonore, la dernière disparue.


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